Littré, dans son Dictionnaire de la langue française, 1863-1873, définit ainsi l'opérette :
1° Mot qui a passé de la langue allemande dans le français, et par lequel on désigne de petits opéras sans importance par rapport à l’art.
2° Aujourd’hui très généralement employé pour désigner les ouvrages joués sur plusieurs petits théâtres ou dans les salons.
Etymologie : diminutif d’opéra, attribué à Mozart.
Cette définition s'inspire de François-Henri-Joseph Blaze, dit Castil-Blaze, Dictionnaire de musique moderne, Paris, 1821, où l'on peut lire : [ce mot] a été forgé par Mozart pour désigner ces avortons dramatiques, ces compositions en miniature dans lesquelles on ne trouve que de froides chansons et des couplets de vaudeville […] Mozart disait qu'un musicien bien constitué pouvait composer deux ou trois ouvrages de cette forme entre son déjeuner et son dîner.
D'après Charles-Thomas-François d'Outrepont, Dialogue des morts, suivi d'une Lettre de J.-J. Rousseau, écrite des Champs Elisées à M. Castil-Blaze, Paris, F. Didot, 1825, François-Henri-Joseph aurait copié trois cent quarante-deux articles du Dictionnaire de musique de Jean-Jacques Rousseau, 1768, alors même qu'il en donnait l'auteur comme un musicien ignorant.
Querelle de pirates…
L'opérette, une fille de l’opéra-comique ayant mal tourné ? mais les filles qui tournent mal ne sont pas toujours sans agrément, rappelait Camille Saint-Saëns.
Le Dictionnaire de l’Académie française, 7e édition, 1878-1879, dit : Composition dramatique dont l’action est gaie ou comique et la musique légère... Une phrase d'autorité qui nous permettra de distinguer la fille légère de son père sévère.
L'opérette est française, n'en déplaise aux Italiens qui ont inventé, pour les entractes à l'opera, des intermezzi drolatiques devenus opera buffa, œuvres à part entière.
Notre opérette est à l’origine une subversion populaire de l’opéra.
Elle vient du vaudeville, du macadam de Paname. Au XVIIe siècle, la rue est en représentation avec ses jongleurs, ses bateleurs, ses acrobates qui se retrouvent à la foire Saint-Germain ou à celle de Saint-Laurent. On y trouve des tréteaux où les chansonniers épinglent les puissants.
En 1669, Lully obtient un privilège pour l’Opéra, l’Académie royale de musique, et, dans la foulée, les Comédiens-Français font interdire toute pièce parlée hors de leur territoire.
Ceux de la Foire n’ont plus guère de ressources que dans la pantomime et puisqu'ils ne peuvent chanter eux-mêmes, ils font chanter le public… sur des airs connus… des airs d'opéra !
Malgré les obstacles, ces saynètes en musique grandissent, avec des compositions originales, des danses, du vaudeville inspiré de l'opera buffa italien.
L'évolution se poursuit au XVIIIe siècle, des aristocrates goûtent l'esprit du faubourg.
En 1752, des Italiens s'installent à Paris avec La Serva padrona de Giovanni Battista Pergolesi, intermezzo per musica créé à Naples en 1733, pendant les entractes de son opéra, Il Prigionier superbo. Il s'ensuit une querelle de bouffons…
Les Français prennent exemple et donnent des œuvres où la musique, une musique originale, devient dominante, tout en maintenant la tradition des dialogues parlés se démarquant des récitatifs italiens.
On parle d'opéras-bouffons… jusqu'en 1766 --- l’Académie royale de musique fait valoir son privilège, la Foire passe à la Comédie-Italienne, de la fusion naît l’opéra-comique, une pièce en dialogue parlé, entremêlée de chansons originales.
Il ne s'agit pas encore de l'opérette, l'opéra-comique prend source dans la comédie pastorale, le drame bourgeois ou la fable mythologique.
La Foire et son esprit décalé sont encore dans la rue.
