Lou

  • : Libellus
  • Libellus
  • : Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

Recherche

l'heure à Lushan

France + 7 heures

 

Archives

pour mémoire

Survival

 

Uncontacted tribes

 

Un lien en un clic sur les images.

25 mars 2014 2 25 /03 /mars /2014 00:01

 

 

Chanson des bateaux de pêche au crépuscule, Pan Jin et l'ensemble de Musique Populaire Chinoise, instruments : erhu et konghu

 

Du Fu, Il y a un homme errant

Du Fu, Il y a un homme errant, traduit du chinois et présenté par Georgette Jaeger, Orphée / La Différence, 1989

 

Du Fu

Du Fu ou Du Zi-mei, né en 712, mort en 770, est avec Li Bai, ou Li Po, le plus célèbre poète des Tang. Son grand-père était déjà un poète connu. Après avoir parcouru, à dix-neuf ans, les provinces chinoises, il échoue aux examens pour devenir fonctionnaire. A Luoyang, où il réside de 742 à 744, il rencontre le poète Li Bai. Il se marie, il se rend à Chang'an, mais ne réussit pas dans un premier temps à obtenir un poste dans l'administration impériale. Il écrit à cette époque un poème dans lequel il décrit la misère qui est la sienne, en évoquant celle des gens du peuple qui est encore pire. Lorsqu'il obtient enfin un poste, dans une ville proche de la capitale, la rébellion de An Lushan éclate et Chang'an est prise par les rebelles. Suivent tribulations et maladie. Sans ressources, il meurt alors qu'il est en route pour la province du Hunan en 770.

 

Jiang Zhao He, Du Fu, ca 1981, Musée d'Art national de Chi

Jiang Zhao He, Du Fu, ca 1981, Musée d'Art national de Chine, Pékin

 

A la différence de Li Bai, tourné vers la tradition, Du Fu adopte des genres nouveaux, introduit dans la poésie des thèmes liés à la vie quotidienne, en appelle à la responsabilité sociale du poète. Il dénonce dans ses poèmes les injustices de son temps, conformément à l'idéal confucianiste.

 

Le cheminement des chars de guerre

 

Les chars avancent en grinçant

les chevaux les tirent en hennissant

les hommes marchent, portant l'arc et les flèches

les parents, épouses et enfants, les accompagnent

[…]

aux postes frontières, le sang coule, il forme des lacs

mais l'empereur Wu ne songe pas encore à faire cesser les combats

ne voyez-vous pas

dans le pays des Han, à l'est de la montagne, deux cents districts

mille villages, dix mille foyers, ne sont plus qu'épines et ronces

[…]

ne savez-vous pas qu'aux confins du Koukounor

depuis des temps anciens gisent des os blanchis que personne ne recueille ?

les mânes des morts récents gémissent, ceux des anciens morts pleurent

par temps sombre on les entend, mêlés au bruit de la pluie

 

Quatrain

 

Le soleil émerge de l'eau à l'est du fossé

les nuages s'assemblent sur la colline au nord de la maison

les martins-pêcheurs chantent sur les hauts bambous

une caille danse sur le sable désert

 

Sept chants composés lorsque je vivais à Tonggu

 

Il y a un homme errant, un homme errant qui s'appelle Zi-mei

sa tête est blanche, ses cheveux tombent en désordre sur ses oreilles

il vit de glands qu'il ramasse comme un montreur de singes

sous le ciel froid, au crépuscule, dans les vallées de montagne

sans nouvelle de la plaine centrale, il ne peut rentrer chez lui

ses mains et ses pieds sont gelés, sa peau crevassée

 

Hélas ! mon premier chant, déjà un chant triste...

le ciel m'envoie une brise compatissante pour me tenir compagnie

 

Réflexions

 

Le monde se compose d'êtres qui travaillent

en divers lieux, sous diverses coutumes

tous sont entraînés dans cette lutte pour la vie

et peu à peu, tous se ressentent de cet esclavage

sans dignités, l'obscurité n'apporterait pas l'amertume

sans richesses, la pauvreté pourrait se supporter

l'éternité n'est qu'un immense ossuaire

 

Images notées au hasard

 

Le mois de mars s'est enfui, avril est arrivé

je vieillis – combien de printemps me seront-ils encore donnés ?

ne pensons pas à tout ce qui peut encore arriver

buvons les quelques coupes qui nous sont accordées ici-bas

 

Partager cet article

Repost0
22 mars 2014 6 22 /03 /mars /2014 00:01

 

Ecole

Lou, c'est le petit au premier plan, un peu de profil, le regard insolent.

