Lou

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  • : Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

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23 novembre 2014 7 23 /11 /novembre /2014 01:15
Antoine Blondin, Monsieur Jadis

Antoine Blondin, Monsieur Jadis ou l'école du soir, La Table Ronde, 1970

Antoine Blondin, Monsieur Jadis

Antoine Blondin, 1979

 

Dans un fier sursaut de jeunesse, un quinquagénaire se laisse prendre dans une rafle de routine, sous le climat contemporain de Saint-Germain-des-Prés. Conduit dans l'un des rares postes de police qu'il ne connaisse pas encore, on l'y retient pour une vérification d'identité.

À la lumière de cette opération à double sens, qu'il mène pour son propre compte sur le plan de la mémoire, il voit surgir, sous le nom de Monsieur Jadis, le jeune homme qu'il a été, dans d'autres nuits, en d'autres temps, dans d'autres commissariats de police.

« Ma vie est un roman », entend-on dire couramment. Le narrateur prend cette assertion au pied de la lettre. L'image d'une silhouette légère sur la crête des rencontres, des amitiés, des amours, pourra-t-elle satisfaire le farouche jeune homme dont il s'est fait une joie de partager un instant la cellule, ou bien devra-t-il constater qu'il a voulu se mêler à qui ne le regardait pas ?

4e de couverture

 

En dédicace.

A l'abbé Pistre, la part de confession qui lui revient de droit.

A Yvan Audouard, les mensonges, en hommage au maître de la « vérité du dimanche ».

 

En exergue.

« Ma vie est un roman. »

(Tout-Un-Chacun)

 

Longtemps j'ai cru que je m'appelais Blondin, mon nom véritable est Jadis. C'est celui que je viens de donner au brigadier penché sur la main-courante de ce commissariat dont je ne soupçonnais pas l'existence.

 

Il pouvait être six heures du soir au carrefour de Buci. […] Assis par petits paquets sur le bord du trottoir, des adolescents, égarés dans quelle dimension, offraient la gravité lointaine d'un casse-croûte de cantonniers au revers d'un talus. […] Ainsi du geste absorbé des fumeurs : ils font chanvre à part jusqu'à ce qu'une guitare les accorde. Déjà le printemps agitait sur le quartier l'imminence bigarrée d'un crépuscule hippy.

 

Souvent, je me surprends dans une glace ; ce que j'y vois m'intrigue. […] Ces cheveux clairsemés, cette bouche démeublée, ces yeux qui peinent à accommoder sont un déguisement. L'être qu'il cache n'est autre que le jeune homme que j'étais, que je demeure. Entendons-nous : pas question de devenir un de ces vieux messieurs qui ont gardé le cœur jeune, je suis ce jeune homme dont l'enveloppe s'est usée.

 

I

Monsieur Jadis était encore à l'âge où l'on croit que l'espérance est belle sous les pas d'un promeneur, à minuit.

[…]

Le whisky aidant, on pouvait attribuer sa maigreur au raffinement, son dénuement à la désinvolture, son indécision à l'embarras d'un esprit trop sollicité.

 

II

Monsieur Jadis, comme Cadet Rousselle, avait trois maisons : l'une où ses enfants dormaient avec leur mère ; une autre où sa compagne dormait avec son mari ; la troisième où sa mère dormait avec son accordéon. Mais il en habitait, le plus souvent, une quatrième où tout le monde dormait avec tout le monde, car celle-ci, la seule où il disposât d'une clef, généralement pendue au tableau, était un hôtel sur le quai Voltaire, où il lui arrivait de s'enfermer à double tour pour mieux poser sur les paysages de son enfance le regard d'un homme libre.

 

Antoine Blondin se souvient de sa jeunesse à Saint-Germain-des-Prés dans les années '50, au temps où l'on voyageait avec Roger Nimier, Paul Morand, Albert Vidalie, Marcel Aymé, Juliette Gréco, Boris Vian, Jean Dauger... d'un comptoir à l'autre. Une vie de noctambule retrouvée par le hasard d'un brigadier autorisant le dédoublement de la personnalité. C'était un soir de Noël.

 

Écoutez-le.

 

Antoine Blondin, INA, 1979

 

Écoutez Boris Vian et ses frères.

 

Boris Vian à Saint-Germain-des-Prés, Le Tabou, Sheikh of Araby, 1958 – Alain à la batterie et Lélio à la guitare

 

Sur la route, vous verrez le Yang-Tsé-Kiang ou l'Espagne de Manolete, à moins que vous ne vous contentiez de La Bourboule...

 

Henri Verneuil, Un singe en hiver, 1962 – le Yang-Tsé-Kiang...

 

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19 novembre 2014 3 19 /11 /novembre /2014 01:39
Peter Cheyney, A toi de faire, ma mignonne

Peter Cheyney, A toi de faire, ma mignonne (Your Deal, My Lovely, 1941), traduit de l'américain par Marcel Duhamel, Gallimard, Série noire n° 21, 1949

Peter Cheyney, A toi de faire, ma mignonne

Reginald Evelyn Peter Southouse Cheyney est né le 22 février 1896 à Whitechapel, le quartier populaire de l'East End, d'un père poissonnier et, dit-on, ivrogne, Arthur Thomas Cheyney et de Catherine Sarah Southouse. Il passe son enfance dans ce quartier au sein d'une famille de cinq enfants. Il est renvoyé de plusieurs établissements scolaires. En 1913, il devient clerc de notaire, puis comédien, et écrivain : il invente les personnages de Slim Callaghan et Lemmy Caution.

 

Un gars qu'on appelle Confucius – et qui connaissait son affaire, à ce qu'il paraît – a certifié un jour par écrit, que chaque fois qu'il avait vu, dans sa vie, un jobard assis dehors sous la pluie en train de regarder les gens sans les voir et faisant une bobine comme s'il avait reçu dans les narines un coup de fer à repasser – eh bien, c'était toujours à cause d'une poupée que le jobard en question était dans cet état lamentable...

Peut-être bien que le Confucius m'avait rencontré avant d'écrire ça dans son livre.

[…]

Mais je ne m'en fais pas de trop pour tout ça, parce que je ne pense qu'à la môme Carlette.

Cette môme a tout ce qu’on peut rêver – et même davantage. Il faudrait être commis voyageur pour savoir vanter cette marchandise-là comme elle le mérite. Mais quand même, je pourrais vous raconter des choses sur la géométrie de cette poulette – des choses qui vous rendraient honteux d’être mordus si fort pour celle que vous fréquentez en ce moment.

