Quentin de La Tour (?), Choderlos de Laclos, XVIIIe siècle
Pierre Ambroise François Choderlos de Laclos est né à Amiens, le 18 octobre 1741, dans une famille de petits nobles. Appelé par la vocation militaire dès 1759, il s'ennuyait fort dans la carrière et se mit à l'écriture romanesque, par distraction, en 1778. De là viennent les Liaisons.
Les Liaisons dangeureuses.
C'est un roman épistolaire relatant la conquête de deux jeunes femmes, l'ingénue Cécile de Volanges et la pieuse Présidente de Tourvel, par deux débauchés : la marquise de Merteuil et son ancien amant, le vicomte de Valmont. Un jeu de société.
Cécile vient de sortir du couvent, elle est fiancée au Comte de Gercourt, ancien amant de la marquise de Merteuil et qui l'a abandonnée. La marquise veut se venger : elle demande au vicomte de corrompre Cécile avant son mariage.
Le vicomte de Valmont est occupé à séduire madame de Tourvel, une femme pieuse et une amie de madame de Volanges, la mère de Cécile.
Il séduit facilement Cécile et patiemment la Présidente dont il tombe amoureux. Jalouse et furieuse, madame de Merteuil le force à rompre sauvagement. La présidente en meurt.
Valmont est tué en duel par le Chevalier Danceny, jeune amant de la jeune et libérée Cécile.
Cécile entre au couvent.
Merteuil, perdue de réputation et défigurée par la vérole, s’exile au loin.
PREMIÈRE LETTRE.
Cécile Volanges à Sophie Carnay, aux Ursulines de...
Tu vois, ma bonne amie, que je te tiens parole, & que les bonnets & les pompons ne prennent pas tout mon temps.
[...]
J’ai une femme de chambre à moi ; j’ai une chambre & un cabinet dont je dispose, & je t’écris à un secrétaire très-joli, dont on m’a remis la clef, & où je peux renfermer tout ce que je veux.
La clef... Vingt occurrences dans la correspondance de ou à Cécile de Volanges.
[Cécile de Volanges] est vraiment délicieuse ! cela n'a ni caractère ni principes.
LETTRE XXXVIII – La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
LETTRE II
La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Au château de...
[...]
Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l'importance que met Gercourt à la femme qu'il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu'il évitera le sort inévitable. Vous connaissez sa ridicule prévention pour les éducations cloîtrées, et son préjugé, plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes.
Marguerite Gérard, Laclos, Les Liaisons dangereuses, Londres, 1796 – graveur : Louis Joseph Masquelier
LETTRE XCVI
Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
Après m'être assuré que tout était tranquille dans le Château, armé de ma lanterne sourde, et dans la toilette que comportait l'heure et qu'exigeait la circonstance, j'ai rendu ma première visite à votre pupille.
J'avais tout fait préparer (et cela par elle-même), pour pouvoir entrer sans bruit. Elle était dans son premier sommeil, et dans celui de son âge ; de façon que je suis arrivé jusqu'à son lit, sans qu'elle se soit réveillée.
J'ai d'abord été tenté d'aller plus avant, et d'essayer de passer pour un songe ; mais craignant l'effet de la surprise et le bruit qu'elle entraîne, j'ai préféré d'éveiller avec précaution la jolie dormeuse, et suis en effet parvenu à prévenir le cri que je redoutais.
Après avoir calmé ses premières craintes, comme je n'étais pas venu là pour causer, j'ai risqué quelques libertés. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son Couvent à combien de périls divers est exposée la timide innocence, et tout ce qu'elle a à garder pour n'être pas surprise : car, portant toute son attention, toutes ses forces à se défendre d'un baiser, qui n'était qu'une fausse attaque, tout le reste était laissé sans défense : le moyen de n'en pas profiter ! J'ai donc changé ma marche, et sur le champ j'ai pris poste. Ici nous avons pensé être perdus tous deux : la petite fille, tout effarouchée, a voulu crier de bonne foi ; heureusement sa voix s'est éteinte dans les pleurs. Elle s'était jetée aussi au cordon de sa sonnette, mais mon adresse a retenu son bras à temps.
« Que voulez−vous faire (lui ai-je dit alors), vous perdre pour toujours ? Qu'on vienne, et que m'importe ? A qui persuaderez-vous que je ne sois pas ici de votre aveu ? Quel autre que vous m'aura fourni le moyen de m'y introduire ? Et cette clef que je tiens de vous, que je n'ai pu avoir que par vous, vous chargerez-vous d'en indiquer l'usage ? » Cette courte harangue n'a calmé ni la douleur, ni la colère, mais elle a amené la soumission. Je ne sais si j'avais le don de l'éloquence ; au moins est-il vrai que je n'en avais pas le geste. Une main occupée pour la force, l'autre pour l'amour, quel orateur pourrait prétendre à la grâce en pareille situation ? Si vous vous la peignez bien, vous conviendrez qu'au moins elle était favorable à l'attaque : mais moi, je n'entends rien à rien, et comme vous dites, la femme la plus simple, une pensionnaire, me mène comme un enfant.
