>>> vers Carl Orff, Catulli carmina 02 - les désarrois de l'oisillon
Quoi dono
Quoi dono lepidum novum libellum
Arida modo pumice expolitum ?
Davidi, tibi ; namque tu solebas
Meas esse aliquid putare nugas
[…]
--- le texte original, 1, 3 *, dit Corneli ; David est en principe indéclinable, mais en bas latin du troisième millénaire…
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* les références suivies de l'astérisque renvoient à l'édition de Georges Lafaye, Les Belles Lettres, 1964 – pièce, ligne *.
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Incipit
Gaius Valerius Catullus serait né en 87 et mort en 57 avant J.-C., d'après Saint Jérôme qui a pu s'inspirer d'un chapitre perdu de l'ouvrage de Caius Suetonius Tranquillus (un historien romain ayant vécu à peu près de 69 à environ, peut-être, 160 après J.-C.), De viris illustribus, paru vers 113. Or, Saint Jérôme, auquel on peut prêter sans gages quelques erreurs, aurait confondu dans ses comptes le premier consulat de Lucius Cornelius Cinna, en l'an 87, avec le quatrième, en 84. Etant donné que Gaius Valerius Catullus a écrit jusqu'en 54 et qu'il est vraisemblablement mort à l'âge de 30 ans, nous en conclurons que sa courte vie s'inscrit entre 84 et 54 avant J.-C.
Après cette mise en bouche apéritive, présentons le chose.
Carl Orff, Catulli carmina - εἰς αἰῶνα
eïs aïona, pour toujours / éternellement, se lit en phrase liminaire de plusieurs psaumes.
Alleluia ! Rendez grâce à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour !
Bible de Jérusalem
En poursuivant notre lecture des Psaumes, nous avons :
louez-le par la danse et le tambour, louez-le par les cordes et les flûtes,
louez-le par les cymbales sonores, louez-le par les cymbales triomphantes !
Ps 150, Bible de Jérusalem
En lisant, en écoutant…
[l'album en écoute, en un click sur l'image]
Nous conseillons l'interprétation d'Eugen Jochum, 1953 / 1956, Deutsche Grammophon. Un enregistrement ultérieur, déclaré "officiel" par Carl Orff, avec Dietrich Fischer-Dieskau, est plus fin, mais justement la musique de Carl Orff, avec ses quatre pianos en percussions, est une composition sauvage, à l'état brut, taillée à la hache comme une sculpture de Georg Baselitz.
Georg Baselitz, Ohne Titel, 1982/84
Catulle
Le poète commence à écrire à 17 ans, l'année où il fut vêtu de probité candide et de lin blanc (tempore quo primum uestis mihi tradita pura est, 68, 15 *). Peu après, il rencontre Clodia, nommée en pseudonyme Lesbie (Lesbia), l'amour et la peine (odi et amo) de sa vie – elle n'était pas blanc-bleu. Il s'investit dans le débat littéraire de son temps, il écrit, un peu chansonnier, un peu chantre de la simplicité, coquin beaucoup. Il réunit ses poèmes épars dans un recueil, un libellus, dédié à Cornelius Nepos (1, 3 *) – voir en dédicace le texte détourné par nos soins. Sa renommée s'est maintenue jusqu'à nos jours. Rabelais le cite dans son Gargantua, son Pantagruel, son Tiers Livre. On trouve dans ses chants violence et harmonie, tendresse et rudesse, mêlées. Comme chez…
... Carl Orff
Carl Orff est un autodidacte. En 1937, avec les Carmina Burana, il crée son théâtre musical en s'inspirant de scènes et danses des premiers temps. On y entend, selon Claude Rostand, une rythmique primitive et obstinée, une harmonie très rudimentaire et un vocabulaire mélodique primitif lui aussi, fréquemment pentatonique et procédant également avec obstination dans une ambiance de répétition incantatoire, et, pour Heinrich Strobel, une musique volontairement sans art.
En 1936, Antonin Artaud présentait son théâtre de la cruauté (repris, en 1938, dans Le Théâtre et son double) où les mots sont reconnus dans un sens incantatoire, vraiment magique – pour leur forme, leurs émanations sensibles et non plus seulement pour leur sens [...] il ne s’agit pas de supprimer la parole articulée, mais de donner aux mots à peu près l’importance qu’ils ont dans les rêves. Des sons, des couleurs, des cris.
Né à Munich le 10 juillet 1895, Carl Orff étudie très jeune le piano, l’orgue et le violoncelle. Il compose dès l'âge de 10 ans, il étudie à l’Akademie der Tonkunst, auprès de Anton Beer-Walbrunn et de Paul Zilcher. En 1915, il dirige les Münchner Kammerspiele, en 1917, il est mobilisé, en 1918, il devient chef d’orchestre aux théâtres de Mannheim et de Darmstadt. En 1920, il commence à enseigner la musique tout en suivant les cours de composition de Heinrich Kaminski. En 1924, il crée à Munich, avec Dorothee Günther, la Günther-Schule, une école de gymnastique, de musique et de danse. Cette expérience fonde le Schulwerk, une méthode pédagogique encore actuelle. En même temps, il s'attache à la musique ancienne, donne des arrangements de Claudio Monteverdi (Klage der Ariadne, d'après Arianna, Orfeo, Tanz der Spröden, d'après Il ballo delle ingrate, triptyque renommé Lamenti en 1958) et prend la direction de la Société Bach de Munich.
