Lou

  • : Libellus
  • Libellus
  • : Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

Recherche

l'heure à Lushan

France + 7 heures

 

Archives

pour mémoire

Survival

 

Uncontacted tribes

 

Un lien en un clic sur les images.

16 mai 2014 5 16 /05 /mai /2014 23:01
M.-A. Baudouy, Le Seigneur des Hautes Buttes – Moi, si j'avais à choisir, je préférerais être renard !

M.-A. Baudouy, Le Seigneur des Hautes-Buttes, Editions de l'Amitié, 1957 – Illustrations de Claire Marchal ; Photographie couverture de I. Kitrosser

M.-A. Baudouy, Le Seigneur des Hautes Buttes – Moi, si j'avais à choisir, je préférerais être renard !

Claire Marchal, Le Seigneur des Hautes-Buttes, gravure sur bois

 

« La forêt s'étend, jusqu'à l'autre bout. C'est plein d'arbres. Il y a aussi des bêtes. Mais pas des lions ni des « cocodrilles ».

Nous, on est de ce côté-ci où il y a du soleil et des herbes pour les poulets de Tatie.

Aujourd'hui, Tatie est à Fontenay avec la camionnette. Nous, on garde la maison. Pièt est à la pêche avec Line. Mascarille est avec Tatie... »

Dépêche-toi ! Qu'est-ce que t'es cloche, quand c'est ton tour d 'écrire !

Le petit garçon enjamba la fenêtre et vint se pencher sur l'épaule de sa sœur.

« Hou là ! Comment que t'écris « crocodiles » ! Y vont se marrer, papa et maman ! »

 

Les « Hautes-Buttes », c'est un coin de forêt – son « seigneur », un jeune renard, Grosfils (appelé aussi le manchot parce qu'il laissa un jour un doigt d'une patte dans un piège).

En face : un vieux moulin, restauré en maison d'habitation, flanqué d'un poulailler, et où séjourne un groupe d'enfants venus de la ville, accueillis là par leur tante.

Premier rabat de couverture

 

Un jour, le poulailler est dévasté par la mère et les petits. Un carnage. Tatie chantonne Roses de Picardie, comme pour oublier l'événement.

 

Les enfants s'organisent pour retrouver les brigands. Mascarille est un chien de ville, mais l'instinct du terrier est là. Le « seigneur » a quitté sa mère, il a encore beaucoup à apprendre et il connaît des moments difficiles.

 

Bien malgré lui, il saura aussi se concilier l'amitié des enfants du moulin qui, après avoir essayé de le traquer, seront émerveillés par cette bête farouche et belle, laquelle désormais fera partie intégrante de la grande forêt qu'ils ont appris à aimer.

Premier rabat de couverture

 

La lune apparut énorme et rouge au-dessus des coteaux. Les petits cessèrent leurs jeux et regardèrent en direction de la vieille souche sur laquelle leur mère était étendue.

Il y eut un silence soudain, si profond qu'on entendit le battement d'une feuille de hêtre et le murmure de l'eau au bas du vallon.

La renarde leva brusquement la tête. Elle s'était endormie. Le silence l'avait éveillée en sursaut.

[…]

Nos jeunes chasseurs […] dévalèrent des ravins rocheux, humant au passage l'odeur de l'eau froide suintant à la voûte des grottes tapissées de corneilles et de chauves-souris. Des vieux chênes, dont les racines énormes se contorsionnaient, dressaient leurs troncs rugueux, largement espacés, tout duvetés d'un liseré de lumière blanche.

Les petits caracolaient sur rochers et racines, tout haletants, emportés par cette hâte de la mère qu'ils avaient peine à suivre, mais qu'ils ne voulaient pas perdre au milieu de ces formes tourmentées si différentes des douces plages du vallon familier.

Ils franchirent le ruisseau sur des pierres luisantes, happant au passage une gorgée d'eau.

[…]

Sous les branches basses on trouvait des plages d'air chaud qui sentaient le bourgeon et la chenille. Des écureuils étaient passés là ; la fouine aussi. Des lapins, bien entendu, dont on voyait les fouilles et les laissées (1) encore tièdes.

(1) Excréments. On dit aussi : fumées.

[note de l'auteur]

M.-A. Baudouy, Le Seigneur des Hautes Buttes – Moi, si j'avais à choisir, je préférerais être renard !
 

Eh bien, partons ! Les petits sont bien, là, sur l'herbe. Les parents viendront les reprendre.

C'est cela, dit le Commandant. Et l'an prochain ces charmants enfants croqueront vos poulets !

Vous savez, dit Line, de toute façon le sort des poulets n'est pas tellement enviable. Moi, si j'avais à choisir, je préférerais être renard !

Sûr ! dit Pièt.

Il était si sérieux que tous éclatèrent de rire.

M.-A. Baudouy, Le Seigneur des Hautes Buttes – Moi, si j'avais à choisir, je préférerais être renard !

Mikhail Fiodorovich Larionov, Renard, aquarelle, ca 1919-1922

 

Igor Stravinsky, Pierre Boulez, Renard, 1976

 

* * *

 

Nous n'avons jamais encore chroniqué d'ouvrage pour la jeunesse. Il s'agit de la jeunesse de 1957. Nous avons lu le livre à sa parution, nous l'avons donné, nous l'avons retrouvé, dans la même édition originale, venant de la bibliothèque scolaire de l’École de Bonlieu, Châteauneuf d'Isère, cachet oblige.

En 1957, des écoliers avaient appris à lire ce roman, avec ses phrases au subjonctif imparfait et au conditionnel passé deuxième forme.

Le livre a été réédité de nombreuses fois, on le trouve facilement.

 

Un très beau roman, pour les grands, de c't'heure.

 

Partager cet article

Repost0
10 mai 2014 6 10 /05 /mai /2014 23:01
Manon Ferrer, Le sang des abeilles – la mélodie du bonheur

Manon Ferrer, Le sang des abeilles, Mondadori/France/Nous Deux, 2014

Manon Ferrer, Le sang des abeilles – la mélodie du bonheur

Le chant des abeilles – les reines vierges

 

Au milieu des flammèches qui virevoltent, de la fumée épaisse comme un brouillard, le bâtiment gémit du sol au plafond.

Dans la fournaise, les vitres éclatent. Les meubles craquent et noircissent. Des débris incandescents s'écrasent sur un tapis de flammes dans un nuage obscur. Ce n'est pas seulement la maison qui brûle, mais les granges, l'herbe jaunie et, là-bas, les ruches, dans une odeur insoutenable. Le pigeonnier résiste encore. Pour combien de temps ?

 

Quelques mois plus tôt...

 

Inès, vendeuse dans une luxueuse parfumerie des Champs-Élysées, a connu un chagrin d'amour. Elle voudrait tout quitter. Quand un notaire de province lui apprend qu'elle est l'héritière d'une bastide dans le Lubéron, elle boucle ses valises et part pour une nouvelle vie.

