Mozart, The 6 string quartets dedicated to Haydn, 1782-1785, Quatuor Cambini-Paris, Coffret de 3 CD, Ambroisie Naïve, 2015
Fondé par quatre jeunes musiciens issus des meilleures formations baroques et classiques françaises, le Quatuor Cambini-Paris est l'un des rares quatuors à cordes à jouer sur instruments d'époque.
Passionnés par la redécouverte de compositeurs français injustement oubliés, les Cambini sont également très appréciés pour leur interprétation des grandes œuvres du répertoire.
Leurs enregistrements discographiques ont été salués par la critique (Diapason d'or, ffff Télérama, 4 étoiles Classica), et ils se produisent dans les plus grandes salles et festivals d'Europe.
Julien Chauvin : violon
Karine Crocquenoy : violon
Pierre-Éric Nimylowycz : alto
Atsushi Sakaï : violoncelle
Mozart, The 6 string quartets dedicated to Haydn, Quatuor Cambini-Paris, 2015
C'est tellement beau qu'on croirait du Haydn.
En ces quatuors, Mozart scelle son amitié fidèle et réciproque avec Haydn.
En septembre 1785 dans la dédicace qu'il adresse à son aîné pour l'édition des quatuors, il écrit :
« A mon cher ami Haydn.
Un père, ayant résolu d'envoyer ses fils dans le vaste monde, a estimé devoir les confier à la protection et à la direction d'un homme alors très célèbre, et qui, par une heureuse fortune, était de plus son meilleur ami. Ainsi donc, homme célèbre, et ami très cher, je te présente mes six fils …/... Toi-même, ami très cher, lors de ton dernier séjour dans cette capitale, tu m'as exprimé ta satisfaction. Ce suffrage de ta part est ce qui m'anima le plus. C'est pourquoi je te les recommande, en espérant qu'ils ne te sembleront pas indignes de ta faveur. Veuille donc les accueillir avec bienveillance, et être leur père, leur guide et leur ami. De ce moment je te cède mes droits sur eux, et te supplie de considérer avec indulgence les défauts que l'œil partial de leur père peut m'avoir cachés, et de conserver malgré eux, ta généreuse amitié à celui qui t'apprécie tant, car je suis de tout cœur, ami très cher, ton très sincère ami. »
« Je vous le dis devant Dieu, en honnête homme, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse, en personne ou de nom, il a du goût, et en outre la plus grande science de la composition. » Ce sont les paroles de Haydn – venu à Vienne pour assister à une exécution privée des quatuors – adressées au père, Leopold Mozart.
Haydn était alors le maître, en matière de quatuors.
L’œuvre est conçue pour le bonheur du partage, en amitié.
Une composition difficile, entre les réseaux polyphoniques et les lacis contrapuntiques.
Les Cambini, sur leurs cordes en boyau, donnent toute l'élégance et la clarté de l’œuvre.
Haydn, Quatuor Op. 74 n° 3, 4e mouvement, Allegro con brio, Quatuor à cordes Alérion – Hortense Maldant-Savary, violon ; Anne-Laure Martin, Benjamin Boura, alto ; Pierre Foucade, violoncelle
Chers amis, vous devez certainement vous attendre à ce que je prononce un sermon très sérieux, et… Pas du tout !
D’abord, les sermons très sérieux sont très ennuyeux. Ensuite c’est l’Écriture elle-même qui me dit de ne pas me prendre au sérieux. Avez-vous entendu saint Paul ? Ce que nous proclamons est « folie pour les nations ». Et particulièrement pour les sages et les savants de tout poil.
Le message chrétien est en effet un message un peu fou. Un homme qui dit qu’il est Dieu, qui meurt et qui ressuscite, n’est-ce pas, c’est un peu fou. L’amour, la douceur, la paix, qui sont vainqueurs de la violence et de la guerre, c’est un peu fou. L’hostie qui va devenir, tout à l’heure, le corps du Christ, ce n’est vraiment pas raisonnable.
Puisque vous allez vous engager, vous, les responsables de la pastorale à Notre-Dame-de-France, autant que vous soyez bien prévenus : la décision que vous prenez est une décision folle. La décision raisonnable, ce serait d’enseigner une petite morale bien consensuelle, dont tout le monde est déjà convaincu d’avance. Mais vous, vous allez annoncer le Christ ressuscité. Vous allez annoncer à ces enfants, là, devant moi, que l’amour passe avant toute autre valeur ; que Dieu les connaît et les aime chacun parce que c’est lui qui les a faits ; qu’avec Dieu ce qui est impossible devient possible, qu’avec Dieu notre vie est faite d’espoir et de joie, et l’espoir et la joie, dans le monde dans lequel nous vivons, c’est vraiment de la folie !
Yves Combeau porte la joie en lui, et il est contagieux.
Alors oui, nul doute là-dessus, aux yeux du monde, nous, les chrétiens, passons pour des fous. C’est même un signe rassurant.
Dans un instant nous allons proclamer notre foi, nous allons redire notre Credo. Ce Credo rempli de folies qui heurtent la raison et font rire les sages. La Vierge enceinte et Jésus qui revient à la vie, la prière qui porte des fruits et l’amour qui triomphe du mal, tout cela nous allons le proclamer.
Est-ce que vous avez envie d’être un peu fous ? En tout cas, je vous le souhaite. Parce que ce monde raisonneur est une prison et que la folie de la foi est la seule véritable liberté. Amen.
Arnaldur Indriðason, La Rivière noire (Myrká, Arnaldur Indriðason, Forlagid, 2008), traduit de l'islandais par Éric Boury, Éditions Métailié, 2011
Arnaldur Indriðason, photo : Daniel Mordzinski
Le sang a séché sur le parquet, le tapis est maculé. Égorgé, Runolfur porte le t-shirt de la femme qu’il a probablement droguée et violée avant de mourir. Sa dernière victime serait-elle son assassin ? Pas de lutte, pas d’arme. Seul un châle parfumé aux épices gît sur le lit. L’inspectrice Elinborg enquête sur cet employé modèle qui fréquentait salles de sport et bars... pour leur clientèle féminine.
Né en 1961 en Islande, Arnaldur Indriðason est journaliste et critique de cinéma. Ses romans sont publiés dans plus de 30 pays.