[…]

Je vous garantis que si Eve avait été aussi bien balancée que cette môme-là, Adam n’aurait pas hésité si longtemps. Il aurait fichu le serpent hors du Paradis, et il aurait cueilli lui-même les pommes. Les pommes de tous les pommiers. Comme s'il avait été fabricant de confitures.

[…]

Il n'y a qu'une seule façon de se protéger des dames : c'est d'en aimer plusieurs à la fois. Parce que sans ça, le jour où elle vous juge suffisamment ramolli, la dame de vos pensées vous décoche un suprême regard bleu qui vous met dans un tel état de gâtisme que, comparé à vous, l'idiot du village passerait pour être un nouveau Washington. Et le tour est joué !

 

Lemmy Caution, agent du FBI, vient en Angleterre, dans les '40, pendant la guerre, à la demande de l'Inspecteur Principal Herrick, connu depuis l'affaire Van Zelden, en 1936. Il voyage sous le nom de Elmer T. Thaxby, de Coldsprings, Colorado : le premier vendeur d'Amérique, de boulons et d'écrous. A l'arrivée du Florida, il est accueilli par l'inspecteur Rapps, Police de Southampton. Il prend le train pour Londres en compagnie de Carlette, la môme rencontrée sur le paquebot.

A la gare, il est attendu par Grant, détective à la Special Branch, annoncé par un message de l'Inspecteur Principal Herrick et envoyé au radio du bord.

 

Alors voilà l'histoire, dis-je. Il y a six mois, un gars qui s'appelle Whitaker et qui habite Kansas City, a inventé un nouveau modèle de bombardier-en-piqué. Quelque chose de merveilleux. Mais ce Whitaker est un gars un peu bizarre.

[…]

Autrement dit, que le gars Whitaker se triturait le ciboulot, le cœur et le foie, à cause d'une souris. Toujours la même vieille histoire.

[…]

Il disparaît de la circulation. Volatilisé !

 

Elmer Whitaker a été enlevé, il est séquestré par la bande de Carlo Panzetti, un gang de la Gestapo, c'est sûr.

 

Rien n'est sûr.

 

Le câble transmis par le radio était faux. Le radio est un complice. Grant n'est pas Grant. Carlette Francini, la belle en croisière, est avec Panzetti. Et la môme Montana Kells ! Un poison !

 

Geralda Varney, une rouquine comac, c'est autre chose.

 

Willie Kritsch, un tueur, s'est approprié les pièces d'identité de Lemmy et se fait passer pour lui.

Geralda... Comme elle croyait être en présence d'un faux Lemmy Caution, le vrai l'a enfermée dans son garage.

Vous suivez ?

Quand il revient la chercher, elle a filé.

Ce qui prouve que Confucius avait raison quand il a écrit quelque part dans son livre « Jamais vous ne trouverez une belle môme à l'endroit où elle devrait être, au moment où elle devrait y être. »

Confucius est un sage.

Lemmy finit par retrouver Whitaker, prisonnier dans une villa des gangsters. Mais il a un doute : Whitaker n'est pas Whitaker, c'est encore un gars de la bande, il le ficelle. En fait, le présumé faux Whitaker était Whitaker.

Ça va toujours ?

Les « bleus », les plans, tant convoités, ne sont pas complètement terminés : l'ingénieur a laissé de côté une partie essentielle – c'est le gage de sa santé.

 

L'intrigue est bien ficelée (on ficelle à tour de pages, et le lecteur ne voit pas les ficelles).

 

Ça parle du vrai et du faux : fausses identités, faux-semblants, et même faux billets dans la transaction pour acquérir les « bleus ».

 

Cherchez le coupable !

 

A la fin... Geralda, toujours sincère, fond dans les bras de Lemmy.

 

J'aime énormément le poker, Lemmy. Nous devrions y jouer, vous et moi, un jour.

[…]

A toi de faire, ma mignonne !

 

Le double-whisky est servi à toutes les pages – avec les cigarettes. Une lecture éprouvante pour qui n'a pas le foie.

 

Peter Cheyney, La Môme vert-de-gris – Ah ! ces gonzesses...

(l'aventure est citée dans A toi de faire, ma mignonne)

 

* * *

 

FILM

Peter Cheyney, A toi de faire, ma mignonne

Bernard Borderie, A toi de faire… mignonne, musique : Paul Misraki, 1963

 

Paul Misraki, A toi de faire… mignonne + Petite Samba, 1963

 

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15 novembre 2014 6 15 /11 /novembre /2014 01:53
Commerce allégé, vallse des enseignes

Carole Delga à l'étal – en miroir

 

Sète : la secrétaire d’État Carole Delga rencontre les commerçants des halles.

Carole Delga, de passage dans la région, a salué les commerçants des halles sétoises.

« On va alléger vos charges dès 2015 », explique-t-elle à l'une des charcutières. La réponse fuse, polie mais empreinte d'un scepticisme non dissimulé : « J'attends de voir. »

 

Voyons.

 

Une petite ville en France de nos jours.

 

Dans l'ancienne rue commerçante les boutiques sont fermés depuis sept ans (de malheur) et un peu plus.

 

Dans son prolongement qui descend vers le château, le sinistre s'est déclaré en 2003. Les flammèches en affiches ont gagné le quartier – A louer, A Vendre... Les annonces, jaunies par le temps, n'ont plus cours : des agences immobilières ont fait long feu.

 

Sur la place de l'église, entre les deux rues, il reste un courageux couple d'épiciers (produits du terroir, cartes postales), un antiquaire (à l'ouest, rien de neuf), un café entr'ouvert. En saison (en toute saison), il y a des touristes, et, le dimanche, des indigènes ruraux qui ont déposé femme et enfants à la messe.

 

D'autres ont déserté : un encadreur, artisan-artiste ; un je-ne-sais-quoi – le temps efface la mémoire.

 

On observe la sollicitude, la permanence, la solidaritude de l'équipe municipale qui entretient la vie en potiche.

 

Certains commerçants ont émigré dans les galeries marchandes des deux grandes surfaces, ou bien sur leurs parkings (gratuits et illimités), mais, là également, les enseignent vallsent.

On liquide.

 

Libellus est consacré à la littérature, aux beaux-arts, à l'esthétique, à l'Histoire.

Voyons quelques monuments historiques.

Commerce allégé, vallse des enseignes

Zone, bornes. Morne zone.

Commerce allégé, vallse des enseignes

CHOK. La brigade des feuilles a gerbé devant les vitrines desséchées. On le verra encore plus loin.

Commerce allégé, vallse des enseignes

En blanc, couleur du deuil nippon, avec trois points verts pour égayer.

