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  • : Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

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Survival

 

Uncontacted tribes

 

Un lien en un clic sur les images.

3 juillet 2015 5 03 /07 /juillet /2015 00:15

Un été, une chanson, une idée venue de chez Des pas perdus.

 

La gare de Nantes...

 

Onze heures, il arrive à la gare de Nantes, la cafét du musée ne sert qu'à partir de midi.

Une petite heure en tramway, pourquoi pas ?

Il obtient un ticket du distributeur après plusieurs infructueux essais, la rame arrive, il observe, le désert, seule une jeune passagère, il s'assied en face d'elle.

Elle l'a vu venir, elle a sorti de son cartable un livre, elle est absorbée dans sa lecture.

La gare de Nantes – Jacques Higelin, La rousse au chocolat

_ Vous savez, mademoiselle, dit-il en prenant le livre entre deux doigts légers et en le retournant délicatement, c'est déjà un peu difficile à lire dans ce sens, et à l'envers, c'est illisible.

 

Ils vont ensemble jusqu'au terminus en devisant. Elle se prépare pour les épreuves de son bac A2 dans quelques semaines. Elle est bilingue anglais-français depuis qu'elle a écouté en boucle et appris par cœur les chansons des Beatles six ans auparavant, en 6e. Elle présente en seconde langue vivante le russe.

Ils prennent le tramway du retour jusqu'à la gare, ils montent vers le musée en passant par le jardin des plantes où ils marquent une pause en s'installant sur un banc écarté, le gardien veille, le voyageur passe en mode russe, le gardien ne peut suivre le dialogue et passe son chemin.

Ensuite, ils se donnent rendez-vous à la gare de Nantes. Il est toujours le premier arrivé, il attend. Qu'attend-il ?

 

Pour Chouyo.

 

Jacques Higelin, La rousse au chocolat, 1976 – Jeanne Cherhal et Jacques Higelin à la Cigale, 13 novembre 2004

 

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1 juillet 2015 3 01 /07 /juillet /2015 00:15
Mickaël Auffray, Ce coquin de Félix – Monsieur fait sans doute allusion à son ombre

Mickaël Auffray, Ce coquin de Félix, L’Échappée Belle, 2015

Mickaël Auffray, Ce coquin de Félix – Monsieur fait sans doute allusion à son ombre

Né en 1982 à Angers, Mickaël Auffray est chroniqueur musical dans un magazine ligérien.

Ce coquin de Félix est son premier recueil de nouvelles.

 

Comment garder sa dignité face à un guru qui ressemble à un toucan ?

Comment faire face à son ombre ?

Comment résister à un parapluie fumant ?

 

Ce coquin de Félix

 

Sur le plan esthétique, il ne partait pas avec de l’avance : ses sourcils broussailleux surlignaient d’énormes yeux globuleux, des gerçures avaient eu raison de ses toutes petites lèvres pincées et ses rares sourires renvoyaient l’image d’un drapeau à damier. Distinguer les reliefs de son front gibbeux relevait de l’étude cartographique et toute cette tête était soutenue par un cou inexistant. Selon les codes contemporains de la beauté, il n’y avait guère que son menton qui pouvait s’apparenter à quelque chose de normal. Encore qu’une franche césure au milieu de celui-ci servît d’ignoble réceptacle pour les restes alimentaires.

Félix est une attraction. Un jour, sa mort met la ville en émoi. A-t-il vraiment disparu ?

 

Clair-obscur

 

Alphonse est traqué dans la ville. Son chasseur le suit comme son ombre. Alphonse convie l'étrange poursuivant dans un bar.

Bonjour, Monsieur, que puis-je vous servir ? demanda le serveur d'un ton cérémonieux.

Pour moi, un panaché, répondit Alphonse.

Entendu, Monsieur.

Pour l'autre, je ne sais pas, dit-il en désignant vaguement la chaise d'à côté.

L'autre monsieur ?

Oui, ce type-là ! insista Alphonse d'un geste approximatif.

Désolé, Monsieur, je ne vois personne à vos côtés.

[...]

Monsieur fait sans doute allusion à son ombre.

 

Mon parapluie

 

Le temps était pluvieux et maussade.

On sonne à la porte. C'est mon parapluie. Il vient chercher la compagnie de son maître. Il prend un Cohiba dans ma boîte à cigares. Il demande du feu.

Il sera servi...

 

L'art de la nouvelle n'est pas le plus facile.

Les histoires brèves ne se ressemblent pas, leur lien est dans une quatrième dimension.

On peut avoir l'impression qu'il s'agit de rêves avec ce que cela implique de mystère et d'intemporalité.

Le récit paraît très fluide, comme inspiré au fil d'une plume vagabonde. L'écriture est travaillée.

On attend le prochain recueil.

 

Renaud, Dès que le vent soufflera, in album Morgane de toi, 1983

 

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29 juin 2015 1 29 /06 /juin /2015 00:15
Virginie Despentes, Vernon Subutex

Virginie Despentes, Vernon Subutex, Grasset, 2015

Virginie Despentes, Vernon Subutex

Virginie Despentes, 2015

 

QUI EST VERNON SUBUTEX ?

Une légende urbaine.

Un ange déchu.

Un disparu qui ne cesse de ressurgir.

Le détenteur d’un secret.

Le dernier témoin d’un monde disparu.

L’ultime visage de notre comédie inhumaine.

Notre fantôme à tous.

LE RETOUR DE VIRGINIE DESPENTES

4e de couverture

 

Incipit

 

Les fenêtres de l’immeuble d’en face sont déjà éclairées. Les silhouettes des femmes de ménage s’agitent dans le vaste open space de ce qui doit être une agence de communication. Elles commencent à six heures. D’habitude, Vernon se réveille un peu avant qu’elles arrivent. Il a envie d'un café serré, d'une cigarette à filtre jaune, il aimerait se griller une tranche de pain et déjeuner en parcourant les gros titres du Parisien sur son ordinateur.