4e de couverture
Résumé
Dans un appartement à proximité du centre-ville, un jeune homme gît, mort, dans un bain de sang. Pas le moindre signe d’effraction ou de lutte, aucune arme du crime, rien que cette entaille en travers de la gorge de la victime, entaille que le légiste qualifie de douce, presque féminine. Dans la poche de sa veste, des cachets de Rohypnol, la drogue du viol... Il semblerait que Runolfur ait agressé une femme et que celle-ci se soit ensuite vengée. Un châle pourpre trouvé sous le lit dégage un parfum puissant et inhabituel d’épices, qui va mettre Elinborg, l’adjointe d’Erlendur et cuisinière émérite, sur la piste d’une jeune femme. Mais celle-ci ne se souvient de rien, et bien qu’elle soit persuadée d’avoir commis ce meurtre rien ne permet vraiment de le prouver. Des indices orientent les inspecteurs vers d’autres sévices soigneusement tenus secrets. En l’absence du commissaire Erlendur, parti en vacances, toute l’équipe va s’employer à comprendre le fonctionnement de la violence sexuelle, de la souffrance devant des injustices qui ne seront jamais entièrement réparées, et découvrir la rivière noire qui coule au fond de chacun.
Éditions Métailié
Incipit
Il enfila un jeans noir, une chemise blanche et une veste confortable, mit ses chaussures les plus élégantes, achetées trois ans plus tôt, et réfléchit aux lieux de distraction que l’une de ces femmes avait évoqués.
[…]
Le plus important c’était de se fondre dans la foule, il ne fallait pas que quelqu’un s’interroge ou s’étonne, il devait n’être qu’un client anonyme. Aucun détail de son apparence ne devait le rendre mémorable ; il voulait éviter de se distinguer des autres.
[…]
Il s’efforçait de rester discret. Il tapota une fois encore la poche de sa veste afin de vérifier que le produit était bien là. Il l’avait plusieurs fois tâté tandis qu’il marchait et s’était dit qu’il se comportait comme ces cinglés qui se demandent perpétuellement s’ils ont bien fermé leur porte, n’ont pas oublié leurs clefs, sont certains d’avoir éteint la cafetière ou encore n’ont pas laissé la plaque électrique allumée dans la cuisine. Il était en proie à cette obsession dont il se souvenait avoir lu la description dans un magazine féminin à la mode. Le même journal contenait un article sur un autre trouble compulsif dont il souffrait : il se lavait les mains vingt fois par jour.
[…]
Dans le troisième bar, il aperçut une jeune femme qu’il connaissait de vue. Il se dit qu’elle devait être âgée d’une trentaine d’années ; elle avait l’air seule.
[…]
C’était une brune au visage plutôt fin, même si elle était un peu ronde ; ses épaules étaient recouvertes d’un joli châle, elle portait une jupe qui l’habillait avec goût ainsi qu’un t-shirt de couleur claire sur lequel on lisait l’inscription “San Francisco” : une minuscule fleur dépassait du F.
[…]
Personne ne leur prêtait une attention particulière dans le bar et ce ne fut pas non plus le cas quand ils en sortirent, une bonne heure plus tard, pour aller chez lui, en empruntant des rues peu fréquentées. […] Tout se passait pour le mieux entre eux, il savait qu’elle ne lui poserait aucun problème.
Vous connaissez le Rohypnol. Quelques cocktails pour emballer, un cachet dans la potion, et le viol est là, simple et tranquille. Sauf quand une lame, surgie on ne sait d'où vous lacère.
Maintenant, nous allons tout dire, mais... pour ne pas gâcher le plaisir des lecteurs enquêteurs, la fin de l'histoire est invisible – sauf en surlignant ce qui suit.
Au terme de son enquête, Elinborg trouve Valdimar, l'homme au rasoir : naguère, Addy, sa demi-sœur, alors encore une fillette, a été droguée et violée par Runolfur. Nina, la dernière victime du pervers, trouvée dans le troisième bar, lui a donné la chance d'assouvir sa vengeance longuement préméditée.
– Vous ne regrettez pas votre geste ? lui demanda-t-elle.
– Runolfur a eu ce qu'il méritait, observa-t-il.
– Vous vous êtes posé à la fois en juge et en bourreau.
– Lui aussi, il était en même temps juge et bourreau dans le procès de ma sœur, répondit-il immédiatement. Je ne vois aucune différence entre ce que je lui ai fait et ce qu'il a fait à Addy. J'avais simplement peur de me dégonfler. Je pensais que ce serait plus difficile et que je n'arriverais pas à aller jusqu'au bout. Je m'attendais à plus de résistance de sa part, mais Runolfur n'était qu'un pauvre type, un lâche. Je suppose que les hommes de son genre sont tous comme lui.
– Il existe d'autres moyens d'obtenir que justice soit faite.
– Lesquels ? Addy avait raison. Les individus de ce genre sont condamnés à deux ou trois ans de taule. Si tant est qu'ils soient traduits en justice. Addy... m'a avoué qu'il aurait tout aussi bien pu [Idem] tuer et qu'à ses yeux, cela ne faisait aucune différence. Je n'ai pas l'impression d'avoir commis un crime si affreux. En fin de compte, les choses se retrouvent entre vos mains et vous devez bien agir pour apaiser votre conscience. Aurait-il mieux valu que je reste les bras croisés et que je le laisse continuer à sévir ? Je me suis débattu avec cette question jusqu'à ne plus pouvoir le supporter.Que peut-on faire quand le système est de mèche avec les salauds ?
[…]
– Je ne regrette pas ce que j'ai fait. Je ne le regretterai jamais, déclara Valdimar.
– Venez, nous devons en finir.
L'enquête se déroule lentement, comme au détour de la vie familiale d'Elinborg, un chéri, des enfants... On apprend beaucoup de la vie quotidienne en Islande.
Krummi svaf í klettagjá, traditionnel islandais, int. Klezmer Kaos
Árni Thórarinsson, L'ombre des chats (Ár kattarins, Árni Thórarinsson, Forlagid, 2012), traduit de l'islandais par Éric Boury, Éditions Métailié, 2014
Qu’est-ce qui se cache derrière le “suicide assisté par ordinateur” soigneusement scénarisé de la jeune femme dont le récent mariage avait été transformé en cauchemar par une farce de très mauvais goût ? Qui envoie sur le téléphone d’Einar des messages obscènes à l’orthographe défaillante ? Qui a attaqué, devant une boîte de nuit, le cadre dynamique et misogyne qui terrorisait sa famille, et l’a expédié à l’hôpital dans un coma profond ? Quelles manipulations politiques viennent troubler la bataille pour le destin du Journal du soir, le grand quotidien islandais ? Quel jeu mène son directeur ?