Commerce allégé, vallse des enseignes

En noir et jaune. Les ordures sont cabossées.

Commerce allégé, vallse des enseignes

En perspective et profondeur. La préférée de Des pas perdus, qui, chaque dimanche, nous apporte sa moisson de vitrines en faillite.

Commerce allégé, vallse des enseignes

Entrée libre. C'était écrit.

Commerce allégé, vallse des enseignes

Grille ouverte.

Commerce allégé, vallse des enseignes

Un bon horloger. Il a baissé le rideau. Les pendules ne sont plus à l'heure.

Commerce allégé, vallse des enseignes

A-t-on besoin d'une librairie ? La lecture est nuisible à l'homme. Reading is bad for human being. La lectura es muy mala para los hombres. Une papeterie ? Pour écrire ? Et puis quoi encore !?

Commerce allégé, vallse des enseignes

Ne reprisez plus. Jetez. Consommez.

Commerce allégé, vallse des enseignes

Véritable reflet de Lou, sur la porte vitrée (vous ne voyez pas ?).

Commerce allégé, vallse des enseignes

Valls-nu-pieds.

Commerce allégé, vallse des enseignes

La messe est dite.

 

« On va alléger vos charges dès 2015 ».

On attend de voir.

Pour ce qu'il en reste...

 

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11 novembre 2014 2 11 /11 /novembre /2014 01:33
Henri Valentino, Bilan de la Troisième République – le bilan est sombre

Henri Valentino, Bilan de la Troisième République, (1870-1940), Sorlot, 1943

Henri Valentino, Bilan de la Troisième République – le bilan est sombre
Henri Valentino, Bilan de la Troisième République – le bilan est sombre
Henri Valentino, Bilan de la Troisième République – le bilan est sombre

Marcel Baschet, Philippe Pétain, in L'illustration n° 5074, 1er juin 1940

 

Le bilan est sombre. Il est conclu dans l'Avant-propos :

Les institutions démocratiques ont aggravé la perversité naturelle de l'homme et corrompu les mœurs publiques.

 

Foin d'un rousseauisme vulgarisé à l'usage des illettrés : l'homme est naturellement pervers – et la femme !

 

> note 1, en bas de page

 

Enfin, le Marxisme, favorisé par la Franc-Maçonnerie, tombée sous l'emprise des Juifs, a achevé de tout ruiner.

L'acte d'accusation de la IIIe République eût comporté assez de griefs – bien avant 1940 – pour motiver sa condamnation : démoralisation de la jeunesse par l'enseignement matérialiste de l'école – et du corps des fonctionnaires par un favoritisme éhonté, décidant du choix et de l'avancement des agents de l'Etat ; ébranlement des croyances et des lois morales entraînant le déclin de la famille et la baisse de la natalité ; dilapidation des fonds publics ; fréquence des scandales politico-financiers ; encouragement au désordre par une indulgence systématique à l'égard des partis d'extrême-gauche ; maintien des privilèges du grand capitalisme et des trusts ; insuffisance des réformes sociales ; incapacité d'établir la paix entre les citoyens et de créer une mystique nationale, ralliant autour d'une idée-force la communauté française.

 

Le marteau, la faucille et le compas, sous l'étoile de la honte, ont tout détruit. Le marteau n'a servi qu'à frapper l'enclume de notre esprit. La terre ne ment pas, mais la faucille emporte le bon grain. Et qu'avons-nous à faire de savants !? L'homme en sait toujours trop – et la femme !

La jeunesse, corrompue par nature, était insensible aux leçons de morale dispensées par les « hussards noirs » : nous nous en sommes dispensés.

Les favorisés étaient devenus nantis.

On ne croyait plus aux croyances. La foi, disaient les prêtres, des réfractaires, n'est pas une croyance.

On ne faisait plus d'enfants : la chasteté amoureuse avait instillé son venin.

Et la dilapidation des fonds publics ? Et les quotidiens scandales politico-financiers ? Ne vous y trompez pas. On vous parle de la IIIe, et non pas de la Ve.

Le désordre, l'extrême-gauche en toute indulgence, les privilèges du grand capital planétaire, les réformes sociales à la baisse, la guerre et non l'amour, l'impuissance à lever haut un front national et français, vous le voyez bien, c'est d'autrefois.

 

> note 2 en bas de page

 

Ainsi périt la IIIe République dans la soixante-dixième année de son âge... Mais la France survivait et c'était l'essentiel.

 

Enfin le maréchal vint, dans la quatre-vingt-quatrième année de son âge.

Maréchal, nous voilà !

 

André Montagard, Charles Courtioux, Maréchal, nous voilà !, 1941 – une « étrange similitude » avec un air d'opérette, La Margoton du bataillon, de Casimir Oberfeld, mort en déportation à Auschwitz, en 1945.

 

Armand Bernard, La Margoton du bataillon, enregistré le 6 Avril 1933

Henri Valentino, Bilan de la Troisième République – le bilan est sombre

Marion, à notre secours !

 

Seizième législature (1936-1940)

1936 – Juin

La chambre « rouge-horizon » prit séance sous le signe de l'optimisme.

 

On voyait le crépuscule.

 

[…] Léon Blum […]. Jamais encore un fils d'Israël n'avait occupé dans notre pays la charge suprême du gouvernement.

[…]

Son cabinet, farci de juifs, de maçons et de marxistes, ne comprenait pas moins de trente-cinq ministres et sous-secrétaires d'Etat (un record) parmi lesquels l'insulteur du drapeau Jean Zay, juif et maçon, à l'Education nationale, le F /\ Salengro, qu'on accusera de désertion pendant la guerre, à l'Intérieur, le 32e degré Chautemps à la vice-présidence du Conseil, et aux Finances un méridional bon teint, à tête de Robert Macaire, le F /\ Vincent Auriol.

[…] la semaine de 40 heures, les congés payés, les contrats collectifs et un plan de grands travaux.

 

Pour Noël, on vous donnera la recette du cabinet farci – laissez vivre les dindes, elles ne sont pas juives !

 

En bref, la proclamation de la République communiste, aboutissement fatal de la démocratie qui, par une pente naturelle, menait au marxisme intégral […], […] à cette saturnale moscovite.

 

Enfin Hitler vint proposer la paix à la France. Son génie fut méconnu, de son vivant.

 

Encore une tranche ? Goulu vous êtes ! Juif vous avez l'air.

 

On ne dit pas « Juif vous avez l'air » mais « Vous avez l'air juif ». Par exemple, si je vous dis « Con vous êtes », c'est juste, mais c'est pas français.

