Guillaume Dufay, Par droit je puis bien complaindre et gemir, ensemble Obsidienne, dir. Emmanuel Bonnardot, in album Le Jardin des Délices - Chansons de la Renaissance / Manuscrit de Bayeux / Dufay / Josquin, Calliope, 2004
[Certaines lignes ne figurent pas dans l'enregistrement]
Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.
Un seul confort ou prendre ne scaroye,
Ne scay comment me puisse maintenir.
Raison me nuist et me veut relenquir,
Espoir me fault, dansen quel lieu que je soye:
Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.
Dechassiés suy, ne me scay ou tenir,
Par Fortune, qui si fort me gueroye ;
Anemis sont ceus qu'amis je cuidoye,
Et ce porter me convient et souffrir.
Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.
Un seul confort ou prendre ne scaroye,
Ne scay comment me puisse maintenir.
Guillaume Dufay
Guillaume Dufay (Du Fay, Du Fayt) (1397 ? - 1474) est un compositeur franco-flamand fort en grâce à la cour des ducs de Bourgogne. Né à Beersel, près de Bruxelles, il est le fils naturel d'un prêtre par ailleurs inconnu et d'une femme nommée Marie Du Fayt.
En nous proposant une de ses chansons, Par droit je puis bien complaindre et gemir, G. T., depuis sa Music Lodge, nous a conviés à le découvrir.
Répéter, comme je le fais souvent, que la musique n'a pas besoin des maisons de disques, c’est bien, encore faut-il le démontrer. J’ai écrit il y a quelques années un long article sur le sujet, mais, pour les fainéants, il existe une manière beaucoup plus simple de s’en convaincre : écouter ce petit bijou qu’est Par droit je puis bien complaindre et gémir. On a encore un pied dans le Moyen Age lorsque cette chanson a été écrite, la Renaissance n’en est qu’à ses débuts. Pas d’industrie du disque brassant des centaines de millions de dollars, pas de droits d’auteur ; on est à mille lieux de l’accumulation de savoirs, cultures, techniques et technologies de notre époque.
[...]
Je vous recommande particulièrement la très belle version […] d'Emmanuel Bonnardot et l’ensemble Obsidienne.
Obsidienne
Obsidienne, ensemble vocal et instrumental dirigé par Emmanuel Bonnardot, entend faire vivre le répertoire du Moyen Age et de la Renaissance, simplement, avec naturel, en réconciliant l’art de l’interprétation avec celui de l’improvisation.
Catherine Sergent, chant, psaltérion
Florence Jacquemart, chant, flûtes et cornemuses
Fabienne Etuin, chant
Hélène Moreau, chant, psaltérion
Nicole Jolliet, chant, organetto
Pascale Haarscher, chant, flûtes, chalemie
Barnabé Janin, chant, vièles
Raphaël Picazos, chant
Xavier Terrasa, chant, chalemies, flûtes
Pierre Bourhis, chant, récitant
Pierre Tessier, chant, récitant
Ludovic Montet, chant, tympanon, percussions
Daniel Sarda, chant
Emmanuel Bonnardot, direction, chant (baryton ou contre-ténor), vièles
Jérôme Bosch, le Jardin des Délices
Jérôme Bosch, Le Jardin des délices, huile sur bois, 1504, 220 x 195, Museo del Prado, Madrid
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Peu de documents permettent de connaître la vie de Jérôme Bosch. Jan van Aken, de son vrai nom, est né dans une famille de peintres (son père et son grand-père, la famille étant venue deux siècles plus tôt d'Aix-la-Chapelle, Aken), vers 1450, à Bois-le-Duc, en néerlandais s'Hertogenbosch : il trouve ainsi son pseudonyme et, suivant la mode en cours, il latinise son prénom en Hieronymus. Après son mariage, en 1478, avec Aleyd van de Meervenne - issue de la riche société -, il est accueilli à la confrérie de Notre-Dame, association religieuse et caritative, consacrée au culte de Marie.
Ses personnages monstrueux sont inspirés des bestiaires du Moyen Âge – Jehan de Mandeville, Voyage d'outre mer, Marco Polo, Le Devisement du monde - et des récits accompagnant la récente découverte de l'Amérique.
Plus récemment, encore, en 1993, Joan Fontcuberta invente le mystérieux et monstrueux cocatrix évoluant dans les douves du château d'Oiron.
Le Jardin des Délices
Martin Berhaim, le plus ancien globe connu,1492
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Jérôme Bosch, Le Jardin des délices, huile sur bois, 1504, 220 x 195, Museo del Prado, Madrid
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Panneaux latéraux fermés
Les panneaux latéraux fermés montrent un globe transparent, baigné par des eaux animées de vie végétale dans un décor minéral.
