Lou

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  • : Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

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5 mai 2015 2 05 /05 /mai /2015 00:15
Jean-Paul Clébert, L'Incendie du Bazar de la Charité

Jean-Paul Clébert, L'Incendie du Bazar de la Charité, Denoël, 1978

Jean-Paul Clébert, L'Incendie du Bazar de la Charité

Jean-Paul Clébert est un curieux écrivain. Né le 23 février 1926 à Paris et mort le 21 septembre 2011 à Oppède, au pied du massif du Luberon, il fait ses études dans une institution religieuse ; il rejoint la Résistance française en 1943, à 16 ans ; après la Libération, il passe six mois en Asie puis revient en France où il mène alors une vie clandestine dans l´univers des clochards, ce qui lui inspire son premier essai, Paris insolite, 1952, dédié à ses compagnons Robert Giraud et Robert Doisneau.

Il fréquente les derniers surréalistes et les premiers situationnistes, qui aimaient se retrouver dans certains cafés de Saint-Germain-des-Prés. Deux ans durant, il est reporter en Asie pour Paris Match et pour France-Soir, avant de se retirer en 1956 dans le Luberon.

 

Si la marquise sortit vraiment à 5 heures, ce mardi 4 mai 1897, elle eut beaucoup de chance.

Tout s'est passé une heure plus tôt. A 4 heures, le nonce apostolique bénissait la fête de bienfaisance. A 4 heures et quelques minutes, celle-ci était finie, le feu venant d'éclater dans la salle du cinématographe. A 4 h 20, il ne restait rien du Bazar de la Charité, entièrement consumé. A 5 heures, on dénombrait plus de cent victimes, pour la plus grande part des femmes et de la plus haute société.

[…]

Dans les ruines du Bazar de la Charité, rue Jean-Goujon, une société tout entière s'est écroulée. Rien désormais ne sera plus pareil. Entre les gens du monde et les gens du peuple [...], le feu a fait le vide.

[…] Ce jour-là, le XXe siècle a commencé.

 

Il y avait eu des prophéties...

 

Près des Champs-Élysées

Des chairs grillées

Des corps calcinés

J'en vois comme par pelletées...

 

Personne n'y a cru.

Jean-Paul Clébert, L'Incendie du Bazar de la Charité

Plan du Bazar de la Charité, in Jean-Paul Clébert, op. cit.

 

En 1897, le Bazar se présente ainsi, sur un terrain vague généreusement cédé à une charité de bon aloi – sans issues de secours hors trois ou quatre petites fenêtres percées dans le mur.

Jean-Paul Clébert, L'Incendie du Bazar de la Charité

Catastrophe du Grand Bazar de Charité, rue Jean-Goujon, à Paris, Supplément gratuit du Salut Public, 8 mai 1897

 

Maintenant, l'ambiance est survoltée.

La surtension provoque un court-circuit, le hangar infernal s'enflamme. Cela vient du cinématographe, invention dangereuse.

Après, ça crame, ça grille, ça hurle. Gentes dames et gens du peuple fondent en même graisse flambante et odorante.

Dans les cendres, on retrouve un tibia de cocher, une fausse dent de haute lignée, une broderie miraculeusement préservée du feu.

Feu purificateur !

Léon Bloy se réjouit, Joris-Karl Huysmans voit l'accomplissement de la substitution mystique.

 

Ce sont les anarchistes, les partageux !

Jean-Paul Clébert, L'Incendie du Bazar de la Charité

15-17, rue Jean-Goujon, aujourd'hui

 

Et, la conscience tranquille, corsetée de noir, la mine sévère de qui fait la charité, la marquise sortit à 5 heures...

 

Paul Misraki, Tout va très bien, Madame la Marquise, 1935 – Sacha Distel, Jean-Pierre Cassel, Jean-Marc Thibault, Roger Pierre et Jean Yanne, 1967

 

* * *

 

A lire : Paul Morand, Le Bazar de la Charité, nouvelle, Genève, Club des bibliophiles, 1944 – Illustrations de Paul Monnier ; in Fin de siècle, 1963, réédité dans la Collection L'Imaginaire, Gallimard, 2008

 

* * *

 

Précédemment : Gaëlle Nohant, La Part des flammes.

 

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3 mai 2015 7 03 /05 /mai /2015 00:15

Le croire est une illusion.

Gaëlle Nohant, La Part des flammes – Dans ce monde il n'est pas de bonheur possible...

Gaëlle Nohant, La Part des flammes, Héloïse D'ormesson, 2015

Gaëlle Nohant, La Part des flammes – Dans ce monde il n'est pas de bonheur possible...

Gaëlle Nohant est née à Paris en 1973, elle vit aujourd’hui à Lyon. La Part des flammes est son deuxième roman après L’Ancre des rêves, Robert Laffont, 2007. Elle est également l’auteur d’un recueil de nouvelles, L'homme dérouté.

Et elle est ? Merci, public, tu suis.

 

Mai 1897. Pendant trois jours, le Tout-Paris se presse rue Jean-Goujon à la plus mondaine des ventes de charité. Les regards convergent vers le comptoir n° 4, tenu par la charismatique duchesse d'Alençon. Au mépris du qu'en-dira-t-on, la princesse de Bavière a accordé le privilège de l'assister à Violaine de Raezal, ravissante veuve à la réputation sulfureuse, et à Constance d'Estingel, qui vient de rompre brutalement ses fiançailles. Dans un monde d'une politesse exquise qui vous assassine sur l'autel des convenances, la bonté de Sophie d'Alençon leur permettra-t-elle d'échapper au scandale ' Mues par un même désir de rédemption, ces trois rebelles verront leurs destins scellés lors de l'incendie du Bazar de la Charité.

4e de couverture

 

Incipit

 

La marquise de Fontenilles n’en finissait pas de la faire attendre dans cette antichambre aux allures de bonbonnière. Érodée par l’impatience et la nervosité, l’assurance de Violaine de Raezal s’effritait. Elle espérait tant de cette entrevue ! La marquise était un des sphinx de dentelle vêtus qui gardaient les portes du Bazar de la Charité. Sans son accord, la comtesse de Raezal avait peu de chances d’y obtenir une place de vendeuse. Elle était consciente que le mystère auréolant son passé ne plaidait pas en sa faveur et que le nom de son mari avait perdu de sa puissance depuis que Gabriel n’était plus là pour veiller sur elle. Désormais, lorsqu’on recevait la comtesse de Raezal, les arrière-pensées affleuraient à la surface de la plus exquise politesse. Treize ans durant, Gabriel de Raezal avait dispersé ces arrière-pensées de son regard perçant. Mais voilà qu’elles resurgissaient, enhardies par sa disparition.

 

Pauline de Fontenilles reçoit Violaine de Raezal. Violaine devra faire ses preuves en œuvres de charité.

Gaëlle Nohant, La Part des flammes – Dans ce monde il n'est pas de bonheur possible...

Pour commencer, un sanatorium populaire sis dans un ancien couvent du quartier du Temple. Une cornette haute et sévère l'accueille dans cet antre froid, humide et morbide où la peste blanche souffle sur des moribonds étiques crachant leur dernier sang.

Nos malades sont très contagieux. […] Votre rôle est de les écouter [...]. S'ils toussent, tendez-leur le crachoir.

 

[Nous devons au bacille de Koch l'expression bien connue : tenir le crachoir.]

 

Dans ce mouroir, Violaine rencontre Antoine, menuisier, dix-neuf ans, déchu par une société injuste, retrouvé sous les ponts, crachant le sang, près de son chien.

 

[Nous avons changé tout cela.]

 

On m'a pris mon chien, je veux qu'on me le rende ! Siffla-t-il avec colère.

 

Une silhouette vêtue de noir vient au chevet du mourant.

Vous voudriez la paix, n'est-ce pas ? Mais ce monde, Antoine, ne donne pas la paix. Dans ce monde il n'est pas de bonheur possible. Le croire est une illusion.

 

L'inconnue en noir est Sophie d'Alençon.

 

Constance d'Estingel se souvient, en nostalgie, de ses années de pension chez les dominicaines de Neuilly. Elle est sur le point de se fiancer avec Laszlo de Nérac.

 

Voulez-vous, Constance ? Voulez-vous être mon amour, mon amie, mon amante ?

 

Quelques jours plus tard, la duchesse d'Alençon invita Violaine de Raezal à faire partie des vendeuses de son comptoir des noviciats dominicains au Bazar de la Charité.

 

Le lundi 3 mai 1897, Sophie, Violaine et Constance tiennent comptoir au Bazar. Laszlo cherche à y rejoindre sa fiancée. Tout est en place, le rideau peut se lever.