Gérard Oury, L'As des as, 1982

 

La dramatique affaire Dreyfus est commentée dès les premières pages de 1894, et tout au long du roman – de l'Histoire, si vous y tenez –, 19 occurrences de la page 68 à la page 169, et l'annonce des déprédations à la page 53.

Le traître est libéré sous la pression des Juifs et des F /\. L'honorable commandant Esterhazy est mis aux fers et le coupable petit capitaine est réhabilité. Coupable ? Il était bien juif.

 

Pour mémoire, quelques répliques de Au bon beurre (Edouard Molinaro, 1981, avec Jean Dutourd, l'auteur du roman).

Avez-vous déjà vu un juif ancien combattant ? Moi, jamais !

C'est vrai, quand on y pense.

Vous prenez aussi les JQ de février ?

Ils ne sont plus valables. Pas la peine de garder tout ça, parce qu'après on s'y perd.

Et un quart de bleu !... horizon ! Garanti 0% de matière grasse.

La République, c'est la canaille au pouvoir.

 

_ _ _

 

note 1

La nature est nuisible à l'homme.

Nature is bad for human being.

La naturaleza es muy mala para los hombres.

 

* * *

 

note 2

Les chefs-d’œuvre du passé sont bons pour le passé : ils ne sont pas bons pour nous.

Antonin Artaud, Le théâtre et son double, 1938

 

On juge un civilisé à la façon dont il se comporte et il pense comme il se comporte; mais déjà sur le mot de civilisé, il y a confusion ; pour tout le monde un civilisé cultivé est un homme renseigné sur des systèmes, et qui pense en systèmes, en formes, en signes, en représentations. C'est un monstre chez qui s'est développée jusqu'à l'absurde cette faculté que nous avons de tirer des pensées de nos actes, au lieu d'identifier nos actes à nos pensées. Si notre vie manque de soufre, c'est-à-dire d'une constante magie, c'est qu'il nous plaît de regarder nos actes et de nous perdre en considérations sur les formes rêvées de nos actes, au lieu d'être poussés par eux.

Antonin Artaud, Le théâtre et son double, 1938

 

Ceci dit, on peut commencer à tirer une idée de la culture, une idée qui est d'abord une protestation. Protestation contre le rétrécissement insensé que l'on impose à l'idée de la culture en la réduisant à une sorte d'inconcevable Panthéon ; ce qui donne une idolâtrie de la culture, comme les religions idolâtres mettent des dieux dans leur Panthéon. Protestation contre l’idée séparée que l’on se fait de la culture, comme s’il y avait la culture d’un côté et la vie de l’autre ; et comme si la vraie culture n’était pas un moyen raffiné de comprendre et d’exercer la vie.

Antonin Artaud, Le théâtre et son double, 1938

 

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7 novembre 2014 5 07 /11 /novembre /2014 01:11
Seichō Matsumoto, Journal local

Seichō Matsumoto, La Femme qui lisait le journal local (地方紙を買う女), 1957, traduit par Gérard de Chergé, d'après la version anglaise The woman who took the local paper, in Ellery Queen's Mystery Magazine, 1979 ; illustrations originales de Tripp, Futuropolis, 1985

Seichō Matsumoto, Journal local

Seichō Matsumoto, 1955

Seichō Matsumoto, Journal local

Yoshiko Shioda, une hôtesse du bar Rubicon, à Tokyo, s'abonne au journal de Koshin, le 21 février : elle demande à recevoir le quotidien depuis le 19 février – le roman-feuilleton en cours la passionne !

Pendant deux semaines, rien de particulier n'attirait son attention.

Le quinzième jour, un changement survint. […] une carte postale […] signée Ryuji Sugimoto […] : « Ayant appris que vous lisiez mon roman, Les Brigands, qui est publié actuellement en feuilleton dans le journal de Koshin, je tiens à vous remercier de l'intérêt que vous y prenez. »

Yoshiko suspend son abonnement après le numéro du 17 mars dans lequel un article relate un fait-divers banal : deux corps en décomposition, depuis environ un mois, ont été retrouvés dans la vallée des suicidés – une coutume... Deux amoureux désespérés...

Ryuji, blessé de perdre une fervente lectrice alors que son roman avance, se lance dans une enquête. Elle est charmante – tous les charmes qu'on peut attendre d'une hôtesse –, elle est étrange, oui.

Pourquoi s'est-elle abonnée en demandant explicitement à recevoir le numéro du 19 février, puis désabonnée le 17 mars ?

Ils conviennent d'un pique-nique, mais, pour une première fois, il pourrait venir avec une amie.

Ils se retrouvent donc, tous les trois, dans la montagne. On s'installe. Le romancier a compris : il refuse les sushis, préparés par la charmante empoisonneuse. Perdu ! Elle les mange tous, et elle n'en meurt pas.

Une fois rentrée chez elle, la belle venimeuse écrit à l'écrivaillon : le poison des amoureux du 18 février (lui, il était son amant, mais il avait une autre maîtresse) était dans de petits gâteaux, au cyanure ; pour le couple indiscret, c'était dans les bouteilles de jus de fruits, qu'elle a rapportées chez elle.

Seichō Matsumoto, Journal local

Elles ne seront pas perdues : je vais en boire une maintenant...

 

C'est très léger, 35 pages, petit format. C'est joli, on aime bien les meurtres en série qui s'enchaînent de manière logique.

 

Un peu de musique ?

On l'entend peut-être dans les bars où les hôtesses distillent le désir et la mélancolie.

 

Higurashi no Naku Koro ni (ひぐらしのなく頃に, Quand pleurent les cigales) est le thème d'ouverture de Higurashi no Naku Koro ni anime, int. Eiko Shimamiya, in album O, Geneon, 2006

 

* * *

 

Remerciements à Bruno qui nous a offert ce livre, devenu rare, et bien d'autres choses. Sa caverne est de trésors, et il est généreux.

 

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3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 01:11
Sigmar Polke, De la couleur avant toute chose

Sigmar Polke est né le 13 février 1941, à Oels, dans une région de la Pologne alors annexée par l'Allemagne nazie (la Basse-Silésie). En 1953, il fuit avec sa famille l'Allemagne de l'Est pour s'installer à Düsseldorf. Là, il intègre l'Académie des beaux-arts, où il rencontre Gerhard Richter avec lequel il fonde le mouvement pop allemand : le réalisme capitaliste. Il est mort d'un cancer le 11 juin 2010, à soixante-neuf ans et à Cologne, victime des résines délétères et des pigments vénéneux dont il faisait son quotidien en peinture.

