Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

Stéphane Auclair - Huit jours chez Monsieur Sartre

  

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   Stéphane Auclair, Huit jours chez Monsieur Sartre, L'Encrier, 1987.




On ne présente plus Stéphane Auclair, une voix sans visage : naturellement, Stéphane Auclair ne se présente pas.

[4e de couverture]

Une fiction en forme de caricature, dédiée A Henri Deveau. En écho aux Huit jours chez M. Renan de Maurice Barrès. Où l’on trouve l’analyse structurale, moquée dans l’étude remarquablement dense d’un refrain de chanson de film.


Stéphane Auclair a perdu la mémoire, Henri Deveau est dans la béchamel, L’Encrier a débordé, selon les propres paroles de Stéphane Auclair.

Comme une façon de se prendre pour Goethe : "Le secret de mon œuvre est au dos de mes livres". Et M. Sartre fait un clin d’œil pour honorer son alexandrin.


Trois personnages et quelques figurants historiques.


"Moi" : le narrateur, le serviteur insolent [à l’inverse de ce qu’on observe dans Le Neveu de Rameau où le cynique est indiqué par "Lui" et le philosophe par "Moi"].

On demandait par annonce chauffeur ayant voiture. Suivait une adresse, où je me rendis.

C’était chez "Lui" : Jean-Paul Sartre, l’asthmatique.

"L’autre" : un jeune auteur.

Comme je revenais lui annoncer : "Un jeune auteur est là, qui voudrait vous parler", il me répondit d’emblée : "Faites–le patienter, le temps de me changer.". J’avais lancé sans le vouloir un alexandrin et M. Sartre, prompt à l’occasion, m’en avait renvoyé un autre.

[…]

M. Sartre.- Lisez, Monsieur, lisez.

[…]

L’autre.- […] j’écris pour les humbles, ceux dont on ne parle jamais […] C’est que je considère que la littérature pour le peuple sera de troquet […] Mais je distingue populaire et populeux ! Les vraies idées veulent du marbre, laissons les élucubrations au zinc ! Les alcools forts ne sont pas tous de l’absinthe et d’ailleurs Camus qui fut votre ami, autant qu’il fut ma bête noire, se plaisait à parler du restaurant Padovani à Oran !

Lui.- Attention ! Padovani, c’était à Alger, pas à Oran !

[…]

L’autre.- : […] "J’ai là un roman, ou plutôt un début de roman, quelque peu dionysiaque où je me démarque, par le seul moyen d’une translation strictement phonétique, d’un grand auteur contemporain.

[Annexe 1]


Lui.- : […] auriez-vous plutôt du doux ?

[…]

L’autre se laissa prendre à ce miel

[…]

Et il lut, ou plutôt récita par cœur :

"Hello !

Le soleil brille brille brille.

Hello !

Tu reviendras bientôt

Là-bas

Dans ton village

Aux verts bocages

Pleins de nids d'oiseaux !"

M. Sartre sifflotait. Il ne goûte guère la poésie contemporaine qui lui semble une prose de purgatoire taillée à la hâte en alinéas. Je sentis qu'entre lui et l'autre le rideau de fer venait de tomber, sans appel.

J'eus aussitôt pitié du poète ; bien qu'il m'eût fait sentir que j'étais hors-jeu d'avance, j'intervins en sa faveur : "Eh bien moi, ces vers me plaisent."

Moi ?

M. Sartre avait froncé les sourcils : depuis quand un vassal prend-il d'autorité la parole ? Quant à l'autre, il ne s'attendait pas à une collision de planètes et il fit une bouche de bambin étonné. Je lançai d'une traite : "J'y trouve dès le premier mot une simplicité qui suggère le premier matin du monde. Ce hello jaillit comme le cri du premier homme qui déserta sa caverne pour se dresser en pleine lumière. Oui, je crois que cet homme-là, encore si proche de l'animalité, dont l'intelligence était enténébrée et qui possédait moins que rien pour tout langage, la première fois qu'il vit le soleil, il exprima toute son émotion dans ce seul mot hello. C'est avec hello que commence véritablement l'aventure humaine et ce mot éveille au tréfonds de notre être le souvenir d'une expérience ancestrale où l'individu se distingue de la race pour affirmer son temps personnel. Et ce hello, qui appartient, à mon avis, au langage le plus primitif, celui de l'émotion, résonne comme le grec hélios, qui justement signifie le soleil. De hello à hélios se devinent la longue histoire d'une culture et l'élaboration d'un langage qui permet de dire le monde de la façon la plus déliée qui soit. Cette histoire, il a suffi d'un mot, le vôtre, pour que nous en remontions le cours. Et je remarque que ce mot de primitif occupe la première ligne de votre poème. Premier et primordial, il rayonne comme une explosante-fixe."