Gaëlle Nohant, La Part des flammes – Dans ce monde il n'est pas de bonheur possible...

Incendie du Bazar de la Charité – Le sinistre, gravure de Fortuné Méaulle d'après un dessin d'Osvaldo Tofani, Petit Journal – Supplément illustré, dimanche 16 mai 1897

 

Là, cette fumée...

[…]

Au feu ! Au feu !

 

Le Bazar de la Charité est en flammes, il s'en exhale un parfum puissant de chair brûlée.

 

Des cris, des hurlements, cris de douleur et d'épouvante, des femmes en feu... formes folles et incandescentes se jetant sur la chaussée, une montagne de corps disloqués et noircisles os, les entrailles sortaient ça et là.

 

Vingt-cinq pages de visions d'horreur décrites au scalpel, une écriture fuligineuse, insolente d'élégance, donnant à sentir le frisson odorant de la graisse humaine sur les braises. Hmm...

 

La Chambre des horreurs expose en ses ruelles des pantins noircis aux entrailles fondues, six chevelures de femmes, perruques ou cheveux roussis ; deux tibias ; trois troncs incomplets ; deux côtes ; une mâchoire inférieure ; onze fausses dents ; une dizaine de kilogrammes d'entrailles.

 

On sent le gourmet gourmand chez Gaëlle, le lecteur en est repu de bonheur.

 

Qui aura survécu ? Les dommages collatéraux feront-ils encore couler le sang ? Comment pourra-t-on vivre caché ?

 

Thomas Sinaeve, Marie Boulie, Guy Peccoux, Laurence Valentin, sans vous ce roman ne serait pas ce qu'il est, peut-être ne serait-il pas du tout ! dit-elle en remerciements.

 

Admirable ! nous dit Yueyin.

 

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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 00:15
Fred Vargas, Temps glaciaires – la recherche de la vérité enfouie

Fred Vargas, Temps glaciaires, Flammarion, 2015

Fred Vargas, Temps glaciaires – la recherche de la vérité enfouie

Fred Vargas est née le 7 juin 1957 à Paris. Après un doctorat en histoire sur la peste au Moyen Âge, elle est devenue chercheur au CNRS. Elle est spécialiste d'archéozoologie.

 

Pouvez-vous résumer brièvement votre parcours personnel et professionnel ? Pourquoi avez-vous choisi un nom de plume ? Et comment avez-vous fait le choix de Fred Vargas ?

 

Fred Vargas : Euh… c’est toute ma vie ça ! Pour faire vite, je deviens docteur en archéologie en 83, chercheur au CNRS en 88. Premier roman en 1986. J'ai choisi un nom de plume pour ne pas compliquer les choses alors que je présentais ma candidature au CNRS. Et je l'ai choisi à cause de ma jumelle, qui avait déjà choisi le nom de Jo Vargas pour peindre. Je ne pouvais pas choisir un autre faux nom que le faux nom de ma jumelle ! et je pensais ne signer qu'un seul livre, pour jouer.

 

Quelle influence votre métier d’archéologue a-t-il sur celui d’écrivain ? Comment êtes vous venue à la littérature policière ? Quels ont été les auteurs qui vous ont marquée en tant que lectrice ? En tant qu'écrivain ?

 

Fred Vargas : Le goût de la recherche de la vérité enfouie, de l'enquête, des petites choses modestes sur lesquelles reposent le récit des vies, et enfin, l'importance de la trace, de l'empreinte, laissée par tout passage d'homme (je crois). J'en suis venue à la littérature policière pour contrer l'austérité scientifique du métier d'archéologue. Et parce que je n'étais pas assez bonne pour continuer dans la voie de l'accordéon. Trop d'auteurs pour que je les cite tous. Au panthéon de l'adolescence, et aux deux extrêmes, Marcel Proust et Hemingway.

 

Vous avez apporté votre soutien à César Battisti en écrivant dans un délai record « la vérité sur César Battisti », pouvez-vous nous en expliquer les raisons ? Qu’est-ce qui vous choque le plus dans cette affaire ?

 

Fred Vargas : Raison majeure : L'enfouissement volontaire de la vérité, sur l'homme, sur l'histoire. Ce n'est pas tolérable pour une archéologue ! Ce qui me choque le plus ? Que l'on vende des hommes et des femmes. Le trafic. L'accord négocié inter-états, au détriment de vies humaines. Le cynisme absolu de cette affaire. les mensonges, la manipulation du droit, la création de la propagande pour abuser l'opinion publique, la diabolisation orchestrée contre un homme pour pouvoir le brûler, comme au moyen âge, l'innocence de Cesare Battisti, que personne n'arrive plus à entendre.

 

Il y a somme toute assez peu de violence dans vos livres, il y a des morts bien sûr !

 

Fred Vargas : Ce n'est pas que la violence ne m'intéresse pas, c'est que je la fuis carrément ! Je ne peux voir que des films interdits aux moins de dix ans, vulnérabilité excessive qui amuse beaucoup mon fils.

 

Marie-Hélène Pillon, L'archéologue se fâche : entretien avec Fred Vargas, novembre 2004

 

Incipit

 

Plus que vingt mètres, vingt petits mètres à parcourir avant d’atteindre la boîte aux lettres, c’était plus difficile que prévu. C’est ridicule, se dit-elle, il n’existe pas de petits mètres ou de grands mètres. Il y a des mètres et voilà tout. Il est curieux qu’aux portes de la mort, et depuis cette place éminente, on persiste à songer à de futiles âneries, alors qu’on suppose qu’on énoncera quelque formule d’importance, qui s’inscrira au fer rouge dans les annales de la sagesse de l’humanité. Formule qui sera colportée ensuite, de-ci de-là : « Savez-vous quelles furent les dernières paroles d’Alice Gauthier ? »

 

Adamsberg attrapa son téléphone, écarta une pile de dossiers et posa les pieds sur la table, s’inclinant dans son fauteuil. Il avait à peine fermé l’oeil cette nuit, une de ses sœurs ayant contracté une pneumonie, dieu sait comment.

La femme du 33 bis ? demanda t-il. Veines ouvertes dans la baignoire ? Pourquoi tu m’emmerdes avec ça à 9 heures du matin, Bourlin ? D’après les rapports internes il s’agit d’un suicide avéré. Tu as des doutes ?

Adamsberg aimait bien le commissaire Bourlin. Grand mangeur, grand fumeur, grand buveur, en éruption perpétuelle, vivant à plein régime en rasant les gouffres, dur comme pierre et bouclé comme un jeune agneau, c’était un résistant à respecter, qui serait encore à son poste à 100 ans.

Le juge Vermillon, le nouveau magistrat zélé, est sur moi comme une tique, dit Bourlin. Tu sais ce que ça fait les tiques ?

Très bien. Si tu te découvres un grain de beauté auquel il pousse des pattes, c’est une tique.

Et je fais quoi ?

Tu l’extrais en tournant avec un minuscule pied de biche. Tu ne m’appelles pas pour ça ?

Non, à cause du juge, qui n’est rien qu’une énorme tique.

Tu veux qu’on l’extraie à deux avec un énorme pied de biche ?

Il veut que je classe et je ne veux pas classer.

Ton motif ?

La suicidée, parfumée et cheveux propres du matin, n’a pas laissé de lettre.

Adamsberg laissa Bourlin lui dévider l’histoire, les yeux fermés.

Un signe incompréhensible ? Près de sa baignoire ? Et en quoi veux-tu que je t’aide ?

Toi, en rien. Je veux que tu m’envoies la tête de Danglard pour regarder ça. Il saura peut-être, je ne vois que lui. Au moins, j’aurai la conscience tranquille.

[...]

De quoi s’agit-il ? demanda Danglard en ajustant ses boutons de manchette. D’un hiéroglyphe, c’est cela ?

Du dernier dessin d’une suicidée. Un signe indéchiffrable.

Fred Vargas, Temps glaciaires – la recherche de la vérité enfouie

Danglard tira un carnet courbé de sa poche arrière et recopia le dessin : un H majuscule, mais dont la barre centrale était oblique. A quoi s’ajoutait, emmêlé dans cette barre, un trait concave.

Tant qu’à n’y rien comprendre, dit Adamsberg avec un geste léger de la main, on peut dire ce que l’on veut. A moi, cela m’évoque une guillotine.

 

Une guillotine dans un drame islandais ? Une dizaine de touristes perdus dans les brumes islandaises sur un îlot désert disparaissent les uns après les autres et se retrouvent réunis sur une liste des membres d'une Association d'étude des écrits de Maximilien Robespierre.