Enquêteur nonchalant et lucide, Einar tente de résoudre ces énigmes malgré l’hostilité du commissaire de police local. Pour cet amateur de rock qui regarde les changements du monde avec une distance désabusée, les choses ne sont pas toutes ce qu’elles semblent être. Et le bonheur est peut-être fugitif comme l’ombre des chats. Árni Thórarinsson a un point de vue caustique et lucide sur la société mondialisée. Il construit ici une critique sociale féroce et pose des questions gênantes dans un thriller bien ficelé et plein d’ironie.
4e de couverture
Árni Þórarinsson starfaði árum saman sem blaða- og fjölmiðlamaður, var m.a. ritstjóri Mannlífs og blaðamaður á Morgunblaðinu.
Fyrsta skáldsaga Árna, spennusagan Nóttin hefur þúsund augu, kom út árið 1998 og síðan hefur hann sent frá sér fleiri bækur um blaðamanninn Einar, auk annarra sagna. Hann á einn kafla í bókinni Leyndardómar Reykjavíkur 2000, sem nokkrir glæpasagnahöfundar skrifuðu í sameiningu og árið 2002 kom út bókin Í upphafi var morðið sem Árni skrifaði ásamt Páli Kristni Pálssyni. Þeir hafa einnig unnið saman tvö sjónvarpshandrit, Dagurinn í gær, sem sýnt var í RÚV 1999 í leikstjórn Hilmars Oddssonar og 20/20, sem Óskar Jónasson leikstýrði fyrir RÚV 2002. Síðarnefnda myndin var tilnefnd til fjögurra Edduverðlauna, meðal annars fyrir besta handrit. Þá hefur Árni sent frá sér viðtalsbók og þýðingu á barnabók eftir Evert Hartman, en fyrir þá þýðingu hlaut hann Barnabókaverðlaun Reykjavíkurborgar 1984. Spennusögur Árna hafa komið út í þýðingum, meðal annars á Norðurlöndunum, í Þýskalandi og Frakkland.
Árni Thórarinsson (Árni Þórarinsson, en islandais) est né en 1950 à Reykjavik. Après un diplôme de littérature comparée à l'université d'East Anglia à Norwich en Angleterre, Árni Thórarinsson devient journaliste. Il exerce dans différents grands journaux islandais. Il participe également à des jurys de festivals internationaux de cinéma et a été organisateur du Festival de cinéma de Reykjavík de 1989 à 1991. Ses romans sont traduits dans les pays nordiques, en Allemagne et en France.
Un samedi après-midi en mars
« Tu es nue ? »
Trois mots et deux fautes d'orthographe, adressés au mauvais numéro. En tout cas, je suppose.
Einar est journaliste. Il est invité à un mariage, il peut venir accompagné, il a pensé à Gunnhildur, sa vieille amie nonagénaire pour cavalière.
J'espère bien qu'on va nous offrir un petit verre de schnaps, dit la vieille dame.
Les coupes de champagne virevoltent dans la longue salle blanche décorée de fleurs et de ballons.
[…]
Joa nous rejoint, suivie par Heida.
Joa est lesbienne, photographe et musclée. Heida, sa petite amie, est la féminité incarnée.
Un mariage, deux mariées : Kristin et Saga. Le pasteur luthérien n'est pas regardant.
– Adalheidur Heimisdottir, directrice de la rédaction au Courrier d'Akureyri, précise Heida avec un sourire, l'air un peu solennel.
– Gunnhildur Bjargmundsdottir, vieille bique en maison de retraite, répond ma cavalière qui, rivée sur sa chaise, toise mes deux copines.
Sur la table installée contre le mur juste à côté de l'entrée sont entassés les cadeaux que les invités ont offerts aux mariées.
Dans un paquet, un petit bocal où nage, à première vue, un cornichon.
Dans le liquide baigne un pénis sectionné et tout recroquevillé.
Kristin et Saga s'avancent à travers la foule qui leur fait une haie d'honneur. Au son d'une chanson de Judy Garland qui parle du pays de l'arc-en-ciel. Toutes deux dansent joue contre joue, à l'ancienne.
Victor Fleming, Le Magicien d'Oz (The Wizard of Oz), Somewhere Over The Rainbow – Judy Garland, 1939
Somewhere over the rainbow, way up high
There's a land that I've heard of once in a lullaby.
Somewhere over the rainbow, skies are blue
And the dreams that you dare to dream,
Really do come true.
Vient l'histoire du triton, un conte populaire islandais. Eyvindur, un invité, sourit.
– C'est une histoire qui parle de préjugés, de méconnaissance et de bêtise, mais aussi de peur et d'inquiétude face à l'inconnu ou à ces choses qu'on ne comprend pas
– Ah, soupire Gunnhildur, on est tellement démuni face aux faux-semblants.
Dimanche
Le pénis de Napoléon a été sectionné au cours de son autopsie. Plus tard, il a été vendu à un scientifique pour la somme de trois mille dollars.
Sur la Toile, on trouve des mentulae à tous les étages. Et le Musée islandais des Phallus présente une collection de presque trois cents organes mâles de toute espèce conservés dans le formol ou séchés.
Mercredi matin
Peut-on tout acheter ? Tout est-il possible ?
[…]
Le commerce des pénis s'étendrait-il jusqu'à notre lointaine île du Nord ? La dégénérescence ne connaît-elle aucune frontière ?
Bien sûr que non, tant qu'il y a un marché. La demande ne connaît aucune frontière.
– Einar ! Téléphone !
C'est à propos d'un article du jour, en page deux :
Un homme âgé d'un peu plus de quarante ans a été admis au service des soins intensifs suite à une agression particulièrement violente et apparemment gratuite qui a eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche. Il faisait la queue devant un bar du centre-ville de Reykjavik quand une femme également présente dans la file d'attente s'en est prise à lui, armée d'une bouteille de Breezer.
Y aurait-il un lien avec l'affaire du bocal ? Les présomptions s'accumulent.
Lundi après-midi
Einar ouvre le bocal. C'est du bluff ! C'est une fausse ! La chose est un moulage en matière de synthèse – une plaisanterie douteuse.
Einar reçoit un nouveau texto, en provenance du même numéro que pour le message du samedi : Tu es nu ? - cette fois, sans faute. Le téléphone du député Smari Pall Karason.
Un lien ? Une affaire politique ?