 

Vernon, près de la cinquantaine, est en perdition : chômage, misère, même plus le RSA.

Mais Vernon n’a cédé ni sur l’indifférence, ni sur l’élégance.

Vernon avait été disquaire pendant vingt-cinq ans, ça marchait bien, surtout depuis l'opération CD pour faire racheter aux clients leurs disques vinyles sur un nouveau support.

Loyer impayé, expulsion. Vernon se retrouve à la rue, avec un sac, des fringues et quelques livres. Les copains sont tombés comme des mouches. Vernon est seul.

Il croise une galerie de portraits. Emilie, Xavier, Jeff, Elsa, Marie-Ange, Céleste, La Hyène, Sylvie, Pamela, Daniel, Gaëlle, Marcia, Aïcha, Patrice, Cécile, Sophie, Olga.

 

Il découvre en face de lui une vue dégagée, il voit tout Paris d'en haut.

Je suis un homme seul […] je suis un clodo sur un banc perché sur une butte, à Paris.

 

Une comédie inhumaine dans un monde d'indifférence et de cynisme.

 

Johnny Cash, I Walk the Line

Virginie Despentes, Vernon Subutex

Le Subutex® est le nom commercial d'une molécule proche de la morphine, la buprénorphine. Il est prescrit pour les personnes qui présentent une forte dépendance à l'héroïne ou à des drogues apparentées à celle-ci lors du sevrage.

 

* * *

 

Lisez Vernon Subutex, nous dit Des pas perdus.

 

* * *

 

Vernon Subutex 2 vient de paraître : un volume d'indignation et de mélancolie, dans la réalité contemporaine.

 

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25 juin 2015 4 25 /06 /juin /2015 00:15
Prisons – on enferme, on colmate, on se venge
Prisons – on enferme, on colmate, on se venge
Prisons – on enferme, on colmate, on se venge
Prisons – on enferme, on colmate, on se venge
Prisons – on enferme, on colmate, on se venge
Prisons – on enferme, on colmate, on se venge

Crédits photo : Grégoire Korganow

 

La prison ne remplit pas sa mission. On enferme. On colmate. On se venge.

 

On suit la logique du ressentiment, la culture de la haine de l'autre, une morale de l'esclave selon Friedrich Nietzsche, un procès mimétique selon René Girard.

 

{Cet article ne cite pas suffisamment ses sources} {Référence nécessaire}

 

Cherchez, vous trouverez.

Mt, 7, 7

 

Le code pénal est obsolète, il en reste à la loi du talion, laquelle était un progrès – l'ancienne loi de la vengeance de génération en génération était abolie.

 

La loi du talion.

 

Mais s’il arrive malheur, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure.

Exode, 21, 23-25

 

Si un homme frappe à mort un être humain, quel qu’il soit, il sera mis à mort. Celui qui frappe à mort un animal le remplacera par un autre, vie pour vie. Si un homme provoque une infirmité chez un de ses compatriotes, on lui fera comme il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent. Telle l’infirmité provoquée, telle l’infirmité subie. Celui qui frappe à mort un animal le remplacera par un autre ; celui qui frappe à mort un homme mourra.

Lévitique, 24, 17-21

 

Les pères ne seront pas mis à mort à la place des fils, les fils ne seront pas mis à mort à la place des pères : chacun sera mis à mort pour son propre péché.

Deutéronome, 24, 16

 

Au-delà du talion.

 

Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur.

Lévitique, 19, 18

 

Ne dis pas : « Il me l’a fait, je le lui ferai : je rendrai à chacun selon ses actes ! »

Proverbes, 24, 29

 

Ô vous qui croyez ! On vous a prescrit le Qiçâç (le talion) au sujet des tués : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère aura pardonné de quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allègement de la part de votre Seigneur et une miséricorde. Donc, quiconque après cela transgresse (en tuant le meurtrier après avoir obtenu le prix du sang) aura un châtiment douloureux.

Saint Qour'ân, Sourate II, verset 178 – traduction : Cheikh Boureïma Abdou Daouda, Daroussalam, 1999

(un ouvrage précieux que m'a offert mon ami Gaylord, ancien maître de Cashmir, chien guide d'aveugle)

 

Le code pénal.

 

Article 312-1

Modifié par Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 - art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002

L'extorsion est le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque.

 

Exemple : un commis-voyageur vient vous fourguer un contrat d'assurance vie, alors que vous ne pouvez pas déchiffrer les termes de l'engagement.

 

L'extorsion est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende.

 

Article 221-1

Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre.

 

Exemple : un artiste étrangle sa belle-mère qui l'étouffait.

 

Il est puni de trente ans de réclusion criminelle.

 

Après sept ans de réflexion, le commis-voyageur a peaufiné sa tactique. Il a eu de bonnes fréquentations en prison. Il est libéré, il se fait dealer de haut vol, un commerce mieux qu'un autre.

 

Le gendre reprend son souffle. Avant même sa première heure de garde à vue, il a pris conscience de sa bêtise. Il ne présente aucun danger public, il n'avait qu'une seule belle-mère.

On ne va peut-être pas le relâcher aussitôt, mais on verra bientôt qu'il est inoffensif, bien avant trente années d'enfermement.

 

Qui vole un œuf... Huit jours. A la sortie, l'affamé vole une douzaine d’œufs, et la poule avec.

 

Qui vole un bœuf... Le commis agricole enviait son patron, il voulait s'établir à son compte, avec son bœuf. Il comprend immédiatement son erreur, son patron le gardait au chaud pour en faire son associé, il a été impatient et il s'en repent, sans risque de récidive.

