Françoise Sagan, Château en Suède, Julliard, 1960
Françoise Sagan (Françoise Quoirez) est née le 21 juin 1935 à Cajarc (Lot), elle est morte le 24 septembre 2004 à Honfleur.
Dans un château pris par la neige, une curieuse famille demeure enfermée jusqu'au printemps. Cette année, Frédéric, un lointain cousin, est l'invité. Ce petit monde s'ennuie et passe le temps entre jeux de séduction et fantômes de la mémoire.
Agathe, 40 ans, sœur d'Hugo
Hugo, 40 ans, époux d’Éléonore et d'Ophélie
Éléonore, 28 ans, actuelle épouse d'Hugo
Sébastien, 30 ans, frère d’Éléonore
Ophélie, 30 ans, première femme d'Hugo
Frédéric, 25 ans, cousin éloigné d'Hugo et d'Agathe
Gunther, 60 ans, vieux serviteur
La grand-mère, mère d'Hugo et d'Agathe (impotente)
La première représentation (avant-première) eut lieu le 4 mars 1960, au Théâtre de l'Atelier, dans une mise en scène d'André Barsacq.
Décors et costumes : Jacques Dupont
Interprètes :
Sébastien, Claude Rich
Éléonore, Françoise Brion
Agathe, Marcelle Arnold
Hugo, Philippe Noiret
Ophélie, Huguette Hue
Gunther, Paul Barral
Frédéric, Henri Piegay
La grand-mère, Alice Frey
Éléonore. – Nous badinons, je crois .
Frédéric. – Je badine encore. Sérieusement, Éléonore, sérieusement, croyez-moi un instant ...
Éléonore. – Oui, oui, vous me désirez sérieusement. C'est une des rares choses sérieuses, chez les jeunes hommes riches.
Un badinage tragique.
Sébastien. – Vous savez, Frédéric, il va bientôt neiger.
(Il sort)
Frédéric. – Quelle est cette obsession de la neige ?
Éléonore. – Il commence à neiger ici un beau jour et cela ne cesse pas durant quatre mois. Nous sommes coupés du monde extérieur, et bien que le changement ne soit pas grand, c'est angoissant.
Frédéric. – J'adorerai être bloqué dans la neige à vos côtés.
Éléonore. – Vous avez tort.
Frédéric. – Ça m'est égal.
Éléonore. – Ah ! ne dites pas de sottises, voulez-vous ! […] J'ai eu quinze liaisons avant d'épouser Hugo, elles m'ont distraite et excédée, dans l'ordre. Tenez-vous-le pour dit. […] Et méfiez-vous de la neige.
Frédéric. – Vous me plaisez.
Éléonore. – Je suppose.
Frédéric. – Vous ne m'avez pas découragé, vous... et... Éléonore, vous avez raison, ça ne veut rien dire mais je t'aime.
Éléonore. – Je te retrouverai ici à deux heures cette nuit. Mais je ne t'aime pas. Ces brûlantes amours me glacent. A deux heures.
Quelle étrange maison..., dit Frédéric. Étrange et terrible : le temps semble immobile, éternel, immaculé comme la neige qui enchâsse le château. Il y a pourtant un « après ». Un apprêt. Enchâsser, chasser... Vivement le printemps, dit Hugo.
Frédéric. – Que vais-je faire ?
Sébastien. – Rester là. Attendre la fin de la neige.
Ophélie attend un enfant. Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris. Un vers de Hugo, tiens tiens...
Depuis des mois, seule demeure au château la famille, dans son écrin de neige.
Agathe, lisant. – Ah non ! Ils exagèrent. On nous envoie encore un cousin : Eric Ettingen ! Il y a trois ans, c'était ce pauvre Gund, deux ans, ce Vladimir, l'an dernier, Christian, cet hiver, ce pauvre Frédéric... Et vous vous rappelez dans quel état on l'a retrouvé lui aussi, au coin du bois de Zema. De si petit os... Il n'y aura plus la moindre goutte de sang jeune en Suède !
Éléonore. – Et comment est-il, cet Eric Ettingen ?
Adultère, inceste, meurtre rituel.
Le temps passe, il revient, il n'est chaque fois ni tout à fait le même ni tout à fait un autre.
Château en Suède est une messe noire, avec son rituel chaque année, au temps de la neige.
Le génie de Françoise Sagan est dans son écriture transparente et glacée comme un cristal de neige, brûlante comme le feu du printemps qui réduit en cendres la mémoire.