Après le triomphe des Carmina Burana, en 1937, il détruit presque toutes ses premières œuvres et se voue à un théâtre musical reliant la tragédie grecque, le mystère médiéval et la comédie populaire bavaroise, avec la volonté de mettre en œuvre un théâtre total. A partir de 1950, il enseigne la composition à la Hochschule für Musik de Munich, puis consacre ses dernières années à la rédaction d’une autobiographie. Il meurt dans sa ville natale le 29 mars 1982.
[ce paragraphe doit beaucoup à Alain Pâris]
Les Carmina Burana, Chants de Beuern, est le titre donné à un manuscrit découvert en 1803 dans l'abbaye de Benediktbeuern, une compilation, datée entre 1225 et 1250, de chants profanes et religieux composés, en allemand, en français, en latin, par les goliards, des ecclésiastiques défroqués ou des étudiants vagabonds, les Vagants, ces jeunes chanteurs itinérants qui célèbrent les trois W – Wein, le vin, Weib, la femme et Würfel, les dés, le jeu. Il s'agit de chansons d'amour, de chansons à boire et à danser ainsi que de pièces religieuses. Un texte en plusieurs langues, comme pour les Catulli Carmina et ailleurs.
Après les Catulli carmina, 1943, Trionfo di Afrodite, 1953, inspiré de poèmes de Catulle, de Sappho et d'Euripide, termine les Trionfi – les Trois sont Un.
Carl Orff, composant dans la Nazi Era, ne pouvait manquer d'attirer les soupçons des résistants nés après le plan Marshall. Ami de Jacques Prévert, traître bien connu, inscrivant des références musicales aux Quatre Saisons de Vivaldi dans La Pluie et le Beau Temps, au Wozzeck de Berg dans Fatras, aux Carmina Burana de Carl Orff ou à Hymnen de Stockhausen, eh oui ! dans Choses et autres, Carl s'était autorisé, parmi d'autres caprices qui l'ont rendu suspect même aux beaux jours, ceci :
Sur le siège de la Fortune,
j’étais assis en haut,
des fleurs bariolées de la prospérité
couronné ;
mais tout prospère que je fus,
choyé et béni,
du sommet alors je chus,
dépouillé de la gloire.
La roue de la Fortune a tourné ;
je descends, déchu ;
un autre est porté vers le haut ;
démesurément exalté,
le roi siège au faîte -
qu’il prenne garde de tomber!
car sous l’axe nous lisons :
Hécube reine.
Carmina Burana, Fortune plango vulnera, dans une traduction chez Decca, 1984
Catulli carmina
Synopsis
Praelusio
Plage 1
Une bande d'oisifs jeunes oisillons est en teuf et en amour.
Des vieux les mettent en garde contre l'amour toujours et donnent à écouter les plaintes de Catulle.
Texte
Praelusio
Tous :
Eïs aïona !
Tui sum !
Eïs aïona !
Tui sum !
Mea vita
Eïs aïona
Tui sum !
Eïs aïona
[Pour toujours ! je suis à toi ! – où l'on peut entendre, comme en répons, tu es à moi ! la parade amoureuse étant de l'ordre de la prédation en même temps que de l'abandon, comme le montrent les jeux scéniques en actes]
[[[maintenant, on ne va pas vous traduire mentula, tout de même !]]]
Les gars :
Tu mihi cara
mi cara amicula
corculum es !
Les filles :
corculum es !
dic mi te me amare !
Les gars :
O tue oculi
ocelli lucidi
fulgurant
efferunt me velut specula
Les filles :
specula, specula
tu mihi specula ?
Les gars :
O tua blandula, blanda
blandicula, tua labella
Les filles :
cave, cavete !
Les gars :
ad ludum polectant
Les filles :
cave, cavete ! cavete !
Les gars :
O tua lingula usque perniciter
vibrans ut vipera
Les filles :
cavete, cave meam viperam
nisi te mordet
Les gars :
morde me !
Les filles :
basia me !
Tous :
ah !
Les gars :
O tuae mammulae
Les filles :
Mammulae
Les gars :
dulciter turgidae, gemina poma !
Tous :
ah !
Les gars :
mea manus est cupida
Un gars :
O vos papillae horridulae !
Les gars :
mea manus est cupida
illas prensare
Les filles :
suave, suave lenire
Les gars :
illas prensare, vehementer prensare
Tous :
ah !
Les filles :
O tua mentula
Les gars :
Mentula
Les filles :
cupide saliens
Les gars :
penipeniculus
Les filles :
velus pisciculus
Les gars :
is qui desiderat tuam fonticulam
Tous :
ah !
Les filles :
mea manus est cupida
Une fille :
coda, codicula, avida !
Les filles :
mea manus est cupida illam captare
Les gars :
petulanti manicula !
Les filles :
illam captare
Les gars :
tu es Venus, Venus es !
Les filles :
O me felicem !
Les gars :
in te habitant omnia gaudia
omnes dulcedeines
omnes voluptas
in te, in tuo ingente amplexu
tota est mihi vita
Les filles :
O me felicem !
Tous :
Eïs aïona !
Les vieux :
Eïs aïona !
O res ridicula
immensa stultitia
nihil durare potest
tempore perpetuo
cum bene Sol nituit
redditur Oceano
decrescit Phoebe
quam modo plena fuit
venerum feritas saepe fit aura levia
tempus amoris cubiculum non est
sublata lucerna
nulla est fides
perfida omnia sunt
O vos brutos
vos studidos
vos stolidos !
Un vieux :
Lanternari, tene scalam !
Les vieux :
audite ac videte !
Catulli carmina
Tous :
Audiamus !
[à suivre…]