 

On enferme pour cause ou close de sécurité, ou par vengeance ?

 

Les conditions de vie en prison sont intolérables.

 

On se suicide.

 

Le Ministère de la Justice recrute et forme des surveillants pénitentiaires. La prison change, changez-la avec nous.

 

Le Ministère de la Justice recrute et forme des surveillants pénitentiaires.

 

Erik Silance, Gardiens de prison, documentaire, Belgique, 2009 – Coproduction : Zebra Images, RTL-TVI, BeTV, Prix de la presse Dexia 2009

A 26' 53" : Parfois, certains sortent pires qu'ils ne sont rentrés.

 

La prison de Fleury-Mérogis filmée par des détenus.

Prisons – on enferme, on colmate, on se venge

Éduquer, rééduquer ? Former à un travail ? Conduire à une vie sociale ? Oui, mais pas en donnant à fabriquer des lampions !

 

La prison ne remplit pas sa mission. On enferme. On colmate. On se venge.

 

Les conditions de vie en prison sont intolérables.

 

Dans les prisons de Nantes, traditionnel, int. Charles Marchand, 1925

 

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21 juin 2015 7 21 /06 /juin /2015 00:15
Typex, Rembrandt

Typex, Rembrandt – traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Casterman, 2015

Typex, Rembrandt
Typex, Rembrandt

Typex (Raymond Koot)

Typex, Rembrandt

Rembrandt van Rijn, Zelfportret, 1659, National Gallery of Art, Washington, D.C.

 

Rembrandt Harmenszoon van Rijn est né le 15 juillet 1606, rue Weddesteeg, à Leyde, dans les Provinces-Unies. Son père est meunier, sa mère est fille de boulanger – une bourgeoisie aisée. Il suit l'école latine, institution calviniste donnant un enseignement religieux approfondi, où il prend ses premiers cours de dessin ; après un séjour en philosophie et en dilettante à l'Université de Leyde, il se met à la peinture.

Typex, Rembrandt

Rembrandt van Rijn, De Nachtwacht, 1642, Rijksmuseum, Amsterdam

Typex, Rembrandt

Rembrandt van Rijn, De Staalmeesters, 1662, Rijksmuseum, Amsterdam

 

Typex (Raymond Koot) s’intéresse au personnage Rembrandt plutôt qu’à son œuvre : fantasque, capricieux, vaniteux, arrogant et animé d'empathie pour les autres. Il en fait ainsi le portrait d'un homme, avec ses joies et ses déceptions, avec ses femmes, Saskia, Geertje, Hendrickje, épouses, mères, modèles, concubines.

Typex, Rembrandt

Typex, Rembrandt, page 16

 

L'Atelier, au fil des ans.

Typex, Rembrandt

Typex, Rembrandt, page 101

Typex, Rembrandt

Typex, Rembrandt, page 232

Typex, Rembrandt

Typex, Rembrandt, page 238

 

L'objet est curieux. Comme relié à l'ancienne, avec nerfs au dos et incrustations d'or, tranches dorées. Des marques d'usure tracées sur la couverture.

 

On trinque, on festoie, on courtise.

 

L'ouvrage se termine par un carton à dessins contenant les brouillons de l'œuvre.

 

Jouissif, émouvant, en grâce.

 

Francesca Caccini, Io Mi Distruggo, et Ardo, in Il Primo Libro delle Musiche, Firenze, 1618 – Henriette Feith, soprano ; Jasper Schweppe, baritone ; David van Ooijen, theorbo

(Henriette est... oui, charmante.)

 

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17 juin 2015 3 17 /06 /juin /2015 00:15
Antoine Bello, Les Falsificateurs, Les Éclaireurs, Les Producteurs – « La vérité n'existe pas. »

Antoine Bello, Les Falsificateurs, Gallimard, 2007 – photo ©Michael Cogliantry/Getty Images

Antoine Bello, Les Falsificateurs, Les Éclaireurs, Les Producteurs – « La vérité n'existe pas. »

Antoine Bello est né le 25 mars 1970 à Boston, USA, de parents français. Il jouit de la double nationalité française et américaine. Il vit aujourd'hui à New York

Les Falsificateurs et Les Éclaireurs racontent l'ascension d'un jeune Islandais au sein d'une organisation secrète internationale, le CFR, qui falsifie la réalité et réécrit l'histoire. Le troisième tome, Les Producteurs, est sorti en mars 2015.

 

Selon l’éditeur :

C'est l'histoire d'une organisation secrète internationale, le CFR (Consortium de Falsification du réel) qui falsifie la réalité mais dont personne ne connaît les motivations. C'est l'histoire de quelques unes des plus grandes supercheries de notre époque : de Laïka, la première chienne dans l'espace, qui n'a jamais existé, de Christophe Colomb qui n'a pas découvert l'Amérique, des fausses archives de la Stasi. C'est l'histoire d'un jeune homme, embauché par le CFR, qui veut comprendre pourquoi et pour qui il travaille. C'est l'histoire d'une bande d'amis qui veulent réussir leur vie, sans trop savoir ce que cela veut dire. C'est, d'une certaine façon, l'histoire de notre siècle.

 

[Nous avons changé tout cela]

Antoine Bello, Les Falsificateurs, Les Éclaireurs, Les Producteurs – « La vérité n'existe pas. »

Un timbre-poste roumain fait foi.