 

A la rentrée prochaine, Libellus entre à la grande école, pour apprendre à lire, écrire, compter.

 

 

François Couperin, Alexandre Tharaud, Les Baricades Mistérieuses

Scott Ross, molto sensuale

 

22 mars – le printemps déjà...

 

Robert Doisneau, Les Lilas de Ménilmontant, 1956 ht700

Robert Doisneau, Les Lilas de Ménilmontant, 1956

Lou, déjà, en plein élan.

 

Paris, rue de Ménilmontant

Paris, rue de Ménilmontant

Il y avait encore des carrioles.

 

Paris, rue Pelleport, à l'angle de la rue de Ménilmontant

Paris, rue Pelleport, à l'angle de la rue Orfila

Encore une carriole.

 

Paris, Au Bon Coin, à l'angle de la rue Pelleport et de la

Paris, Au Bon Coin, un autre, à l'angle de la rue Pelleport et de la rue de Ménilmontant

Tout près, il y avait la maison des Saint-Simoniens.

Le jour où un camion a raté le carrefour, le chauffeur s'est retrouvé sur le zinc, on a reconstruit le coin.

 

Paris, rue Pelleport, école

Paris, rue Pelleport, école

C'est devenu moderne, mais c'était là.

 

Partager cet article

Repost0
17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 00:01

 

G.-J. Arnaud, La Compagnie des glaces

G.-J. Arnaud, La Compagnie des glaces, Fleuve Noir, 1980 – réédition, tome 1 (les quatre premiers volumes), 1996

 

G.-J. Arnaud, 2005 (photo, D. Bonnefoy)

G.-J. Arnaud, 2005 (photo, D. Bonnefoy)

 

G.-J. Arnaud, comme tous les grands écrivains populaires est un enchanteur.

Jacques Baudou, Préface

 

Sur une Terre envahie par les glaces, la survie de l'espèce humaine est assurée par les grandes compagnies ferroviaires qui se partagent le globe. Le rail apporte chaleur, nourriture, mais aussi une dictature impitoyable. Mêlé malgré lui aux intrigues de la Compagnie, le glaciologue Lien Rag va s'intéresser un peu trop à l'origine des Hommes Roux, capables de résister à des températures de moins quarante, et découvrir la dangereuse ivresse de la révolte.

4e de couverture

 

La Compagnie des glaces est une œuvre composée de 62 romans publiés entre 1980 et 1992. L'aventure s'est continuée dans les Chroniques glaciaires (11 romans), de 1995 à 2000, puis dans la Nouvelle époque (24 romans), de 2001 à 2005.

 

De 1952 à nos jours, G.-J. Arnaud a écrit plus de 400 romans, sous 15 noms de plume, pour 37 éditeurs.

 

Lien Rag attendit près d'une heure d'être reçu par le lieutenant de la Sécurité.

[...]

Plus loin la grande ligne du sud-ouest rejoignait celle du nord et ils découvrirent les traces du passage de F-Station. Une ville de cent mille habitants en laisse de visibles lorsque ses ordures sont abandonnées en cours de route.

[...]

Il essaya de se souvenir combien de Compagnies se partageaient le monde. C'était un chiffre secret qu'il avait connu un jour sans savoir comment. Quatre, cinq ? Il avait oublié.

[...]

La dernière ville qu'ils ont déplacée c'était Iron Station […]. Les mineurs s'étaient mis en grève et ils avaient tous été envoyés en camp de concentration.

On dit que F-Station en est un, fit Lien avec réticence.

C'est fort possible.

Vous croyez qu'un camp de cent mille personnes existerait ? Demanda-t-il avec anxiété.

Mais personne ne répondit.

[...]

Des loups. Peut-être des dizaines de loups.

[…]

C'étaient des loups énormes.

 

Les palais des gouverneurs et des pontes de la Compagnie circulent dans des trains qui occupent des dizaines de voies parallèles, des wagons d'une largeur immense. Prioritaires, comme F-Station, la ville déportée.

 

Nous vivons dans un monde fabuleux, dit stupidement Farell.

 

L'aube... Celle-ci était toujours lente à apparaître depuis que la Lune avait explosé pour former autour de la Terre un nuage de poussière arrêtant les rayons du Soleil. Depuis deux siècles et demi, l'astre n'était plus visible. Il n'y avait plus de lever ni de coucher, juste cette lumière laiteuse qui succédait à la nuit. Et le froid était apparu en quelques mois.

