Jean-Claude Marguerite, Le Vaisseau ardent, Denoël, 2010 – Illustration : © Valsecchi / Alinari / Roger-Viollet : © Malcolm Piers/Gettyimages
Né en Normandie en 1955, Jean-Claude Marguerite commence sa première collaboration régulière avec la presse régionale alors qu’il est jeune lycéen. Écologiste, à 20 ans il publie un essai sur les méfaits du remembrement, Sauver le bocage. Il rejoint Ouest-France, puis signe ses reportages en indépendant, textes et photos, se spécialisant dans le domaine du cheval.
Par défi, il entreprend des études de gestion et change de métier, passant de témoin à acteur en devenant le conseil en communication de plusieurs haras, puis crée sa propre agence généraliste. Cette activité l’incite à quitter la campagne normande pour Paris, en qualité de concepteur-rédacteur free-lance. Très vite, il préfère abandonner le monde de la publicité pour celui de l’édition, et se fait graphiste, maquettiste, responsable technique…
Habitant en Île-de-France, il enseigne la P.A.O. à Paris III. Parallèlement à l’écriture, il poursuit toujours son travail de photographe.
Le Vaisseau ardent, écrit sur une période de dix-huit ans, est son premier roman, un projet unique dans la littérature française contemporaine.
Photo : © Paul Marguerite
Yougoslavie, fin des années cinquante. Dans un petit port de l’Adriatique, Anton et Jak, dix et onze ans, assouvissent leurs rêves de piraterie en volant des bijoux, de l’argent et des instruments de navigation sur les bateaux qu’ils astiquent pendant le jour – tout un butin qu’ils entreposent dans une cave laissée à l’abandon.
Alors qu’ils doivent cesser leurs cambriolages, car pêcheurs et miliciens recherchent activement les voleurs du port, les deux garçons font la connaissance d’un ivrogne. En échange d’alcool, le vieil homme leur raconte l’épopée du Pirate Sans Nom, un forban hors du commun qui aurait disparu sans laisser de trace, tout en emportant avec lui son trésor, le plus fabuleux de l’histoire de la piraterie.
Pour Anton, ce qui n’est sans doute qu’une légende va devenir sa principale raison de vivre. Devenu un pirate des temps modernes, un pilleur d'épaves, sa quête le mènera aux quatre coins de la planète, et il découvrira que derrière l’énigme du Pirate Sans Nom s’en cache une autre, bien plus ancienne, celle du Vaisseau ardent…
De l’Égypte pré-pharaonique à l’Amérique contemporaine, en passant par l’âge d’or des Caraïbes et les glaces du Groenland, Le Vaisseau ardent nous embarque pour la plus grande chasse au trésor jamais contée. Mais quelle est la nature réelle du trésor ?
4e de couverture
Tout n'a pas été dit au sujet du Manuscrit de l'île Éléphantine.
[…]
La première légende interdisait de s'approcher de l'île du Chaos noir, que cernait un lac d'où se déversait un fleuve moribond.
[…]
L'île vomissait des crocodiles par dizaines.
Des scorpions en surgissaient, des milans noirs s'envolaient jusqu'à obscurcir le ciel.
La seconde légende rapportait que cet oasis n'était pas une île, mais l’œuvre des Anciens. Au temps où le ciel crachait des pierres embrasées et où le fleuve Océan avait recouvert la Terre pour la protéger de cette furie incendiaire, de leurs mains ils avaient édifié cette forme stupéfiante, l'arche.
[…]
Le jeune scribe, habile, qui tira ces légendes de l'oubli, fut attaché au service de l'ancêtre du premier pharaon. Leur transcription avait troublé le monarque, elles faisaient écho au songe prémonitoire qui l'obsédait depuis sa prime enfance.
Il se voit, non comme « un jeune garçon », mais comme « un vieillard, faible et esseulé, et qui semble égaré ». Ses yeux « sont attirés par la ronde joyeuse de dix enfants nus, qui s'éloignent tout en chantant. » Il découvre à ce moment la « mystérieuse vision qui les fascine : une barque enflammée, au brasier fantastique, mais dont le bois regorge d'eau. »
[…]
Ce vaisseau ardent m'étonne et me subjugue.
[…]
Voici qu'il s'approche de la nef incendiée […], il touche de ses mains le bois qui ne se consume pas. Aussitôt, dans un grand éclat, il recouvre la vigueur et la brillance de sa jeunesse ! […] Alors, m'élevant de la fournaise, je triomphe de l'épreuve, non plus comme un enfant, non pas comme un vieillard, mais en dieu, immortel et bienveillant, qui prodigue prospérité et gloire à ma terre d’Égypte !