 

Selon l'auteur :

L'idée des Falsificateurs a germé dans mon esprit en 1989 au moment de l'affaire des charniers de Timisoara. Le monde entier s'était fait piéger par ces prétendues fosses communes dans lesquelles auraient été enterrées les victimes du dictateur roumain Ceaucescu. Ce qui m'a le plus surpris dans cette histoire, c'est que la révélation de la supercherie a fait bien moins de bruit que la supercherie elle-même ! J'ai eu du mal à trouver le ton du livre. J'oscillais perpétuellement entre le prosaïque et l'universel, entre l'essai et le pastiche. Après avoir écrit 200 pages, j'ai rangé mon manuscrit dans un tiroir. Je l'ai repris sept ans plus tard. Cette fois, j'ai trouvé le ton immédiatement. On a dit des Falsificateurs que c'était un récit d'anticipation, une réflexion sur le pouvoir des médias. Pour moi, il s'agit avant tout d'un roman initiatique. Sliv, le personnage principal, cherche un sens à sa vie professionnelle. Il a envie de faire le bien, sans trop savoir ce que ce mot veut dire. Citoyen du monde, à l'aise partout, il est curieux et doté d'un humour à froid qui le rendent profondément attachant.

 

« Félicitations, mon garçon, dit Gunnar Eriksson en me regardant parapher mon contrat de travail. Voilà qui fait de vous l'un des nôtres. »

 

« La notion de vraisemblance d'un scénario renvoie à cette question fondamentale : pourquoi croit-on à une histoire ? […] Un volontaire ?

[…]

J'imagine, dit bravement Magawati, que cela dépend de qui raconte l'histoire. »

 

* * *

Antoine Bello, Les Falsificateurs, Les Éclaireurs, Les Producteurs – « La vérité n'existe pas. »

Antoine Bello, Les Éclaireurs, Gallimard, 2007 – photo ©Roy Botterell/Corbis (détail)

 

Selon l'auteur :

Après avoir fini Les Falsificateurs, je me suis accordé quelques mois de vacances pour créer un site de classements, rankopedia.com. Le site mis en ligne, j'ai commencé à réfléchir à la suite des aventures de Sliv. J'avais déjà l'idée de l'initiative sur l'indépendance du Timor Oriental. Et je connaissais naturellement la finalité du CFR. Restait à trouver un ressort dramatique de nature à soutenir ce deuxième tome. L'idée d'écrire sur les armes de destruction massive s'est rapidement imposée. Plus je me documentais sur le sujet, et plus il m'apparaissait comme la falsification du siècle. J'évacue dans Les Éclaireurs ma frustration contre la démocratie américaine, qui donne des leçons au monde entier et n'est même pas fichue d'organiser des élections en règle. D'observateur nonchalant dans Les Falsificateurs, Sliv devient acteur de l'Histoire. J'introduis enfin le personnage de Nina dont peu de lecteurs ont compris l'importance et qui reviendra peut-être un jour dans un troisième tome...

 

* * *

Antoine Bello, Les Falsificateurs, Les Éclaireurs, Les Producteurs – « La vérité n'existe pas. »

Antoine Bello, Les Producteurs, Gallimard, 2015 – ill. de couverture d'après photo ©Stephanie Keith/Gallery Stock

 

Selon l'auteur :

A ceux qui me demandaient quand j'écrirais le troisième tome des Falsificateurs, je répondais : « Quand on ne me le demandera plus ». Six ans après Les Éclaireurs, j'ai pris un plaisir immense à retrouver mes personnages et à les voir redéfinir le rôle du CFR à l'heure des réseaux sociaux. Avec Vargas et Nick, j'ai inventé deux nouveaux personnages, qui réussissent presque à éclipser Sliv et Youssef. Enfin, je me suis efforcé de répondre aux questions que je recevais régulièrement sur Lena.

 

Postface à la 23e édition des Producteurs (juin 2026)

On a longtemps su peu de choses sur les circonstances dans lesquelles Anna-Line Thorman a écrit la trilogie des Falsificateurs, publiée entre 2007 et 2015 dans une relative indifférence. Même si certains lecteurs avaient noté que les prénoms Lena et Nina forment une anagramme d'Anna-Line ou que Thorman résulte de l'agrégation de Thorsen (le patronyme de Lena) et de Schoeman (celui de Nina), ils en avaient conclu que l'auteur n'avait pu résister à la tentation qui frappe tant de jeunes auteurs de s'incarner dans leurs personnages.

[…]

Rien ne résiste à la littérature.

 

Ainsi, tout est faux dans l'histoire. La Falsification du Réel ne serait qu'une fiction qui, elle-même, dans une mise en abyme vertigineuse, nous conterait que l'Histoire est une fable écrite pour nous donner prise sur ce que nous appelons le réel.

 

Ainsi, ces pages rédigées par le marquis de Libellus en juin 1747 ne figurent dans aucun service d'archives.

 

« La vérité n'existe pas. »

 

Bienvenue en uchronie.

 

Rien ne résiste à la littérature ! Selon l'auteur et Yueyin.

 

Étourdissant !

 

* * *

 

A voir également.

Antoine Bello, Les Falsificateurs, Les Éclaireurs, Les Producteurs – « La vérité n'existe pas. »

Antoine Bello, Amérique – publié seulement en ebook

Antoine Bello, Les Falsificateurs, Les Éclaireurs, Les Producteurs – « La vérité n'existe pas. »

Antoine Bello, Roman américain

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15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 00:15
Le Sud du Fleuve

 

Ballade du Henan, traditionnel, Yu Hongmei, erhu, 2012

Le Henan (河南, hénán en pinyin, « au sud du fleuve »), une province du centre-est de la Chine, est un des berceaux de la civilisation chinoise.

 

Un moine demanda à maître Feng hsueh : « Si parole et silence sont tous deux irrecevables, comment passer outre ? »


Feng hsueh répondit : « Je me rappelle encore le Sud du Fleuve au troisième mois, le cri des perdrix et le parfum de cent fleurs. »


Feng-hsueh Yen-chao – Fuketsu Ensho, maître Rinzai, 896-973.