 

Ten little nigger boys went out to dine ;

One choked his little self, and then there were nine.

Nine little nigger boys sat up very late ;

One overslept himself, and then there were eight.

Eight little nigger boys traveling in Devon ;

One said he'd stay there, and then there were seven...

 

Les suicides se succèdent...

Le fond de l'air est frais. S'il y avait réellement un fond de l'air, comment appelait-on l'autre partie ?

 

Une progression en funambule au-dessus des méandres d'une intrigue au fil improbable.

Une galerie de portraits comme on en faisait la collection dans les châteaux d'antan.

Comment Fred va-t-elle se sortir de la toile qu'elle a elle-même tissée ?

 

Adamsberg est le pelleteux de nuages.

 

Le pelleteux de nuages voit des choses là où personne ne voit rien et ignore ce qui semble évident à tous…

[On croirait voir le Lou au coin de son bois]

 

Définitions.

 

pelleteux de nuages /pɛl.tød.ny.aʒ/ masculin (Québec) (Péjoratif) (pluriel à préciser)

Personne qui se préoccupe de questions théoriques et n’ayant aucun sens pratique.

[…] « vous les pelleteux de nuages, vous avez de bonnes critiques, mais que proposez-vous ? » – (Le Devoir, 29 mai 2006)

Synonymes : rêveur, idéaliste.

 

Un pur bonheur ! pour Yueyin.

 

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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 00:15
Olga Tokarczuk, Sur les ossements des morts – Un jour, nous serons tous des cadavres

Olga Tokarczuk, Sur les ossements des morts (Prowadź swój pług przez kości umarłych, Wydawnictwo Literackie, 2010), traduit du polonais par Margot Carlier, Les Editions Noir sur Blanc, 2012

Olga Tokarczuk, Sur les ossements des morts – Un jour, nous serons tous des cadavres

Olga Tokarczuk, photographie : Mariusz Kubik

Olga Tokarczuk a reçu le prix Niké (équivalent polonais du Goncourt) pour Les Pérégrins. Née en 1962, elle a étudié la psychologie à l’Université de Varsovie. Romancière la plus célèbre de sa génération, elle est l’auteur polonais contemporain le plus traduit dans le monde. Cinq de ses livres ont déjà été publiés en France : Dieu, le temps, les hommes et les anges ; Maison de jour, maison de nuit (Robert Laffont, 1998 et 2001), Récits ultimes (Noir sur Blanc, 2007), Les Pérégrins (Noir sur Blanc, 2010) et Sur les ossements des morts (Noir sur Blanc, 2012).

(source : éditeur)

 

Il y a un vieux remède contre les cauchemars qui hantent les nuits, c’est de les raconter à haute voix au-dessus de la cuvette des W.-C., puis de tirer la chasse.

Après le grand succès des Pérégrins, Olga Tokarczuk nous offre un roman superbe et engagé, où le règne animal laisse libre cours à sa colère. Voici l’histoire de Janina Doucheyko, une ingénieure en retraite qui enseigne l’anglais dans une petite école et s’occupe, hors saison, des résidences secondaires de son hameau. Elle se passionne pour l’astrologie et pour l’œuvre de William Blake, dont elle essaie d’appliquer les idées à la réalité contemporaine. Aussi, lorsqu’une série de meurtres étranges frappe son village et les environs, au cœur des Sudètes, y voit-elle le juste châtiment d’une population méchante et insatiable.

La police enquête. Règlement de comptes entre demi-mafieux ? Les victimes avaient toutes pour la chasse une passion dévorante. Quand Janina Doucheyko s’efforce d’exposer sa théorie – dans laquelle entrent la course des astres, les vieilles légendes et son amour inconditionnel de la nature –, tout le monde la prend pour une folle. Mais bientôt, les traces retrouvées sur les lieux des crimes laisseront penser que les meurtriers pourraient être… des animaux !

(source : éditeur)

 

1

Et maintenant, faites attention !

 

« Hier soumis, voué au péril de sa route,

L’homme juste allait d’un bon pas au long

De la vallée de la mort. »

(William Blake, Augures d'innocence)

 

Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit.

 

Matoga, un voisin de Janina, vient la réveiller : Grand Pied est mort. C'était un affreux.

Devant sa maison, à cinq cents mètres, les biches veillent, impassibles.

Ils ne sont que trois voisins à rester dans le hameau en hiver.

 

Nous venions juste de dépasser la vieille étable en ruine lorsque la lampe frontale de Matoga débusqua dans le noir deux paires d’yeux brillants, d’un vert pâle, fluorescent.

Regarde, les biches, murmurai-je, tout excitée, en saisissant la manche de son manteau. Elles sont venues si près de la maison. N’ont-elles pas peur ?

Les biches se tenaient dans la neige qui leur arrivait presque jusqu’au ventre. Elles nous observaient avec le plus grand calme, comme si nous les avions surprises au beau milieu d’un rituel dont le sens nous échappait totalement.

 

Des biches au regard alangui sur un fond de neige, on se souvient...

 

Frank Alamo, Ma Biche, 1963

 

Je regardais le pauvre cadavre recroquevillé de Grand Pied et j’avais du mal à croire qu’hier encore cet homme me faisait peur. Je ne l’aimais pas. Et c’est peu dire. Je le trouvais franchement répugnant, horrible. En vérité, je ne le considérais pas comme un être humain. A présent, petit, malingre, impuissant et inoffensif, il gisait sur le parquet taché, dans des sous-vêtements sales. Un simple fragment de matière que des transformations difficiles à concevoir avaient réduit à l’état d’objet fragile et séparé de tout. J’ai ressenti de la tristesse, une immense tristesse, car même un individu aussi immonde que lui ne méritait pas la mort. Qui la mérite, d’ailleurs ? Je connaîtrai moi aussi le même sort, tout comme Matoga, et les biches... Un jour, nous serons tous des cadavres.

 

Grand Pied était mon voisin. Nos maisons se trouvaient à quelque cinq cents mètres de distance, mais j’entretenais peu de contacts avec lui. Heureusement. Je le voyais de loin surtout, sa silhouette menue, anguleuse, un peu chancelante, se mouvait dans le paysage. En marchant, il se murmurait toujours quelque chose à lui-même, de sorte que l’acoustique venteuse du plateau portait parfois jusqu’à mes oreilles des bribes de son monologue, au fond très simple et peu varié. Son vocabulaire se composait essentiellement de jurons, auxquels il associait des noms propres.

 

L’été, il parcourait la forêt, une scie à la main, et coupait des arbres gorgés de suc. Quand je lui en avais gentiment fait la remarque, il avait eu bien du mal à maîtriser sa colère et m’avait lancé un simple et direct : « Va te faire voir, vieille peau ! » Enfin, c’était un peu plus vulgaire. Il arrondissait ses fins de mois en volant, chapardant, pillant la forêt ; dès qu’un vacancier laissait dehors une torche ou une cisaille, Grand Pied flairait aussitôt l’occasion et les subtilisait sans attendre, pour ensuite les revendre en ville. Selon moi, il aurait plus d’une fois mérité une punition, voire même la prison. J’ignore pourquoi il n’a jamais subi la conséquence de ses actes. Peut-être était-il sous la protection des anges [NDL : de la route, comme ils se nomment] ; il arrive parfois qu’ils s’engagent du mauvais côté.

Je savais également qu’il pratiquait toutes sortes de braconnages. Il considérait la forêt comme sa cour de ferme ; tout lui appartenait. C’était un pillard.

A cause de lui, j’ai souvent passé des nuits blanches. D’impuissance. J’avais plusieurs fois appelé la police ; quand enfin quelqu’un décrochait, il enregistrait gentiment ma plainte, mais l’affaire restait sans suite. Pendant ce temps, Grand Pied reprenait de plus belle ses tours dans la forêt, un chapelet de collets sur le bras, en maugréant. Telle une petite divinité malfaisante. Cruelle et imprévisible. Il était toujours légèrement éméché, ce qui devait sans doute exacerber sa mauvaise humeur. Tout en marmottant, il donnait des coups de bâton sur les troncs d’arbres, comme s’il voulait les chasser de son chemin. On aurait dit qu’il était né en état d’ébriété. Que de fois ai-je refait son itinéraire, ramassant ses pièges, de grossiers collets de fil de fer reliés à de jeunes arbres recourbés en flexion, de sorte que l’animal pris soit d’abord projeté en l’air, comme par un lance-pierres, avant de pendre au bout d’une corde. Parfois, je trouvais des animaux morts – lièvres, blaireaux, chevreuils.

 

[NDL : toute ressemblance avec le vécu de Lou ne serait... selon la formule...]

 

La toilette du mort.