Celle−ci, tout en se désolant, sentait qu'il fallait prendre un parti, et entrer en composition. Les prières me trouvant inexorable, il a fallu passer aux offres. Vous croyez que j'ai vendu bien cher ce poste important : non, j'ai tout promis pour un baiser. Il est vrai que, le baiser pris, je n'ai pas tenu ma promesse : mais j'avais de bonnes raisons. Étions-nous convenus qu'il serait pris ou donné ? A force de marchander, nous sommes tombés d'accord pour un second, et celui-là, il était dit qu'il serait reçu. Alors ayant guidé ses bras timides autour de mon corps, et la pressant de l'un des miens plus amoureusement, le doux baiser a été reçu en effet ; mais bien, mais parfaitement reçu : tellement enfin que l'Amour n'aurait pas pu mieux faire.
Tant de bonne foi méritait récompense, aussi ai−je aussitôt accordé la demande. La main s'est retirée ; mais je ne sais par quel hasard je me suis trouvé moi−même à sa place. Vous me supposez là bien empressé, bien actif, n'est-il pas vrai ? Point du tout. J'ai pris goût aux lenteurs, vous dis-je. Une fois sûr d'arriver, pourquoi tant presser le voyage ?
Sérieusement, j'étais bien aise d'observer une fois la puissance de l'occasion, et je la trouvais ici dénuée de tout secours étranger. Elle avait pourtant à combattre l'amour, et l'amour soutenu par la pudeur ou la honte, et fortifié surtout par l'humeur que j'avais donnée, et dont on avait beaucoup pris. L'occasion était seule ; mais elle était là, toujours offerte, toujours présente, et l'Amour était absent.
Pour assurer mes observations, j'avais la malice de n'employer de force que ce qu'on en pouvait combattre. Seulement si ma charmante ennemie, abusant de ma facilité, se trouvait prête à m'échapper, je la contenais par cette même crainte, dont j'avais déjà éprouvé les heureux effets. Hé bien ! sans autre soin, la tendre amoureuse, oubliant ses serments, a cédé d'abord et fini par consentir : non pas qu'après ce premier moment les reproches et les larmes ne soient revenus de concert ; j'ignore s'ils étaient vrais ou feints : mais, comme il arrive toujours, ils ont cessé, dès que je me suis occupé à y donner lieu de nouveau. Enfin, de faiblesse en reproche, et de reproche en faiblesse, nous ne nous sommes séparés que satisfaits l'un de l'autre, et également d'accord pour le rendez−vous de ce soir.
Je ne me suis retiré chez moi qu'au point du jour, et j'étais rendu de fatigue et de sommeil : cependant j'ai sacrifié l'un et l'autre au désir de me trouver ce matin au déjeuner : j'aime, de passion, les mines de lendemain. Vous n'avez pas d'idée de celle-ci. C'était un embarras dans le maintien ! une difficulté dans la marche ! des yeux toujours baissés, et si gros et si battus ! Cette figure si ronde s'était tant allongée ! Rien n'était si plaisant. Et pour la première fois, sa mère, alarmée de ce changement extrême, lui témoignait un intérêt assez tendre ! et la Présidente aussi, qui s'empressait autour d'elle ! Oh ! pour ces soins-là ils ne sont que prêtés ; un jour viendra où on pourra les lui rendre, et ce jour n'est pas loin. Adieu, ma belle amie.
Du Château de ..., ce 1er octobre 17**
LETTRE CX
Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
Oui, en vérité, je lui ai tout appris, jusqu'aux complaisances !
[...]
J'occupe mon loisir […] à composer une espèce de catéchisme de débauche, à l'usage de mon écolière.
La catéchumène est très douée.
* * *
Laclos a écrit Des Femmes et de leur éducation (1783).
Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation ; dans toute société, les femmes sont esclaves ; donc la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence. Or, que partout où il y a esclavage il ne puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle de la définition de ce mot ; c'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage est de les étouffer ; c'est le propre de l'éducation de diriger les facultés développées vers l'utilité sociale, le propre de l'esclavage est de rendre l'esclave ennemi de la société. Si ces principes certains pouvaient laisser quelques doutes, il suffit pour les lever de les appliquer à la liberté. On ne niera pas apparemment qu'elle ne soit une des facultés de la femme et il implique que la liberté puisse se développer dans l'esclavage ; il n'implique pas moins qu'elle puisse se diriger vers l'utilité sociale puisque la liberté d'un esclave serait nécessairement une atteinte portée au pacte social fondé sur l'esclavage.
Dans ce traité, publié en 1903, Laclos décrit et analyse la situation des femmes au XVIIIe siècle en montrant un chemin pour les libérer par l'éducation.
La femme peut se libérer en recourant à l'hypocrisie, comme madame de Merteuil qui se cache sous des airs de dévote.
Toute l'éducation de Cécile consiste à lui apprendre l'hypocrisie : profiter de l'amour sans se faire prendre.
Valmont est un bon bougre, Merteuil est une créature déchue. Cécile est la vraie perverse dans l'âme : elle détient dès les premières lignes la clef de sa liberté libertine. Elle a vécu, elle peut se retirer au couvent.
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Roger Vadim, Les Liaisons dangereuses, 1959 – Gérard Philipe, Jeanne Moreau, Annette Stroyberg (Annette Vadim, épouse de Roger Vadim), Jean-Louis Trintignant, Nadine Vogel, Boris Vian…
Le scénario de Roger Vadim affadit le propos, mais les images et la direction des acteurs (parmi les plus grands déjà en leur jeune âge) sont dignes du maître des Bijoutiers du clair de lune.
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Roger Vailland, Laclos par lui-même, Éditions du Seuil, 1953
Une question, Yueyin ?