Lien songeait souvent à cette période horrible. Il avait fallu que la Lune soit transformée en poubelle atomique pour qu'un beau jour la masse critique du plutonium soit atteinte et que le satellite de la Terre vole en éclats.

 

On a entendu parler de La Voie Oblique, mais on n'en sait rien. Les Compagnies se font la guerre, les loups sont aux abois, les Hommes Roux sont tout proches.

 

Floa Sadon, la fille du gouverneur, est une sensuelle, réputée frigide, mais il n'en est rien. Elle vient au secours de Lien, en difficulté. Un loco-vapeur LB 117 est précieux pour emprunter les voies secondaires non électrifiées. L'aventure continue...

 

La littérature populaire, selon G.-J. Arnaud, n'est pas un art du remplissage. Aucun temps mort ni répétition, juste l'économie de l'écriture... et d'une imagination follement éprise de liberté.

Il y a comme un cousinage entre le Transperceneige, dont nous parlions récemment, et La Compagnie des glaces.

 

Douglas Orgill, John Gribbin, Le sixième hiver

Douglas Orgill, John Gribbin, Le sixième hiver, 1986

Une autre évocation d'une nouvelle ère glaciaire, dans une autre histoire – nous devons la référence à Yueyin dont les recherches passionnent actuellement l'élite du monde scientifique.

 

Et G.-J. Arnaud ? Ne serait-il pas un François Merlin, l'enchanteur du film de Philippe de Broca, Le Magnifique ?

 

 

Philippe de Broca, Le Magnifique, 1973, extrait 1

 

_ J'arrive de Mexico, mon général, Rodriguez est mort.

_ Bigre ! Dans quelles circonstances ?

_ Il a été dévoré par un requin dans une cabine téléphonique.

_ Je vous demande pardon ?

 

 

Philippe de Broca, Le Magnifique, 1973, extrait 2

 

_ J'avais peur que nous nous rations, je n'ai pas trouvé le pain de campagne.

_ Nous ne pouvions pas nous rater, Tatiana.

_ En route !

 

 

Philippe de Broca, Le Magnifique, 1973, extrait 3

 

_ C'est l'électricien, Monsieur Merlin.

_ Ah ! Quand même !

_ Mais il est pas passé, l'plombier, ah ! Moi, j'peux rien faire si l'plombier n'est pas passé, moi.

_ Croyez-moi, c'est vous qui avez la meilleure part, cher Merlin, alors que, moi, qu'est-ce que je fais ? Je reçois ça, des manuscrits, vingt par jour, cent quarante par semaine. Qu'est-ce que vous voulez que je foute de toutes ces saloperies ? Non, croyez-moi, vous avez sûrement plus de satisfaction que moi au bout du compte. Vous faites rêver des milliers de gens, et ce rêve, cher Merlin, c'est vous qui le fabriquez, parce que vous... parce que vous êtes un magicien, hm, et moi, je ne suis qu'un boutiquier.

 

 

Philippe de Broca, Le Magnifique, 1973, extrait 4

 

_ Dis donc, ta bonne femme, le sein gauche, hein, c'est pas si mal.

_ Tu crois ?

_ Oui, oui, vas-y, du sang, d'la bidoche, d'la violence !

 

 

Philippe de Broca, Le Magnifique, 1973, extrait 5

 

_ Vous devriez vous r'poser, c'est pas raisonnable.

_ J'ai quatre-vingt-deux pages à écrire en deux jours.

_ Oh, pauv' Monsieur, j'vais vous faire du café.

 

On se plaît toutefois à croire que le directeur du Fleuve Noir était moins noir que l'affreux Charron du film.

 

Partager cet article

Repost0
13 mars 2014 4 13 /03 /mars /2014 00:01

 

Henri Dutilleux, Mystère et mémoire des sons

Henri Dutilleux, Mystère et mémoire des sons, Entretiens avec Claude Glayman, Actes Sud, 1997

 

Henri Dutilleux, in Constellations

Henri Dutilleux (photographie : Louis Monier)

 

Henri Dutilleux, Orchestral, Piano & Chamber Master works

Henri Dutilleux, Orchestral, Piano & Chamber masterworks, Plasson, Casadessus, Bonneau, Chung, Mørk, Capuçon, Queffélec, Pahud, Godart, EMI Records / Virgin Classics, 2012

 

 

 

Henri Dutilleux, The Shadows of Time, I à III, 1997 – Orchestre du Capitole de Toulouse, dir. Michel Plasson, Timothée Collardot, Aude Guiral, Sarah Lecolle, children voices from Choir "La Lauzeta"

 

The Shadows of Time est composé de six épisodes : I. Les Heures ; II. Ariel Maléfique ; III. Mémoire des ombres ; IV. Interlude ; V. Vagues de Lumière ; VI. Dominante Bleue ?