Elle ignore tout de ce vieil apiculteur qui lui a légué son domaine. Et pourtant, elle est plus proche de lui que ses cousins.

Au Café de la Place, certains n'aiment pas les étrangers. Patrick, le jeune patron, qui a fait l'école hôtelière d'Aix-en-Provence, accueille gentiment la Parisienne. Éric, le gérant du camping, voudrait agrandir son terrain en rachetant le domaine laissé par Alphonse. Il semble méchamment prêt à tout pour l'emporter.

 

Oui, quand on a lu la 4e de couverture, on comprend dès la page 9 que le gentil n'est pas gentil et que le méchant n'est pas méchant. C'est si joliment conté.

 

Je t'aime, Inès.

Elle frémit. [Il] pose délicatement ses lèvres sur les siennes. Son cœur s'affole.

[…]

La meilleure place est dans le champ derrière le verger ! Pour la bastide, j'ai déjà trouvé un bon entrepreneur, un ami. Les travaux peuvent commencer dès la semaine prochaine.

Inès secoue la tête.

Non. J'ai besoin d'une maison entièrement à moi, dans laquelle je construirais mes propres souvenirs.

Il rectifie avec tendresse.

Notre maison !

La jeune femme se cale contre son bras. Il se penche et l'embrasse sur l'oreille. La musique de ce baiser est celle du bonheur.

Mariette se détourne. Des larmes ruissellent sur ses joues. Elle contemple le pigeonnier que le feu a miraculeusement épargné. Pour toujours, il se dressera face aux montagnes rouges pour lui rappeler combien elle aussi avait aimé un homme. Alphonse, l'homme aux millions d'abeilles.

 

Henri Salvador (Paroles : Maurice Pon), L'abeille et le papillon, 1953

 

Partager cet article

Repost0
28 avril 2014 1 28 /04 /avril /2014 23:01


 

Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux

Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux, Denoël, 2013 (XYZ inc., 2011)

Photo : Michael Hall/Getty Images

 

Jocelyne Saucier

Jocelyne Saucier est une romancière canadienne née dans la province du Nouveau-Brunswick en 1948. Il pleuvait des oiseaux est son quatrième roman.

 

Trois octogénaires épris de liberté selon leur propre loi en forêt profonde dans le nord de l'Ontario. Non loin de là, deux hommes, l'un gardien d'un hôtel fantôme et l'autre planteur de marijuana, veillent sur l'ermitage des vieillards. Leur vie d'hommes libres et solitaires sera perturbée par l'arrivée de deux femmes. D'abord une photographe en quête du dernier survivant des grands feux qui ont ravagé la région au début du XXe siècle. Puis arrive la deuxième visiteuse, très vieille celle-là, Marie Desneige, un être aérien et lumineux qui détient le secret des amours impossibles. La vie ne sera plus la même à l'ermitage.

Il pleuvait des oiseaux est un superbe récit qui nous entraîne au plus profond des forêts canadiennes, où le mot liberté prend tout son sens, et dans lequel l’émotion, brute et vive, jaillit à chaque page.

4e de couverture

 

 

Isidore Soucy, Grande gigue simple

 

Tombes de victimes de l'incendie survenu à Porcupine en 19

Boychuck avait perdu toute sa famille dans le Grand Feu de 1916, un drame qu'il a porté en lui partout où il a tenté de faire sa vie.

[…] Ed Boychuck, ou Ted ou Edward, l'homme qui avait survécu aux Grands Feux et qui avait fui sa vie dans la forêt.

 

Charlie, un ancien trappeur, et son chien, Chummy. Quand Charlie parle du loup, du renard et de la mère castor, on entend une voix de violoncelle.

 

Tom est un passeur d'or.

Et Boychuck ? Il a prospecté lui aussi ?

[…]

Ted est mort, ma jolie, et pas plus tard que la semaine dernière. J'ai encore des ampoules aux mains d'avoir creusé sa tombe.

 

Bruno cultive la bonne herbe, celle qui le fait rêver – et il partage ses rêves.

 

Steve est le gérant d'un hôtel où l'on ne s'arrête plus, puisque personne ne passe plus sur le chemin vers la forêt – sauf, un jour, la photographe. Elle est accueillie par Darling, la chienne de Steve.

 

Ted était peintre. Dans sa cabane, on retrouve des centaines et des centaines de tableaux, cordés les uns aux autres, et toujours cette impression d'étouffer dans un monde en dissolution.

 

Vient alors la deuxième visiteuse, une vieille femme, Gertrude, la tante de Bruno, devenue par nos bons soins [de faux papiers] Marie-Desneige. Elle a quatre-vingt-deux ans. Elle voit des choses qu'on ne voit pas. Soixante-six ans plus tôt (elle avait seize ans), son père l'a placée dans un hôpital psychiatrique. Marie-Desneiges n'est pas folle.

 

L'histoire s'installe tranquillement.

[…]

Qu'est-ce qui lui a pris de laisser toutes ces toiles derrière lui ?

[…]

Mais il faut faire une pause, présenter les Grands Feux qui ont ravagé le nord de l'Ontario au début du XXe siècle.

Et l'amour ? Il faudra encore attendre, c'est trop tôt pour l'amour.

 

La petite vieille du High Park sur son banc, près de la photographe. Elle nourrit les oiseaux.

Il pleuvait des oiseaux, lui avait-elle dit.

 

On construit une cabane pour Marie-Desneiges, à côté de celle de Charlie.

 

 

Monique Vanhalst, 2008

 

Elle chante. Parfois, une vieille chanson de marins, lente et lourde d'amours contrariées, une autre fois, une chanson des temps anciens, le fils d'un roi qui aimait une bergère, [...] Marie-Desneige chantait d'une voix caressante.

 

La photographe eut enfin un nom. On l'appela Ange-Aimée, du nom de cette reine d’Écosse et des Carpates qui faisait la loi chez les aliénés sans se soucier qu'un nom, elle en avait déjà un.

 

Et Marie-Desneige eut un chat, Monseigneur.

 

Marie-Desneige n'aime pas dormir seule. Elle rejoint Charlie dans sa cabane. Avec l'hiver, le froid, ils se retrouvent sous les ballots de peaux de l'ancien trappeur... Leur première nuit dans le nid de pelleteries.

 

Et la peinture de Ted ? Ses tableaux racontaient l'histoire du Grand Feu de Matheson.

La photographe a voulu les faire connaître en organisant une exposition. Marie-Desneige a permis de classer et d'interpréter les toiles. L'exposition a été un succès.

 

Denis Collette, Feu de forêt, 2008

Denis Collette, Feu de forêt, 2008

 

Les toiles de Ted sont recouvertes d'une lourde pâte noire d'où émergent des taches de couleur. On y distingue des personnages, quand on connaît l'histoire. L'histoire des Grands Feux.

 

Un roman de la grâce et de la lumière qui émerge des ténèbres fuligineuses et d'un si long enfermement.