En haut, à gauche, dans le creux d'un nuage, on aperçoit la figure de Dieu, un peu à la manière dont elle a été sculptée par Jehan Aert van Tricht, en 1492, dans l’un des fonts baptismaux de la cathédrale Saint-Jean, à Bois-le-Duc, ville natale de Jérôme Bosch (Sint-Janskathedraal, s'Hertogenbosch).
Il s’agit du troisième jour de la Création, avant la génération, le quatrième jour, du Soleil, de la Lune et des étoiles. Toutefois, pour Ernst Gombrich, le sujet serait la Terre de laquelle se retirent les eaux du déluge, l'arc-en-ciel étant le signe de l'alliance renouée entre Dieu et les hommes.
La figuration de la Genèse est mise en évidence par deux phrases en lettres d'or gothiques en haut de chaque panneau : Ipse dixit et facta sunt - Ipse mandavit et creata sunt , Il dit et cela se fit, Il commanda et cela se créa, une citation de Psaumes, 33, 9, rappelant la Genèse :
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l'abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux.
Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière fut.
Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres.
Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit . Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour.
Dieu dit : Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux et il en fut ainsi.
Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d'avec les eaux qui sont au-dessus du firmament,
et Dieu appela le firmament ciel . Il y eut un soir et il y eut un matin : deuxième jour.
Dieu dit : Que les eaux qui sont sous le ciel s'amassent en une seule masse et qu'apparaisse le continent et il en fut ainsi.
Dieu appela le continent terre et la masse des eaux mers, et Dieu vit que cela était bon.
Dieu dit : Que la terre verdisse de verdure : des herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant sur la terre selon leur espèce des fruits contenant leur semence et il en fut ainsi.
La terre produisit de la verdure : des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, et Dieu vit que cela était bon.
Il y eut un soir et il y eut un matin : troisième jour.
Genèse, 1, 1-13
(trad. Bible de Jérusalem)
Panneaux ouverts
On lit.
A gauche : la création d'Eve, le péché originel, l'exil du paradis terrestre ; flore et faune fantastiques, selon la représentation de l'époque.
A droite : l'enfer et ses tourments, un prêche de la terreur.
Au centre : le Jardin, sa sensualité, ses jouissances éphémères.
Dès le XVIe siècle, l’œuvre a été louée pour sa haute moralité par le Chroniqueur de l'Ordre de Saint-Jérôme, et historien de l'Escorial.
En 1593, lors de son entrée au monastère San Lorenzo el Real, le triptyque, alors intitulé L'Arbouse, était décrit comme une figure de la complexité du monde résumée par diverses extravagances de Jérôme Bosch.
Le peintre aurait trouvé sa source dans les commentaires des Psaumes de saint Augustin, et ceux du livre de Job de saint Grégoire.
On est bien loin de l'iconoclaste que les surréalistes ont cru voir.
Avant le Jardin
Jérôme Bosch, Le Chariot de foin, huile sur bois, 212 x 147, Museo del Prado, Madrid
La datation demeure dans l'ordre de l'hypothèse : l’œuvre aurait été exécutée entre 1501 et 1502, selon Walter Bosing (Jérôme Bosch, entre le ciel et l'enfer, Taschen, 2001) et Mia Cinotti (Tout l'œuvre peint de Jérôme Bosch, coll. Les Classiques de l'art, Flammarion, 1967) ou plus tôt, entre 1485 et 1490, selon Charles de Tolnay (Hieronymus Bosch, Les Éditions Holbein, 1937).
Une voix dit : "Crie", et je dis : "Que crierai-je ? " - "Toute chair est de l'herbe et toute sa grâce est comme la fleur des champs.
L'herbe se dessèche, la fleur se fane, quand le souffle de Yahvé passe sur elles; oui, le peuple, c'est de l'herbe
l'herbe se dessèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais.
Isaïe, 40, 6-8
Mes jours sont comme l'ombre qui décline, et moi comme l'herbe je sèche.
Mais toi, Yahvé, tu trônes à jamais ; d'âge en âge, mémoire de toi !
Psaumes, 102, 12-13
(trad. Bible de Jérusalem)
Panneaux latéraux fermés
Un voyageur entrevoit les dangers de la vie.
[un clic droit sur l'image]
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On lit.
A gauche : le paradis terrestre, la création d'Eve, la tentation, le péché, l'exclusion.
A droite : l'enfer.
Au centre : le chariot de foin.
Au sommet du tas de foin, à l'ombre d'un arbre, un couple, trois musiciens, un voyageur (?), un ange en prière et un démon sonnant du cor.
Chevauchant sur le chemin, le pape, l'empereur, le roi, le duc... des Etats de ce temps.
Certains figurants se battent pour monter sur le chariot et se retrouvent écrasés sous ses roues. D'autres annoncent la parousie de Christ au travers des nuages.
Au bord inférieur, six groupes mystérieux, notamment celui des religieuses.
Les sources.
Au XVIe siècle, le père Fray José de Sigüenza, historien de l'Escorial explique le sujet de l’œuvre en citant Isaïe et Psaumes (cf. supra).