 

On y entend des réminiscences du chant grégorien, le mystère, le sacré.

Dominante bleue ? Un musicien de la couleur.

On reconnaît le « son Dutilleux » dès les premières mesures, comme une sorte de sensualité dans l'ordre harmonique.

 

Vassily Kandinsky, Impression V (Parc), 1911

Vassily Kandinsky, Impression V, 1911 – le cavalier bleu

 

_ Je suis né le 22 janvier 1916, à Angers. J'avais trois ans quand ma famille a quitté cette ville en 1919 pour rejoindre le Nord de la France, alors si éprouvé. Un enfant de trois ans peut être marqué par certaines images qui se fixeront comme des souvenirs.

[...]

_ Vous songez à votre maison actuelle ?

_ Elle est à une soixantaine de kilomètres d'Angers, à Candes-Saint-Martin, en Touraine, à la pointe extrême du confluent de la Loire et de la Vienne. C'est très beau, ce spectacle des deux fleuves qui se rejoignent, face à chez nous.

 

Confluent de la Vienne et de la Loire, Candes-Saint-Martin

Confluent de la Vienne et de la Loire, Candes-Saint-Martin

 

Constant Dutilleux, l'arrière-grand-père du compositeur, était peintre. Henri Dutilleux se souvient de ses toiles, dessins, fusains, sanguines.

 

Constant Dutilleux, Paysage à Lambres, pastel, 1865, Musé

Constant Dutilleux, Paysage à Lambres, pastel, 1865, Musée des Beaux-Arts, Arras

 

_ Vous aviez reçu une éducation religieuse ? Vous y revenez dans une interview où vous parlez de cette dimension sacrée, à propos de votre vision de la musique.

_ C'était sans doute avec dom Angelico Surchamp, pour la revue Zodiaque. J'évoquais une aspiration vers quelque chose d'indicible *, inclination qui s'est peut-être affirmée au cours des années.

[…]

Voyez-vous, j'ai une foi un peu particulière, pas du tout comme Messiaen qui se proclamait avec force et une grande sincérité musicien catholique.

* NDL : on ne peut dire la musique.

 

Le Conservatoire, la villa Médicis, et les années noires – de l'Occupation à la Libération.

 

_ C'est à cette période que vous avez connu votre femme, Geneviève Joy ?

 

Henri Dutilleux et Geneviève Joy

Henri Dutilleux et sa femme, la pianiste Geneviève Joy (photographie : Louis Monier)

 

_ Nous nous sommes mariés en 1946, nous nous connaissions depuis quatre ans.

 

_ Aviez-vous des amis musiciens à l'époque ?

_ C'est vers la fin de l'Occupation que j'ai rencontré Manuel Rosenthal, à l'occasion d'une réunion très clandestine qui se tenait au fond d'une impasse, près du métro Falguière. Moi, j'étais l'un des petits maillons d'une longue chaîne de musiciens groupés sous le nom de Front national – le vrai, celui-là, comme c'est étrange ! – où se retrouvaient Désormière, Henry Barraud, Georges Auric, Claude Delvincourt, Elsa Barraine, Roland-Manuel, Irène Joachim, Marcel Mihalovici, Rosenthal et d'autres encore.

[…]

Désormière […] avait été l'un des maîtres d’œuvre de la reprise de Pelléas et Mélisande à l'Opéra-Comique en septembre 1940 – devant un parterre vert-de-gris.

 

Des musiques de films ? Oui, pour Grémillon, Pialat...

 

_ On vous dit un peu lent ?

_ On a tout à fait raison de le dire. […] Si je suis lent ce n'est pas, à vrai dire, que je ne travaille pas, c'est parce que je parviens mal à préserver mon temps de travail, bien que je sois maintenant un homme libre. […] Mais il est extrêmement difficile d'organiser son travail tout en restant ouvert aux autres et disponible.

 

Comment Henri Dutilleux a-t-il vécu mai 68 ?

_ […] dans le sens d'une plus grande liberté, […] une prise de conscience de la situation du musicien et du compositeur dans la société.

 

Un musicien hédoniste ?