 

Après avoir prudemment défait les bandelettes immondes, j’ai pu voir ses pieds. Quel étonnement ! J’ai toujours pensé que la partie la plus intime et la plus personnelle de notre corps était les pieds, et non les parties génitales, le cœur, ou même le cerveau, organes, somme toute, sans grande importance et que l’on surestime à tort. C’est dans les pieds que se concentre tout le savoir sur l’homme ; c’est vers les pieds que converge l’essentiel de ce que nous sommes et que s’établit notre rapport à la terre. Le contact avec la terre, son point de jonction avec notre corps, renferme tout le mystère : bien que nous soyons constitués de particules de la matière, nous n’en faisons pas partie, nous en sommes séparés. Les pieds sont notre prise de connexion.

 

Nous étions pétrifiés de frayeur.

Eh bien ! constata Matoga d’une voix chevrotante, il s’est étranglé. Il s’est étranglé avec un os. L’os lui est resté en travers de la gorge, il s’est coincé dans sa gorge, répétait-il nerveusement.

 

Il était devenu un vrai cadavre, sans l’ombre d’un doute. Seul son pouce droit, refusant d’adopter la position usuelle des mains gentiment croisées sur la poitrine, pointait vers le haut, comme s’il essayait de capter notre attention, d’interrompre un instant nos efforts empressés et nerveux. « Et maintenant, faites attention ! disait ce pouce. Faites bien attention, car vous voilà face à quelque chose que vous ne pouvez voir, le point de départ d’un processus qui vous est inaccessible et qui pourtant mérite réflexion. Car il nous a tous réunis en ce lieu et en cet instant, dans cette petite maison du plateau, en pleine nuit, au milieu de la neige. Moi, un cadavre, et vous, des êtres humains vieillissants et d’une

importance relative. Mais ce n’est qu’un début. C’est maintenant seulement que tout va commencer. »

 

Soudain, sur un plateau en fer-blanc posé sur le rebord de la fenêtre, j’ai aperçu quelque chose que mon cerveau a mis un bon moment à reconnaître, tant il s’y refusait : une tête de biche tranchée net. Avec les quatre pattes placées à côté. Ses yeux mi-clos avaient dû suivre depuis le début tous nos faits et gestes.

Eh oui, c’était bien l’une de ces Demoiselles affamées qui, durant l’hiver, se laissaient facilement appâter par des pommes gelées et qui, une fois prises au piège, mouraient dans des souffrances atroces, étranglées par un fil de fer.

Lorsque j’ai fini par réaliser ce qui s’était passé ici, je fus saisie de terreur. Il a donc pris la biche dans ses collets, l’a tuée et a découpé son cadavre, puis il l’a fait cuire et l’a mangée. Un être vivant en a mangé un autre, dans la nuit, dans le calme et le silence. Personne n’a protesté, la foudre n’est pas tombée. Et pourtant le châtiment a frappé le démon, même si sa mort n’était pas l’œuvre d’un homme.

 

2

L’autisme testostéronien

 

« Un chien qui meurt de faim sur le seuil de son maître

Prédit la ruine de l’État. »

(William Blake, Le mariage du ciel et de l'enfer)

 

Matoga offre à Janina un thé bien chaud, elle l'accompagne chez lui.

Tout ici était clair, propre et chaleureux. Quelle chance que d’avoir une cuisine propre et accueillante. Personnellement, cela ne m’était jamais arrivé. Je ne savais pas maintenir de l’ordre autour de moi. Et j’ai fini par m’y résigner. Tant pis.

L'année dernière, avant Noël, Janina était allée au commissariat déposer une plainte contre Grand Pied, dangereux pour ses semblables et pour les animaux. Un braconnier.

Il constitue un véritable danger pour un grand nombre d’êtres humains et d’animaux, dis-je en conclusion de ma plainte contre Grand Pied, au cours de laquelle j’avais pu détailler mes observations et mes soupçons.

[...]

Cet homme enferme sa chienne dans sa resserre durant des jours entiers. Elle hurle et elle a froid, car la resserre n’est pas chauffée. Est-ce que la police pourrait s’occuper de son cas, lui retirer l’animal et le sanctionner de façon exemplaire ?

Le Commandant l'avait reçue avec la morgue que justifiait son crétinisme et l'insolence que son uniforme autorisait.

 

Quelques jours auparavant, je m’étais rendue chez Grand Pied avec une requête ; il ne m’avait même pas fait entrer, il m’avait juste dit que je n’avais pas à me mêler des affaires des autres. Ce tortionnaire avait encore laissé sa chienne dehors pendant plusieurs heures pour l’enfermer ensuite dans le noir de son cachot où elle avait hurlé durant toute

la nuit.

 

[NDL : toute ressemblance avec le vécu de Lou ne serait... selon la formule...]

 

Parfois, j’ai l’impression que nous vivons dans un tombeau, grand et spacieux, bâti pour pouvoir accueillir un grand nombre de personnes. La prison ne se trouve pas à l’extérieur, elle est à l’intérieur de chacun d’entre nous. Peut-être que nous ne pouvons plus vivre sans.

 

3

Lumière éternelle

 

« Tout ce qui est né mortel

Doit être consumé en terre. »

 

Quand je suis revenue à la maison, il faisait déjà jour. Je devais être un peu étourdie car, de nouveau, j’avais l’impression d’entendre le trépignement des pas de mes Petites Filles sur le dallage de l’entrée, de voir leur regard hésitant, leur front plissé, leur sourire. Tout mon corps se préparait déjà au rituel de bienvenue, aux élans de tendresse.

 

Le soir, je regarde Vénus en observant avec attention les métamorphoses de cette belle Demoiselle. Je la préfère en astre vespéral, quand elle semble surgir de nulle part, comme par magie, avant de suivre le soleil dans sa trajectoire déclinante. L’étincelle de la Lumière éternelle. C’est à la tombée du jour que se produisent les choses les plus intéressantes, car alors les différences s’estompent. Je pourrais très bien vivre dans un crépuscule sans fin.

 

Every Night and every Morn

Some to Misery are Born.

Every Morn and every Night

Some are Born to Sweet Delight,

Some are Born to Endless Night.

(William Blake, Auguries of Innocence)

 

Les animaux se vengent des hommes. Les animaux ? Vous connaissez Le Meurtre de Roger Ackroyd... On vous en a déjà trop dit.

 

Remarquablement tortueux, piégeux, intelligent.

(Pendant ce temps, l'autre dit : « Pas de complot, pas de complot ! »)

 

Surprenant, pour Yueyin.

 

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 00:15
Philippe Pratx, Le Soir, Lilith – apparences mensongères, désespérément

Philippe Pratx, Le Soir, Lilith, L'Harmattan, 2014

Philippe Pratx, Le Soir, Lilith – apparences mensongères, désespérément

Écrivain (Lettres de Shandili, nouvelles, Éditions Thot, 2007), poète (Devîsadageï), chroniqueur (La Nouvelle Revue de l’Inde), fondateur du site Indes réunionnaises, Philippe Pratx est en ce moment professeur de Lettres en Colombie, après un périple de Kinshasa à la Guyane, en passant par La Réunion, Abidjan, Libreville ou encore... la Normandie et l’Ariège. Le Soir, Lilith est son premier roman.

 

Automne 1964. Lilith Hevesi, star hollywoodienne sous le nom d'Eve Whiteland, est morte depuis quarante ans. La Cinémathèque de T. s'apprête à lui rendre hommage tandis que le narrateur, écrivain français, a entrepris une biographie de celle qui fut alors une amie intime, et beaucoup plus. Une journaliste, Solange Marty, rencontre le narrateur : elle prépare elle aussi un article biographique sur Lilith et souhaiterait en apprendre davantage.

Le narrateur, plongé dans son lointain passé, exhume lettres et morceaux de mémoire, parcourt ce qui reste de la filmographie de Lilith. Chemin faisant, et au fil de ses entretiens avec Solange Marty, il fera ressurgir anecdotes du Hollywood des Années Folles ou souvenirs singuliers de l'époque où, près de Lilith, et peu avant sa disparition, il vécut des heures effroyables et sublimes dans ce château hongrois, non loin des lieux hantés jadis par l'Ogresse des Carpates, la comtesse sanguinaire...

Mais Solange Marty, dont le comportement s'avère étrange, est-elle bien la journaliste qu'elle prétend ? Quel liens entretient-elle vraiment avec André Santerre, son psychanalyste ? André Santerre... Qui est-il d'ailleurs vraiment lui-même ? Quels sont les liens mystérieux et complexes qui le rattachent à Lilith ?