Mardi matin
– Einar ! halète Joa, la voix tremblante, à l'autre bout de la ligne. Ils sont morts !
– Comment ? Qui donc ?
_ Kristin et Eyvindur ! Ils sont morts tous les deux !
Mardi après-midi
Un double suicide en apparence. Mais il ne faut pas se fier aux apparences.
Mercredi...
Jeudi après-midi
Deux étudiants originaires des îles Orcades et appréciés de tous ont été retrouvés morts dans leur chambre d'hôtel.
Ainsi commence le papier d'un journal.
Quand une femme de chambre les a trouvés, ils étaient assis l'un en face de l'autre à une table sur laquelle reposait un ordinateur connecté à une pompe commandée par le clavier, et d'où partaient des perfusions reliées à leurs avant-bras.
Dimanche, on apprend que d'après le calendrier vietnamien, nous sommes dans l'année du chat.
Mardi matin, Einar envoie un texte dans le système : vérité et réalité dans un monde d'illusions.
Samedi
– Ah, on est tellement démuni face aux faux-semblants.
La radio passe une chanson des Who.
Pete Townshend, Substitute, The Who, 1966
You think we look pretty good together
You think my shoes are made of leather
But I'm a substitute for another guy
I look pretty tall but my heels are high
The simple things you see are all complicated
I look pretty young, but I'm just back-dated, yeah
Substitute your lies for fact
Le coupable ! demandez-vous. Non, pour une fois, ce n'est pas le majordome. Son nom n'a pas été donné dans la présente page. Il s'est fait connaître jadis comme un militant de l'euthanasie (un militant déçu, c'était autrefois, hélas pour lui !). En fait, un esthète de l'image et de la mise en scène – c'est ce qui le trahit.
Encore une œuvre parlant du semblant et du faux-semblant, où mensonge et vérité se cherchent.
Un récit tissé de fausses pistes, dans une langue comme si de rien n'était. Et une vision (une représentation ?) cruelle du monde et de l'Islande.
L'ombre des chats est un excellent roman.Des pas perdus le dit et nous soutenons, dans sa lutte, le socialiste de la vieille école :
« Je suis un socialiste de la vieille école, j'ai travaillé comme un esclave toute ma vie, mais je suis sûr que si on nettoyait toute la merde que les capitalistes ont foutue et qu'on redistribuait toutes les cartes, les gens vivraient mieux. Au lieu de ça, les riches se voient offrir un nouveau départ avec un bel avantage. »
C'est une citation tirée du roman par Des pas perdus, son aveu personnel ?
Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris, (The Twelve Children of Paris, Jonathan Cape, 2013), traduit de l'anglais par Benjamin Legrand, Sonatine, 2014
(Le Grand Livre du Mois, pour notre édition)
23 août 1572. De retour d’Afrique du Nord, Mattias Tannhauser, chevalier de Malte, arrive à Paris. Il doit y retrouver sa femme, la comtesse Carla de La Penautier, qui, enceinte, est venue assister au mariage de la sœur du roi avec Henri de Navarre. A son arrivée, Mattias trouve un Paris en proie au fanatisme, à la violence et à la paranoïa. La tentative d’assassinat contre l’amiral de Coligny, chef des réformistes, a exacerbé les tensions entre catholiques et protestants. Introduit au Louvre par le cardinal de Retz, Mattias se retrouve bientôt au cœur des intrigues de la Cour et comprend très vite que le sang va couler dans les rues de Paris.
Dans une capitale déchaînée, où toutes les haines se cristallisent, Carla est impliquée au même moment dans une terrible conspiration. Plongé dans un océan d’intrigues et de violences, Mattias n’aura que quelques heures pour tenter de la retrouver et la sauver d’un funeste destin.
Tim Willocks est sans aucun doute l’un des plus grands conteurs de notre temps. Avec un souffle épique qui évoque Alexandre Dumas, il nous donne ici un roman inoubliable qui, se déroulant sur vingt-quatre heures, capture toute la folie d’un des plus terribles épisodes de l’histoire de France.
Tim Willocks est né en 1957. Grand maître d’arts martiaux, il est aussi chirurgien, psychiatre, producteur et écrivain. Scénariste, il a travaillé avec Steven Spielberg et Michael Mann. Auteur de six romans, parmi lesquels La Religion (Sonatine Éditions, 2009) et Green River (Sonatine Éditions, 2010), il vit en Irlande.
Une des choses les plus importantes qui est ressortie du livre au moment où j'étais en train de l'écrire est ce contraste entre le masculin et le féminin, leurs principes de vie, ou plutôt leur attitude face à la vie... Car la violence des massacres est une violence masculine et politique. Or, il y a beaucoup de personnages féminins dans le livre, des femmes, des jeunes filles. Le contraste dans leur façon de gérer la catastrophe est devenu la dialectique principale de mon histoire.
Incipit
Maintenant il chevauchait à travers un pays éventré par la guerre et toujours saignant de ses contrecoups, où les soldats sans solde de monarques coupables exerçaient encore leur métier, où bienveillance était folie, et cruauté force, où personne n'osait affirmer être le gardien de son propre frère.
Il passa des arbres aux pendus, où des corbeaux aux pattes rougies étaient perchés, noirs comme leur charogne, où de petits groupes d'enfants en guenilles lui rendaient son regard en silence. Il passa les carcasses sans toit d'églises incendiées, où des tessons de vitraux étincelaient tels des trésors abandonnés dans les débris du choeur. Il passa des campements habités par des squelettes rongés, où les yeux jaunes des loups luisaient dans les ténèbres. Parfois une meule de foin en flammes éclairait une colline lointaine. Au clair de lune, les vignobles en cendres étaient blancs comme des tombeaux.
En très peu de jours, il avait couvert plus de lieues qu'il ne l'aurait cru possible. Et maintenant il y était enfin, et il y était arrivé : au terme du voyage. Les murailles tremblotaient dans le lointain, gauchies par la chaleur d'août, et au-dessus d'elles luisait un plastron de brume ocre, comme si ces murs d'enceinte n'avaient pas été de pierre, mais plutôt la lèvre d'un vaste puits ouvrant vers les royaumes infernaux.
Telle fut sa première impression de la ville la plus catholique de toute la chrétienté.
Cette vision lui apportait un vague réconfort. Les pressentiments qui l'avaient habité n'avaient pas diminué. Il avait dormi près des routes et il était remonté en selle dans la fraîcheur précédant l'aube et, chaque matin, sa destinée s'était dressée devant lui. Il la sentait qui l'attendait, tapie derrière ces murailles plutoniennes. Dans la ville de Paris.