 

Deux tableaux.

Sigmar Polke, De la couleur avant toute chose

Hände (Mains), 1988

Œuvre figurative – une photographie reproduite sur la toile.

Sigmar Polke, De la couleur avant toute chose

Triptichon (Triptyque), 1994

Œuvre abstraite – la peinture, et elle seule.

 

L'ironie et le discours politique se montrent mais ne disent rien de la peinture.

 

La couleur atteint un raffinement que Sigmar Polke dit comme « l'incandescence ».

Le fond brun de Hände révèle les teintes irisées du spectre de la lumière, et sur Triptichon, les montants du châssis, en transparence, participent à la composition.

On voit l'importance de la matière : transparence de la résine, moirures, fluidités.

 

L'autorité des couleurs tempère l'ironie, estompe le message politique et sublime le motif en le dotant d'une somptuosité inouïe. Sans quoi, Hände ne serait qu'une illustration et Triptychon, un papier peint.

 

De la couleur avant toute chose !

 

The Dead Weather, No Horse – Live from Third Man Records

 

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29 octobre 2014 3 29 /10 /octobre /2014 01:09

C'est un ouvrage que l'on a connu, il y a bien longtemps, et qui s'est égaré dans les couloirs de la vie.

Guy des Cars, La Brute

On l'a retrouvé, dans un écrin pleine peau.

Guy des Cars, La Brute

Guy des Cars, La Brute, Flammarion, 1951 – première édition

Les couvertures ont un peu souffert, le livre a voyagé.

Guy des Cars, La Brute

En page de garde et en page de titre, on reconnaît les cachets des grandes bibliothèques d'antan.

A la page 31, on aperçoit encore l'encre estompée par le temps et le vent des sables : « Bibliothèque des officiers de la garnison de Tiznit ».

Les commentaires (modérés) susurrant, même implicitement, que Lou partage les lectures des Rouges, seront implacablement censurés, en toute tolérance.

 

C'est l'histoire d'un procès, de son instruction, de l'enquête menée par un vieil avocat, commis d'office pour défendre un client perdu d'avance.

 

Victor Deliot, inscrit au Barreau de Paris depuis quarante cinq années, est un inconnu à la robe élimée, qui ne traite que les menus délits en Correctionnelle, quatre ou cinq fois par an.

Son vieil ami, devenu le bâtonnier Musnier (après un premier procès très médiatique, une affaire de scandale privé et politique), l'invite dans son noble bureau au Palais.

Depuis le temps des études, au temps où Victor, brillant étudiant, aidait son camarade à préparer les examens, le bâtonnier a ignoré l'ancien condisciple. Il lui offre la chance qui lui a manqué : passer aux Assises !

 

Vous vous souvenez de l'affaire Vauthier ?

 

Jacques Vauthier a tué un Américain, John Bell, à bord du De Grasse, pendant une traversée de New-York au Havre.

Un crime insensé dont le véritable mobile n'a pu encore être découvert. Vauthier a tué un homme qu'il n'avait jamais vu, qui ne le connaissait pas, et qu'il n'a pas volé.

 

Le tueur, encore maculé du sang de sa victime, a été arrêté sur-le-champ par le commandant.

Il avoue le crime et refuse d'être défendu.

Victor Deliot reprend le dossier. Le copain d'avant, aujourd'hui honoré, lui aurait-il fait une fleur, tardivement ?

C'est-à-dire que les plus grands ténors du Barreau, sollicités au commencement, se sont tous désistés. Il ne reste que le minable, sa première chance, si l'on peut dire – parce que l'affaire est jugée, le prévenu est coupable, il est déjà condamné.

 

Et s'il était innocent ?

 

Victor Deliot, soixante-huit ans – l'histoire se tient en 1950 – mène l'enquête, avec son assistante, Danielle Gény, jeune étudiante terminant son Doctorat en Droit – elle est la seule femme autorisée dans l'intimité du vieux garçon misogyne, avec Louise, la femme de ménage.

 

Première rencontre à la Santé.

D'après les premiers renseignements que j'ai sur lui [dit-il au gardien], ce garçon est instruit, très intelligent... Vous a-t-on dit que cette brute a même écrit un bouquin ?

Oui, L'Isolé, publié cinq ans auparavant – le jeune écrivain avait vingt-deux ans. Le livre n'a pas été réimprimé, il est devenu introuvable.

 

Le prisonnier n'est pas bavard, il devient violent quand on le touche.

Il est sourd, muet et aveugle, de naissance.

Il lui reste l'odorat, le goût et le toucher.

 

Un livre introuvable ? Pas pour l'ami Bauchet, le meilleur des libraires. Jacques a écrit son récit avec sa femme, Solange.

 

Victor se rend à l'Institution de la rue Saint-Jacques. Le directeur lui enseigne comment on éduque un sourd-muet-aveugle en combinant les méthodes de l'Institution Nationale des Sourd-Muets et celles de la Fondation Valentin Haüy. A Sanac, dans la Haute-Vienne, un homme a définitivement mis au point la méthode : Yvon Rodelec, un religieux de l'ordre des Frères de Saint-Gabriel.

 

On part du connu vers l'inconnu, de l'objet palpé au signe mimique qui le représente ; ce n'est qu'ensuite qu'on peut apprendre l'alphabet dactylologique – et la reconnaissance, la reproduction, des sons qu'il n'entend pas, ce qui lui permet de s'exprimer, de manière imparfaite, en langage oral. Enfin, l'écriture Braille.

 

Victor rencontre Simone Vauthier, la mère de Jacques, puis Solange Vauthier, blonde, fine, jolie.

 

Le procès s'ouvre le 20 novembre. Le directeur de l'Institution de la rue Saint-Jacques est le premier interprète. Danielle Gény est aux côtés de Me Deliot. La partie civile est assurée par le redoutable Me Voirin.

La Cour entre : le premier président, Legris, et ses assesseurs, l'avocat général Berthier, encore plus inquiétant.

 

Jacques Vauthier est né le 5 mars 1923, 16, rue Cardinet, à Paris (on est donc en 1950).

Le père, Paul Vauthier, est mort le 23 septembre 1941.

La mère, Simone Vauthier, née Arnould.

Une sœur, Régine.

 

Jacques a passé les dix premières années de son existence, entouré des siens et soigné par une toute jeune bonne, de trois ans seulement son aînée, la petite Solange Duval.

Il séjourne ensuite douze années à Sanac.

Six mois après la parution de L'Isolé, Solange Duval a épousé Jacques Vauthier à Sanac.