L'île du Chaos noir a disparu.
Or, près de l'actuelle île Éléphantine, à l'endroit où les recherches les plus pertinentes situent l'île du Chaos noir, se trouve un îlot sans nom dont les pierres érodées figurent très fidèlement une tortue se tenant à fleur d'eau, symbole d'éternité.
L'Ivrogne était tombé à la manière d'un tabouret de bar.
[…]
Anton s'était précipité […].
[…] Jak décida qu'il valait mieux attendre qu'Anton remonte de lui-même à la surface plutôt que de se lancer à sa recherche. D'ailleurs, il ne savait pas nager […].
Cette nuit lointaine sur le quai a décidé de son existence. Décidé ? Oui, probablement. Car depuis, les mensonges du vieil historien – affabulations, élucubrations et autres divagations éthyliques – pimentent ses souvenirs et modèlent ses plans. […] « Et si c'était vrai ? »
Anton est devenu le commandant Petrack.
Il se souvient de la « grotte aux trésors », aménagée cinquante ans auparavant par Jak et lui – Jak avait onze ans, Anton, dix ans –, derrière la cave du restaurant tenu par les parents de Jak et donnant, par une porte dérobée, sur un puits.
Il fait sien « le serment des Pirates » : « Il suffit de le vouloir vraiment ! »
Les larcins des « gamins » se fondent sur « la stratégie de l'innocence », « une stratégie unique, simple, efficace... l'innocence... ils étaient innocents. »
L'Ivrogne : « Pirates du soir, bonsoir ! »
Il sait. Il a volé leur trésor et il sait qu'ils ne sont pas innocents.
Anton se demande : « Est-ce cela, grandir ? Devenir étranger de soi-même, un autre si proche ? »
« Partir, il en a conscience depuis longtemps, était un mot grave qui exprimait qu'il devait cesser de jouer, qu'il quittait déjà l'enfance. »
« Peut-être faut-il devenir père à son tour pour renouer avec cette part enfouie de soi ? »
C'est l'histoire d'un passage.
L'Ivrogne est un « passager » sur le yacht d'un milliardaire américain que les gamins sont venus piller. Après tout, c'est leur voilier, ils doivent le reprendre, s'y embarquer, et partir, non plus comme petits mousses voués aux corvées à l'ancre, mais comme passagers, en haute mer, seuls maîtres à bord.
L'Ivrogne est « un Malouin de pure souche […], […] un originaire de Saint-Malo, France. Oui, matelots. Mes ancêtres avaient pour nom Jean Bart et Robert Surcouf ! »
En échange de flacons de rhum – un tord-boyaux piraté aux aubergistes, les parents de Jak –, l'Ivrogne se raconte.
« N'est-ce point le propre de l'enfance que de toucher les frontières d'un monde enchanteur à la première évocation des mots : pirate, île au trésor, vaisseau fantôme... […] le sang noir des pirates […] : leur sens absolu de la liberté […]. »
« Devenir pirate, c'est être seul, à tout jamais, c'est entrer en guerre contre le monde entier. »
« Ne suis-je pas devenu comme eux, finalement ? Ivrogne, à mon tour... Avec pour tout public deux matelots, pas un de plus. Deux apprentis pirates qui rêvent plus qu'ils ne m'écoutent […]. »
« Au Pirate Sans Nom ! lança-t-il jusqu'aux étoiles dans un enthousiasme théâtral. »
Né peu après le siècle, l'Ivrogne débarquait à la gare Montparnasse au début des années folles.
[…]
Près du jardin du Luxembourg, les plaques émaillées de deux rues voisines de chez lui portent les noms de Jean-Bart et de Duguay-Trouin. Il est étudiant en histoire, à la Sorbonne, il prépare une thèse sur les pirates : « Faits historiques, effet légendaire ».
Faits légendaires, effets historiques ?
Son directeur de recherche l'associe à la rédaction d'une Histoire mondiale de la piraterie.
En raison de son imagination facétieuse, l'Ivrogne est dit Bouffon-savant.
Il part pour les Caraïbes – les tropiques, les tempêtes, les cyclones. L'eau turquoise, le rhum, les cartes – au poker, on ne le voit pas venir, un ivrogne invisible, et il gagne tout à la dernière mise. Il s'appelle maintenant Qui-perd-gagne.