 

Le bonheur a besoin simplement qu'on y consente. Marie-Desneige et Charlie ont quelques années devant eux et ils comptent s'en faire toute une vie. Ils resteront cachés aux yeux du monde.

 

Et la mort ? Eh bien, elle rôde encore. Il ne faut pas s'en faire avec la mort, elle rôde dans toutes les histoires.

 

En peinture, la lumière vient du noir. La peinture n'est pas une science exacte.

De nos jours, Pierre Soulages le montre.

Lire : Patrick Vauday, Pierre Soulages - La lumière comme matière, Interview réalisée le 15 août 2002 / in "Le matériau, voir et entendre", "Rue Descartes", collège international de philosophie, PUF n°38, décembre 2002

Et voir.


 

De tous temps, les icônes.

 

Remerciements à Yueyin qui nous a offert ce beau livre.

 

Partager cet article

Repost0
22 avril 2014 2 22 /04 /avril /2014 23:01

 

Geneviève Bergé, Le tableau de Giacomo

Geneviève Bergé, Le tableau de Giacomo, Éditions Luce Wilquin, 2010

Couverture : Dimitri Delcourt (photos : vocecontrovento et Cobra – Fotolia.com)

 

Geneviève Bergé

Ancienne rédactrice en chef de la revue Indications et critique littéraire, Geneviève Bergé (née à Bruxelles en 1957) est aujourd’hui assistante d’édition. Le tableau de Giacomo est son septième ouvrage, après Un peu de soleil sur les planchers (2008).

 

 

Arcangelo Corelli, Sonate en ré mineur La Follia op. 5 n° 12, 1700, Hespèrion XXI, dir. Jordi Savall, 2005

 

Messine, 1654. D’un moment à l’autre, un navire en provenance de Hollande va accoster. Et c’est peu dire qu’il est attendu ! Il transporte, en effet, la toile d’un peintre hollandais célèbre en son pays, mais méconnu en Italie et en Sicile, que Giacomo di Battista, le courtier du prince Antonio Ruffo, a commandée il y a trois bonnes années. Giacomo, vieux et malade, attend cette toile avec une ferveur que personne, ou presque, ne peut imaginer. Il n’en est pourtant pas à sa première commande, mais celle-ci revêt pour lui, et bientôt pour son entourage, une dimension exceptionnelle.

Une étonnante plongée dans le XVIIe siècle italien, mais aussi dans la vie et l’âme d’un collectionneur par procuration.

4e de couverture

 

Cette histoire se passe en 1654. Mais peut-on vraiment parler d’histoire quand les personnages sont installés depuis si longtemps dans leur vieillesse, ou dans leur folie, que les accrocher l’un derrière l’autre, dans l’ordre adéquat et selon certaines règles éprouvées, ne suffit peut-être plus pour fabriquer un récit en bonne et due forme ?

[…]

Et pourtant l'histoire trouve son chemin.

[…]

L'histoire se passe en 1654. Très exactement entre le vendredi 3 et le lundi 20 juillet 1654.

 

Les tréteaux sont dressés, le décor est monté, place aux comédiens !

 

Antonio Ruffo, prince de Messine, collectionneur : trois cent soixante-quatre toiles de maîtres connus et moins connus.

Sa mère, Antonia – elle collectionne les chats, la porte du palais leur est ouverte.

Alfonsina, sa femme, la Vipère selon Costanza, la jeune servante de la maison Ruffo.

Rossana, la fidèle gouvernante.

Abramo Casembrot, consul et peintre.

Giacomo di Battista, courtier auprès du prince, et son épouse aimée et aimante, Giulia.

Mica, un jeune braque.

 

Ce matin. Vous le savez, n'est-ce pas ? ce matin la nuit est tombée sur les yeux de Giacomo.

 

De toute façon, Giulia répétait souvent qu'il valait mieux avoir l'ouïe fine que la vue perçante pour percevoir un changement à Messine et Giacomo lui donnait raison.

 

Premier fil : le regard.

 

« sa vue se brouillait alors », « un tout petit regard fuyant », « les étoiles sont au rendez-vous, mais c'est comme si je ne les voyais pas », « se fier aveuglément », « voir, de tous ses yeux voir », « il avait perdu la vue », « il était plongé dans une sorte de brouillard », « le flou me déplaît », « la fièvre dans les yeux », et ainsi de suite.

 

Giacomo ne voit plus, au moment où l'on annonce l'arrivée de « son » tableau, celui qu'il a commandé trois ans auparavant pour son prince et mécène, « son » tableau qu'il attend, une si longue attente, depuis qu'il l'a commandé, pour don Ruffo, le collectionneur qui ne regarde jamais sa collection sinon pour demander à Costanza de faire la poussière au plumeau.

 

Au palais tout le monde attendait le tableau. On l'attendait depuis plusieurs années d'ailleurs !

 

Second fil : l'attente.

 

Giacomo m'a toujours aimée. En tout cas jusqu'à ce que la mélancolie le fige sur la terrasse et qu'il ne puisse plus rien aimer. On aurait dit que tout l'indifférait désormais : la collection, Mica, les oliviers et la mer, le tableau qu'il attendait, et moi aussi bien sûr.

 

Écart : la mélancolie, du grec μελαγχολία, de μέλας = noir et de χολή = bile.

 

Le tableau.

 

Rembrandt van Rijn, Aristoteles peinzend bij een_h700

Rembrandt van Rijn, Aristoteles peinzend bij een borstbeeld van Homerus (Aristote méditant devant un buste d'Homère), 1653, Metropolitan Museum of Art, New York [image cliquable]

 

Et le fond, Costanza ? le fond ? Oui, le décor. Où se trouve Aristote ? On ne voit rien, Signor di Battista. C'est tout noir. Avec un tapis rouge. C'est juste de la peinture. Ils sont nulle part.

 

Un roman de l'absence dont le récit ne suit pas l'ordre chronologique : nulle part, hors du temps. Une histoire de désir. Une écriture limpide dont la lecture requiert le silence.

 

Palazzo Ruffo appoggiato al Trinacria, ca 1909

Palazzo Ruffo appoggiato al Trinacria, ca 1909

 

Lorsque le 28 décembre 1908, vingt-trois secondes suffisent à dévaster totalement la seconde ville de Sicile et, sur la péninsule, toute la ville de Reggio di Calabria, provoquant la mort de cent cinquante mille personnes dans les effondrements, les incendies et le raz-de-marée qui succède au tremblement de terre, les œuvres d'art partagent inévitablement le destin des hommes : elles sont ensevelies, ou brûlent et redeviennent poussière. Des centaines de toiles sont perdues. Le tombeau d'Antonio Ruffo est détruit.

 

* * *

 

Une lecture du tableau.

 

EDMOND BLATTCHEN. – Votre symbole, Paul Ricœur, est un tableau de Rembrandt, dont le titre est « Aristote contemplant un buste d’Homère ». Que représente ce tableau pour vous ?