Pendant cinq ans, ils font une tournée de conférences aux États-Unis, pour présenter les recherches en éducation des sourds-muets-aveugles. Au retour, c'est le drame à bord du De Grasse.

 

Vient le défilé des témoins.

 

Premier témoin cité par l'Accusation : Henri Téral, steward à bord du paquebot De Grasse. Il a découvert le cadavre encore tiède, et Jacques Vauthier, prostré dans la cabine, les mains souillées de sang.

Deuxième témoin : André Bertin, premier commissaire de bord sur le paquebot De Grasse.

Troisième témoin : le commandant Charlot.

Quatrième témoin : le docteur Langlois, premier médecin à bord du De Grasse.

Cinquième témoin : l'inspecteur principal Mervel, monté à bord du paquebot à son arrivée au Havre. Il a interrogé Jacques, puis l'a fait écrouer à la Santé.

Sixième témoin : le professeur Delmot. Il a examiné Jacques et en a conclu qu'il était tout à fait normal, et d'une intelligence supérieure.

Septième témoin : Thomas Bell, sénateur de l'Ohio, père de la victime, son fils unique – la mère est morte en couches.

Huitième témoin : Régine Daubray, sœur de Jacques.

Neuvième témoin : Georges Daubray, le beau-frère.

Dixième témoin : Mélanie Duval, mère de Solange.

Onzième témoin : le doyen Marnay, de la Faculté des Lettres de Toulouse.

Douzième témoin : Jean Dony, aveugle, organiste à la cathédrale d'Albi.

 

Premier témoin cité par la Défense : Simone Vauthier, la mère.

Deuxième témoin : Yvon Rodelec, directeur de l'Institution Saint-Joseph, à Sanac.

Troisième témoin : le docteur Dervaux, médecin attitré de L'Institution.

Quatrième témoin : Dominique Tirmont, frère-portier de l'Institution.

Cinquième témoin : Solange Vauthier, l'épouse.

 

Suivent les réquisitoires.

 

Selon la Défense, Jacques Vauthier est innocent.

L'assassin est dans la salle, il est venu à la barre.

Accablé par l'avocat, il passe aux aveux.

 

L'avez-vous trouvé ? Vous savez bien que le coupable, c'est toujours le majordome.

 

Une intrigue policière peut être représentée en une grille de deux lignes et x colonnes.

 

Personnages

Majordome

Pierre

Paule

Jacques

Fonctions

?

jeune héritier

maîtresse éconduite

mari jaloux

 

La fonction « coupable » n'est pas attribuée et l'un des personnages n'a pas de fonction dans l'intrigue : le coupable est le majordome.

 

C'est un roman policier. Le scénario est habilement, et lentement, construit (le synopsis tiendrait en une demi-page). Le récit est écrit avec élégance. Mais au-delà du roman, il y a une question : quel droit peut-on accorder à la différence et à l'intelligence mêlées ?

Guy des Cars, La Brute

Le roman a été adapté au cinéma par Claude Guillemot,

Guy des Cars, La Brute

en 1987 – il est mort en janvier de cette année.

Xavier Deluc est Jacques Vauthier, Assumpta Serna, Solange Vauthier, Jean Carmet, Me Deliot. Tous excellents.

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25 octobre 2014 6 25 /10 /octobre /2014 00:09
Alan Silitoe, Tony Richardson, La solitude du coureur de fond

Alan Silitoe, La solitude du coureur de fond (The Loneliness of the Long Distance Runner, nouvelle tirée d'un recueil du même nom, 1959), traduction française d'Henri Delgove, Éditions du Seuil – La Petite Ourse, Lausanne, 1966, pour la présente édition

Alan Silitoe, Tony Richardson, La solitude du coureur de fond

Frontispice de Pierre Monnerat

Alan Silitoe, Tony Richardson, La solitude du coureur de fond

Alan Sillitoe, né le 4 mars 1928 à Nottingham, dans une famille d'ouvriers, est l'un des Angry Young Men (Jeunes gens en colère), un mouvement littéraire ainsi forgé par la presse britannique dans les années 1950.

 

« Dès mon arrivée au Borstal, ils ont fait de moi un coureur de fond en cross. Ça doit être parce qu'ils trouvaient que j'avais la découpure qu'il faut, parce que j'étais grand et musclé pour mon âge (et je le suis toujours). Au fond, pour vous dire le vrai, je ne m'en faisais guère pour ça, parce que, de courir, ça a tout le temps été le fort dans notre famille, surtout quand il s'agit de se défiler de la police. Moi, j'ai toujours été bon à la course, avec, à la fois, du sprint et de la foulée, mais le seul ennui, c'est que malgré toute ma vitesse, et pour savoir jouer des flûtes, vous pouvez être, sûr que je m'y connais, même si c'est moi qui vous le dis, c'est pas ça qui m'a empêché de me faire piger par les cognes le jour que j'ai fait la boulangerie. »

 

La solitude du coureur de fond est une longue nouvelle (126 pages dans notre édition). C'est l'histoire de Colin Smith, un jeune homme âgé de dix-sept ans, placé dans un centre de redressement après un vol dans une boulangerie. Le directeur de l'établissement, « ce gros pansu de salaud avec ses yeux de veau », remarque ses qualités d'endurance et il mise sur lui pour remporter l'épreuve de course de fond qui oppose chaque année ses sujets aux élèves d'un collège privé.

Smith court et lui refuse la victoire : son indépendance l'emporte.

 

« C’est ça, qu’ils disent, l’entraînement idéal pour la grande journée des championnats, quand tous les messieurs-dames à groin de cochon – qui ne savent même pas que deux et deux font quatre et qui seraient empotés comme des manches s’ils n’avaient pas leurs esclaves pour les servir au doigt et à l’œil- viendront nous faire de beaux discours pour nous démontrer qu’il n’y a rien comme le sport pour vous ramener dans le droit chemin et vous empêcher d’avoir les doigts qui vous démangent de taquiner les serrures de leurs boutiques et de leurs coffres-forts, ou de vider les pennies de leurs compteurs à gaz avec des épingles à cheveux. Et comme récompense, on vous donnera un bout de ruban bleu et une coupe, après que vous vous serez bien esquintés à courir ou à sauter, tout comme des canassons, avec cette différence que les canassons, eux, on les traite mieux que nous ensuite. »

 

Le directeur joue sur la confiance : soyez franc jeu et vous en serez récompensés. Hypocrisie flagrante : son laquais juteux ne sait que gueuler au garde-à-vous. Le coureur sort ses tripes, mais il ne montre pas ce qu'il pense.