Le narrateur n'est pas au bout de ses surprises, mais il poursuit son exaltant travail de biographe en même temps que sa réflexion sur l'Art Véritable, qu'à ses yeux Lilith, génie du cinéma muet, a incarné jadis... Il poursuit donc sa tâche, à peine troublé par les coïncidences qui l'assaillent, dont celle-ci n'est pas la moins stupéfiante : Solange Marty est née le 23 novembre 1924, le jour même de la mort de Lilith Hevesi ! Une circonstance qui ne peut laisser indifférent celui qui a notamment écrit un essai intitulé Métempsycose et poésie symboliste.

Le lecteur est entraîné dans un labyrinthe basculant incessamment du présent au passé, d'un passé à un autre, se faufilant entre bribes de vie, bribes de films et mondes occultes... un labyrinthe où il fera d'étonnantes rencontres et dont nul ne sait comment il sortira.

Synopsis

 

Incipit

 

1

Où le narrateur, qui a entrepris une biographie de Lilith Hevesi – la star déchue Eve Whiteland ! – reçoit à la fin de l’été 1964 la visite d’une journaliste polie et déterminée, tandis qu’il fouille d’une main fébrile dans ses archives des années 20

 

(1964. Brouillons d’une biographie de Lilith Hevesi). C’est le soir. Quelques mots, sur le soir… Toute la journée j’ai lancé autour de moi, vers les différentes strates, les différents cercles du passé, de petite écrevisses cueillies à l’aube sous les rochers du ruisseau, en les faisant tourbillonner à bout de bras à des vitesses inouïes dans des frondes végétales, souples et résistantes. Au milieu de la clairière. J’y ai passé des heures, jusqu’à ce que mes bras endoloris se refusent à tout effort supplémentaires. Les premiers aboiements des chevreuils dans la forêt m’ont fait sursauter.

 

La première page se lit comme un rêve éveillé.

 

Quarante ans après la mort de Lilith, en 1924, le narrateur, maintenant écrivain, entreprend une biographie de son grand amour d'antan.

 

En juin 1923, Eve Whiteland, une étoile du cinématographe muet, quitte Hollywood et ses illusions fumeuses et stupéfiantes pour revenir à Budapest, chez elle.

Lilith est la première femme, avant Eve.

 

Biographie de Lilith Hevesi

 

- 15 avril 1896 : naissance de Lilith à Èrd, près de Budapest, fille de József, cordonnier, et Anna, couturière.

[…]

- 23 novembre 1924 : Au matin, Lilith est retrouvée morte dans son lit.

 

Novembre 1923

 

Le professeur Hàrs s'est installé au Château. Dans son appartement, à la place d'honneur, son microscope.

Lilith se penche et sonde, l'âme étonnée, l'étrangeté de la goutte de sperme immobile sous la lentille. Toute la nuit Lilith rêve de créatures merveilleuses qu'elle précipite dans un puits profond, peuplé de serpents, de basilics et de vouivres.

Philippe Pratx, Le Soir, Lilith – apparences mensongères, désespérément

(1964. Brouillons d’une biographie de Lilith Hevesi. A Csejthe, mai ou juin 1924). Aux orties, le professeur Hàrs ! Après plusieurs mois d’orgies mystico-scientifiques, notre jolie petite Lilith a fini par avoir assez du vieux beau à la mallette de cuir. Dehors ! Elle l’a proprement renvoyé à ses études, et à son laboratoire de recherches (comprendre : l’appartement miteux où il prétend entre deux lamelles de verre débusquer au milieu des crapauds – énormes ! – les germes parfaits de l’humanité future… un deux pièces au dernier étage, j’y suis passé par curiosité tandis qu’il brisait les cœurs au Château).

Pour se distraire, Lilith qui traverse une de ses périodes de mélancolie a décidé un voyage, une sorte de pèlerinage si l’on veut, vers les lieux inspirés où vécut Erzsébet Báthory. Celle-là même sur laquelle elle a lu tant de pages sanglantes, entendu tant de choses terribles, et qui l’a habitée le temps d’un film, le temps d’un tournage. Plus longtemps sans doute. Elle a donc pris ses malles de frivolités, ses soieries, ses fards et ses fragrances. Sans oublier son pain de terre molle, cette sorte de mastic immonde que les médecins lui donnent à mordre pendant ses crises. Lilith l’aime comme un ami. Et elle le hait. Elle en joue et s’en moque, le nargue du coin de l’œil et lui fait les yeux doux. Elle a l’intention de rester là-bas plusieurs jours. Le temps qu’il faudra. Qu’il faudra pour quoi ? Nous la suivons comme les laquais d’une cour d’amour dont amants éplorés et chastes donzelles se seraient égayés dans le vent, laissant vides le couloir des soupirs qui mène à la chambre de la reine.

 

Quelle illusion veux-tu couler dans le moule de ta vie ?

 

(Du narrateur à Lilith. Juillet 1924). « Si la vie n'est qu'un songe, alors je suis seul. Parfois tout concourt à me laisser croire que ce monde est faux et que tout en ce monde n'est qu'apparences mensongères, désespérément. »

 

Quand on se plonge dans les films d'Eve Whiteland, on a l'impression d'être le spectateur d'un rêve, d'un cauchemar, d'une scène fantastique.

La vie rêvée de Lilith par le narrateur, la douceur onirique de son sommeil d'enfant, la folie née du spectacle ou des brumes opiacées, toute cette mise en scène, en mots, en images a l'air d'une reconstitution d'un puzzle qui, une fois achevé sans qu'aucune pièce n'y manque, ne représenterait rien.

Le narrateur s'est-il perdu dans le dédale des lieux et des moments passés ? N'est-il qu'un personnage dans une fantasmagorie dont le créateur reste caché ? Peut-être est-il le seul être conscient de sa mémoire dans le labyrinthe du Château où s'indéfinissent d'interminables couloirs sous les ors et les stucs, sans issue, désespérément ?

Xanadu... Marienbad... Lilith est une énigme.

 

Fragments d'enquêtes, de confessions, de lettres, d'entretiens, de souvenirs, Lilith est une œuvre complexe où le lecteur est invité à filer son fil d'Ariane en suivant une écriture en grâce.

 

Le soir est presque là maintenant. Ou peut-être la nuit. Cela ne me fait plus repenser à rien. Et cette main au fond de moi ne lâchera plus jamais prise. Si ce n'est qu'il y a ce liquide, de l'être et du temps, qui s'échappe entre les doigts.

 

Lilith, une calligraphie.

 

Épigraphe

 

Mon âme n'est pas assez vide,

il y reste quelque chose de moi

Pierre Jean Jouve

 

Lilith... Paulina...

 

Philippe Pratx, Le Soir, Lilith

 

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17 avril 2015 5 17 /04 /avril /2015 00:15
Steve Tesich, Price – tout homme est une île

Steve Tesich, Price (Summer Crossing, 1982), traduit de l'anglais (États-Unis) par Jeanine Hérisson, Monsieur Toussaint Louverture, 2014 – illustration de couverture : Thibault Balahy

La couverture est du Loop Uncoated Antique Vellum de 290 grammes imprimé en offset, puis cogné typographiquement pour lui apprendre un peu la vie. Le papier intérieur est de l'Ambegraphic de 80 grammes.

(source : éditeur)

Steve Tesich, Price – tout homme est une île

Steve Tesich (Stojan Tešić), né le 29 septembre 1942 à Užice en Yougoslavie (dans l’actuelle Serbie), était scénariste, dramaturge et romancier.

 

Épigraphe

 

« L’homme a des endroits de son pauvre cœur qui n’existent pas encore mais où la douleur entre afin qu’ils soient. »

Léon Bloy

 

Quelques phrases tirées du roman et gravées sur le dos du livre

 

« Des choses mortes, de vieux rêves brisés, nous en avons tous, nos têtes en sont pleines, la mienne en tous cas, elle en est pleine. A une époque pourtant, c’était une cage à oiseaux, propre et nette. Il y avait un rossignol à l’intérieur, et il chantait d’une voix pure et fraîche... la chanson de ma vie. »

 

Incipit

 

Il s'appelait Presley Bivens. Il était d'Anderson, dans l'Indiana. Soixante-quinze kilos, tout sourire. Il était déjà venu ici à deux reprises, avait gagné à chaque fois et était là pour tenter de remettre ça. Il ne ressemblait en rien à l'image que je m'étais faite de lui – celle d'une légende vivante.

Price est plaqué par son adversaire à quelques secondes de la fin du match.

French, son entraîneur, est déçu. Dans sa vieille Mercury, sur le chemin du retour, les Drifters chantent à la radio.