PAUL RICŒUR. – Pour moi, il symbolise l’entreprise philosophique telle que je la comprends. Aristote, c’est le philosophe, comme on l’appelait au Moyen Age, mais le philosophe ne commence pas de rien. Et même, il ne commence pas à partir de la philosophie, il commence à partir de la poésie. Il est tout à fait remarquable, d’ailleurs, que la poésie soit représentée par le poète, comme la philosophie est représentée par le philosophe, mais c’est le poète qui est statufié, alors que le philosophe est vivant, c’est-à-dire qu’il continue toujours d’interpréter. Le poète est en quelque sorte recueilli dans son oeuvre écrite qui est représentée par un buste.

Je voudrais souligner deux ou trois détails qui n’apparaissent pas à première vue. D’abord, contrairement au titre, Aristote ne contemple pas le buste d’Homère ; il le touche. C’est-à-dire qu’il est en contact avec la poésie. La prose conceptuelle du philosophe est en contact avec la langue rythmée du poème. Aristote regarde autre chose. Quoi ? Nous ne le savons pas. Mais il regarde autre chose que la philosophie. Il touche la poésie mais pour réorienter son regard vers autre chose ; vers l’être ? la vérité ? Tout ce qu’on peut imaginer.

Je voudrais signaler un autre détail qui n’est pas remarqué si on n’est pas conduit par un bon guide. C’est qu’il y a trois personnages sur ce tableau. Aristote est vêtu de vêtements contemporains (de Rembrandt, naturellement) – la philosophie est toujours contemporaine alors que le buste d’Homère est statufié. Et le troisième personnage dans ce tableau se trouve dans la médaille suspendue à la taille d’Aristote.

Au premier abord, on pourrait penser que cette médaille faut partie de l’élément décoratif. Mais j’ai déjà dit que les vêtements d’Aristote ont une signification. Ils sont, modernes, de l’époque du peintre, alors que le buste reste dans sa configuration archaïque. Or, sur cette médaille, c’est la tête d’Alexandre, le politique, qui est représentée. Il ne faut pas oublier qu’Aristote a été le précepteur d’Alexandre. Et son rapport au politique n’est pas seulement un rapport d’éducateur c’est aussi celui qui a pensé le politique, au point même de faire de l’éthique la préface à la politique.

L’éthique n’est complète que comme politique parce que c’est l’ensemble des hommes, c’est la communauté qui est orientée vers le « vivre bien ».

Alors, si nous replaçons cette médaille vraiment dans son lieu intermédiaire, nous comprenons que le politique est toujours silencieusement présent, discrètement présent, à l’arrière-plan du rapport entre poétique et philosophie. Parce que c’est un rapport de paroles – le poète parle, le philosophe parle – mais le politique, dans sa, meilleure destination et dans sa meilleure efficacité, c’est la paix publique, c’est-à-dire la possibilité que le discours continue dans un ordre tranquille. Cette médaille est là pour nous rappeler que la philosophie ne peut continuer son œuvre de réflexion sur une parole qui n’est pas la sienne, la parole poétique, que si elle continue d’entretenir lui rapport actif avec la politique, dont elle a la charge. Si j’ose dire : que le personnage du tableau est chargé de cette médaille.

 

Appliquons la symbolique de ce tableau à votre propre expérience. Quel est votre Homère, quels sont vos Homère, Paul Ricœur ?

Nous avons commencé par le problème de l’herméneutique, en la définissant comme une interprétation continuelle des textes. Les textes poétiques ont certainement une place prépondérante, une place royale parmi les textes, parce que ce sont les textes qui produisent du sens. J’étends le mot « poétique » au-delà de la poésie au sens rimé et rythmé, au sens de production de sens. C’est-à-dire qu’il faut d’abord une énergie créatrice d’innovation pour qu’il y ait ensuite un discours de second degré.

Je ne mets pas la philosophie à la place du poétique, elle est réflexive. C’est toujours un travail de second degré, d’ailleurs, pas uniquement sur la poésie, mais sur le langage ordinaire, sur le langage des sciences, sur le langage de la psychanalyse, et sur le discours poétique.

Par conséquent, ce caractère second, réflexif, de la philosophie et ce caractère primitif, originel, originaire, et créateur de la poésie, constituent le cadre fondamental, avec la médiation secrète du politique, qui est à la fois présupposé – puisqu’il est avant, mais aussi but, d’une certaine façon – de la réflexion morale...

 

Vos rapports avec le prince sont-ils aussi apaisés que ceux d’Aristote avec Alexandre ?

Nous sommes dans une situation radicalement différente, c’est-à-dire sans prince. Le problème de la démocratie moderne est que nous engendrons tous la souveraineté par notre vouloir vivre ensemble ; mais ce vouloir vivre ensemble ne vit que si nous le transformons constamment en un contrat social effectif, donc volontariste.

 

Paul Ricœur, L’unique et le singulier – entretien avec Edmond Blattchen : Noms de dieux – Le Symbole, « Le philosophe, le poète et le politique », Bruxelles, Alice Éditions, 1999, pp. 53-60.

 

* * *

 

Lou n'a évoqué Corelli qu'une fois : E pericoloso sporgersi.

 

Partager cet article

Repost0
17 avril 2014 4 17 /04 /avril /2014 23:01

 

 

Giovanni Battista Pergolesi, Stabat Mater, 1736, int. : Elisabeth & Andreas Scholl, Freiburger Barockorchester, dir. Gottfried von der Goltz., Royal Albert Hall, London, 1999.

 

Jean-Claude Pirotte, Chemin de croix 357

Sylvie Doizelet, Jean-Claude Pirotte, Chemin de croix, La Table Ronde, 2004

 

Jean-Claude Pirotte 2002

Jean-Claude Pirotte, 2002

Jean-Claude Pirotte est né en 1939 – un 20 octobre, comme Rimbaud, à Namur, en Belgique. En 2006, il a reçu le prix des Deux Magots pour Une adolescence en Gueldre, et, plus récemment, le Grand Prix de poésie de l'Académie française, et le Prix Goncourt de la poésie.

Depuis des années, son cancer se généralise. Il a sa table à la terrasse des bistrots où il continue de boire, de fumer, d'écrire.

Dernièrement, Vaine pâture, Mercure de France, 2013.

Des pas perdus en a parlé.

 

Il se dit « un peintre du dimanche et un écrivain du samedi ».

 

Jean-Claude Pirotte, Chemin de croix, 1 h700

 

Première station

 

C'est toujours à contretemps

Seigneur que je vis avec toi.

 

Condamné à mort,

et moi je n'y pense pas.

La Passion se prépare

et moi je suis dans la joie.

 

Jésus est condamné à mort

 

Jean-Claude Pirotte, Chemin de croix, 12 h700

 

Douzième station

 

Le noir qui jaillit à cet instant-là,

nul ne s'en souviendra.