Charles de Tolnay rapporte un proverbe flamand : « Le monde est une montagne de foin d'où chacun se tire comme il peut. »
Une allégorie moralisante annonçant le Jardin.
~ ~ ~
G.T. conclut ainsi :
Et si jamais cela faisait naître chez certains un goût pour les chansons anciennes, je vous conseille vivement d’écouter l’ensemble italien de musiques médiévales La Reverdie […]. C’est d’ailleurs grâce à eux que je me suis intéressé il y a de nombreuses années à la musique du Moyen Age, alors qu’elle m’indifférait auparavant. Pour la petite histoire, c’est à la même période, fin des années 90, que je me suis pris de passion pour le rap US… j’aime les grands écarts.
La Reverdie
Un ensemble italien de musique ancienne.
Ar Bleizi-Mor / Anonyme, Bretagne, IXe siècle, in album Bestiarium - Animals in the Music of the Middle Ages, Nuova Era Internazionale, 1990-2010
Ar Bleizi-Mor
Ballade recueillie par Jean- Marie de Penguern (1807 – 1856) et publiée par François-Marie Luzel (1821 - 1895) dans Gwerzioù Breizh-Izel, 1868
Lemmomp hor c'hleveïou,
War-lein ar meneziou,
'Vit mont d'ar brezeliou
[Certaines lignes ne figurent pas dans l'enregistrement]
Arru e listri 'r bleizdi-mor,
Da digass brezel en Arvor;
Ar Ieodet ho deuz komerret.
Hag ann iliz ho deuz dewet.
Lemmomp, etc.
Ann eskop-koz n' em skuill daero,
Hen euz renket leuskel hë vro;
Et ez e da glask ur vro-all,
E-lec'h na deui ket an dut-fall.
Den na gred ken chomm en Arvor,
Gant an euz ouz ann dut-a-vor;
Parko, tier, loened ha tud,
Holl int gwallet, braz ha munud.
Met ar roue, p'hen euz klewet,
He dent gant broüer 'n euz skrignet:
Em laket e prest en he hent,
Gant he holl dut, he holl gerent.
Un arme vraz 'zo bet savet,
Hag en Arvor 'z omp arruet;
Bars ur blenenn, en bro-Arvor,
E meump bet kat ar bleizdi-mor.
Epad tri de hon euz stourmet,
Epad tri de hon euz kannet;
Epad ter noz, hep heana,
N'hon ëuz gret tra nemet laza
Laza, ken a ruille 'r goad-ru,
'Vel diou waz vraz, euz ann daou-du;
Laza, evel dorna kolo,
Kolo-segal, pa ve daro !
Strakal 're hor zaoliou-kleze,
'Vel taoliou 'n horz war an anne,
Ken a fraille pennou tud-vor,
Evel istrenn hanter-digor.
Keit ma pade ann argadenn,
Ar brini 'nije uz d'hon fenn;
Pa zo bet fin, en em goagal,
Int bet diskennet d'ar festal !
Lemmomp hor c'hleveïou,
War-lein ar meneziou,
'Wit mont d'ar brezeliou !
TRADUCTION
Les loups de mer
Aiguisons nos épées,
Sur le haut des montagnes,
Pour aller aux combats !
Voici venir les navires des loups de mer,
Qui apportent la guerre en Armorique !
Ils ont pris le Guéodet,
Et en ont incendié l'église.
Aiguisons, etc.
Le vieil évêque, les larmes aux yeux,
A été forcé de quitter sa patrie;
Il est allé chercher un autre pays
Où ne viendront pas les méchants.
Personne n'ose plus rester en Armorique,
Tant on a en horreur les hommes de mer;
Moissons, animaux et gens,
Ils détruisent tout, grands et petits.
Mais le roi, dès qu'il en a été instruit,
A grincé des dents avec rage,
Et vite il s'est mis en route,
Avec tous ses gens et ses parents.
Une grande armée a été levée,
Et nous sommes descendus en Armorique ;
Dans une grande plaine, au pays d'Arvor.
Nous avons rencontré les loups de mer.
Pendant trois jours nous avons résisté,
Pendant trois jours nous nous sommes battus ;
Pendant trois nuits, sans reprendre haleine,
Nous n'avons fait que tuer
Tuer, a faire ruisseler le sang rouge,
Des deux côtés, comme deux grands ruisseaux :
Tuer, comme on bat la paille,
La paille de seigle, quand il est mûr !
Et nos coups d'épée retentissaient,
Comme les coups de masse sur l'enclume,
Et fracassaient les crânes des hommes de la mer,
Comme des huîtres entr'ouvertes !
Pendant que dura le combat,
Les corbeaux voltigeaient sur nos têtes;
Et quand ce fut fini, en croassant,
Ils s'abattirent pour le festin
Aiguisons nos épées,
Sur le haut des montagnes,
Pour aller aux combats !