Mattias Tannhauser pressa le pas en direction de la porte Saint-Jacques.
L'enceinte de trente pieds de haut était parsemée de tours de guet tout aussi hautes. La porte était encore plus massive et, comme les murs, souillée par le temps et les fientes d'oiseaux. Comme il traversait le pont-levis, ses yeux s'embuèrent des vapeurs putrides émanant des douves emplies d'ordures. A travers la buée, comme dans un rêve, deux familles se pressaient pour sortir entre les énormes portes de bois.
Elles étaient entièrement vêtues de noir et Tannhauser se dit que ce devaient être des huguenots. Ou des calvinistes, luthériens, protestants, ou autres réformateurs. A la question de comment les nommer il n'avait jamais trouvé de réponse servant tous les besoins. Leur nouvelle conception de la vie avec Dieu faisait à peine ses premiers pas que des factions internes étaient déjà prêtes à se sauter à la gorge. Cela ne surprenait pas du tout Tannhauser, qui avait tué pour Dieu au nom de plus d'une croyance.
Ces huguenots, femmes et enfants compris, ployaient sous divers bagages et balluchons. Tannhauser essayait d'imaginer tout ce qu'ils avaient abandonné d'autre. Les hommes, qui avaient l'air de deux frères, échangèrent un regard de soulagement. Un garçon mince releva la tête pour regarder Tannhauser. Tannhauser esquissa un sourire. Le garçon cacha son visage dans les robes de sa mère, révélant une marque de naissance grosse comme une fraise sous l'angle de sa mâchoire. La mère vit qu'il l'avait remarquée et, de sa main, elle couvrit la marque.
« les royaumes infernaux... ces murailles plutoniennes » : nous sommes dans l'Enfer de Dante, comme le confirment d'autres références tout au long du récit.
Paris 1572
Darren Bennett, carte adaptée de « Map of Paris, 1572 » de Braun et Hogenberg, Bibliothèque nationale d'Israël
(cliquer ICI pour mieux lire l'image : la carte légendée pour le roman permet de suivre les personnages dans leurs aventures)
Braun et Hogenberg, Map of Paris, 1572, Bibliothèque nationale d'Israël
Diego Ortiz, Recercada primera sobre el passamezzo antico, Jordi Savall : Viola da gamba, Arianna Savall : Harp, Ferran Savall : Theorbo, Colegiata de Sant Vicenç de Cardona, vers 2001-2013
Carla est une virtuose de la viola da gamba, elle a été invitée au mariage royal pour jouer lors des réjouissances.
A Paris en 1572, ça chie, ça fornique, ça détrousse, ça s’entre-tue, ça sodomise, dans tous les coins. Les fillettes aguichent le chaland sous l’œil de leur maquereau. Les prêtres troussent les gueuses au fond des cours. L'atmosphère est lourde d'une puanteur venant autant des déchets et déjections domestiques que des coupables activités de la rue. On respire un peu mieux dans les cabarets enfumés dont l'air chargé de vapeurs vinassières masque les relents du dehors.
[…] et ceux parmi les damnés, dont la tâche éternelle était de récurer le pot de chambre de Satan avec leur langue ne connaissaient pas pire puanteur.
Dès son arrivée, Mattias Tannhauser, preux chevalier, sauve et recueille Grégoire, un enfant affligé et maltraité par son maître, et il en fait son servant : il le soigne, le nourrit, l'habille.
Entrons dans les tavernes d'étudiants. Dans la quatrième, Le Bœuf Rouge, Tannhauser prit une table près de la porte. Il commanda du vin, une tourte froide à l'oie et deux jeunes poules rôties. […] La tourte était grasse, moelleuse et délicieuse.
(on pourrait suivre un fil de lecture Nourritures terrestres)
Saint Bartthélemy, icône, église Saint-Michel-Archange, Bakou
Le 23 août est la veille de la Saint-Barthélemy, la fête de saint Barthélemy l'apôtre.
En ce temps-là, les grands et les puissants demeuraient comme subjugués par leur propre suffisance ; leurs plus abjectes émotions faisaient tourner les roues de l'Histoire. (en 2015, le monde a bien changé)
A la Grande Halle, dans le Palais de justice, Mattias trouve une robe de baptême finement brodée, Carla allait l'adorer.
Il retrouve une ancienne connaissance, Guzman, un mercenaire espagnol, désormais au service d'Albert de Gondi, le comte de Retz : il assure sa garde rapprochée. Retz, Guzman et Tannhauser se rendent au Louvre – toujours pour Carla. En chemin, Tannhauser évoque ses pensées sur les guerres de religion : elles sont dues aux ambitions politiques et économiques des puissants et non à des différends à propos de la lecture des textes. (en 2015, le monde a bien changé)
C'est une guerre entre croyants qui ne comprennent pas ce en quoi ils croient. C'est une question de pouvoir, pas de religion.
Au Louvre, sous les ors et les stucs, un étalage de la décadence, des femmes de haute lignée dévoilant leurs seins pour des gentilshommes alanguis par la débauche. Le tout dans une odeur d'urine persistante.
Le massacre commence au son du tocsin. Ça saigne, ça s'étripaille, ça meurt beaucoup, et ça émascule à cœur joie. Les pillards sont à la fête pendant les tueries.
On embroche... et cela nous donne de l'appétit : entrons dans une gargote. Une tourte à la viande froide composée de porc émincé, d'étourneaux et de morceaux de lapin, […] un plateau de tartelettes au fromage, un chargement d’œufs farcis, un blanc-manger de riz au poulet et un potage de tripes de bœuf séchées […]. Des pichets de vin […]. […] une tournée de petites tartes aux figues dégoulinantes de miel accompagnées d'une assiette d'écorces d'orenges confites avec un pichet de lait de vache.
(on pourrait suivre un fil de lecture Nourritures terrestres)
L'enfant de Carla et de Mattias est né, c'est une fille, Amparo. Ils échappent à Paris. Maintenant, une longue route les attendait pour rentrer chez eux.
La folle journée est riche en péripéties, comme dans les grands romans d'aventures du XIXe siècle, ou les chansons de geste.
(en 2015, le monde n'a pas changé ; on a seulement inventé les stations d'épuration – attention, risque de polysémie)
Avant d'entamer le pavé de 936 pages, veillez à vos provisions.