 

[Cet article a été le premier publié sur Libellus. Il a été enrichi pour tenter de publier un premier article sur un Libellus/WordPress. Ah ! La tentation ! Dans sa forme présente, cette page ne peut être publiée sur WP, malgré une obole de 26 euros encaissée – on vous propose de miser 99 euros de plus, sans vous annoncer ce que vous aurez en échange.]

[[OverBlog est nul, le nouvel OverBlog, mais il n'arrive pas encore à la cheville de WP pour un abonné un peu exigeant.]]

 

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13 juin 2015 6 13 /06 /juin /2015 00:15
Haydn Paris symphonies, Sir Roger Norrington

Haydn Paris symphonies (Six Symphonies parisiennes, n° 82-87, 1785-1786), Zurich Chamber Orchestra, dir. Sir Roger Norrington, Sony Classical, 2015 – enr. 2013

Haydn Paris symphonies, Sir Roger Norrington

Sir Roger Norrington, photo : Manfred Esser

 

Roger Norrington s'attache particulièrement à l'étude historique des pièces qu'il dirige.

La juste mise en place de l'orchestre : le premier et le second violon sont assis l'un en face de l'autre ; les vents et les cuivres sont disposés en demi-cercle derrière les cordes, ce qui donne le sentiment d'un grand orchestre de chambre (trente instrumentistes), tel qu'en 1785.

Le juste suivi des tempi.

La juste longueur des notes, requérant une lecture attentive de la notation de l'époque.

 

Écoutez.

 

Symphony N° 83 in G minor, The Hen (La Poule), I, Allegro spiritoso

 

C'est frais, inventif et plein d'esprit. Une musique qui invite à chanter, à danser, à rire !

 

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9 juin 2015 2 09 /06 /juin /2015 00:15
Marco Malvaldi, Le mystère de Roccapendente – un mystère gourmand

Marco Malvaldi, Le mystère de Roccapendente (Odore di chiuso, Sellerio Editore, 2011), traduit de l'italien par Lise Chapuis, Christian Bourgois, 2012, 10/18, 2013

Marco Malvaldi, Le mystère de Roccapendente – un mystère gourmand

Marco Malvaldi, photographie : Nicola Ughi

Marco Malvaldi est né à Pise en 1974. Après des études de chimie, il a été chercheur pendant dix ans à l'université de Pise. Passionné de musique baroque, il a étudié le chant lyrique au conservatoire avant d'entamer une brève carrière de chanteur professionnel. Il a écrit son premier livre La Briscola in cinque (paru en Italie en 2007) alors qu'il achevait la rédaction de sa thèse. Le mystère de Roccapendente, son quatrième roman, a reçu le prix le Prix Castiglioncello e Isola d'Elba-Raffaello Brignetti 2011. Marco Malvaldi vit à Vecchiano, en Toscane, avec sa femme et leur fils.

Source : Éditeur

 

Dans un château toscan, un vendredi du mois de juin 1895, arrive le lourd et moustachu Pellegrino Artusi. Il est précédé par la réputation de son fameux ouvrage, La Science en cuisine et l'art de bien manger, un livre de cuisine vivant et cultivé (le premier du genre) qui a véritablement donné naissance à la tradition culinaire italienne. Le baron Romualdo Bonaiuti l'a cordialement invité à venir passer quelques jours au sein de sa maisonnée. Et quelle maisonnée ! Le fils aîné est un poète amateur rongé par l'ambition ; le fils cadet est un coureur de jupons alcoolique et sans gêne ; la fille, seul membre talentueuse de la famille, est étouffée par sa condition féminine ; une acariâtre grand-mère veille sur tous le monde depuis son fauteuil à roulettes ; la demoiselle d'honneur voudrait juste rester invisible ; et deux cousines qui ont passé l'âge de se marier servent de tapisserie. Sans compter les nombreux serviteurs : une cuisinière géniale, un mystérieux majordome et une femme de chambre hautaine et plantureuse. Mais Pellegrino Artusi n'est pas le seul invité : un photographe a également été convié sans qu'on sache trop pourquoi. Tous les éléments du crime en chambre close sont désormais réunis, la partie peut commencer.

Source : Éditeur

 

Incipit

 

Commencement

 

L'apparence de la colline de San Carlo dépend essentiellement de l'heure de la journée.

Le matin, le soleil se lève de l'autre côté du col ; le château ayant été construit un peu en dessous de la crête, ses rayons ne parviennent pas à pénétrer directement par les fenêtres des chambres où reposent le septième baron de Roccapendente, ses proches et ses hôtes (souvent nombreux), qui peuvent donc dormir tranquillement jusqu'à une heure tardive.

[...]

En revanche, la deuxième personne que l'on attend est célèbre et digne d'une certaine estime, ce qui rend l'attente plutôt fébrile. Au fond, les résidents, bien qu'il s'agisse d'oisifs professionnels qui n'ont pas produit une heure de travail honnête de toute leur vie, ont été contraints par la chaleur inhumaine à une journée entière d'immobilité dans la fraîcheur des grandes pièces, et maintenant plus encore que d'habitude ils éprouvent de l'ennui. C'est pourquoi la venue de cet invité constitue véritablement le « clou » de la journée. Les habitants du château se promènent donc par deux ou par trois, en échangeant des hypothèses sur le personnage, l'oreille tendue vers un éventuel bruit de roues et de chevaux.

[...]

Il est certainement gros.

Vous croyez ?

Le contraire m'étonnerait. Avez-vous jamais vu un cuisinier maigre ?

Non, non. Mais en réalité cet homme n'est pas cuisinier de métier, n'est-ce pas ? A ce que l'on dit, c'est un marchand de tissus.

C'est ce qu'il semble. Et ce n'est pas son seul commerce. Je ne voudrais pas...