_ Eh ben, dit M. Sartre, nous avons là un nouveau Starobinski.

Mais je poursuivis : "Avec le second mot, soleil, c'est toute une organisation contrapunctique qui se met en place : le poème se développe alors selon des lois qui lui sont propres et qui sont inscrites dans l'image-matrice qui devient, de ce fait même, motrice.

"Par ailleurs, rien ne suggère mieux que la répétition du verbe brille la lourde assomption de l'astre du jour tandis que le ciel entier s'étire et semble agrafé à ce dur diamant.

"L'impact émotionnel de l'évocation est aussi important : c'est la nostalgie. On ne peut en effet regarder le soleil sans tristesse ; tant d'hommes l'ont regardé avant nous, qui ne sont plus ; et à la même heure, ceux que nous aimons et qui sont loin de nous le regardent peut-être et si nous les sentons alors plus proches, leur absence, au soleil, n'en est que plus cuisante.

"Cette nostalgie appartient elle aussi au plus vieux fonds de l'humanité et c'est pourquoi, je suppose, vous avez employé le tu qui désigne tout homme d'une façon à la fois impersonnelle et intime - et je note au passage, Monsieur, la trace discrète, dans cette tournure latine, d'une formation classique."

_ Pas forcément, bougonna M. Sartre. Les Arabes aussi se tutoient. Monsieur a pu prendre ça à la Goutte d'Or.

Je passai outre. "Tu reviendras. Ah ! que cela est troublant. Je sais bien qu'il ne faut pas faire de psychologie quand il s'agit de poésie, mais comment ne pas voir dans ce tu reviendras l'expression d'un de ces mouvements contradictoires de l'âme qui en révèlent parfois l'insondable ? Car enfin, le ton ne permet pas d'en douter : il est ferme, il est fort, il contient plus qu'une promesse : une certitude. Mais alors, comment expliquer que cette âme blessée, en proie à la tristesse et si près de désespérer, se ressaisisse soudain dans cette certitude ? et d'où lui vient cette force nouvelle, de quelle grâce ou de quelle puissante illusion ?"

L'autre m'interrompit : "C'est qu'il n'est point nécessaire d'espérer pour entreprendre.

Moi. - Je m'en doutais. Mais faire de la force avec de la faiblesse, du certain avec du probable, de la croyance avec des doutes, n'est-ce pas là le mystère de l'âme occidentale que vous avez exprimé dans ce tu reviendras, et de quelle limpide manière, et avec quelle économie de moyens !

L'autre. - C'est que je sais ce que je fais.

Moi. - Assurément. Et vous me permettrez aussi d'apprécier le bientôt : là le temps se contracte pour composer avec l'espace une harmonie de l'impatience et faire surgir avec force le là-bas ; c'est un rêve flottant qui se fixe, une image fragile qui prend chair. Le poème entier pivote et toute la fin s'épanouit alors en contraste avec les premiers vers. La fraîcheur des bocages s'oppose à la solitude brûlante du soleil, le vert apaisant au bleu douloureux du ciel vide et le pépiement des oiseaux, que l'on n'entend pas mais qui n'en est que mieux suggéré, au cri sauvage de l'homme. En bref, ce puissant contraste montre une humanisation de la nature, une conquête du calme et de la paix, un idéal rustique. Et peut-être pouvons-nous voir dans ce poème le symbole de l'âme humaine toujours écartelée entre le champ des possibles et la vie éternelle, entre l'orgueil solaire et la tentation du repos. Mais je dis bien peut-être, car ici je ne voudrais pas forcer l'interprétation."


Où l’on retrouve quelque chose du fameux commentaire d’un impromptu.

[Annexe 2]


Et quelque chose d’un holy day on ass.


