François Gérard, Thérèse d'Ávila, 1827, Infirmerie Marie-Thérèse, Paris
Frère Jean de la Misère, Thérèse d'Ávila, 1576, Carmel de Séville (portrait réalisé du vivant de Thérèse et en sa présence)
Thérèse d'Ávila (en religion : Teresa de Jesús), née le 28 mars 1515 à Gotarrendura (Vieille-Castille) et morte dans la nuit du 4 au 15 octobre 1582 à Alba de Tormes, est une religieuse espagnole, réformatrice de l'Ordre du Carmel au XVIe siècle, sainte et docteur de l'Église. Mystique dans l'âme et le cœur, elle a laissé des écrits sur son expérience spirituelle qui la font considérer comme une figure majeure de la spiritualité chrétienne.
Thérèse d'Ávila, Bannière de la canonisation, 1622
Thérèse d'Ávila, Le Château intérieur ou Les Demeures.
Dans cet ouvrage rédigé à la demande du Père Gratien pour les carmélites, Thérèse compare le cheminement spirituel à la découverte d'un château contenant de nombreuses demeures, sept en tout, comme des étapes vers l'union mystique.
JHS
L'obéissance m'a ordonné peu de choses qui m'aient semblé plus difficiles que celle d'écrire maintenant sur l'oraison : en premier lieu, parce qu'il ne me semble pas que le Seigneur m'ait donne l'inspiration, ni le désir de le faire ; et puis, depuis trois mois, ma tête est si faible et si pleine de bruit que j'ai peine a écrire, même pour les affaires indispensables. Mais, sachant que la force de l'obéissance peut aplanir des choses qui semblent impossibles, ma volonté s'y décide de bien bon gré, malgré que la nature semble beaucoup s'en affliger ; car le Seigneur ne m'a pas douée d'assez de vertu pour lutter contre des maladies continuelles et des occupations multiples.
Premières Demeures
De la beauté et de la dignité de nos âmes : une comparaison nous aide à le comprendre. Des avantages qu'il y a à reconnaître les faveurs que nous recevons de Dieu. De l'oraison, la porte de ce Château.
Aujourd'hui, comme je suppliais le Seigneur de parler à ma place, puisque je ne trouvais rien à dire, ni comment entamer cet acte d'obéissance, s'offrit à moi ce qui sera, dès le début, la base de cet écrit : considérer notre âme comme un château fait tout entier d'un seul diamant ou d'un très clair cristal, où il y a beaucoup de chambres, de même qu'il y a beaucoup de demeures au ciel.
Considérons donc que ce château a, comme je l'ai dit, nombre de demeures, les unes en haut, les autres en bas, les autres sur les côtés ; et au centre, au milieu de toutes, se trouve la principale, où se passent les choses les plus secrètes entre Dieu et l'âme.
Donc, pour revenir à notre bel et délicieux château, nous devons voir comment nous pourrons y pénétrer. J'ai l'air de dire une sottise : puisque ce château est l'âme, il est clair qu'elle n'a pas à y pénétrer, puisqu'il est elle-même ; tout comme il semblerait insensé de dire à quelqu'un d'entrer dans une pièce où il serait déjà. Mais vous devez comprendre qu'il y a bien des manières différentes d'y être ; de nombreuses âmes sont sur le chemin de ronde du château, où se tiennent ceux qui le gardent, peu leur importe de pénétrer l'intérieur, elles ne savent pas ce qu'on trouve en un lieu si précieux, ni qui l'habite, ni les salles qu'il comporte. Vous avez sans doute déjà vu certains livres d'oraison conseiller à l'âme d'entrer en elle-même ; or, c'est précisément ce dont il s'agit.
De la laideur de l'âme en état de péché mortel, et comment Dieu voulut la faire voir à certaine personne. De la connaissance de soi. Toutes choses utiles, souvent dignes de remarque. De la manière de comprendre ces demeures.
Avant d'aller plus loin, je tiens à vous demander de considérer ce qu'on peut éprouver à la vue de ce château si resplendissant et si beau, cette perle orientale, cet arbre de vie planté à même les eaux vives de la vie, qui est Dieu, lorsque l'âme tombe dans le péché mortel. Il n'est ténèbres si ténébreuses, chose si obscure et si noire qu'elle n'excède.