Tandis qu'il réfléchissait à ce qu'il n'aurait pas voulu, Lapo Bonaiuti di Roccapendente croisa l'espace d'un instant le regard vide et anxieux de Mlle Barbarici, infirmière et dame de compagnie de sa grand-mère Speranza, en se demandant peut-être pour la millième fois qui aurait bien pu s'envoyer une pareille horreur.

Qu'est-ce que vous ne voudriez pas ?

Rien, rien. Des idées à moi. De toute façon, cela renforce ce que je disais. Un commerçant ayant la marotte de la bonne chère. C'est quelqu'un qui amasse. De l'argent à la banque, et de la graisse. Vous verrez, il va nous falloir appeler pour qu'on le décoince de la baignoire, si jamais il en connaît l'usage.

Oh, que dites-vous, monsieur Lapo ?

[...]

Ce n'est quand même pas lui qui fait à manger, n'est-ce pas ?

Je ne saurais dire, grand-mère.

Parce que moi, je ne mange rien si ce n'est pas Parisina qui l'a préparé. Et puis un homme, imagine. Depuis quand les hommes se mettent-ils à faire la cuisine, tout de même ?

[...]

Grand-mère, il y a des gens qui viennent.

C'est là le seul moyen de la faire cesser : le décorum avant tout. Cecilia le sait ; c'est pour cela aussi que, dans cette maison, elle ne se sent pas bien.

Cecilia est petite, elle a les cheveux rassemblés en une tresse et des mains potelées ; pour le corps, il faut faire preuve d'un peu d'imagination, car il est enfermé dans un vêtement qui tient de la robe de bure et du silo. Ce n'est pas grave, car le point fort de la jeune fille, ce sont les yeux. Un regard direct, franc et souriant ; deux grands yeux sombres jaspés de vert qui savent très bien que, ce matin, vous n'avez pas changé de caleçon, mais qui vous font comprendre qu'au fond cela vous regarde.

Loin des diverses discussions, monsieur le baron guette en haut du jardin un signe de la part de Teodoro, son précieux majordome. Attendant que celui-ci lui annonce, par un simple changement de posture, l'arrivée imminente, monsieur le baron se demande ce qu'il deviendrait, en ce moment, sans Teodoro.

[...]

Monsieur Pellegrino Artusi, bienvenue à Roccapendente.

 

Vendredi, à sept heures du soir, c'est l'heure du dîner au château. On sert un pasticcio de dimensions colossales sous le plafond de Jacopuccio da Campigliglia où sont représentés en peinture les dieux de l'Olympe en leurs jeux et querelles. Pellegrino Artusi est ravi et repu. Au dessert, une tarte à la ricotta fraîche sur un fond de biscuits au beurre émiettés, garnie de myrtilles et de framboises.

 

Samedi, de bon matin, un hurlement saisit le château. Mlle Barbarici vient de s'évanouir devant l'entrée de la cave dont la porte ferrée est fermée de l'intérieur où gît le majordome – que la gouvernante a aperçu par le trou de la serrure avant de s'effondrer en hurlant.

Samedi, à l'heure du déjeuner, le docteur Bertini annonce à la maisonnée assemblée que Teodoro a été empoisonné.

Ainsi, adieu repas !

Marco Malvaldi, Le mystère de Roccapendente – un mystère gourmand

Un empoisonnement à la belladone dans le porto servi au baron – il y a à peine goûté, Teodoro a fini son verre, comme de coutume.

 

Dans la cave, le vase de nuit (Odore... ça sent le renfermé) de Teodoro puait le relent d'asperges. Or, le défunt détestait les asperges et les avait refusées au dîner. Son pot de chambre a donc été utilisé par l'assassin.

 

On se restaure.

Cervelles d'agneau à la milanaise. Nettoyez et blanchissez la cervelle comme à la postière, puis faites-la cuire comme ci-dessus, retirez de la braisure ; passez au tamis et ajoutez une cuillère de farine pommadée avec deux onces de beurre, faites bouillir cette fricassé* cinq minutes, en mélangeant sans cesse, puis ajoutez une lieson* de deux jaunes d’œufs avec du jus de citron, un peu de persil ciselé, versez le tout sur la cervelle coupée en morceaux, puis morceau par morceau badigeonnez avec un peu de sauce, roulez dans la panure, et faites frire prestement dans la graisse bouillante. Servez avec du persil frit.

* en français dans le texte

 

Dimanche matin, avant la messe, on vient de tirer sur monsieur le baron. A l'heure du déjeuner, Parisina a préparé un sanglier aux pruneaux.

Bonne mère, c'était divin.

 

Le dimanche soir, on dîne d'un poisson à la mayonnaise. La mayonnaise est une émulsion stable d'huile dans une base aqueuse constituée de jus de citron et de vinaigre. En pratique, c'est comme s'il s'agissait d'un ensemble de minuscules petites gouttes d'huile éparpillées dans une matrice aqueuse. La stabilité de ces gouttes est obtenue grâce à une composante du jaune d’œuf appelée lécithine...

 

Qui est l'assassin ?

 

Selon Pellegrino Artusi, conseillant Artistico, l'enquêteur : « Éliminez l'impossible. Ce qui reste, quoique improbable, doit forcément être la vérité. »

 

Bon sang, mais c'est bien sûr !

 

Légèrement en dehors de la pièce, se tenait la baronne mère, qui se détachait avec netteté dans l'encadrement de la porte, comme un tableau.

 

James Abbott McNeill Whistler, Arrangement in Grey and Black N° 1, Portrait of the Artist's Mother, 1871

 

Goûterez-vous un polpettone à la tsigane selon maître Pellegrino Artusi ?

 

Bien ficelé, agréablement ponctué d'entremets gourmands, un récit qui se goûte des yeux et des papilles.