Lui
donne quelques conseils :

allez à Sollers…

[…]

Et pour Sollers… attendez, il y a une Michèle dans votre récit [supra dans le texte : l’amour d’Alain pour Michèle allait? Eh bien, il vaut mieux un Michel : allez, et vous serez aimé.

[…]

Et M. Sartre ne peut s’empêcher de sourire : "Il prend pour pseudonyme un mot latin, sollers, qui signifie adroit, habile, intelligent, fin – c'est-à-dire tout ce qu’il n’est pas, alors que pataugas, qui fleure le vignoble, irait comme un gant !"


Huit jours et l’histoire finit mal, nouvelle démarque.


M. Sartre apparut à la fenêtre en criant : "Vos gages ! Vos gages ! Attendez ! Vous n’avez rien oublié ?

_ Mais si !"

Et je demandai à Monsieur Sartre mon dimanche.


Bon Sartre, Monsieur Dimanche !


 



 

[Annexe 1]

 

Comblé.

 

Longtemps je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine mon amie étreinte, ma queue se bandait si vite que je n’avais pas le temps de me dire : "Je suis fort.". Et, une demi-heure après, la baisée qu’il était temps de touiller en sommeil s’éveillait ; je voulais casser sa lune que je croyais encore dans les mains et bouffer son derrière ; je n’avais pas cessé en baisant de faire des réflexions sur ce que je baisais de pire, mais ces flexions avaient pris un tour un peu particulier : il me semblait que j’étais moi-même ce con percé d’outrages : on néglige, on a tort, la virilité du Français brimé par les siens. Cette croyance survivait pendant quelques saccades sans pareilles ; elles ne choquaient pas ma Suzon qui pesait comme douze cailles sur mon nœud et l’empêchait de se rendre au con que le foutoir je n’ai plus à nommer.

 

[Annexe 2]

 

MAGDELON : J'imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé.
MASCARILLE : Sans doute. Mais à propos, il faut que je vous die un impromptu que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter ; car je suis diablement fort sur les impromptus.
CATHOS: L'impromptu est justement la pierre de touche de l'esprit.
MASCARILLE : Écoutez donc.
MAGDELON : Nous y sommes de toutes nos oreilles.
MASCARILLE : Oh ! oh ! je n'y prenais pas garde
Tandis que, sans songer à moi, je vous regarde,
Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur.
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur.
CATHOS : Ah ! mon Dieu ! voilà qui est poussé dans le dernier galant.
MASCARILLE : Tout ce que je fais a l'air cavalier ; cela ne sent point le pédant.
MAGDELON : Il en est éloigné de plus de deux mille lieux.
MASCARILLE : Avez-vous remarqué ce commencement :
Oh, oh ?Voilà qui est extraordinaire: oh, oh ! Comme un homme qui s'avise tout d'un coup : oh, oh! La surprise: oh, oh!
MAGDELON : Oui, je trouve ce oh, oh ! admirable.
MASCARILLE: Il semble que cela ne soit rien.
CATHOS : Ah ! mon Dieu, que dites-vous ? Ce sont là de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer.
MAGDELON : Sans doute ; et j'aimerais mieux avoir fait ce oh, oh! qu'un poème épique.
MASCARILLE : Tudieu ! vous avez le goût bon.
MAGDELON : Eh ! je ne l'ai pas tout à fait mauvais.
MASCARILLE : Mais n'admirez-vous pas aussi je n'y prenais pas garde ? Je n'y prenais pas garde, je ne m'apercevais pas de cela : façon de parler naturelle : je n'y prenais pas garde . Tandis que sans songer à mal, tandis qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton : je vous regarde, c'est-à-dire, je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple ; Votre œil en tapinois ... Que vous semble de ce mot tapinois ?n'est-il pas bien choisi ?
CATHOS : Tout à fait bien.
MASCARILLE : Tapinois , en cachette : il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une souris : tapinois .
MAGDELON : Il ne se peut rien de mieux.
MASCARILLE : Me dérobe mon cœur, me l'emporte, me le ravit. Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur ! Ne diriez-vous pas que c'est un homme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter ? Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur !
MAGDELON : Il faut avouer que cela a un tour spirituel et galant.
MASCARILLE : Je veux vous dire l'air que j'ai fait dessus.
CATHOS : Vous avez appris la musique ?
MASCARILLE : Moi ? Point du tout.
CATHOS : Et comment donc cela se peut-il?
MASCARILLE : Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris.
MAGDELON : Assurément, ma chère.
MASCARILLE : Écoutez si vous trouverez l'air à votre goût. Hem, hem. La, la, la, la, la . La brutalité de la saison a furieusement outragé la délicatesse de ma voix; mais il n'importe, c'est à la cavalière.
(Il chante.)
Oh, oh ! je n'y prenais pas...
CATHOS : Ah! que voilà un air qui est passionné ! Est-ce qu'on n'en meurt point ?
MAGDELON : Il y a de la chromatique la dedans.
MASCARILLE : Ne trouvez-vous pas la pensée bien exprimée dans le chant? Au voleur! ... Et puis, comme si l'on criait bien fort: au, au, au, au, au, au, voleur ! Et, tout d'un coup, comme une personne essoufflée : au voleur !
MAGDELON : C'est là savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Tout est merveilleux, je vous assure ; je suis enthousiasmée de l'air et des paroles.
CATHOS : Je n'ai encore rien vu de cette force-là.
MASCARILLE : Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est sans étude.
MAGDELON : La nature vous a traité en vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gâté.
MASCARILLE : A quoi donc passez-vous le temps ?