 

Jésus meurt sur la croix

 

Jean-Claude Pirotte, Chemin de croix, Pâques h700

 

Jésus est ressuscité d'entre les morts

 

Partager cet article

Repost0
10 avril 2014 4 10 /04 /avril /2014 23:01

 

Stéphane Bellat, La chambre d'Hannah

Stéphane Bellat, La chambre d'Hannah, Micro Application Editions, 2014

 

Stéphane Bellat

Stéphane Bellat est né en 1961 dans l’ouest de la France. Spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, il rédige, pendant une dizaine d’années, des articles pour des magazines d’histoire, il devient guide et conférencier autour de la bataille de Normandie. En 2011, avec Les Passagers Perdus, il revient à ses amours premières, la littérature fantastique.

Aujourd'hui, il nous présente La chambre d'Hannah.

 

Paris, février 1992. Pierre Descarrières, 11 ans, est malheureux coincé entre une vie terne et des parents qui se déchirent quotidiennement. Seul dans sa chambre, il rêve d’un frère ou d’une sœur qui viendrait rompre sa solitude. Paris, février 1942. Hannah Klezmer, 11 ans, étouffe dans l’espace confiné de son appartement, mise à l’écart parce que juive.

Leurs routes n’auraient jamais dû se croiser. Et pourtant, c’est arrivé. Car il existe entre eux un lien plus fort que le temps et la folie des hommes.

Si La Chambre d’Hannah plonge ses racines dans l’Histoire la plus sombre, c’est aussi le roman sensible et lumineux d’une amitié entre deux enfants qui n’ont, au premier abord, rien en commun : ni leur condition, ni leur époque. Avec, en filigrane, ces deux questions essentielles : jusqu’où aller par amitié ? Sommes-nous prêts à croire l’impossible ?

4e de couverture

 

Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais connu d'autre appartement que celui de la rue de Belleville. Les premières années de ma vie, tout au moins. Mes parents l'avaient acheté deux ou trois ans avant ma naissance et ce fut donc à cet endroit précis que j'ai été parachuté. Ils y avaient injecté toutes leurs économies et il me faut reconnaître qu'ils en avaient fait un intérieur plutôt agréable à vivre. C'était un petit appartement parisien avec deux chambres. Il y avait même un jardin, privilège rarissime des rez-de-chaussée. Leur histoire avait donc pris un envol plutôt prometteur, ce n'est qu'un peu plus tard que tout s'est désagrégé.

 

Une écriture qui paraîtrait documentaire, à plat, sans les « ées », « haies »...

 

A l'école, mes voisins n'hésitaient jamais à poser un regard intéressé sur ma copie. J'avais réussi à m'imposer en qualité de champion toutes catégories de la dictée, obtenant au passage mon doctorat ès participes passés. J'avais un faible pour ces phrases dans lesquelles les « é », les « ées » et les « és » ressemblaient à un parcours hippique parsemé de haies vives, sur lequel s'éperonnaient la plupart des gamins de ma classe.

 

et le mode, plus tellement à la mode...

 

Le subjonctif est un art aussi subtil que l'entretien d'un bonsaï.

 

Pierre Descarrières attend un ami, un frère ou une sœur. Hannah vient. Du passé ? Un passé bien présent.

 

Ma lampe de chevet était restée allumée. On ne sait jamais ce que la nuit réserve.

 

Rue de Belleville, funiculaire 03

 

Hannah est juive, un autre temps, un policier français lui a pris son vélo, elle n'a plus le droit d'aller à l'école, elle est juive. Pour le chocolat, elle n'a même pas la ration d'un J2.

 

 

Édouard Molinaro, Jean Dutourd, Au Bon Beurre, 1981 – extrait

 

Guerre, Occupation, J2, des mots inconnus. Heureusement, monsieur Bouillon, l'ancien instituteur, connaît l'histoire. Le mercredi, il donne un cours particulier à Pierre et à son copain, Maxime.

 

Hannah n'est pas un fantôme. Pierre lui donne un carré de chocolat, et, pour son petit frère, Jacob, une figurine d'un super-héros.

On est le 12 avril 1942.

[…]

Chez moi, on est le 12 avril 1992.

La chambre de Pierre est la chambre d'Hannah.

 

Hannah - Irena Sendler

 

Elle lui donne sa photo,

 

Etoile, Juif

 

et, plus tard, son étoile.

Les enfants apprennent de l'instituteur la rafle du Vel' d'Hiv'.

 

Rafle du Vel' d'Hiv', 16 juillet 1942 - 02

Rafle du Vel' d'Hiv', 16 juillet 1942

 

Rafle du Vel' d'Hiv', 16 juillet 1942 - 01

La rafle du Vél' d'Hiv' est une contribution des policiers et gendarmes français, des agents de la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP), Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP – par une loi de Vichy promulguée le 26 juin 1941), devenus agents de la RATP le 1er janvier 1949, avec maintien de l'ancienneté et des acquis – une contribution à la « solution finale à la question juive » (die Endlösung der Judenfrage).

[note 1]

 

On peut sauver Hannah.

Non, elle est perdue.

 

Avec le temps, les souvenirs s'en vont... jusqu'à ce que l'homme du soir vienne, bien des années après, sous les fenêtres du 35, à l'écart. Une ancienne figurine est son porte-bonheur. Hannah est vivante.

 

On ne vous dira pas la fin.

Regardez la fin de Lola, Jacques Demy, 1961.

Préparez vos mouchoirs.

 

 

Comment ne pas être amoureux d'Anouk Aimée ? En 1942, elle échappe au port de l'étoile en se faisant appeler Durand. Anouk vient de son premier film, en 1947, Aimée lui a été suggéré par Jacques Prévert. Elle a connu Jean Genet, Jean Cocteau, Raymond Queneau, et, d'une autre manière, Pierre Barouh.

Une belle idée, une belle histoire. Un roman ? Oui, si l'on veut, mais c'est plutôt d'une histoire de l'Histoire qu'il s'agit. Une histoire à conter encore et encore. Et une écriture de funambule, toujours en équilibre.

 

Sophie en parle.

 

* * *

 

35, rue de Belleville

35, rue de Belleville

Le paysage a changé.

 

* * *

 

[note 1]

70 ans après la rafle du Vel d’Hiv, l’UEJF dévoile un sondage réalisé avec l’institut CSA : la majorité des jeunes déclarent n’avoir jamais entendu parler de la rafle du Vel d’Hiv.

 

Partager cet article

Repost0
4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 23:03

 

Jacques Brel, La Bière, 1968

 

Jean-Bernard Pouy, Cinq bières, deux rhums

Jean-Bernard Pouy, Cinq bières, deux rhums, Éditions Baleine, Collection Le Poulpe, 2009 – illustration de couverture : Miles Hyman

 

Jean-Bernard Pouy, Le Poulpe

Jean-Bernard Pouy, Le Poulpe

Le Poulpe ?

Ouais. Faut me taper dessus à coups de marteau pour m'attendrir.