 

_ J'ai souvent parlé de la joie du son, mais il y a autre chose... En toute humilité, je dirai, moi, que l'un des buts principaux, c'est la recherche d'une certaine cohérence, d'un équilibre sans préjudice de la fantaisie, d'une sorte de plaisir qui serait aussi celui du jeu, du goût du risque, ce qui est très important aussi.

 

_ Comment vivent les compositeurs, en France ou ailleurs ? Quels sont leurs moyens d'existence ?

_ […] l'enseignement... la radio... des arrangements pour des boîtes de nuit... au moins jusqu'à cinquante ans.

 

* * *

 

Henri Dutilleux, Constellations

_Henri Dutilleux, Martine Cadieu(x ?), Constellations– Entretiens, Michel de Maule, 2007

 

Avant-propos

Chasseresse des songes, Martine Cadieu a plusieurs cordes à son arc : la poésie, le roman, la musique.

Jean Roy

 

Dans l'île Saint-Louis. Correspondances

Samedi 28 février 2004, l'après-midi.

L'air est léger, le froid coupant, la lumière douce et dorée sur les quais et le marché aux fleurs.

[…]

Henri Dutilleux aime bien raconter, faire sourire. Moi j'aime bien écouter.

 

 

Henri Dutilleux, Correspondances, Esa-Pekka Salonen (Trailer) – Alexandre Soljenitsyne, Prithwindra Mukherjee, Vincent van Gogh, Rainer Maria Rilke –, 22 janvier 2013

 

Correspondances est une œuvre de Henri Dutilleux créée par Simon Rattle à Berlin, les 5 et 7 septembre 2003.

 

_ Titre au pluriel et l'on comprend pourquoi. Je pensais déjà à la lettre de Soljenitsyne à Rostropovitch et Galina Vichneskaïa.

[…]

C'est la première à laquelle j'ai pensé. Je voulais me limiter à des lettres, mais au même moment, j'ai retrouvé un recueil de poèmes d'un auteur indien vivant à Paris : Prithwindra Murkherjee. Il m'avait donné ce livre, il y a longtemps. J'ai commencé l’œuvre par son texte.

 

« Des flammes, des flammes qui envahissent le ciel,

Qui es-tu, ô danseur, dans l'oubli du monde ?

Tes pas et tes gestes font dénouer tes tresses,

Tremblent les planètes et la terre sous tes pieds.

Des flammes, des flammes qui envahissent la terre... »

 

J'ai ensuite pensé à la correspondance de Vincent van Gogh avec son frère Théo.

 

Vincent van Gogh, La Nuit étoilée, 1889

Vincent van Gogh, La Nuit étoilée, 1889 – en noir et blanc dans le texte

 

_ La Nuit étoilée m'a inspiré une partition : Timbres, Espace, Mouvement.

 

Des rencontres.

 

Kandinsky : Impression V, 1911 – le cavalier bleu (cf. supra).

Paul Jenkins : Phenomena Sun Over The Hourglass, 1966 – sur un fond noir, un bleu très vibrant, un rouge de flamme, un jaune acide, une grande montée de blanc lumineux.

 

Paul Jenkins, Phenomena Sun Over The Hourglass, 1966

Paul Jenkins, Phenomena Sun Over The Hourglass, 1966

 

Et Robert Doisneau.

 

Robert Doisneau, Les Lilas de Ménilmontant, 1956 ht700

Robert Doisneau, Les Lilas de Ménilmontant, 1956 – Lou avait neuf ans, en plein élan sur ses patins.

 

Henri Dutilleux s'est passionné pour l'astrologie.

 

Henri Dutilleux, thème astrologique de naissance

Henri Dutilleux, thème astrologique de naissance – 22 janvier 1916 à 6 h 30 du matin, à Angers

 

Le lecteur trouvera par le lien une lecture du thème.

 

Planètes, astrologie

 

On observera Neptune, les eaux profondes, Saturne, une certaine lenteur mélancolique et une disponibilité exigeante aux autres, Pluton, non pas la mort mais l'autre rive, et la Lune, en 22° Lion, entre Neptune et Mars. Uranus, si près de Mercure – tout pour s'entendre. Jupiter en Poissons, et en bonne relation avec Neptune et le Soleil (sextile et trigone).

 

Et puis Henri Dutilleux est un chat de bois, dans l'Empire Céleste. Un chat...

 

Restons encore un peu.

 

 

Henri Dutilleux, Ainsi la Nuit, Quatuor Rosamonde, 2011

 

L’œuvre intégrale est interprétée ici par le Belcea Quartet.