Ô Jésus ! quel spectacle que celui d'une âme qui s'en est éloigné ! Dans quel état sont les pauvres chambres du château ! Que les sens, ces gens qui les habitent, sont troublés ! Et les puissances, qui sont les alcades, majordomes, maîtres d'hôtels, qu'ils sont aveuglés, et gouvernent mal ! Enfin, puisque l'arbre est planté en un lieu qui est le démon, quel fruit peut-il donner ?
JHS
Bien que je ne parle que de sept Demeures, elles sont nombreuses dans chacune d'elles, en bas, en haut, sur les côtés, avec de beaux jardins, des fontaines, et des choses si délicieuses que vous souhaiterez vous anéantir dans la louange du grand Dieu qui a créé ce château à son image et ressemblance. Si vous trouvez quelque chose de bien dans ces nouvelles de Dieu que, par ordre, je vous ai données, croyez vraiment que Sa Majesté les a dites pour votre joie ; ce que vous jugerez mal dit est de moi.
Cet écrit fut achevé dans le Monastère de Saint Joseph d'Avila, la même année, vigile de la Saint-André, à la gloire de Dieu, qui vit et règne à jamais. Amen.
Thérèse d'Ávila, Le Château intérieur ou Les Demeures (1577 ?) – traduction de Marcelle Auclair, DDB.
* * *
Anonyme, Jean de la Croix, XVIIe siècle
Juan de Yepes Álvarez, Jean de la Croix en religion, l'un des plus grands poètes du Siècle d'or espagnol, est né à Fontiveros, dans une famille aristocratique, le 24 juin 1542. Il devient carme en religion et Thérèse d'Ávila, réformatrice de l'ordre du Carmel, lui demande de prendre en charge l'ordre masculin du Carmel. Il accepte et fonde l'ordre des Carmes déchaux. Il accompagne spirituellement les sœurs du Carmel, avant d'être enfermé par les autorités de l'Ordre qui refusent sa réforme. Il meurt au couvent d'Úbeda le 14 décembre 1591.
Il décrit son expérience mystique dans ses écrits, notamment La Nuit obscure (Noche oscura) et Le Cantique spirituel (Cántico espiritual). Thérèse de Lisieux a fortement contribué à faire connaître sa doctrine.
Jean de la Croix compose Le Cantique spirituel (El cantico espiritual) en prison, à Tolède, entre 1576 et 1577.
Canciones entre el alma y el esposo
1
Esposa
Adónde te escondiste
amado y me dejaste con gemido ?
Como el ciervo huiste
habiéndome herido
sali tras ti clamando, y eras ido.
Épouse
Mais où t'es-tu caché
me laissant gémissante mon ami ?
Après m'avoir blessée
tel le cerf tu as fui,
sortant j'ai crié, tu étais parti.
(traduction : Jacques Ancet, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2012)
Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Œuvres, Édition publiée sous la direction de Jean Canavaggio avec la collaboration de Claude Allaigre, Jacques Ancet et Joseph Pérez, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2012
Christiane Rancé, La Passion de Thérèse d'Avila, Albin Michel, 2015
Thérèse d'Ávila est une figure dérangeante. Sainte et première femme proclamée docteur de l’Église, elle plaît à Verlaine, Marguerite Yourcenar, Cioran, Simone de Beauvoir.
Christiane Rancé, romancière, essayiste et biographe, conte son aventure d'une manière flamboyante, en évoquant le Siècle d’or, celui de l’Inquisition, du pillage des richesses de l'Amérique, de l'exaltation religieuse mêlée à l'obscurantisme.
Thérèse d'Avila, Les chemins de la perfection, Anthologie établie et traduite de l’espagnol par Aline Schulman, préfacée par Julia Kristeva, Fayard, 2015
Où l'on découvre une expérience mystique et le sens de la réalité dans l'Histoire : Chemin de perfection (1566-1567), Livre des Fondations (1573-1582), Le Château intérieur ou les Demeures de l’âme (1577), Relations et Faveurs (1560-1581).
« Moins je comprends les choses, plus je les crois. », écrit-elle.
Patrick Szymanek, Thérèse de l'Enfant-Jésus, 2015