 

Gérard n'en peut plus de voir son pote Gabriel errer comme une âme en peine à la Sainte-Scolasse. Aussi l'envoie-t-il se dégourdir les tentacules entre Nord et Belgique, avec pour mission d'en apporter quelques bières locales...

A peine arrivé, le Poulpe est confronté à deux faits divers un peu spéciaux : le cadavre d'un homme est retrouvé dans les immenses tas de ferraille de l'usine sidérurgique, tandis qu'à quelques mètres de distance, un autre corps bloque une écluse de l'Escaut.

Le sang de notre héros ne fait qu'un tour, et le voilà reparti sur le sentier de la guerre contre les profiteurs de tout poil.

Quinze ans après La Petite Écuyère a cafté, Jean-Bernard Pouy, créateur de la série, reprend brillamment la plume et du service. Parce que, de Juppé à Sarkozy, ça n'est pas seulement du pain que le Poulpe a sur la planche, c'est une boulangerie entière. Et 5 bières, 2 rhums, c'est bien le minimum pour le mettre en appétit et lui donner du coeur à l'ouvrage !

4e de couverture

 

Perché à une vingtaine de mètres de heuteur, Paul, dans la cabine de l'immense et jaune Kranban Eberswalde, décapsula une Stella.

[…]

Paul sentit son cœur lui remonter dans la gorge.

Parmi les lattes de fer, les blocs de métal écrasé, il y avait un bras, une jambe, un torse, ensanglanté, dépassant de la gangue métallique.

 

Sainte-Scolasse, le centre 700

Sainte-Scolasse, le centre

 

Et, justement qu'est-ce que le Poulpe foutait là ? […] Ouais, il était en mission.

Ça avait démarré à la Sainte-Scolasse.

 

Freycinet, péniche

Y a des Freycinet qui sont transformées en pavillon Sam Suffit et Mon Abri Côtier, avec les géraniums et le roquet qui gueule sur le pont.

 

Gabriel, le Poulpe, chemine au long du canal, à la recherche des fines mousses, d'écluse en péniche, comme La Bounty.

[…]

Gabriel hésita, un court instant, entre se prendre pour Clark Gable ou Charles Laughton.

 

Mutiny on the Bounty, Clark Gable, Charles Laughton, 1935

Mutiny on the Bounty, Clark Gable, Charles Laughton, 1935

 

Bienvenue à bord. Moi, c'est Maryam.

 

L'Homme du Picardie

 

Maryam ne ressemblait pas du tout à l'Homme du Picardie. Cultivé, rigolard, le prototype du type calme et posé.

[…]

Maryam avait un anneau dans l'oreille et une moto, un gros cube, garée sur le côté droit de la cabine.

 

Il a entendu parler du cadavre balancé sur la ferraille, d'où ?

 

L'écluse est coincée, un bras, avec une main gonflée très blanche. Un autre. Un lien ?

 

En attendant, on écluse : Jupiler, Stella, Goudale, Trois-Monts, Troll, Leffe, Vieux Temps, Abbaye de Saint-Amand, Duvel, Grisette, fruits des bois.

 

Un soir, un matin : Café, œufs brouillés, petites saucisses et lard cassant comme du verre, le petit-déjeuner parfait.

 

Gabriel n'est pas parti sans biscuits : Les Habits noirs de Paul Féval accompagnent sa tournée, entre Leffe et carbonnade. L'enquête se poursuit, ponctuée d'événements comme on n'en rencontre pas dans la vie plate et morne, plane et morte, où le seul danger, c'était de traverser la rue et de ne pas piétiner une grosse bouse de labrador...

 

Chéryl, sa chérie, est en vadrouille, une femme moderne, vocabulaire libéré quand elle smartphone à son compagnon, une romantique, elle croit avoir trouvé l'homme de sa vie. La vie est trop courte.

 

Gabriel croise Eva, petit café sympathique, bonne cuisine, chambre d'hôte – la chambre de la belle.

 

Et les méchants ?

Des requins d'eau douce. Gabriel n'aime pas les chefs et la pêche au gros ne lui fait pas peur.

 

Malteries Franco-Belges, Prouvy

Malteries Franco-Belges, Prouvy

 

Et il tapa, très vite, très fort, à l'estomac.

 

Chéryl se jeta dans ses bras en se mettant illico à pleurer.

Gabriel, si tu savais...

Je sais.

Tous les hommes sont des salauds...

Sauf moi, mon amour.

 

Goût des voyages et foie en la vie ? Le Bar parfait et Cinq bières, deux rhums !

 

* * *

 

Jean-Bernard Pouy a reçu le Prix Polar & Co, Bruxelles, pour Nous avons brûlé une sainte, le Prix de la Ville de Reims, pour La Pêche aux anges, le Prix Polar, pour La Clef des mensonges, le Prix des lecteurs des comités d'entreprise de Saint-Nazaire, pour Le Cinéma de papa, le Trophée 813 du meilleur roman, pour La Belle de Fontenay, le Trophée 813 de la nouvelle, pour La Chasse au tatou dans la pampa argentine, le Prix Mystère de la critique, pour La Belle de Fontenay, le Prix de la nouvelle de Nanterre, pour Casimir, le Prix Polar La Roche-sur-Yon, pour La petite écuyère a cafté, le Prix Polar, pour L'ABC du métier, le Trophée 813 Maurice-Renault, pour La petite écuyère a cafté, le Grand Prix Paul-Féval de littérature populaire de la SGDL, pour RN86et La petite écuyère a cafté, le Prix Michel Lebrun de la ville du Mans, pour Larchmütz 5632, le Prix de la presse des jeunes à Montreuil, pour L'Encyclopédie des cancres, le Prix de la Nuit du livre, catégorie jeunesse, pour L'Encyclopédie des cancres, le Bologna Ragazzi Award, catégorie Non-Fiction, Foire du livre de jeunesse de Bologne, pour L'Encyclopédie des cancres, le Grand Prix de l'humour noir, catégorie Prix de l'Humour Noir Xavier Forneret, pour l'ensemble de son œuvre, le Trophée Georges Hugot, 5e Biennale du polar – Aniche, pour l'ensemble de son œuvre, et...

le Soutien Moral du service d’Hépatologie de l’hôpital Saint-Antoine, Centre National de Référence des Maladies Inflammatoires des Voies Biliaires, pour Le Bar parfait et Cinq bières, deux rhums, le Désaveu d'honneur de la Sécurité Sociale, pour l'ensemble de son œuvre.

 

Une lecture qui donne soif.