 

Partager cet article

Repost0
7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 00:01

 

Pierre Assouline, Sigmaringen

Pierre Assouline, Sigmaringen, Gallimard, 2014

 

Pierre Assouline, Gallimard

 

Sigmaringen, Schloss, ca 1900 700

Sigmaringen, ca 1900

 

 

Marlene Dietrich, Lili Marlene

 

C'est un moment de l'histoire de France qu'on veuille ou non... Ça a existé. Et un jour on en parlera dans les écoles.

Louis-Ferdinand Céline

 

Quand la vérité dépasse cinq lignes, c'est du roman.

Jules Renard

 

Immendigen est la première étape d'un périple qui doit me mener de l'autre côté de la frontière, jusqu'à un village alsacien dont j'ignore tout, à l'exception de l'identité de celle que je vais y retrouver, la femme à qui je dois d'avoir perturbé le confort de mes évidences. Une Française, Jeanne Wolfermann.

 

Que nous est-il arrivé ?

 

« […] Un télégramme.

[…]

C'est Ribbentrop. Le château est réquisitionné. »

 

Le prince de Hohenzollern ne se cachait pas de considérer les nazis comme des aventuriers incultes et athées.

La famille Hohenzollern, treize personnes, est forcée d'abandonner une maison qui était la sienne depuis quatre siècles.

En septembre 1944, les Français de Vichy viennent habiter le château. Julius, le majordome (le narrateur), peut rester à son poste, ainsi que tout le personnel.

La sécurité est assurée par le major Boemelburg et le SS-Obersturmfürher Detering, des hommes de Himmler, deux caricatures de la terreur ordinaire.

Le maréchal Pétain, le premier arrivé, accompagné de sa suite, le 8 septembre, est logé au septième étage, dit l'Olympe.

Le président Laval arrive quelques jours après, avec sa suite. Il est placé au sixième étage. « M. Laval a l'habitude : à Vichy, déjà, il était juste en dessous. »

« Combien de pièces au juste, dans ce château ?

Trois cent quatre-vingt-trois.

 

La visite de la salle Saint-Hubert aux murs ornés de massacres produisait son effet. Quelques petits cris d'effroi ne purent être réprimés à la vue des têtes de cerfs empaillés, des animaux que seule la haute noblesse avait le droit de chasser ; elles témoignaient également de la richesse de cette famille, qui possède des réserves dans la région aussi bien qu'à l'étranger. Les bêtes paraissaient si vivantes dans leur mort.

 

La princesse Marguerite de Hohenzollern s'exprimait dans un excellent français mâtiné de quelques formules soigneusement argotiques à la limité de la grossièreté, comme seuls les aristocrates peuvent se l'autoriser.

 

Lou de Libellus, n'est-ce pas ?

 

Le reste du gouvernement français arriva les jours suivants.

 

Mlle Wolfermann, l'intendante du maréchal, est une femme à l'allure décidée, la taille bien prise et proportionnée, un visage fin aux traits réguliers.

Le majordome, en compagnie de Mlle Wolfermann, vient briefer ses troupes – un rappel aux principes : tenir, se tenir, maintenir.

 

Il y avait les ministres actifs, ceux qui y croyaient encore, et les passifs, ceux qui n'y croyaient plus.

 

Abel Bonnard

 

Abel Bonnard, lui au moins sera ravi d'appartenir au clan des ministres passifs. Entre eux, ils l'appellent tous Gestapette.

 

Dans une sordide lutte de pouvoir et d'influence, une guerre civile entre partisans d'un même monde […], les différents microcosmes de Sigmaringen s'ignoraient comme autant de clans qui ne frayaient pas.

 

Le décor d'une sinistre comédie était planté.

 

Personnages.

Le président Laval, et le nouveau président, celui de la Commission gouvernementale, M. de Brinon, que Pétain déteste – autant qu'il méprise Laval. Déat, Bichelonne, Marion, Darnand... une galerie de portraits.

 

L'affaire de l'ascenseur.

Seul le maréchal y avait droit. Un jour, le maréchal s'est retrouvé coincé dans l'ascenseur.

 

Octobre s'achevait. […] la campagne prenait ses plus belles couleurs.

 

En ville, on connaissait le Café Schön, interdit aux Allemands, réservé aux Français... Bruyant et enfumé, il était désormais comme occupé.