 

Molière, Les Précieuses ridicules, IX
 

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Y
<br /> ce monsieur Sartre, est-il bien fréquentable ?<br />
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L
<br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Dans l'histoire, c'est un personnage, et un écrivain arrange ses personnages : - )<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
L
<br />  <br /> Heu... le prochain n'est pas à prendre.<br />  <br /> <br /> <br />
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<br /> Heu... Je prendrai le prochain.<br /> ♣<br /> <br /> <br />
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L
<br />  <br /> je ne connaissais pas ce Stéphane AuclairLa vocation de Libellus n'est-elle pas de faire découvrir les jeunes talents ?<br />  <br /> <br /> <br />
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O
<br /> ça me fait beaucoup de lecture pour un samedi matin, mais je persiste dans l'effort.<br /> Puis-je te faire un aveu ? je ne connaissais pas ce Stéphane Auclair. J'en suis triste. Mais au moins me voilà à combler une de mes nombreuses lacunes.<br /> <br /> D'ailleurs j'y retourne.<br /> <br /> Bisous Lou :)<br /> <br /> <br />
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L
<br />  <br /> Chère Mélanie, vous savez comme vos remarques nous sont précieuses pour le développement de Libellus. Autant nous négligeons les critiques de ceux qui nous trouvent trop économe de mots, voire<br /> elliptique, et, ne l'a-t-on pas dit ? cryptique, autant nous avons le souci d'être lisible dans un monde où le temps passe de plus en plus vite. Aussi, nous vous offrons gracieusement une version<br /> dense, minimale et libre de droits, de notre présent article.<br /> <br /> Neuf octets. Nous avons inséré trois espaces pour une mise en page aérée.<br /> <br /> <br /> <br /> GA BU ZO MEU<br /> <br /> Contrat de licence open accordé à<br /> Mélanie, de Tours<br /> Programmeur : Jacques Rouxel<br /> Typographe : Lou<br /> <br /> Pour accepter ce contrat, vous devez le valider par un commentaire en répondant à quelques questions simples --- voir notre charte de confidentialité dans les pixels invisibles.<br /> <br /> _ Comment avez-vous connu Libellus ?<br /> 1. par un vide-greniers<br /> 2. par un bug de saisie<br /> 3. je ne sais plus<br /> <br /> _ Quel temps fait-il à Tours ?<br /> 1. nuageux avec des éclaircies<br /> 2. le temps du temps<br /> 3. les fenêtres sont murées dans mon squat<br /> <br /> _ Voulez-vous participer au développement de Libellus en envoyant des rapports d'erreurs, confidentiels ?<br /> 1. je ne sais pas<br /> 2. peut-être ou peut-être pas<br /> 3. on ne sait jamais<br /> <br /> Merci et maintenant soyez en éveil.<br /> Non, vous ne savez pas quand ce sera le temps.<br /> <br /> Lou est un chat, doit-on le dire encore ? et passé maître dans l'embrouille-minet :)<br />  <br /> <br /> <br />
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M
<br /> Je suis désolée monsieur Lou mais la presentation de vos textes, qui sont trop longs pour moi, m'embrouille !<br /> <br /> <br />
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