Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).
Roger Nimier, Le hussard bleu, Librairie Gallimard, 1950 – Le Livre de poche, 1967
Roger Nimier est né le 31 octobre 1925 à Paris. Brillant élève du lycée Pasteur, lauréat du concours général de philosophie. En 1945, il s'engage au 2e régiment de hussards. A vingt-trois ans, il publie Les Épées, à vingt-cinq, Perfide, Le Hussard bleu et Le Grand d'Espagne. Le 28 septembre 1962, son Aston Martin DB4 s'écrase sur l'autoroute de l'Ouest.
Il meurt dans l'accident, en compagnie de l'écrivain Sunsiaré de Larcône – qui était au volant (selon le témoignage d'Antoine Blondin auprès de Jean-Marc Parisis). Il avait trente-six ans, elle, vingt-sept.
Le Hussard bleu est en apparence la chronique d'un peloton de hussards qui pénètre en Allemagne, en 1945. Le livre se présente sous la forme classique d'une succession de monologues intérieurs – qui doivent plus à Valéry Larbaud qu'à Faulkner. Ils permettent au lecteur de visiter en détail : le cervelet d'un colonel vichyssois et celui du brigadier Casse-Pompons ; le cœur de ce délicieux petit cavalier motorisé, Saint-Anne, et celui de l'ardente Florence, une fille qui conviendrait mieux, semble-t-il, à des cuirassiers qu'à des hussards ; le foie du délicat Forjac et celui du grossier et colérique Los Anderos ; la rate, enfin, ainsi que plusieurs autres organes indispensables au guerrier, de l'odieux et séduisant Sanders. Mais le personnage principal est encore une Allemande, dont on nous parlera beaucoup, si elle n'intervient pas personnellement dans le récit.
Certes ces cavaliers ne s'expriment pas tous comme des enfants de chœur, mais cette violence était peut-être nécessaire dans un livre qui cherche à montrer quelques aspects du romantisme contemporain. D'ailleurs ces excès ne nuisent en rien aux pages d'émotion et de tendresse, au long desquelles le hussard bleu révèle comme par inadvertance l'un des aspects de son caractère, – non le moins inattendu.
4e de couv., édition blanche
En exergue :
Ah Dieu ! que la guerre est jolie
Avec ses chants ses longs loisirs
Cette bague je l'ai polie
Le vent se mêle à vos soupirs
Apollinaire.
Casse-Pompons
Ce putain de Sanders a descendu Lavollée. Alors, je fais celui qui n'a rien vu et je me rends à la grange. Je sifflote un air militaire en tournant les épaules comme un mataf. La cavalerie c'est tout pareil à la marine on est des chauds-lapins, la tête près du bonnet et un coin de rêve dans son paquetage, parce que la chose du sentiment, il faut la respecter. Soudain, je vois le nouveau, puis ce grand vagin de Berçac qui s'en retourne. J'attends une seconde et je ramène ma fraise avec autorité. C'est un petit blondinet d'une quinzaine d'années qui me fait chier rien que de le voir. Comme si j'avais deviné toutes les misères qu'il me ferait et jusqu'au bout les affronts, l'amertume, la merde épaisse. Je lui demande son nom Eh, petit, viens un peu voir par là d'abord. Il me dit Saint-Anne. Moi je fais : Je me les mets au cul, les saints, tiens. C'est comme ça que doit être le vrai chef, le mot pour rire au bon moment et le regard inflexible quand il faut. Je sors mon carnet, plein de cambouis, qu'il est, même. Je mouille la pointe de mon crayon et j'écris « Saint-Anne ». A cet instant, quand j'y repense, j'aurais dû lui mettre un poing sous le nez et lui dire de filer. Chez nous, que je lui aurais fait comme ça, il n'y a pas de place pour les petits glands de ton espèce.
Ici, tu peux dire que c'est le régiment de mes deux. Le colon, il encule l'assistante sociale, et elle, pendant ce temps, elle se fait tailler des sucettes anglaises par les hommes.
Casse-Pompons est bricart-chef, mieux que sergeot, moins que margis.
Il y a un nouveau dans le peloton, un blondinet de 15 ans tout sucré, Sainte-Anne. Gaffeur, bêtiseur et charmeur auprès de son supérieur hiérarchique et de la patronne du troquet voisin.