On y voyait Lucien Rebatet, Les décombres, toute la bande de Je suis partout, Louis-Ferdinand Céline et son chat. Et son art de faire scandale en crachant dans la soupe.

 

Mlle Wolfermann esquisse quelques notes des Gymnopédies.

 

 

Erik Satie, Gymnopédies, I, piano : Daniel Varsano, 1980

 

Tout cela finit mal.

 

Pour Julius, tout est en ordre, comme avant.

 

Tout a une fin.

 

Philippe Pétain, maréchal de France

 

Philippe Pétain a purgé sa peine et sa vie à l'île d'Yeu, en Vendée, jusqu'en 1951.

Pierre Laval a été exécuté le 15 octobre 1945.

Fernand de Brinon, le 15 avril 1947, au fort de Montrouge.

Joseph Darnand, fusillé au fort de Châtillon.

Bernard Ménétrel, le médecin personnel du maréchal, un accident de voiture, en 1947.

Abel Bonnard, † à Madrid en 1968.

Marcel Déat, de mort naturelle en 1955, sous l'égide des sœurs de la Providence.

Eugène Bridoux, mort en exil, auprès du général Franco, en 1955.

Jean Luchaire, exécuté en 1946.

Louis-Ferdinand Céline mourut chez lui en 1961.

Lucien Rebatet, chez lui, à Moras(Maurras?)-en-Valloire, en 1972.

Otto Abetz, 1958, un accident de voiture – il y avait beaucoup d'accidents à l'époque.

Major Karl Boemelburg, évaporé.

 

Le roman est suivi d'une Reconnaissance de dettes, une bibliographie, six pages.

 

Écrit d'un style alerte et, nonobstant, académique, tendance Goncourt, ce roman d'intrigue(s) nous plonge dans un passé... peut-être dans un antérieur futur...

 

Sigmaringen, de nos jours 700

Sigmaringen, de nos jours

 

Partager cet article

Repost0
1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 00:01

 

Lob, Rochette, Legrand, Le Transperceneige, Intégrale, Cas

Lob / Rochette / Legrand, Le Transperceneige, Intégrale, Casterman, 2013

Cette intégrale rassemble les trois tomes originaux du Transperceneige, à savoir : Le Transperceneige (1984, réédition sous le titre L'Echappéeen 1999), L'Arpenteur(1999), La Traversée (2000).

 

(A SUIVRE) 57, octobre 1982 357

Lob / Rochette, Le Transperceneige, (A SUIVRE), octobre 1982-juin 1983, Casterman – album, Casterman, 1984

 

Snowpiercer

Bong Joon-Ho, Snowpiercer, 2013

 

 

Nick Murray, Druzhba, Snowpiercer, English Session Orchestra, Britten Sinfonia Voices, 2013

 

Un jour, la bombe a fini par éclater. Et toute la Terre s’est brutalement retrouvée plongée dans un éternel hiver gelé, hostile à toute forme de vie. Toute ? Pas tout à fait. Miraculeusement, une toute petite portion d’humanité a trouvé refuge in extremis dans un train révolutionnaire, le Transperceneige, mu par une fantastique machine à mouvement perpétuel que les miraculés de la catastrophe ont vite surnommé Sainte Loco. Mais à bord du convoi, désormais dépositaire de l’ultime échantillon de l’espèce humaine sur cette planète morte, il a vite fallu apprendre à survivre. Et les hommes, comme de bien entendu, n’ont rien eu de plus pressé que d’y reproduire les bons vieux mécanismes de la stratification sociale, de l’oppression politique et du mensonge religieux…

Bande dessinée majeure des années 80 créée par Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, reprise à la fin des années 90 pour deux volumes supplémentaires par Benjamin Legrand après le décès de son scénariste, la trilogie du Transperceneigereparaît en un volume unique à l’occasion de son adaptation au cinéma (Snowpiercer, sur les écrans dès la fin de l’été) par le plus célèbre des cinéastes coréens, Bong Joon-ho. La redécouverte de l’une des meilleures sagas de science-fiction qu’ait produite la bande dessinée française : trente ans après sa création, Le Transperceneigen’a rien perdu de sa puissance et de sa singulière modernité.

Casterman

 

Transperceneige, incipit

 

Tout commence par une complainte de chanteur de rue.

 

Parcourant la blanche immensité

d'un hiver éternel et glacé

d'un bout à l'autre de la planète

roule un train qui jamais ne s'arrête.

 

C'est le Transperceneige aux mille et un wagons.

 

– Fumier d'queutard ! J'm'en vais t'péter la gueule, moi !!!