Après trois années, il se remet à ses recherches quand la légende vient à lui sous la forme d'un manuscrit : le Manuscrit de l'île Éléphantine.
Hergé, Le Secret de La Licorne, 1943 (pré-publié en noir et blanc du 11 juin 1942 au 14 janvier 1943 dans les pages du Soir)
Un hommage à Albert Dubout
Hergé, l'art du mouvement
Le Pirate Sans Nom serait à Tortuga, l'île de la Tortue.
Selon Jak : « le Pirate Sans Nom n'a jamais existé ! »
« – T'es-tu jamais demandé qui faisait l'Histoire ? […] Ceux qui écrivent l'Histoire, ce sont les historiens. Personne d'autre ! Les grands noms de l'Histoire n'existent que par la plume de leurs biographes. Voilà la vérité. »
Le Pirate Sans Nom serait-il vivant sous un déguisement ? Aurait-il fondé Libertalia, cette colonie libertaire où il prétendait affranchir les esclaves arrachés aux négriers ? Ne les a-t-il pas abandonnés après leur avoir repris les richesses que les trafiquants s'étaient appropriées ?
Un libérateur ou un monstre ?
Anton, devenu le commandant Petrack, est tout à la fois le jeune pirate, l'Ivrogne, le Sherlock Holmes des mers, l'enquêteur bien connu.
A l'aube de la soixantaine, il pense :
« Je suis trop vieux pour un nouveau voyage. »
[…]
Avec les années de recul, le commandant Petrack se félicite de cet apprentissage tortueux, car tout enfant il avait réinventé l'un des systèmes les plus sophistiqués de l'art de la mémoire, lequel consiste à disposer les choses dans des pièces familières en les liant par une histoire aussi personnelle et individuelle qu'un souvenir intime dans lequel on prend plaisir à déambuler. Anton avait substitué aux pièces des univers entiers, et il les avait rattachés en empruntant l'autre aspect de leur réalité, en décrochant.
[…]
Le « Vaisseau ardent » n'était que la juxtaposition de l'arche du Déluge et du buisson ardent.
Nathalie... Nathalie, le nom de son voilier... Nathalie... Nathalie Derenoy, vingt à vingt-cinq ans, tout au plus, presque encore une adolescente – sa jeunesse insolente.
Serait-elle... enfin ?
Elle se présente, une étudiante, il la reçoit. Délicieux instant. Ils parlent de poésie.
« Je sais que la poésie est indispensable, mais je ne sais pas à quoi. »
Jean Cocteau, Discours de réception à l’Académie Française
– Nathalie, Nathalie ! Je te sauverai !
La limousine aux vitres teintées stoppe dans un crissement de pneus.
« T'y comprends quelque chose ?
– C'est le nom qui me dit quelque chose.
– On ramène de tout dans nos filets.
– Des fois, des marins perdus écrivent en pensant à leur femme ou à leur fils. Et puis, ils confient leur message à la mer.
– C'est con. Les poissons font pas le facteur.
– Oui, c'est con. Mais ça fait du bien.
– A qui ? Allez, t'emmerde pas avec ça, fous-la à la baille ! Aux sirènes de s'en charger...
– Tais-toi. T'as personne à qui t'aimerais causer une dernière fois ?
– Ça changerait quoi, je te demande ? T'es mort, t'es mort. Non ?
– Petrack... C'est le nom qui me dit quelque chose. Mais d'où ?
– Si ça se trouve, ton gars il est connu. Tiens, on va la garder, ta lettre... Hé, t'imagines qu'on se fasse du fric avec !
– Ça nous changerait du poisson. »
Jean-Claude Marguerite, Le vaisseau ardent, bande-annonce
Le Vaisseau ardent de Jean-Claude Marguerite est une histoire commencée sous forme d’un conte pour son fils Paul, alors âgé de huit ans, et terminée pour ses deux filles, Miriam et Raquel, treize et onze ans.
Comme en un rêve.
La vie est un rêve, le rêve est une vie. L'histoire avance d'écueil en écueil, d'échec en victoire, de mensonge en vérité, une histoire sans fin.
Comment parler d'un chef-d’œuvre, un conte pour enfants, un roman curieux, classique dans l'écriture (encore que...) ? Comment souquer ferme de page en page ? 1290 pages. On peut avoir le mal de la marée dans le flux et le reflux de l'histoire.
Et yo-ho-ho ! Et une bouteille de rhum !... Quand le capitaine rejoint la légende, quand la légende devient vérité.
Efelle en a parlé.