Au XIXe siècle, quelques théâtres populaires ouvrent leurs portes… en liberté étroitement surveillée. Hervé, compositeur, chef d’orchestre, chanteur, décorateur et machiniste, recrée la tradition. Hervé (de son vrai nom Florimond Rongé ou Ronger est né en 1825 à Houdain, près d’Arras, d’un gendarme et d’une Espagnole – José Bruyr, encore un Belge, associe à cette histoire l’abondance dans son œuvre de séguedilles et de gendarmes. Hervé se présente lui-même comme l’inventeur d’un genre loufoque, burlesque, échevelé, endiablé, cocasse, hilare, saugrenu, catapultueux, l'opérette, cette fille qui, répudiant une famille piquée de noblesse, retournait, cotillons courts et souliers plats, à ses roturières origines.
A sa suite, en 1855, Offenbach, alors chef d'orchestre à la Comédie-Française, se cherche : … devant l’impossibilité persistante de me faire jouer, l’idée me vint de fonder moi-même un théâtre de musique. Je me dis que l’Opéra-Comique n’était plus à l’opéra-comique, que la musique véritablement bouffe, gaie et spirituelle, la musique qui vit enfin, s’oubliait peu à peu. Les compositeurs travaillant à l’Opéra-Comique faisaient de petits grands opéras. Je vis qu’il y avait quelque chose à faire pour les jeunes musiciens qui, comme moi, se morfondaient à la porte du Théâtre Lyrique.
Il reprend la Baraque Lacaze au Carré Marigny, puis s'installe, en 1857, aux Bouffes-Parisiens. Offenbach contourne les règlements jusqu’en 1864, l'année de La Belle Hélène - Napoléon III vient de libérer les théâtres de leur ancien régime.
L'opérette est bien vivante avec Robert Planquette, Les Cloches de Corneville, 1877, Edmond Audran, La Mascotte, 1880, Louis Varney, Les Mousquetaires au couvent, 1880 - loin, toutefois, des impertinences que lançait Offenbach, le petit Mozart des Champs-Élysées selon Rossini, avec ses complices, Meilhac et Halévy, l'époque est aux sentiments et à la morale gentiment bourgeoise.
A Belle Epoque nouveau style, avec André Messager, chef d’orchestre qui révèle Pelléas et Mélisande de Debussy, compositeur de ballets pour l’Opéra et auteur d’opérettes – Véronique, 1898.
Avec la même finesse dans la tradition populaire, Claude Terrasse produit Monsieur de La Palisse en 1904 et Reynaldo Hahn, Ciboulette en 1923.
Proust écrit dans ses Chroniques : cet "instrument de musique de génie" qui s'appelle Reynaldo Hahn étreint tous les cœurs, mouille tous les yeux, dans le frisson d'admiration qu'il propage au loin et qui nous fait trembler, nous courbe tous l'un après l'autre, dans une silencieuse et solennelle ondulation des blés sous le vent. (Le Figaro, 11 mai 1903).
Les Années folles découvrent le jazz, le genre américain, et une certaine liberté de mœurs dont témoigne, en 1918, Phi-Phi d'Henri Christiné sur un livret d'Albert Willemetz et Fabien Solar.
Influence des nouveaux mondes, exotisme, grand spectacle à la fin des années '40 : Francis Lopez invente la nouvelle opérette avec La Belle de Cadix, 1945, sur un livret de Raymond Vincy (accompagné dans ses débuts par Marc Cab et Maurice Vandair) – un métissage de flamenco, sardane, tango, fandango, slow et paso doble. Nous n'aurons garde d'oublier Maurice Yvain et sa Chanson gitane, 1947, Maurice Yvain sans qui toute cette prose serait restée dans son cocon.
Maurice Yvain, Chanson gitane, Chœur des gitans, Chœurs Raymond Saint Paul et Orchestre, Marcel Cariven
La force des trois, Lopez-Vincy-Mariano, se retrouve dans Le Chanteur de Mexico, 1951, et encore Visa pour l'amour, 1961, où Annie Cordy prend Le Genre américain, et plus longtemps encore.
L’opérette est française. Le Singspiel allemand, la zarzuela espagnole, l’opera buffa italien ou la comédie musicale américaine sont des cousins venus d'ailleurs. On trouvera une plus proche parenté dans l’opérette viennoise. Offenbach, venu à Vienne pour une représentation de son Mariage aux lanternes, en 1858, donna à Johann Strauss fils l'idée de créer une opérette dansante sur un rythme de valse. La Chauve-Souris, 1874, a inspiré Karl Millöcker, Franz von Suppé et Franz Lehár, nouveau maître de l’opérette viennoise avec sa Veuve joyeuse,1905.