 

- - -

 

Autres nourritures terrestres.

 

Umberto Eco, Le Cimetière de Prague

François Cheng, Le dit de Tianyi

Qiu Xiaolong, La Danseuse de Mao

 

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5 juin 2015 5 05 /06 /juin /2015 00:15
Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses – un jeu de société

Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, 1782, Le Club français du livre, collection Privilège, n° 1, ex. 7414/12.000, édition présentée par Roger Vailland, 1965

Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses – un jeu de société

Quentin de La Tour (?), Choderlos de Laclos, XVIIIe siècle

 

Pierre Ambroise François Choderlos de Laclos est né à Amiens, le 18 octobre 1741, dans une famille de petits nobles. Appelé par la vocation militaire dès 1759, il s'ennuyait fort dans la carrière et se mit à l'écriture romanesque, par distraction, en 1778. De là viennent les Liaisons.

 

Les Liaisons dangeureuses.

 

C'est un roman épistolaire relatant la conquête de deux jeunes femmes, l'ingénue Cécile de Volanges et la pieuse Présidente de Tourvel, par deux débauchés : la marquise de Merteuil et son ancien amant, le vicomte de Valmont. Un jeu de société.

Cécile vient de sortir du couvent, elle est fiancée au Comte de Gercourt, ancien amant de la marquise de Merteuil et qui l'a abandonnée. La marquise veut se venger : elle demande au vicomte de corrompre Cécile avant son mariage.

Le vicomte de Valmont est occupé à séduire madame de Tourvel, une femme pieuse et une amie de madame de Volanges, la mère de Cécile.

Il séduit facilement Cécile et patiemment la Présidente dont il tombe amoureux. Jalouse et furieuse, madame de Merteuil le force à rompre sauvagement. La présidente en meurt.

Valmont est tué en duel par le Chevalier Danceny, jeune amant de la jeune et libérée Cécile.

Cécile entre au couvent.

Merteuil, perdue de réputation et défigurée par la vérole, s’exile au loin.

 

PREMIÈRE LETTRE.

Cécile Volanges à Sophie Carnay, aux Ursulines de...

 

Tu vois, ma bonne amie, que je te tiens parole, & que les bonnets & les pompons ne prennent pas tout mon temps.

[...]

J’ai une femme de chambre à moi ; j’ai une chambre & un cabinet dont je dispose, & je t’écris à un secrétaire très-joli, dont on m’a remis la clef, & où je peux renfermer tout ce que je veux.

 

La clef... Vingt occurrences dans la correspondance de ou à Cécile de Volanges.

 

[Cécile de Volanges] est vraiment délicieuse ! cela n'a ni caractère ni principes.

LETTRE XXXVIII – La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont

 

LETTRE II

La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont

Au château de...

[...]

Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l'importance que met Gercourt à la femme qu'il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu'il évitera le sort inévitable. Vous connaissez sa ridicule prévention pour les éducations cloîtrées, et son préjugé, plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes.

Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses – un jeu de société

Marguerite Gérard, Laclos, Les Liaisons dangereuses, Londres, 1796 – graveur : Louis Joseph Masquelier

 

LETTRE XCVI

Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil

 

Après m'être assuré que tout était tranquille dans le Château, armé de ma lanterne sourde, et dans la toilette que comportait l'heure et qu'exigeait la circonstance, j'ai rendu ma première visite à votre pupille.

J'avais tout fait préparer (et cela par elle-même), pour pouvoir entrer sans bruit. Elle était dans son premier sommeil, et dans celui de son âge ; de façon que je suis arrivé jusqu'à son lit, sans qu'elle se soit réveillée.

J'ai d'abord été tenté d'aller plus avant, et d'essayer de passer pour un songe ; mais craignant l'effet de la surprise et le bruit qu'elle entraîne, j'ai préféré d'éveiller avec précaution la jolie dormeuse, et suis en effet parvenu à prévenir le cri que je redoutais.

Après avoir calmé ses premières craintes, comme je n'étais pas venu là pour causer, j'ai risqué quelques libertés. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son Couvent à combien de périls divers est exposée la timide innocence, et tout ce qu'elle a à garder pour n'être pas surprise : car, portant toute son attention, toutes ses forces à se défendre d'un baiser, qui n'était qu'une fausse attaque, tout le reste était laissé sans défense : le moyen de n'en pas profiter ! J'ai donc changé ma marche, et sur le champ j'ai pris poste. Ici nous avons pensé être perdus tous deux : la petite fille, tout effarouchée, a voulu crier de bonne foi ; heureusement sa voix s'est éteinte dans les pleurs. Elle s'était jetée aussi au cordon de sa sonnette, mais mon adresse a retenu son bras à temps.

« Que voulez−vous faire (lui ai-je dit alors), vous perdre pour toujours ? Qu'on vienne, et que m'importe ? A qui persuaderez-vous que je ne sois pas ici de votre aveu ? Quel autre que vous m'aura fourni le moyen de m'y introduire ? Et cette clef que je tiens de vous, que je n'ai pu avoir que par vous, vous chargerez-vous d'en indiquer l'usage ? » Cette courte harangue n'a calmé ni la douleur, ni la colère, mais elle a amené la soumission. Je ne sais si j'avais le don de l'éloquence ; au moins est-il vrai que je n'en avais pas le geste. Une main occupée pour la force, l'autre pour l'amour, quel orateur pourrait prétendre à la grâce en pareille situation ? Si vous vous la peignez bien, vous conviendrez qu'au moins elle était favorable à l'attaque : mais moi, je n'entends rien à rien, et comme vous dites, la femme la plus simple, une pensionnaire, me mène comme un enfant.