 

* * *

 

Précédemment

 

Jean-Bernard Pouy, Samedi 14 – ce putain de lumbago

http://www.libellus-libellus.fr/article-jean-bernard-pouy-samedi-14-ce-putain-de-lumbago-121593783.html

 

Jean-Bernard Pouy, Marc Villard, Ping-Pong

http://www.libellus-libellus.fr/article-jean-bernard-pouy-marc-villard-ping-pong-119554261.html

 

Jean-Bernard Pouy, Spinoza encule Hegel – l'éthique reprend ses droits

http://www.libellus-libellus.fr/article-jean-bernard-pouy-spinoza-encule-hegel-l-ethique-reprend-ses-droits-119585478.html

 

Sans oublier

 

Caryl Férey, Chérie noire – come with me

http://www.libellus-libellus.fr/article-caryl-ferey-cherie-noire-come-with-me-121869596.html

 

Et les pastiches de Lou

 

Repasser les ordures

http://www.libellus-libellus.fr/article-repasser-les-ordures-122075967.html

 

Électro-show

http://www.libellus-libellus.fr/article-electro-show-122252898.html

 

Partager cet article

Repost0
4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 23:01

 

Jean-Bernard Pouy, Le Bar parfait

Jean-Bernard Pouy, Le Bar parfait, Les Éditions de l'Atelier in8, 2011 – Photo de couverture : Fedor Kondratenko

 

Jean-Bernard Pouy, 2012 (Photo J-M Mazet)

Jean-Bernard Pouy, 2012 (Photo J-M Mazet)

 

 

Fabio Bonelli, Musica da Cucina, Café Championnet, Paris, 12 mai 2012 – extrait

 

Un marathonien du Blanc hante les rues de Paris à la recherche du bistrot parfait. Celui qui proposera mieux que Cabernet ou Sauvignon. Les établissements se succèdent et ne se ressemblent pas. Dans sa quête, il utilise un jeu de Monopoly et découvre ainsi des quartiers qu’il avait jusque-là négligés. Pendant ce temps, un groupe de tueurs prépare une descente dans un vieux rade.

Le Bar parfait est une balade au pays de l’alcool chaleureux, des éblouissements autour du zinc, des ivresses des arrières-salles enfumées. On marche dans la lumière sourde des bar-tabacs en compagnie d’un narrateur qui ressemble terriblement à un Jean-Bernard Pouy.

4e de couverture

 

Un verre de vin blanc, s'il vous plaît.

Muscadet ou sauvignon ?

Au revoir monsieur.

Et je suis sorti du rade.

Faut pas pousser.

[…]

Du muscadet. Du sauvignon... Merde.

 

Parlons de Mâcon, petit Chablis, Cheverny, Quincy, Chardonnay, Saint-Pourçain, Savagnin du Jura, Château-Chalon, Sancerre, Saint-Véran, Savennières, Morgon, Brouilly, Menetou-Salon, Saint-Joseph, Côtes du Rhône, Mercurey – mais n'anticipons pas.

 

Boire, c'est essentiellement le plaisir de parler avec les autres assoiffés.

 

« Une haltère, s'il vous plaît ! Ou, non, plutôt deux.

Comment ça, une haltère, monsieur ?

Ben oui, boire des haltères... Mais faut se méfier de la flotte car l'eau bue éclate... »

 

Comptoir

 

Dans le bar parfait, le zinc doit être net et pas trop encombré. La musique, en sourdine. Et le serveur ne doit pas te prendre le chou.

[…]

Les cartes postales punaisées au-dessous des verres, celles avec un gros derrière bronzé, ou un palmier clinquant. Les petites affichettes imprimées : « Crédit est mort », « N'engueulez pas le patron, sa femme s'en charge », « Si tu fais crédit, tu perds un ami », « Un Breton sans beurre, c'est un breton qui meurt », « Un verre de vin par jour, c'est la santé pour toujours », « Ici, le sourire est gratuit », etc.

[…]

Dans un bar parfait, mais là, c'est fini, il est bien qu'il y ait, sur le comptoir, des œufs durs, dans leur petit présentoir surmonté d'une salière, de ces œufs un peu vieillots qui, quand on leur brise la coquille en les tapant direct sur le zinc, montrent un peu de gris et de vert.

Et bien sûr, Le Parisien.

 

La randonnée commence par l'acquisition d'un plateau de jeu usagé à deux euros – un guide, en somme.

 

Monopoly 700

Un pauvre jeu de Monopoly dévasté.

 

Vingt-six stations, si l'on veut, mais certaines ne sont pas fréquentables.

Place Pigalle, arrivent les tueurs mandatés pour un règlement de compte, une histoire de dope. Le buveur-conteur est assommé – un Côtes du Rhône, ça ne pardonne pas.

 

Tout finit bien.

 

On retient la leçon donnée par un érudit émotif et cardiaque, victime collatérale dans l'anecdote : « On a bu du pinard à toutes les époques. Oh l'abus du plumard à Toul lésait les toques. »

 

Vous connaissez les homophonies approximatives de Raymond Roussel.

 

Partager cet article

Repost0
31 mars 2014 1 31 /03 /mars /2014 23:01

 

_ salut Mimile, toujou' dans l'mille ?

_ salut Popol, un blanc cass' a'c eul z'olives ?

_ non, mets-moi un anis vert a'c un gris.

_ ça va pas faire vert-de-gris ?

_ paraît qu' c'est tendance.

_ toi, t'as 'cor' trop lu l'jornal avec eul' polyptyque.

_ et chuis pas tombé dans l'panneau.

_ ben, dis.

_ c'est l'gars que l'gars d'à côté y connaît qui y a dit pou' dimanche.

_ la salle des fêtes ?

_ ben, eux, y l'ont tous dit eun grand' victoire.

_ et pis ?

_ y l'ont r'passé l'plat.

_ j'te l'remets ?

_ t'y crois 'core ? c'est d'jà fait, t'as lu son machin d'invesbiture ?

_ il est des nôt' ?

_ y boit point.

_ là, j'te f'rai dire, çui qui boit point, j'le fous de'd'hors.

_ pas luion peut même pas rigoler avec.

_ et qui qu'elle en dit Marguerite ?

_ a dit pus rin, all'est morte.

_ merde !

_ que tu dis, et du pied gauche.

_ j'l'a tojou' dit, d'eul pied gauche, ça port' malheur.

_ un blanc cass' pour tous !

 

* * *

 

Chez Mimile - les routes ne sont plus sûres

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile-les-routes-ne-sont-plus-sures-76113033.html

 

Chez Mimile_02 – Oursel et Avarie

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_02-oursel-et-avarie-77106636.html

 

Chez mimile_03 – dans le commerce, rien ne va plus

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_03-dans-le-commerce-rien-ne-va-plus-103922190.html

 

Chez Mimile_04 – la Poste-Par-Tom

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_04-la-poste-par-tom-112341909.html

 

Chez Mimile_05 – dieu est mort

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_05-dieu-est-mort-120699744.html

 

Chez Mimile_06 – Meurtre à la batte

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_06-meurtre-a-la-batte-thouars-deux-sevres-121863739.html

 

Chez Mimile_07 – pour faire bref

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_07-pour-faire-bref-122582341.html

 

Retrouvez la bande à Mimile chez les dames du Thérondelle.