La drôle de guerre n'est pas encore drôle, pense Florence.
Évidemment, c'est la guerre. Mais la guerre, ça devient la barbe quand tout est mort, éteint, embaumé.
Il devrait y avoir des terrains de jeux pour la guerre, comme pour le foutebôle.
(NDL : de nos jours, c'est fait)
Certes, les joueurs de ballon sont trop ridicules dans leurs petites culottes de soie, les mollets moches à l'air, tandis que les soldats ont un certain charme, sous l'uniforme.
(NDL : de nos jours, ça n'a pas changé)
Florence est la maîtresse de Pierre, un colonel. Elle l'appelle « mon poulou ». Ollivier, un commandant, pourrait prendre la place de Pierre à la tête du régiment et dans le cœur de Florence si le « poulou » était tué lors d'un engagement.
Saint-Anne ne s'ennuie pas au 16e hussard. Il s'est mis en hussard. Le canon pète, les auto-mitrailleuses flambent, le lieutenant est mort – aucun regret, il ne s'intéressait qu'à la mécanique automobile. Berçac n'est pas mieux, il ne se passionne que pour le bridge. Des trucs inutiles. Maximian, l'honneur et la vertu l'occupent jour et nuit.
Ça ne m'empêche pas de croire que je suis intéressant, moi qui ne dis rien.
[…]
– Le Hitler, il est bien trop copain avec le Rothschild et les nobles...
(NDL : authentique ; en 1933, la famille Rothschild a financé le réarmement de l'Allemagne nazie – par l'intermédiaire d'une banque affiliée, non-juive, JP Morgan)
Ensuite, ça tue de part et d'autre.
De Forjac
Sinon de conduire avec un ongle cassé, je ne connais rien de plus ennuyeux que de sentir la pluie dégouliner dans votre dos...
La phrase se poursuit en continu sur trois pages. Une seconde phrase, brève, conclut ainsi le chapitre : « L'aube était encore assez fraîche et sentait délicieusement bon. »
Florence s'ennuie. Canonnade, la nuit, lecture d'un roman, le jour. Pierre était un amant agréable, bien qu'un peu brouillon.
Sainte-Anne s'ennuie également : sur les routes, des files de camions et de tanks, en débâcle. J'essaie d'expliquer à ces imbéciles la beauté spirituelle du viol.
Sanders
A chacune son tour, il faut une certaine justice en amour, faute de quoi on tombe dans la passion.
De Forjac
Les branches fouettant parfois les visages, le régiment s'enfonçait au cœur de l'Allemagne. Et puis il y eut quelque chose dans l'air, une certaine respiration des forêts, un drôle de sourire et du soulagement et de l'ennui et la certitude que c'était la fin.
Un dernier cadavre.
Tout ce qui est humain m'est étranger.
Quelque chose de Céline, dans l'écriture. Une composition centrée sur les personnages. Un récit décousu et parfaitement tissé.
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ANNEXE
Roger Nimier a été cité ici même.
Lettre de Louis Ferdinand Céline à Roger Nimier
Roger Nimier (1925-1962), jeune auteur, envoie à Céline en février 1949 son roman Les Epées avec cette dédicace : « Au maréchal des logis Destouches, qui paie aujourd’hui trente ans de génie et de liberté, respectueusement, le cavalier de 2ème classe, Roger Nimier ». Un an plus tard, il lui envoie Le Hussard Bleu et écrit un article sur lui dans La Table Ronde. Il se construit une solide amitié entre les deux écrivains dont témoignent les lettres inédites. Il s’agit de 228 Lettres dont 26 inédites correspondant à la période d’exil au Danemark puis, lorsque Roger Nimier, jeune écrivain, devient l’éditeur à la NRF de Céline (Décembre 1956). Les lettres datées du 19 Décembre 1956 au 30 Juin 1961 (sauf exception) ont été publiées par les éditions Gallimard : « Lettres à la NRF – Louis Ferdinand Céline », Collection Blanche, septembre 1991. L’ensemble représente 438 pages (dont 63 inédites) ; il s’y ajoute une ordonnance à Roger Nimier et une lettre à M. Raymond Magne (inédites).
Source : MS62, Maudit septembre 62.