(on pourrait suivre un fil de lecture Nourritures terrestres)
Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Collection Blanche, Gallimard, 2014
Patrick Modiano, Stockholm, 6 décembre 2014
En exergue.
Je ne puis donner la réalité des faits, je n'en puis présenter que l'ombre.
Stendhal
Presque rien. [...] une buée qui se dissipait sous le soleil.
[…]
Dans cette solitude, il ne s'était jamais senti aussi léger, avec de curieux moments d'exaltation le matin ou le soir, comme si tout était encore possible et que, selon le titre du vieux film, l'aventure était au coin de la rue...
Si on lui avait demandé aujourd'hui quel écrivain il aurait rêvé d'être, il aurait répondu sans hésiter : un Buffon des arbres et des fleurs.
De Sève, dessin, Louis Le Grand, graveur, Le chat sauvage, in Buffon, Histoire naturelle etc.
Une écriture limpide, rare, timide peut-être et lentement travaillée.
Une piqûre d’insecte, d'abord très légère, et elle vous cause une douleur de plus en plus vive, et bientôt une sensation de déchirure.
Le récit est écrit du point de vue de Daragane, le narrateur, de sa mémoire – défaillante ?
La moindre chose est une énigme, un soupçon.
Le roman commence par des sonneries de téléphone. Le personnage principal – Jean Daragane –, après une longue hésitation, finit par répondre. Un inconnu lui dit qu’il a entre ses mains un carnet d’adresses que Daragane avait perdu. Daragane lui trouve une insistance suspecte et même un ton de maître-chanteur. La voix de cet inconnu va lui remettre en mémoire un épisode de son enfance qu’il croyait avoir oublié et qui aura été déterminant dans sa vie. D’une manière générale, la perte avive la mémoire à cause du manque ou du sentiment d’absence qu’elle provoque. Bien sûr, la perte d’un être que vous aimiez. Mais quelquefois la perte d’un objet anodin qui vous était familier dans le passé : soldat de plomb, porte-bonheur, lettre que vous aviez reçue, vieux carnet d’adresses... Cette perte et cette absence vous ouvrent une brèche dans le temps.
Entretien avec Patrick Modiano à l'occasion de la parution de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier.
Presque onze heures du soir. Quand il se trouvait seul chez lui, à cette heure-là, il ressentait souvent ce qu'on appelle un « passage à vide ». Alors, il allait dans un café des environs, ouvert très tard, la nuit. La lumière vive, le brouhaha, les allées et venues, les conversations auxquelles il avait l'illusion de participer, tout cela lui faisait surmonter, au bout d'un moment, son passage à vide. Mais depuis quelque temps il n'avait plus besoin de cet expédient. Il lui suffisait de regarder par la fenêtre de son bureau l'arbre planté dans la cour de l'immeuble voisin et qui conservait son feuillage beaucoup plus tard que les autres, jusqu'en novembre. On lui avait dit que c'était un charme, ou un tremble, il ne savait plus.
Au téléphone, Gilles Ottolini, une voix menaçante : il recherche un certain Torstel. Chantal Grippay, liée à Ottolini, sous contrainte, est fragile et souffre de son état. Il y a un dossier Torstel : il s'agissait de notes très brèves mises bout à bout dans le plus grand désordre concernant l'assassinat d'une certaine Colette Laurent.
Un fait-divers. Le nom de Torstel apparaît dans le carnet de Daragane, et dans un de ses romans, Le Noir de l'été. Le fait-divers date de 1951. Le dossier est confus, on y trouve des éléments de 1952, peut-être d'une autre enquête.
Ottolini ne cherche-t-il pas, en fait, Daragane ?
Gilles Ottolini se dit à l'Agence Sweerts, Paris. Un employé fantôme d'une agence imaginaire. Tout est faux. Ottolini est inconnu au 8, square du Graisivaudan, où Daragane avait son logement d'étudiant.
Et Annie Astrand... cela fait si longtemps... se plonger dans ce passé lointain. A quoi bon ?
15, rue de L'Ermitage, à Saint-Leu-la-Forêt, Daragane a vécu auprès d'Annie. Dans son enfance. Ils ont dû fuir, vers l'Italie.
Annie s'appelle maintenant Agnès Vincent, 18, rue Alfred-Dehodencq.
« Entre, mon petit Jean... »
Une voix timide, mais un peu rauque, la même que celle d'il y avait quinze ans. »
Daragane avait retrouvé Annie Astrand quinze ans après son séjour à Saint-Leu-la-Forêt alors qu'il était enfant. Depuis, il s'était écoulé plus de quarante ans.
Elle s'était mariée quelques années auparavant avec Roger Vincent. Maintenant, Daragane avait vingt-cinq ans et elle, trente-six peut-être.
Maintenant... oui, le temps est heurté dans le récit. Annie et Jean se sont connus, une nuit, une douce amnésie.
Il était en présence d'un palimpseste dont toutes les écritures successives se mêlaient en surimpression et s'agitaient comme des bacilles vus au microscope.
« – Et l'enfant? demanda Daragane. Vous avez eu des nouvelles de l'enfant?
– Aucune. Je me suis souvent demandé ce qu'il était devenu... Quel drôle de départ dans la vie...
– Ils l'avaient certainement inscrit à une école...
– Oui. À l'école de la Forêt, rue de Beuvron. Je me souviens avoir écrit un mot pour justifier son absence à cause d'une grippe.
– Et à l'école de la Forêt, on pourrait peut-être trouver une trace de son passage...
– Non, malheureusement. Ils ont détruit l'école de la Forêt il y a deux ans. C'était une toute petite école, vous savez... »
4e de couverture
Au début, ce n'est presque rien […], et il vous faut un peu de temps encore pour vous rendre compte qu'il ne reste plus que vous dans la maison.
Pourquoi faudrait-il fuir la France en 1951 ou 1952 ? Il ne peut s'agir que d'un fait-divers, ou d'un écho au long hiver de 1940 à 1945 ?
Trois LLL, comme on dit dans certaine revue...
A Saint-Leu-la-Forêt, on écoutait Wanda Landowska.
Johann Sebastian Bach, Variations Goldberg, clavecin : Wanda Landowska, 1933
Une autre variation.