Qu'est-ce que l'opérette ?
Pour Claude Terrasse, l’opéra-comique est une comédie en musique, tandis que l’opérette est une pièce musicalement comique.
Recueillons les ingrédients épars dans notre quête.
Une pièce musicalement comique ?
Gioacchino Rossini, Il viaggio a Reims, 1825 – une œuvre de circonstance au Théâtre-Italien, une retrouvaille historique complexe, une pause, Scena VI, Recitativo e aria :
_ La sincope, si, si, fa molto effetto, Mozart, Haydn, Beethoven, Bach ne trassero un gran partito
Dans l'opérette, les chansons forment ou illustrent le portrait d'un personnage (alors que les grands airs d'opéra seraient des morceaux de bravoure musicale).
La Belle Hélène, 1864, opéra-bouffe d'Offenbach, ressemble bien à une opérette avec sa Marche et Couplets des rois, et son french cancan final, ponctué d'une tyrolienne – dans l'interprétation de Marc Minkowski, en l'an 2000, au… Châtelet.
Et La Grande-Duchesse de Gerolstein, 1867, avec les mêmes, au Châtelet, en 2004. Ah ! qu'elle aime les militaires ! Felicity.
A l'opérette, on ne cherche pas une partition savante, des paroles compliquées, une grande voix. On se présente tout simplement. Je suis l'abbé Bridai-ai-ai-ai-ai-ai-ai-aiiine, la faridondaine dondon, la faridondaine, la faridondon, une chanson simple.
Louis Varney, Les Mousquetaires au couvent, 1880 – on entend Jules Bastin avec le Chœur et l'Orchestre Symphonique de la RTB sous la direction d'Edgar Doneux.
Moi, j'm'appelle Ciboulette - Reynaldo Hahn, Ciboulette, 1923, dont nous choisissons le duo Nous avons fait un beau voyage avec Mady Mesplé et José Van Dam (encore un Belge et ce n'est pas un chanteur de variétés) accompagnés par l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et Cyril Diederich.
Et on danse… une petite tyrolienne, peut-être, avec Francis Lopez, La Route fleurie, 1952 – C'est la vie de bohème pour Georges Guétary et Bourvil, sous la direction de Jacques-Henry Rys.
Une séguedille entraînée par Teresa Berganza et José Carreras ? Jacques Offenbach, La Périchole, 1868. On sait aimer quand on est espagnol gno-gno-gno-gno-gno-gnol !
Au faubourg, on est coquin, on connaît la Chanson des païens [les païens ? des Hespérides, c'est le double jardin !] - Henri Christiné, Phi-Phi, 1918, Bourvil, encore, et Marcel Cariven au pupitre.
Coquin encore ? Edmond Audran, La Mascotte, 1880 – J'aim' ben mes dindons. Nadine Renaux et Michel Dens ont le talent de chanter manière rurale et le don ou la chance de ne pas crouler de rire avec les spectateurs --- glouou glouou glouou bée, glouou glouou glouou bée, glouou glouou glouou bée )))
Grivoise, joueuse en mots et en voix, notre opérette.
Francis Lopez, La Route fleurie, 1952 – Madagascar, Bourvil encore accompagné par Jacques-Henry Rys.
Jazzy ? Francis Lopez, Visa pour l'amour, 1961, où Annie Cordy prend Le Genre américain
Musicalement comique, dansant avec les mots, The rain in Spain, My Fair Lady, 1964, she's got it !
Et puis… Henri Christiné, Phi-Phi, 1918, Je connais tout'les historiettes - Gise Mey et Bourvil et Marcel Cariven, comme ça…
Francis Lopez, Le Chanteur de Mexico, 1951, pour le huitième jour.
Maintenant, l'avenir de la Foire et de la Baraque Lacaze est dans la rue ou peut-être… au Palais des Sports, à l'automne… avec...
Dove Attia et Albert Cohen, Olivier Dahan, Jean-Pierre Pilot et Olivier Schulteis, Mikelangelo Loconte, Mozart Opéra Rock, Tatoue-moi, 2008
– et ça lui revient bien à WAM ~~~
Duetto buffo di due gatti, Ann Murray et Felicity Lott, Andrew Davis, piano, 1996