Steve Tesich, Price – tout homme est une île

 

Doc Pomus, Mort Shuman, This Magic Moment, int. Ben E. King & The Drifters, Atlantic Records, 1960

(source : https://www.youtube.com/watch?v=Ul041CSNJto)

 

This magic moment, so different and so new

Was like any other until I kissed you

And then it happened, it took me by surprise

I knew that you felt it too, by the look in your eyes

 

Sweeter than wine

Softer than the summer night

Everything I want, I have

Whenever I hold you tight

 

This magic moment while your lips are close to mine

Will last forever, forever till the end of time

 

Oh-oh-oh-oh-oh

Oh-oh-oh-oh-oh-oh

Mm-mm-mm-mm-mm

 

Sweeter than wine

Softer than the summer night

Everything I want, I have

Whenever I hold you tight

 

This magic moment while your lips are close to mine

Will last forever, forever till the end of time

 

Whoa-oh-oh-oh-oh

Magic moment

Magic moment

Magic moment

 

Les choses reprennent leur cours. Price reprend ses cours au lycée, avec ses copains, Billy Freund (qu'on appelait Freud) et Larry Misiora (dit Le Teigneux).

Un soir, de chez lui, près du Kosciuszko Park, un quartier plein d'usines (on l'appelle La Région), il s'en va jusqu'à Aberdeen Lane, East Chicago, à quelques rues de là. Devant une maison, il aperçoit une fille d'une grande beauté, une princesse aux boucles d'oreilles ornées de turquoises. Un homme aux cheveux gris la rejoint et l'appelle : Rachel.

A la maison, Price retrouve sa mère : elle lit dans le marc de café ; elle veut connaître le nom de la petite amie de son fils ; il n'a pas de petite amie, il répond : Rachel.

 

Geddes, le professeur de littérature, perd la boule en classe. Il délire : « … la flamme bleue... »

 

« J'ai été brûlé par la flamme bleue. [...] Mon Dieu, c'est une cravate bleue ! Bleu marine ! […] Grrr... complets bleus. Bas bleus. Savez-vous... grrr... ce qu'est un bas-bleu ? […] Blazers ! De la flamme bleue, nous passons à... grrr... blazers bleus. […] Billy a acheté un blazer bleu. »

Derrière moi, Billy Freund déglutit.

 

Tout avait commencé par une discussion sur les métaphores – dont on trouvait des exemples dans la chanson populaire. Blue Moon...

Steve Tesich, Price – tout homme est une île

 

Richard Rodgers, Lorenz Hart, Blue Moon, int. Connee Boswell, Brunswick Records, 1935

(source : https://www.youtube.com/watch?v=aZCi2WQ6rNg)

 

Blue moon

You saw me standing alone

Without a dream in my heart

Without a love of my own

 

Blue moon

You knew just what I was there for

You heard me saying a prayer for

Someone I really could care for

 

And then there suddenly appeared before me

The only one my arms will ever hold

I heard somebody whisper : « Please adore me »

And when I looked the moon had turned to gold

 

Blue moon

Now I'm no longer alone

Without a dream in my heart

Without a love of my own

 

« Avez-vous entendu parler de la période bleue de Picasso ? Avez-vous entendu parler de L'enfant bleu, de Gainsborough ? […] Et L'Hôtel bleu, de Stephen Crane ? Et Blue Juniata, de Malcolm Cowley ? Et le Voyage bleu, de Conrad Aiken ? […] Ou bien ne connaissez-vous que Blue Moon ? »

Fin du cours... Une ambulance, sirène gémissante, vient se ranger derrière le bâtiment. On cause dans les couloirs...

« Bande de vaches débiles, marmonnai-je.

Moi, j'aime bien les vaches, déclara Freud avec un sourire. Surtout les laitières. […] Elles marchent comme des candidates à l'élection présidentielle, l'air important, avec leurs grosses mamelles qui ballottent, on dirait des cloches. »

 

Dans la famille Price, le père est devenu solitaire et distant quelques années auparavant. Il travaille dur à l'usine alors qu'il est malade, toujours fiévreux et, à la maison, toujours plongé dans les mots croisés du Sun Times.

 

Price revient à Aberdeen Lane. Rachel est dans le jardin, elle l'aperçoit et l'appelle, elle lui demande son nom. Daniel Boone Price – Daniel Boone, comme le pionnier qui traça la route vers l'Ouest.

 

Peut-être était-ce le destin. […] Notre rencontre.

 

Rachel Temerson vit avec son père – l'homme aux cheveux gris –, David, photographe.

 

Pour Price, destin est un mot nouveau. Avoir un destin, c'était comme avoir une identité secrète. […] Non seulement j'avais un destin, mais en plus je connaissais son nom, son adresse ; il habitait Aberdeen Lane et se prénommait Rachel.

 

Price rencontre son destin tous les soirs.

Un soir, le père est seul, un peu ivre. A la radio, les Ames Brothers chantent Blue Moon. Rachel est allée se promener.

Price la retrouve au Kosciuszko Park.

« Rachel, dis-je.

Ah, voilà...

Je t'aime. »

[…]

« Et maintenant ? » demandai-je.

Elle sourit.

[…]

« Notre histoire a commencé. »

 

Au petit matin, les hommes de nuit sortent de la Sunrise Oil.

Pauvres gars. Regardez-moi ça. Ils rentrent chez eux en traînant la patte, leurs misérables affaires à la main, courbés, épuisés, mornes.

 

Mademoiselle Mashar, la remplaçante du professeur Geddes, demande à ses élèves d'écrire un poème et de le réciter devant la classe.

Misiora dit :

Je mettrais ma main au feu,

Oui, je mettrais ma main au feu

Que tout homme est une île.

 

Le soir, en rejoignant Rachel, Price s'attribue le poème.

 

Le père de Price est hospitalisé, c'est le cancer.

Le docteur Hurst : Malheureusement, le cancer n'est pas rare, dans la région. La forte concentration d'industries est peut-être formidable pour l'emploi, mais il semblerait qu'elle provoque aussi une épidémie de cancers – de toutes sortes. […] C'est un cancer de la moelle épinière. Plusieurs traitements sont envisageables. Aucun ne garantit la guérison et, malheureusement, aucun ne peut être dispensé dans cet hôpital. En d'autres mots, nous disposons de magnifiques installations industrielles pour provoquer le cancer, mais d'aucune pour le traiter.

 

Rachel et Price, l'amour. Oui, Rachel et moi, nous sommes amants.

L'amour peut être un poison, déclara-t-elle en hochant la tête, un sourire aux lèvres. Et ça peut aussi être un antidote. Un jour viendra où tu ne feras plus la différence entre les deux.

 

La fameuse chanson de Jiminy Cricket surgit dans ma tête et je la fredonnai tout en attendant Rachel.

On dit que la curiosité

est un vilain défaut,

c'est peut-être la vérité,

mais laissez-moi vous conseiller :

en matière de curiosité,

prenez donc l'encyclopédie.

L'en-cy-clo-pé-die !

 

Mentir était devenu un réflexe.

 

Price avait emprunté un poème à son copain Misiora. A la bibliothèque, il emprunte des livres sous une identité empruntée. Il écrit un journal de Rachel, un autre de Lavonne Dewey (une amie qui accueillait les trois copains), puis le sien.

Il est devenu James Donovan.

 

29 septembre. Aujourd’hui, j’ai quitté l’endroit où j’ai grandi, convaincu que le destin n’est qu’un mirage. Pour autant que je sache, il n’y a que la vie, et je me réjouis à l’idée de la vivre.

Ainsi commençait le journal de James Donovan.

Et je m’en allai par le monde.

 

Au seuil de la mort, je ne penserai pas au yacht que j’aurais pu m’acheter : je penserai aux régions inexplorées, aux amours que je n’ai jamais avouées, à toutes les émotions et idées que j’ai encore en moi et qui disparaîtront quand on me mettra six pieds sous terre. Vous n’avez qu’une chance pour cette chose qu’on appelle la vie.

Steve Tesich, mai 1996

(Steve Tesich est mort d'une crise cardiaque le 1er juillet 1996)

 

Histoire orageuse, parcourue d’égarements, de trahisons et de colère, Price raconte l’odyssée intime d’un garçon projeté brutalement dans la vie adulte, où vérité et mensonge, raison et folie finissent par se confondre.

(source : éditeur)

 

Vérité et mensonge, raison et folie, une fois encore... Apparence et réalité, semblant et faux-semblant, trahisons... Un thème récurrent depuis des mois.

Lou orchestre les variations en choisissant ses lectures, peut-être. A-t-il choisi l'histoire de Price ou bien est-ce le destin ?