Johann Sebastian Bach, Variations Goldberg, clavecin : Scott Ross, 1985
Taraf de Haïdouks, Of Lovers, Gamblers & Parachute Skirts, Crammed Discs, 2015
Le Taraf de Haïdouks, groupe rom emblématique de la musique roumaine depuis 25 ans, se compose actuellement de Gheorghe Falcaru (flûte), Anghel « caliu » Gheorghe (violon), Robert Gheorghe (violon), Constantin « costica » Lautaru (violon et voix), Marin « marius » Manole (accordéon), Marin P. Manole (accordéon et voix), Filip Simeonov (clarinette), Paul Pasalan Giuclea (violon et voix), Ion « ionica » Tanase (cymbalum).
Taraf de Haïdouks, Moldavian Shepherds' Dance, Of Lovers, Gamblers & Parachute Skirts, 2015
Après la disparition de ses membres fondateurs, la communauté continue de cultiver la diversité de son répertoire autour des musiques traditionnelles de l’Europe de l’Est : ballades roumaines, vieilles chansons d’amour tsiganes, musiques de danses d’antan.
Dennis Lehane, Un pays à l'aube (The Given Day, Dennis Lehane, 2008), traduit de l'anglais (États-Unis) par Isabelle Maillet, Payot & Rivages, 2009 – Rivages/ Noir, 2010 (855 pages)
Dennis Lehane est un écrivain américain, d'origine irlandaise, né le 4 août 1965 dans le quartier de Dorchester à Boston, source d'inspiration de ses romans.
L’Amérique se remet difficilement de la Première Guerre mondiale. De retour d'Europe, les soldats entendent retrouver leurs emplois, souvent occupés par des Noirs en leur absence. Mais l'économie est ébranlée et la vie devient de plus en plus difficile pour les classes populaires. Sur ce terreau fleurissent les luttes syndicales et prospèrent les groupes anarchistes et bolcheviques, ainsi que les premiers mouvements de la défense de la cause noire.
En 1918, Luther Laurence, jeune ouvrier noir de l'Ohio, est amené par un étonnant concours de circonstances à disputer une partie de base-ball face à Babe Ruth, étoile montante de ce sport. Une expérience amère qu'il n'oubliera jamais.
Au même moment, l'agent Danny Coughlin, fils aîné d'un légendaire capitaine irlandais de la police de Boston, est chargé d'une mission spéciale par son parrain, le retors lieutenant McKenna : infiltrer les milieux syndicaux et anarchistes.
A priori, Luther et Danny n'ont rien en commun. Le destin va pourtant les réunir à Boston en 1919, l'année de tous les dangers.
"Une fresque flamboyante sur Boston." (Paris-Match)
« Quand Jésus va revenir, qu'elle disait, Il arrivera de la montagne en train. »
Josh Ritter, Wings
when Jesus comes a'calling she said he's coming round the mountain on a train
Josh Ritter, Wings
En raison des restrictions sur la liberté de circulation imposées à la ligue majeure de base-ball par le ministère de la Défense pendant la Première Guerre mondiale, les World Series de 1918 furent programmées en septembre et divisées en deux séries de matchs à domicile : les Chicago Cubs devaient organiser les trois premiers et Boston les quatre derniers. C’est ainsi que le 7 septembre, après la défaite des Cubs au terme de la troisième rencontre, les deux équipes montèrent ensemble à bord du Michigan Central pour un trajet de vingt-sept heures, et Babe Ruth, passablement éméché, se mit à faucher des chapeaux.
La machine est en panne, on s'arrête, on fait une partie dans le pré en se rappelant les premiers matchs.
Le train repart. A peine rentré, Babe s'offre un verre au bar. Il pense à son père, mort deux semaines plus tôt dans une bagarre. Sa mère était morte pendant qu'il était à la maison de redressement où son père l'avait envoyé quand il avait huit ans. C'était triste, avait-il dit aux journalistes. Bien triste. Il attendait toujours d'éprouver quelque chose. Il attendait depuis deux semaines.
[…]
Et lui, il était là, seul au monde.
En septembre, Luther perdit sa place à l'usine de munitions.
C'est la fin de la guerre, les blancs vont revenir du front, ils auront besoin de travail. Seulement, les rescapés de la guerre sont mal en point. La grippe fait des ravages dans tout le pays.
Steve, l'ami de l'agent Danny Coughlin, est atteint. Il en sort estropié, il perd son emploi de policier, il désespère.
– Je suis sûr qu'on peut trouver une solution..., commença [Danny].
– Écoute, Coughlin, l'interrompit Steve en lui posant une main sur le bras, je t'aime bien mais faut que tu saches qu'y a pas toujours de « solution ». La plupart du temps, quand on dégringole, c'est sans filet. Sans rien pour nous rattraper. On tombe dans le vide, c'est tout.
– Jusqu'où ?
Steve ne répondit pas tout de suite. Il regarda par la vitre en pinçant les lèvres.
– Là où finissent ceux qui ont pas de filet.
Nathan Bishop remplit une nouvelle fois son verre puis inclina la bouteille vers celui de Danny, qu'il servit tout aussi généreusement.
– C'est mal, dit-il.
– Quoi ?
– Ce que les hommes qui ont des moyens exigent de ceux qui n'en ont pas. Et après, ils espèrent que les pauvres se montreront reconnaissants pour les quelques miettes qu'on leur jette. Ils ont l'audace de jouer les offensés si les pauvres ne jouent pas le jeu. On devrait tous les condamner au bûcher.
Danny sentait l'alcool épaissir le sang dans ses veines.
– Qui ?
– Les riches. (Bishop se fendit d'un sourire paresseux.) Faudrait tous les brûler.
A midi le 15 janvier 1919, le réservoir de mélasse de la United States Industrial Alcohol Company explosa dans le North End. […] c'était très certainement l’œuvre de terroristes.
D'autres complots sont déjoués.
Nom d'un chien ! Pensa Babe. C'est la terre entière qui se rebelle.
Les Rouges vont-ils prendre le pouvoir ? Les anarchistes posent une bombe à la porte du procureur.
Ce fut un été de folie.
Des grèves partout, des émeutes raciales, l'émeute se transformant en guerre et flanquant la trouille au pays entier. Même la police...
Sur des panneaux on lit en lettres de sang : Vive la révolution ! A bas la tyrannie de l’État ! Mort au capitalisme ! Mort aux esclavagistes ! Renversons la monarchie capitaliste !
Brûle, Boston, brûle !
Quelle époque incroyable !
Trop long pour le propos.
Le récit est tissé de nombreuses anecdotes, liées en échos, on boit, on trafique, on survit en refaisant le monde.
Le propos est juste : le pays à l'aube (les States) ressemble étrangement au pays à son zénith (dans les '60-'70) et à son crépuscule (parce qu'aujourd'hui, ça décline). Mais 855 pages (dans l'édition de poche), c'est trop.