 

Le thérondelle_17 – chez Mimile

http://www.libellus-libellus.fr/article-le-therondelle_17-chez-mimile-113481887.html

 

Le thérondelle_21 – Saint Kitts and Nevis, home, sweet confectionery

http://www.libellus-libellus.fr/article-le-therondelle_21-saint-kitts-and-nevis-home-sweet-confectionery-119313078.html

 

Partager cet article

Repost0
30 mars 2014 7 30 /03 /mars /2014 23:01

 

Jaume Cabré, Confiteor

Jaume Cabré, Confiteor, roman traduit du catalan par Edmond Raillard, Actes Sud, 2013 – 771 pages, photographie de couverture : Xabier Mendiola

 

Jaume Cabré

Jaume Cabré, 2013

Jaume Cabré est né à Barcelone le 30 avril 1947. Enseignant à l'Université de Lleida, il commence à publier des nouvelles et des romans à partir de 1974. Aux éditions Christian Bourgois, précédemment : Sa Seigneurie, 2004, L'Ombre de l'eunuque, 2006, et Les Voix du Pamano, 2009.

 

Nicolas Poussin, Et in Arcadia Ego, 1637-1639

Nicolas Poussin, Et in Arcadia Ego, 1637-1639

 

Barcelone années cinquante, le jeune Adrià grandit dans un vaste appartement ombreux, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une carrière de violoniste virtuose. Brillant, solitaire et docile, le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu’au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d’un magasin d’antiquités extorquées sans vergogne. Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l’abandonne, Adrià tente de mettre en forme l’histoire familiale dont un violon d’exception, une médaille et un linge de table souillé constituent les tragiques emblèmes. De fait, la révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l’Inquisition à la dictature espagnole et à l’Allemagne nazie, d’Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l’abjection totale.

Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane. Sara, la femme tant aimée, est la destinataire de cet immense récit relayé par Bernat, l’ami envié et envieux dont la présence éclaire jusqu’à l’instant où s’anéantit toute conscience. Alors le lecteur peut embrasser l’itinéraire d’un enfant sans amour, puis l’affliction d’un adulte sans dieu, aux prises avec le Mal souverain qui, à travers les siècles, dépose en chacun la possibilité de l’inhumain – à quoi répond ici la soif de beauté, de connaissance et de pardon, seuls viatiques, peut-être, pour récuser si peu que ce soit l’enfer sur la terre.

4e de couverture

 

Ce n'est qu'hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j'ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable.

 

Des histoires de familles tordues, nous en avons vues ces derniers temps.

Le chardonneret.

The Virgin in the Ice.

Le mur mitoyen.

Une rose pour Emily.

Bonjour, là, bonjour.

La petite fille qui aimait trop les allumettes.

Et, bien sûr, La fille du bourreau.

Aujourd'hui, c'est le fin du fond de l'abyme [(Littérature) Procédé qui consiste à placer à l’intérieur du récit principal un récit qui reprend de façon plus ou moins fidèle des actions ou des thèmes de ce récit.]

 

Tout a commencé, dans le fond, il y a plus de cinq cents ans. […] et maintenant je ne sais pas comment m'y prendre. […] je mets tout en désordre.

 

Il y a « un violon d’exception, l'objet le plus précieux de la maison, selon le père,

_ Ce violon a un nom. Il s'appelle Vial.

[…]

_ C'est son nom. Il s'appelle comme ça. Il y a des instruments qui ont un nom propre.

[…]

_ D'où vient son nom ?

_ De Guillaume-François Vial, l'assassin de Jean-Marie Leclair [son oncle].

 

une médaille,

le gioiello, une médaille rustique, avec la gravure rudimentaire d'une Vierge romane et un arbre immense à côté, une sorte de sapin. Et derrière, le mot "Pardàc".

[…]

Et elle lui prit la main.

 

et un linge de table souillé ».

 

Ne me regarde pas comme ça. Je sais que j'invente des choses : mais ça ne m'empêche pas de dire la vérité.

 

Un homme vieillissant perdant la mémoire écrit ses mémoires, je m'accuse, pour Aigle-Noir, le grand chef de la tribu des Arapahos des terres du Sud sur les rives de la Washita du Poisson Jaune,

 

Aigle noir n° 0

Aigle noir n° 0, décembre 1960

Aigle noir (Brave Eagle) est une série télévisée américaine, en 26 épisodes de 25 minutes, en noir et blanc, créée par Jack Laceyet, diffusée entre le 28 septembre 1955 et le 14 mars 1956 sur le réseau CBS.

En France, la série est passée à la télévision, RTF, à partir du 30 septembre 1957.

Aigle noir devint une revue mensuelle de bande dessinée, éditée par Sagédition de décembre 1960 à août 1964.

 

et le shérif Carson,

 

Kit Carson n° 1, 5 avril 1956

Kit Carson n° 1, 5 avril 1956

 

pour son amour de toujours, Sara, pour un Storioni inestimable,

 

Lorenzo Storioni, Cremona, ca 1773 357

Laurentius Storioni Cremonensis me fecit 1764

 

pour le lecteur qu'il tutoie parfois.

 

Confiteor défie les lois de la narration

 

En une même phrase, on passe d'un siècle à un autre, d'un personnage à un autre, d'une histoire à une autre, l'Inquisition, le franquisme, la Shoah.

Adrià cherche son identité, il parle de lui en disant « je » ou « il » dans une même phrase, il se met à nu.

Il a appris l'araméen, l'allemand, le français, l'anglais, le russe, onze langues en tout, la musique, la théologie, la philosophie, le commerce... Il cherche le renoncement : arrêter le violon, cesser d'écrire, n'être rien, comme le zéro qui n'est ni un nombre naturel, ni un entier, ni rationnel, ni réel, ni complexe.

 

L'abandon est un fil de lecture du roman : « Ne mettez pas de miettes par terre. », lui disait-on dans son enfance.

 

Il reste l'art, une façon de s'entendre avec la vie, avec les mystères de la solitude, avec la certitude que le désir ne s'ajuste jamais à la réalité. Un résumé du livre.

 

« Il n'existe aucune organisation qui puisse se protéger d'un grain de sable. »

Michel Tournier

 

Le grain de sable, c'est d'abord une poussière dans l’œil ; ensuite, cela devient un agacement dans les doigts, une brûlure à l'estomac, une petite protubérance dans la poche et, si le mauvais sort s'en mêle, cela finit par devenir une lourde pierre sur la conscience.

 

Johann Sebastian Bach, Partita n° 2 pour violon seul en ré mineur, BWV 1004, 1717-1723, Chaconne, Ivry Gitlis, ca 1990

Ivry Gitlis a 91 ans, et encore bien des arpèges à vivre, nous l'espérons.

 

Une écriture polyphonique, une traduction magnifique d’Edmond Raillard.

 

Edmond Raillard

 

Yueyin en a parlé.

 

Partager cet article

Repost0

 


 
Handicap International

un clic sur les images