Bleu, cravate bleue, bleu marine, élections et vaches à lait, Blue Moon... Où est le hasard ? Un père solitaire et distant, plongé dans ses mots croisés et qui prend la fièvre à la moindre occasion...

 

Où est Rachel ? Rosebud.

 

Grande histoire, roman initiatique – les commentaires de Lou ne seront entendus que par un lecteur muet dont la honte assure l'anonymat...

 

Autre histoire, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre :

Karoo est un roman fascinant, nous dit Des pas perdus.

 

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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 00:15
Tuomas Kyrö, Les tribulations d'un lapin en Laponie – moins on parle...

Tuomas Kyrö, Les tribulations d'un lapin en Laponie (Kerjäläinen ja jänis, Helsinki, Siltala, 2011), traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Denoël – Gallimard Folio, 2013

Tuomas Kyrö, Les tribulations d'un lapin en Laponie – moins on parle...

Tuomas Kyrö à la foire du livre de Turku en 2011, photographie : Soppakanuuna

 

Né le 4 juin1974, Tuomas Kyrô est journaliste, écrivain, dramaturge et dessinateur.

Les Tribulations d'un lapin en Laponie (Kerjäläinen ja jänis) est son premier roman traduit en français.

Il vit actuellement avec sa famille à Janakkala.

 

Chapitre premier

où l'on découvre comment Vatanescu part travailler à l'étranger, dit adieu à sa sœur et fait un barbecue

 

Il y aurait bien sûr eu d'autres possibilités, notre héros aurait pu voler des voitures, récupérer le cuivre des câbles téléphoniques ou vendre un de ses reins. Mais de toutes les mauvaises solutions, celle que lui offrait Iegor Kugar était la meilleure. Elle lui assurait un contrat de travail d'un an, le transport jusqu'au théâtre des opérations et un emploi pour sa sœur, avec en prime de nouvelles dents et des implants mammaires.

Vatanescu laissa un mot à son ex-femme, promettant de lui envoyer l'argent de sa pension alimentaire dès qu'il aurait constitué un petit pécule. Après leur divorce, ses relations avec la mère de son fils Miklos s'étaient quelque peu envenimées. Au point que le pus giclait, malgré leur bonne volonté réciproque. Mais quand l'amour s'éclipse, le vide est vite comblé par la jalousie, la rancoeur, la vengeance, les jérémiades et l'entêtement.

Vatanescu s'assit sur le bord du lit où dormait sa mère, avec Miklos au creux de son bras. Sans le réveiller, il lui ôta sa chaussette droite et, à l'aide d'une craie de couleur, traça soigneusement sur une feuille de papier le contour de sa plante de pied.

Tu auras tes chaussures de football.

Papa va t'en acheter.

 

Le lapin est clairement un hommage au Lièvre de Vatanen (Jäniksen vuosi, 1975) de l'écrivain finlandais Arto Paasilinna.

Tout aussi clairement, on y lit un nouveau Candide.

 

Moins on parle, moins on dit de bêtises.

 

Le travail de Vatanescu, emporté en Finlande ? Mendiant professionnel. Une bonne conscience pour le bourgeois charitable, soixante-quinze pour cent pour Iegor, vingt-cinq pour l'employé.

A la fin de sa première journée, Vatanescu a gagné cinq euros quatre-vingts et une couchette dans son logement de fonction, la caravane numéro trois – qu'il partage avec Balthazar, vieillard manchot et unijambiste, compagnon de chambrée et d'infortune.

Vatanescu fait ses provisions dans une benne à ordures : un kilo et demi de collier de porc, jeté à la poubelle parce que la date du jour est celle indiquée sur l'emballage.

Barbecue, fête du cochon généreusement arrosée, Balthazar est à l'accordéon.

 

Lucie Galibois à l'accordéon et François Grimaud au violon

 

Vatanescu recueille un lapin poursuivi par une meute hurlante de chasseurs.

Je dois te sauver. Pour me sauver moi-même.

 

De mort en mort, Vatanescu ressuscitera-t-il comme Finnegan ?

Le lapin devenu comme une peluche reprendra-t-il sa liberté en changeant de mains ?

 

Truculent, facile mais truculent.

 

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13 avril 2015 1 13 /04 /avril /2015 00:15
Mozart, Kristian Bezuidenhout – Lison dormait...

Mozart, Keyboard Music, vol. 7, Kristian Bezuidenhout (fortepiano), Harmonia Mundi, 2015

 

9 Variations on 'Lison dormait' in C Major, K. 264 (1778)

Sonata in A Major, K. 310 (1778)

6 Variations on 'Mio caro Adone' in G Major, K. 180 (1773)

Sonata in D Major, K. 284 (1774)

 

9 Variations on 'Lison dormait' in C Major, K. 264 (1778) – premières variations

Mozart, Kristian Bezuidenhout – Lison dormait...

Lison dormait dans un bocage

Un bras par ci, un bras par là.

Son lit était un vert feuillage,

Ah que l'on dort bien comme cela.

Son amant est là qui la guette.

Voyons, dit-il, réveillons-la.

Il lui tira sa collerette

Réveillons-la, réveillons-la.

La belle toujours sommeilla.

 

A l'automne 1778, Mozart compose Neuf Variations sur "Lison dormait", K. 264. Le thème est extrait de l'opéra-comique Julie, de Nicolas Dezède, représenté à Paris cette année-là. L'œuvre de Mozart montre une grande maîtrise du pianoforte de Stein, d'invention récente : l'espacement des voix et le registre des longues successions de retards dans la main gauche (variation 1) ; le dialogue de registres aigus contrastés (variation 3) ; de longs trilles (variation 4)...

(d'après le livret de l'album)

 

Endiablé, enjoué, en romance, Kristian Bezuidenhout est un magicien.

 

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9 avril 2015 4 09 /04 /avril /2015 00:15
Russell Banks, Un membre permanent de la famille – des chiens et des chats

Russell Banks, Un membre permanent de la famille (A Permanent Member of the Family, HarperCollins Publishers, 2013), nouvelles traduites de l'américain par Pierre Furlan, Actes Sud, 2015 

Russell Banks, Un membre permanent de la famille – des chiens et des chats

Russell Banks, © Nancie Battaglia

Né en 1940, Russell Banks, sans conteste l’un des écrivains majeurs de sa génération, est président du Parlement international des Écrivains et membre de la prestigieuse American Academy of Arts and Letters. Son œuvre, traduite dans une vingtaine de langues et publiée en France par Actes Sud, a obtenu de nombreuses distinctions internationales. Il vit dans l’État de New York.

Récemment chez Actes Sud : Lointain souvenir de la peau (2012).

Source : Actes Sud.

 

Un mari humilié qui rôde dans la maison de son ex-femme, un serveur déprimé qui invente à une inconnue une vie qui n’est pas la sienne pour la sauver d’un hypothétique désespoir, des hommes et des femmes qui, pour transcender leur existence ordinaire, mentent ou affabulent à l’envi, sous le soleil de Miami ou sous des cieux plus sombres... Dans ces douze nouvelles d’une extraordinaire intensité et peuplées de personnages cheminant sur le fil du rasoir, Russell Banks, convoquant les angoisses et les tensions où s’abîment les fragiles relations que l’être humain tente d’entretenir avec ses semblables, transmue magistralement le réel et le quotidien en authentiques paraboles métaphysiques.

4e de couverture

 

Incipit

 

Ancien Marine

 

Après être resté éveillé une heure dans son lit, Connie finit par repousser les couvertures et se lever. Il fait encore nuit. Pieds nus, il frissonne dans son boxer et son tee-shirt. Il ressent une légère gueule de bois – une bière de trop la veille, au 20 Main. D’un geste sec il allume la lampe de chevet puis il remonte le thermostat de treize à dix-huit degrés. La chaudière pousse un soupir rageur, la soufflerie démarre et une odeur de pétrole se répand dans tout le mobile home. Connie tapote son sonotone pour bien le placer sans son oreille et jette un coup d’œil par la fenêtre de sa chambre. La neige tombe sur le gazon, sous le pâle faisceau d’un réverbère. C’est la deuxième semaine d’avril, il devrait pleuvoir, mais Connie est content de voir qu’il neige. Il sort du tiroir de la table de chevet son pistolet de service, un Colt de calibre 11,43, vérifie qu’il est bien chargé et le pose sur la commode.

 

Connie est, pour lui seulement, le Retraité. Il a été viré par le commissaire-priseur qui l'employait. C'est la faute de l'économie. Et la faute de ces mecs, quels qu'ils soient, censés s'en occuper.