La Pierre de Blarney (Cloch na Blarnan en irlandais, Blarney Stone en anglais) est une pierre intégrée aux créneaux du château de Blarney, en Irlande, près de Cork. Selon la légende, embrasser la pierre donnerait le don de l'éloquence.
Harry Von Tilzer, George Whiting, Bert Kalmar, I'm a twelve o'clock fellow in a nine o'clock town – Byron G. Harlan, dir. : Josef Pasternack, enregistré à Camden, New Jersey, Victor, 12 juin 1917
Branford Marsalis, In my solitude, Live at Grace Cathedral, 2012, Okeh/Sony Music, 2014
Branford, l'aîné de la famille est le plus sage, mais il ne craint pas de se livrer ainsi dans la Grace Cathedral de San Francisco, où Duke Ellington créa l'un de ses Sacred Concerts.
Après les années de conservatoire au Berklee College of Music et les improvisations en tous les sens, Branford Marsalis improvise au soprano sur une ligne de Steve Lacy, puis se lance dans Stardust, la ballade de Hoagy Carmichael, tout en velours, et s'approprie la Sonate C.P.E. Bach. On l'applaudit !
Branford Marsalis, In my solitude, Sonata in A minor for oboe solo, Wq 132 : I, Poco Adagio
Un prince.
Carl Philipp Emanuel Bach, Sonate en la mineur, pour flûte seule, Wq 132 : I, Poco Adagio – Xue Su, flûte, Robert J. Werner Recital Hall, 2014
Sylvère Monod, Madame Homais, Pierre Belfond, 1987
Dernière phrase de Madame Bovary : Homais « vient de recevoir la croix d'honneur ».
Premier chapitre de Madame Homais : Homais prépare « L'apothéose d'un apothicaire », c'est-à-dire le compte rendu dithyrambique de la cérémonie qui aura lieu le lendemain...
4e de couverture
On apprend ainsi tout ce que Flaubert ne nous a pas dit sur Yonville, qui n'était alors que le village de Ry, sur la femme du pharmacien qui s'appelait encore Marie Hommet, sur Delphine Bivarot qui allait devenir Emma Bovary et sur le bon Charles qui ne fut pas le seul mari trompé de la commune.
Avec Madame Homais, Sylvère Monod nous livre ce qui fut, en fait, la source de Madame Bovary.
Voici comment Madame Homais a inspiré Flaubert !
4e de couverture
Sylvère Monod est né le 9 octobre 1921 à Cannes. Il a longtemps enseigné la littérature anglaise à l'Université de Caen, puis à la Sorbonne. Traducteur, critique et historien de la littérature, il donne, avec Madame Homais, son premier roman.
4e de couverture
Sylvère Monod est le fils de Samuel William Monod, dit Maximilien Vox, grande figure de la typographie au XXe siècle, le frère de l'universitaire Richard Monod, de l'auteur Flavien Monod, du graphiste Blaise Monod, de Martin Monod, et le neveu du savant, naturaliste et explorateur, Théodore Monod.
« Au lieu de faire une œuvre, il est peut-être plus sage d'en découvrir de nouvelles sous les anciennes. »
Gustave Flaubert, lettre du 30 janvier 1847 à Louise Colet
« On peut […], par exemple, récrire Madame Bovary en quittant le point de vue d'Emma. »
Gérard Genette, Palimpsestes
I
Enfin ! Mais pourquoi ?
« Regarde, mon amie, regarde ! N'est-ce pas bien tourné ? Et ce titre ? Crois-tu que je puisse aller jusque là ? »
Le titre de l'article destiné au Journal normand et qu'il tendait à sa femme avec un sourire épanoui (plus souvent exhibé au bénéfice de clients importants ou de personnalités en vue qu'offert à la compagne de ses jours) s'étalait en travers de la page manuscrite, calligraphié avec amour : L'Apothéose d'un apothicaire.
[…]
– Tu peux me faire confiance, n'est-ce pas ? Il s'agit, bien entendu, du compte rendu de la cérémonie de remise de ma croix...
[…]
– Tu as d'ailleurs eu l'amabilité d'y mettre la main. Je ne parle pas des taches de graisse sur un feuillet que je t'avais apporté dans la cuisine, saisi par mon enthousiasme d'auteur inspiré devant la beauté d'une de mes phrases, alors que tu lardais notre rôti.
[…]
– Voilà qui met en appétit. Lisons donc ton ouvrage. Donne-moi ce fameux compte rendu.
M. et Mme Leblanc, le commis principal de la perception de Forges-le-Eaux et son épouse ont une fille : ils la prénomment Marie-Delphine-Juliette.
Bons chrétiens aimant le blanc virginal des fleurs blanches, des cierges, des robes blanches des enfants aux messes des premières communions, ils placent tout naturellement leur fille chez les Ursulines dès ses sept ans, pour son instruction : « Qu'est-ce que Dieu ? »
La toujours candide orpheline s'interroge, sa foi chancelle, elle rencontre Hugues et connaît son premier baiser. Hélas ! Hugues est un jeune homme de peu de foi, il entre au Grand Séminaire, quel gaspillage !
M. Leblanc donne un dîner. Hommet est invité. Il a tout pour plaire à Marie : il est incroyant, et pour Marie, c'est l'essentiel. Pour lui, la dot est satisfaisante.
Au début de mars 1827, Jules Leblanc mourut paisiblement dans son sommeil […]. Le mariage eut lieu quelques semaies plus tard, le 14 mai 1827 ; il n'y aut qu'une brève cérémonie civile et laïque...
Mme Auguste Hommet, née Marie Leblanc, est déçue. Il ne lui reste qu'à attendre la mort de son époux âgé de vingt et un ans de plus qu'elle, dans la confiance consolante des statistiques.
Un soir où il se sentait las et un peu abattu après l'exercice rituel, l'apothicaire lui avait décoché une formule latine : « Que veux-tu, ma bonne, Hommet animal post coitum triste ! »
Et Delphine Bivarot ? demandez-vous.
Elle est infidèle, elle prend une poudre blanche, elle meurt.
M. Auguste Hommet expira au milieu de la nuit du 7 au 8 mai 1857.
Ses derniers mots furent à « Fol... bert... »
C'est délicieux !
Pour Yueyin, c’est le bonheur tout simplement. Magistral !
Et Madame Bovary ? Elle vient d'entrouvrir son volet.