 

« Il possède peut-être des milliers de livres, et il est même bien possible qu'il en ait écrit lui-même, mais je suis bien tranquille, aussi sûr que je suis ici, que ce que je gribouille, ça vaut un million de fois ce qu'il pourrait jamais écrire. »

 

« Parce qu'une autre chose que les gens comme le directeur n'arriveront jamais à comprendre, c'est que je suis honnête, moi, et que je n'ai jamais été autrement qu'honnête, et qu'honnête, je le serai toujours.

[…]

Je suis convaincu que mon honnêteté est de la seule espèce qui existe au monde, et lui croit également que la sienne est la seule. »

 

Colin pense.

 

« C'est qu'il faut que je vous explique que mon paternel était mort d'un cancer de la gorge et que la mère avait touché un petit magot de cinq cents livres de l'assurance et comme primes de l'usine où il travaillait, "pour adoucir votre chagrin", qu'ils avaient dit, ou quelque chose du même genre. »

 

Après des achats de nippes, télé, mangeaille, il en restait trois cents gros billets.

 

La publicité de la télé fait miroiter tout ce qu'on peut acheter : les choses s'animent, alors que les réclames glacées du cinéma et les minables affiches n'ont pas de vie.

Colin et son copain Mike cassent le coffret de la caisse chez un boulanger. En rentrant, ils sifflent un air ancien.

 

John Walter Bratton, Teddy Bear Two-Step, 1907 – int. Rodney Jantzi, 2013, sur un Berlin Reed Organ, fabriqué à Berlin (Kitchener), Ontario, Canada, en 1904.

Alan Silitoe, Tony Richardson, La solitude du coureur de fond

Des paroles furent ajoutées à la mélodie en 1932 par Jimmy Kennedy, et la chanson devint Teddy Boys' Picnic.

 

Les deux Boys coulent les liasses de fafiots dans la descente d'eau devant la porte de la maison. Les flics les ont reconnus grâce à un témoignage. Ils viennent interroger Smith, il pleut, la gouttière vomit ses billets.

 

Au Borstal.

 

« L'abruti d'enflé de directeur expliquait à un abruti d'enflé de membre du Parlement […] que c'était uniquement sur moi qu'il comptait pour gagner pour le Borstal la Coupe du Ruban bleu du Championnat d'Angleterre de cross en fond. »

 

La course est lancée. Smith est loin en tête. Près de la ligne d'arrivée, il s'arrête, attend le second (venant du collège privé), le laisse passer.

 

Après six mois de travaux forcés aux corvées, en récompense, il est libéré. Il reprend son métier de crocheteur, tout en écrivant son récit qu'il confie à un ami sûr en vue de le faire paraître en livre, si les flics [lui] remettent le grappin dessus.

 

Le texte n'a pas vieilli, ni dans le propos d'un rebelle refusant une société injuste et, selon lui, définitivement figée, ni dans la musique de l'écriture dont on a pu se faire une idée plus haut.

 

Le film.

 

Alan Sillitoe (scénario), Tony Richardson (réalisation), The Loneliness of the Long Distance Runner, avec Tom Courtenay (Colin Smith, le coureur de fond), Michael Redgrave (Ruxton Towers, le directeur du centre) ; musique : John Addison ; montage : Antony Gibbs, 1962.

 

« Le beau titre. Comme tous les beaux titres, il satisfait d’abord à son harmonie propre. Satisfaction qui relève du « charme » poétique. Puis viennent les interprétations. Elles sont au moins deux comme pour toute poésie. Au premier degré nous demeurons sur le plan des apparences, de la réalité pure et simple : il s’agit bien d’un coureur de fond qui, tout le long de sa course épuisante, se trouve seul, livré à ses seules ressources physiques et morales. […] Au deuxième degré, sur le plan du symbole : tout au long de sa vie, assimilée à une épreuve sportive, tout homme est ce coureur solitaire, surtout quand il a choisi la révolte. Tout le film de Richardson se bâtit sur l’étroit enlacement de deux suites de scènes en accord avec cette double interprétation ; […] La réussite de ce film tient beaucoup à l’étonnante présence de Tom Courtenay. D’un physique plutôt ingrat – qui évoque l’oiseau tombé du nid, le petit animal frileux – il joue avec une étonnante variété. […] Excellente bande sonore où la musique, loin de faire double emploi avec l’image, joue en contraste grinçant (les cantiques sur une des images de passage à tabac) ou indique le sentiment suggéré par le mouvement de la caméra (jazz, par exemple, pour souligner la joie ou le burlesque) ; habilité du montage greffant l’une sur l’autre les deux suites d’images d’une façon dépouillée arbitraire. […] Mais la caméra travaille à suggérer par son mouvement les mouvements sur lesquels l’histoire se déroule. […] Elle s’efforce, court, souffle, halète, s’éblouit en accord avec Smith, ou s’immobilise (plan général) pour mieux s’étendre sur les paysages lorsque les quatre jeune chiens, au bord de la mer, gesticulent à la limite de l’horizon ou que le coureur s’élance dans la vaste fraîcheur de l’aube. »

Jean-Louis Bory, Des yeux pour voir, 1971

 

La fin du film, la course (V.O. non sous-titrée) : on peut commencer à 11' 41", mais on peut, encore mieux, emprunter ou acquérir le film (V.O. s/t français).

 

Alan Silitoe, Tony Richardson, The Loneliness of the Long Distance Runner, 1962

 

* * *

 

Teddy Boys' Picnic

 

If you go down in the woods today

You'd better go in disguise

In drainpipe trews and high coloured shoes

And something intense in ties

No need to wash its going to rain

Just take your cosh and your bicycle chain

Todays the day the teddy boys have their picnic

 

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21 octobre 2014 2 21 /10 /octobre /2014 00:09
Camile Belliard, Le Bois de la Croix – le mouvement de l'eau

Camile Belliard, Le Bois de la Croix, L'Amitié par le livre, 1948 – Bois de Tilmans

Camile Belliard, Le Bois de la Croix – le mouvement de l'eau

Camille Belliard est né en 1899 à Beuzeville-au-Pin, près de Sainte-Mère-Église, dans une famille d'ouvriers agricoles.

A l’école primaire supérieure de Carentan, il apprend la poésie auprès du directeur, et à Blosville, le curé lui enseigne la philosophie. Son instituteur l’encourage à entrer dans l’enseignement.

En 1915, après l’École Normale de Saint-Lô, il est nommé instituteur à Villedieu-les-Poêles. Sanctionné pour avoir écrit une brochure pacifiste, il est muté en Champagne-Ardenne. En 1921, il revient dans la Manche, il se marie avec Louise Lefillâtre, enseignante également : ils auront trois enfants.