Pour vivre, il y a les banques. Une cagoule, un flingue, un sac de sport : des milliers de dollars. Et de la neige sur la route. Le pick-up glisse, on se retrouve à l'hôpital avec une clavicule en trois morceaux et trois fils bien élevés après que leur mère les a abandonnés : deux policiers et un gardien de prison, fidèles à leur père et à leur devoir.

Ils se donnent le temps de réfléchir en quittant la chambre.

Le pistolet est resté avec les billets, il est chargé, le sac a été rapporté dans la chambre, on entend un coup de feu.

 

Un membre permanent de la famille

 

Je ne suis pas sûr d'avoir envie de raconter cette histoire qui parle de moi – en tout cas pas maintenant, environ trente-cinq ans après les faits.

L'histoire de mon ex-femme, d'un chat et d'une chienne, Sarge, un membre permanent de la famille.

 

Fête de Noël

 

Sheila, l'ex-femme d'Harold Bilodeau, s'était remariée, mais pas Harold.

Ils avaient divorcé à l'amiable, comme on dit. Sheila avait une liaison avec Bud Lincoln, un ami de la famille et leur voisin.

Harold vivait seul avec leurs trois chiens et deux chats.

Sheila et Bud ont fait construire une maison de rêve, adopté un petit Éthiopien, transformant ainsi un banal adultère en une belle histoire de grand amour.

Ils invitent Harold, parmi bien d'autres, à leur grande soirée de Noël où chacun apportera sa décoration au sapin.

Harold reprend une bière au bar de la fête, la fille tatouée qui le sert lui souhaite un joyeux Noël.

« A vous aussi, répond-il. Dites-moi votre prénom. »

 

Blue

 

Depuis près de trois ans Ventana a mis de côté cent dollars par mois. Aujourd'hui, elle a retiré trois mille cinq cents dollars en billets à la coopérative de crédit. Elle a quarante-sept ans, elle vit seule depuis son divorce, ses deux enfants sont loin.

Aujourd'hui, elle achète une voiture chez Sunshine Cars USA, une belle occasion, ils en ont dans ses prix.

Elle repartira dans sa voiture après avoir payé en billets – pour un chèque, on ne ferait pas confiance à une Noire.

On lui dit de regarder les voitures des dernières rangées au fond du parc.

Sunshine ferme à dix-huit heures. On oublie Ventana, on lâche le pitbull, Ventana est enfermée.

Elle échappe à la bête furieuse en se réfugiant sur le toit d'une voiture, puis en sautant de voiture en voiture elle se rapproche de l'entrée.

Reynaldo, un adolescent, passe devant la clôture, il apprend la mésaventure et appelle Channel 5 – le 911 refusant de se déplacer pour porter secours.

L'événement n'intéresse pas l'équipe de télévision venue sur place. Ventana reste seule, avec le chien.

Comment t'appelles-tu, chien-chien ? Peut-être Blue, comme dans une vieille chanson : « J'avais un chien et il s'appelait Blue... »

Le chien ne gronde ni ne grogne. Il ne respire même pas bruyamment. Silencieux, il frappe comme un serpent.

 

Joan Baez, Old Blue, Traditional

 

Où il est question de solitude, de vies bancales, de chiens et de chats.

 

Russell Banks est un très grand.

 

- - -

 

ANNEXE

 

Joan Baez, Old Blue, Traditional

 

Well, I had an old dog and his name was Blue

Had an old dog and his name was Blue

Had an old dog and his name was Blue

Betcha five dollars he's a good dog too

« Here old Blue, good dog you »

 

Well, I shouldered my axe and I tooted my horn

Went to find 'possum in the new grown corn

Old Blue treed and I went to see

Blue had 'possum up a tall oak tree

 

Mmm, boy I roast'd 'possum, nice and brown

Sweet potatoes, n' all around

And to say, « Here old Blue

(Here, boy)

You can have some too »

 

Now, old Blue died and he died so hard

Made a big dent in my backyard

Dug his grave with a silver spade

Lowered him down with a link of chain

Every link I did call his name

Singing, « Here, old Blue-ue, good dog you »

 

Now, when I get to heaven, first thing I'll do

When I get to heaven, first thing 'awm do

When I get to heaven first thing I'll do

Pull out my horn and call old Blue

I'll say, « Here old Blue, come on dog, good dog you »

 

I'll say, « Here Blue-e, I'm a coming there too

Down boy, good dog »

 

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5 avril 2015 7 05 /04 /avril /2015 00:15

Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.

Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis. »

Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau.

Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau.

En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas.

Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat,

ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.

C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut.

Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

 

Τῇ δὲ μιᾷ τῶν σαββάτων Μαρία ἡ Μαγδαληνὴ ἔρχεται πρωΐ, σκοτίας ἔτι οὔσης, εἰς τὸ μνημεῖον, καὶ βλέπει τὸν λίθον ἠρμένον ἐκ τοῦ μνημείου.

Τρέχει οὖν καὶ ἔρχεται πρὸς Σίμωνα Πέτρον καὶ πρὸς τὸν ἄλλον μαθητὴν ὃν ἐφίλει ὁ Ἰησοῦς, καὶ λέγει αὐτοῖς, Ἦραν τὸν κύριον ἐκ τοῦ μνημείου, καὶ οὐκ οἴδαμεν ποῦ ἔθηκαν αὐτόν.

Ἐξῆλθεν οὖν ὁ Πέτρος καὶ ὁ ἄλλος μαθητής, καὶ ἤρχοντο εἰς τὸ μνημεῖον.

Ἔτρεχον δὲ οἱ δύο ὁμοῦ: καὶ ὁ ἄλλος μαθητὴς προέδραμεν τάχιον τοῦ Πέτρου, καὶ ἦλθεν πρῶτος εἰς τὸ μνημεῖον,

καὶ παρακύψας βλέπει κείμενα τὰ ὀθόνια, οὐ μέντοι εἰσῆλθεν.

Ἔρχεται οὖν Σίμων Πέτρος ἀκολουθῶν αὐτῷ, καὶ εἰσῆλθεν εἰς τὸ μνημεῖον, καὶ θεωρεῖ τὰ ὀθόνια κείμενα,

καὶ τὸ σουδάριον ὃ ἦν ἐπὶ τῆς κεφαλῆς αὐτοῦ, οὐ μετὰ τῶν ὀθονίων κείμενον, ἀλλὰ χωρὶς ἐντετυλιγμένον εἰς ἕνα τόπον.

Τότε οὖν εἰσῆλθεν καὶ ὁ ἄλλος μαθητὴς ὁ ἐλθὼν πρῶτος εἰς τὸ μνημεῖον, καὶ εἶδεν, καὶ ἐπίστευσεν :

οὐδέπω γὰρ ᾔδεισαν τὴν γραφήν, ὅτι δεῖ αὐτὸν ἐκ νεκρῶν ἀναστῆναι.

Jn, 20,1-9

 

« Nous ne savons pas où on l’a mis. »

 

C'est vrai, on ne sait plus où on L'a mis. Des fois sur la cheminée, et on ne Le voit plus sous la poussière, ou bien dans le placard à confitures, avec les images pieuses des vacances.

On ne Le voit plus. Et pourtant Il est à côté de nous. Vous connaissez ces vieux couples qui marchent côte à côte sans se regarder, sans se voir ?

Ouvrez le placard à confitures !

Pâques 2015 – On a enlevé le Seigneur

Fra Angelico, Noli me tangere, fresque, ca 1440, Couvent San Marco, Florence

(cliquer ICI pour mieux lire l'image)

La plaie ouverte sur le pied gauche du Christ se reproduit sur les plantes et dans l'herbe : le monde est le corps du Christ. Les pieds sont croisés et semblent effleurer la prairie : dans la tradition iconographique du Moyen âge, c'est une représentation du mouvement.

 

Johann Sebastian Bach, Oratorio de Pâques (Oster-Oratorium), Sinfonia, Collegium Vocale, Gent, dir. Philippe Herreweghe

 

Johann Sebastian Bach, Oratorio de Pâques (Oster-Oratorium), Kommt, eilet und laufet, Collegium Vocale, Gent, dir. Philippe Herreweghe – Mark Padmore, ténor, Peter Kooy, basse

 

Kommt, eilet und laufet, ihr flüchtigen Füße,

Venez, hâtez-vous, courez d’un pas rapide,

 

Erreichet die Höhle, die Jesum bedeckt !

Atteignez la caverne, qui couvre Jésus !

 

Lachen und Scherzen

Rires et ambiance joyeuse

 

Begleitet die Herzen,

Accompagnent les cœurs,

 

Denn unser Heil ist auferweckt.

Car notre salut s’est relevé.

 

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