Celle−ci, tout en se désolant, sentait qu'il fallait prendre un parti, et entrer en composition. Les prières me trouvant inexorable, il a fallu passer aux offres. Vous croyez que j'ai vendu bien cher ce poste important : non, j'ai tout promis pour un baiser. Il est vrai que, le baiser pris, je n'ai pas tenu ma promesse : mais j'avais de bonnes raisons. Étions-nous convenus qu'il serait pris ou donné ? A force de marchander, nous sommes tombés d'accord pour un second, et celui-là, il était dit qu'il serait reçu. Alors ayant guidé ses bras timides autour de mon corps, et la pressant de l'un des miens plus amoureusement, le doux baiser a été reçu en effet ; mais bien, mais parfaitement reçu : tellement enfin que l'Amour n'aurait pas pu mieux faire.

Tant de bonne foi méritait récompense, aussi ai−je aussitôt accordé la demande. La main s'est retirée ; mais je ne sais par quel hasard je me suis trouvé moi−même à sa place. Vous me supposez là bien empressé, bien actif, n'est-il pas vrai ? Point du tout. J'ai pris goût aux lenteurs, vous dis-je. Une fois sûr d'arriver, pourquoi tant presser le voyage ?

Sérieusement, j'étais bien aise d'observer une fois la puissance de l'occasion, et je la trouvais ici dénuée de tout secours étranger. Elle avait pourtant à combattre l'amour, et l'amour soutenu par la pudeur ou la honte, et fortifié surtout par l'humeur que j'avais donnée, et dont on avait beaucoup pris. L'occasion était seule ; mais elle était là, toujours offerte, toujours présente, et l'Amour était absent.

Pour assurer mes observations, j'avais la malice de n'employer de force que ce qu'on en pouvait combattre. Seulement si ma charmante ennemie, abusant de ma facilité, se trouvait prête à m'échapper, je la contenais par cette même crainte, dont j'avais déjà éprouvé les heureux effets. Hé bien ! sans autre soin, la tendre amoureuse, oubliant ses serments, a cédé d'abord et fini par consentir : non pas qu'après ce premier moment les reproches et les larmes ne soient revenus de concert ; j'ignore s'ils étaient vrais ou feints : mais, comme il arrive toujours, ils ont cessé, dès que je me suis occupé à y donner lieu de nouveau. Enfin, de faiblesse en reproche, et de reproche en faiblesse, nous ne nous sommes séparés que satisfaits l'un de l'autre, et également d'accord pour le rendez−vous de ce soir.

Je ne me suis retiré chez moi qu'au point du jour, et j'étais rendu de fatigue et de sommeil : cependant j'ai sacrifié l'un et l'autre au désir de me trouver ce matin au déjeuner : j'aime, de passion, les mines de lendemain. Vous n'avez pas d'idée de celle-ci. C'était un embarras dans le maintien ! une difficulté dans la marche ! des yeux toujours baissés, et si gros et si battus ! Cette figure si ronde s'était tant allongée ! Rien n'était si plaisant. Et pour la première fois, sa mère, alarmée de ce changement extrême, lui témoignait un intérêt assez tendre ! et la Présidente aussi, qui s'empressait autour d'elle ! Oh ! pour ces soins-là ils ne sont que prêtés ; un jour viendra où on pourra les lui rendre, et ce jour n'est pas loin. Adieu, ma belle amie.

Du Château de ..., ce 1er octobre 17**

 

LETTRE CX

Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil

Oui, en vérité, je lui ai tout appris, jusqu'aux complaisances !

[...]

J'occupe mon loisir […] à composer une espèce de catéchisme de débauche, à l'usage de mon écolière.

 

La catéchumène est très douée.

 

* * *

 

Laclos a écrit Des Femmes et de leur éducation (1783).

 

Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation ; dans toute société, les femmes sont esclaves ; donc la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence. Or, que partout où il y a esclavage il ne puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle de la définition de ce mot ; c'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage est de les étouffer ; c'est le propre de l'éducation de diriger les facultés développées vers l'utilité sociale, le propre de l'esclavage est de rendre l'esclave ennemi de la société. Si ces principes certains pouvaient laisser quelques doutes, il suffit pour les lever de les appliquer à la liberté. On ne niera pas apparemment qu'elle ne soit une des facultés de la femme et il implique que la liberté puisse se développer dans l'esclavage ; il n'implique pas moins qu'elle puisse se diriger vers l'utilité sociale puisque la liberté d'un esclave serait nécessairement une atteinte portée au pacte social fondé sur l'esclavage.

 

Dans ce traité, publié en 1903, Laclos décrit et analyse la situation des femmes au XVIIIe siècle en montrant un chemin pour les libérer par l'éducation.

 

La femme peut se libérer en recourant à l'hypocrisie, comme madame de Merteuil qui se cache sous des airs de dévote.

Toute l'éducation de Cécile consiste à lui apprendre l'hypocrisie : profiter de l'amour sans se faire prendre.

 

Valmont est un bon bougre, Merteuil est une créature déchue. Cécile est la vraie perverse dans l'âme : elle détient dès les premières lignes la clef de sa liberté libertine. Elle a vécu, elle peut se retirer au couvent.

 

* * *

 

Roger Vadim, Les Liaisons dangereuses, 1959 – Gérard Philipe, Jeanne Moreau, Annette Stroyberg (Annette Vadim, épouse de Roger Vadim), Jean-Louis Trintignant, Nadine Vogel, Boris Vian…

Le scénario de Roger Vadim affadit le propos, mais les images et la direction des acteurs (parmi les plus grands déjà en leur jeune âge) sont dignes du maître des Bijoutiers du clair de lune.

 

* * *

 

Roger Vailland, Laclos par lui-même, Éditions du Seuil, 1953

 

Une question, Yueyin ?

 

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