En 1924, il publie son premier essai philosophique, Le Bois de la Croix.

En 1930, il fonde « L’Amitié par le Livre », une maison d'édition bien reconnue, en particulier chez les enseignants.

En 1943, il s’installe à Blainville-sur-Mer. Puis, au lendemain de la guerre, en 1946, l’administration lui confie la direction du nouveau « Centre de rééducation de Tatihou ». Il y met en pratique pendant huit ans sa pensée. Il y compose Les cahiers de l’île.

En 1947, il crée « La pensée libre ».

En 1954, il prend sa retraite d’enseignant, et se retire dans la maison familiale de Blainville-sur-Mer.

En 1960, il est aux origines de l’Association de l’Enfance et de l’Adolescence Inadaptées de la Manche, en continuant son travail d'écriture.

 

Ce philosophe à la plume poétique était un an-archiste en recherche de Dieu : Le Bois de la Croix en fait foi.

 

Psaume 22 (23), Le Seigneur est mon berger, in album : Suzanne Haïk-Vantoura, La musique de la bible révélée – Adolphe Attia, ténor ; harpe celtique, Martine Géliot, Harmonia Mundi, 2000

Camile Belliard, Le Bois de la Croix – le mouvement de l'eau

Bois de Tilmans, et typographie à l'ancienne, à la main

 

« CES paroles ne s'adressent point

aux savants ni aux philosophes.

Mais aux hommes que sont ces

savants et à leur cœur. »

 

« VOUS les îlots d'amour dans cette mer de suffisance et de perversion.

Vous les assoifés de vérité, les douloureux du

désir de connaître et d'aimer.

[…]

Joignez à notre mal d'aimer votre

mal d'aimer et qu'il devienne

fécond de la fraternité.

[…]

Ils ont un esprit et ne

connaissent point.

[…]

Les voici semblables à la brutalité

des bielles et aux courroies des

usines. »

Camile Belliard, Le Bois de la Croix – le mouvement de l'eau

Charlie Chaplin, Les Temps modernes, 1936

 

« TES savants construisent des

canons et préparent de la poudre. »

 

« L'ARTISTE sculpte dans la pierre ou dans le bois l'image qu'il a en son esprit de l’œuvre qu'il doit accomplir. Mais après qu'il en a fixé les grands traits, l'image de son esprit se modifie selon les lois de la matière que ses mains travaillent. »

 

« LE mouvement de l'eau est d'aller de la mer à la terre et par la terre de retourner à la terre. »

 

A rapprocher de la parole de l'ermite :

 

« Comment concevoir que l'irréversibilité de cet ordre impérieux qu'est le temps puisse être rompue ? C'est ici qu'interviennent les Vides médians inhérents à la Voie. Eux-mêmes Souffles, ils impriment à la Voie son rythme, sa respiration et lui permettent surtout d'opérer la mutation des choses et son retour vers l'Origine, source même du Souffle primordial. Pour le fleuve, les Vides médians se présentent sous forme de nuages. Étant de la Voie, le fleuve, comme il se doit, participe aussi bien de l'ordre terrestre que de l'ordre céleste. Son eau s'évapore, se condense en nuage, lequel retombe en pluie pour l'alimenter. Par ce mouvement en cercle vertical, le fleuve, assurant la liaison entre terre et ciel, rompt la fatalité de son propre cours forcené. De même, à ses deux extrémités, il imprime la même sorte de cercle entre mer et montagne, yin et yang. Ces deux entités, grâce au fleuve, entrent dans le processus du devenir réciproque : la mer s'évaporant dans le ciel et retombant en pluie sur la montagne, laquelle active sans cesse la source. Le terme rejoint par là le germe. »

François Cheng, Le dit de Tianyi, 1998

 

En une prose poétique, le prophète annonce la bonne nouvelle aux foules.

 

Camille Belliard vivait comme il écrivait : accueillant, généreux, amoureux de la connaissance.

 

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17 octobre 2014 5 17 /10 /octobre /2014 00:09
Washington Irving, Contes de l'Alhambra

Washington Irving, Contes de l'Alhambra, 1832, traduction et introduction : André Belamich, Miguel Sanchez, Éditeur, Granada, 1975

Washington Irving, Contes de l'Alhambra

John Plumbe, daguerréotype de Washington Irving, ca 1855

 

Washington Irving, diplomate, historien et voyageur américain, vécut pendant plusieurs mois dans les appartements de Charles Quint aménagés au cœur des palais de l'Alhambra.

Il présente son ouvrage comme un récit de voyage et en fait un recueil de contes.

 

« Au printemps de 1829, l'auteur de cet ouvrage, que la curiosité avait attiré en Espagne, fit une excursion de Séville à Grenade en compagnie d'un ami, membre de l'ambassade russe de Madrid. Venus l'un et l'autre de contrées éloignées du globe, le hasard nous avait réunis, et la similitude de nos goûts nous engagea à vagabonder ensemble parmi les romantiques montagnes d'Andalousie. »

 

Isaac Albeniz, Recuerdos De Viaje, op. 71, 1887, Malagueña, Rumores de la Caleta, arr. Julian Byzantine, guitare, 1993

 

Washington Irving nous fait partager une visite guidée en compagnie d'un ancien, un « Fils de l'Alhambra ». Nous découvrons l'histoire de la forteresse, où résidaient quarante mille hommes, du temps des Maures, puis la résidence royale au temps des Rois Catholiques, nous apprenons quel était le sage gouvernement des Maures, leur immense culture, nous admirons les collines environnantes, et nous écoutons les histoires, le merveilleux, les miraculeuses légendes : L'astrologue arabe, Les trois belles princesses, La rose de l'Alhambra – où l'on apprend d'où vient le violon de Paganini, et bien d'autres encore.

 

« Pour illustrer notre livre, nous y avons intercalé de nombreuses gravures de l'époque qui rendent le charme romantique du paysage et des gens de l'Alhambra de cette époque. »

Les illustrations ne sont pas légendées précisément, on sait seulement qu'elles sont de David Roberts, John Frederick Lewis, Gustave Doré.

Washington Irving, Contes de l'Alhambra

L'Alhambra depuis l'Albaicin

Washington Irving, Contes de l'Alhambra

La tour de Comares depuis le Peinador de la Reina

Washington Irving, Contes de l'Alhambra

La célèbre cour des Lions

 

Un très beau récit – il y est même question de cuisine, et une écriture élégante, que le traducteur en soit remercié !

 

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