 

C'est le dernier bastion d'la civilisation !

 

Proloff, un queutard, s'est échappé des wagons de queue en passant par l'extérieur, au risque de la mort blanche. Il a rejoint les voitures de Seconde.

– Il s'est introduit par la fenêtre des chiottes en brisant la vitre...

Le premier garde s'est montré brutal, mais le lieutenant Zayim est accueillant.

 

Transperceneig, Zayim et Proloff

– Brochard ! Apportez-lui deux biscuits et une tasse de kawa.

 

Dans cette partie du train, il y a du vrai café. On ne connaît pas bien les conditions de vie dans le tiers-convoi. Proloff évoque la promiscuité constante et étouffante. Un jour, on a voulu faire un cadeau à un brave petit vieux doux et tranquille, pour son anniversaire.

– Ben... J'aim'rais bien qu'vous m'laissiez tout seul. Rien qu'une heure, juste une petite heure.

Il s'est pendu.

 

Transperceneige, Adeline Belleau

Adeline Belleau :

J'appartiens à un groupement d'aide au tiers-convoi.

 

Proloff est en isolement, peut-être contagieux. Adeline se glisse dans le compartiment où il est détenu.

On dit qu'vous êtes des milliers à être entassés dans des fourgons à bestiaux, à crever d'faim et d'froid.

 

Transperceneige, nantis et damnés

 

On les rase tous les deux, question d'hygiène.

Ils sont conduits au Quartier Général, dans les wagons dorés.

 

Là d'où je viens, on dit qu'il existe en tête des wagons presque vides... des voitures entières qui ne sont occupées que par une poignée d'aristocrates et de parvenus qui vivent dans la fourrure et la soie !

 

Transperceneige, wagons dorés

 

Le voyage est interminable, littéralement.

 

Transperceneige, Terre promise

 

Le vap'shit ? En réalité, c'est du Vap'o Clean, une sorte de désinfectant pour chiottes, […] un super flash.

 

Les prêtres mécano, les frères de la machine, sont à leur office.

ô Sainte Loco, que ton mouvement dispensateur d'énergie ne se ralentisse point, qu'il apporte aujourd'hui et demain les bienfaits qui nous sont nécessaires.

Sainte Loco, source de vie, roulez pour nous.

 

Dans l'assistance, on maudit les wagons d'queue avec la racaille qui les occupe.

 

Transperceneige, voitures dorées

 

La machine ralentit. Le colonel Cohen et le président ont un projet : décrocher les wagons de queue et recaser les habitants.

 

Le Transperceneige, c'était un train conçu pour les croisières de luxe pendant plusieurs semaines... C'était avant la bombe qui a bousillé le temps – on avait parlé de l'arme climatique.

 

En tête, il y a les folles nuits, le sexe et la baise contre l'angoisse et l'ennui.

Les autres sont tous largués, tous baisés. Le président et le colonel... ils n'ont jamais eu l'intention de recaser les gens qui sont en queue.

 

Mais des fourgons les plus reculés

La mort qui, soudain, s'est échappée

Lentement remonte le convoi

semant partout l'horreur et l'effroi.

 

Une épidémie. D'où vient-elle ? Les symptômes ressemblent à ceux du SIDA.

 

Proloff rappelle la ruée sauvage, peu de temps après le départ du convoi, et le massacre. Son message, transmis depuis une cabine radio, passe dans tout l'convoi.

 

Proloff :

On continue ! Jusqu'au bout ! T'as jamais eu envie d'voir Sainte Loco ?

 

Il y a une salle de cinoche... Ce soir, ils jouent Casablanca.

 

Proloff et Adeline s'emparent du président. Il les conduit, sous la menace, vers la loco. Proloff mitraille les vitres du dernier wagon : la mort froide pour le président – et pour Adeline.

 

Alec Forester, le père de la machine, recueille Proloff.

 

Opération décrochage terminée.

 

Le vieux n'en a plus pour longtemps, Proloff prend la relève aux commandes.

 

Parcourant la blanche immensité

d'un hiver éternel et glacé

d'un bout à l'autre de la planète

roule un train qui jamais ne s'arrête.

 

C'est par ma faute qu'elle est morte... c'est... c'est comme si je l'avais tuée.

 

* * *

 

Transperceneige, 2-L'Arpenteur, cover

Legrand / Rochette, L'Arpenteur, 1999

 

Transperceneige, 2-L'Arpenteur, incipit

 

Dehors, il fait moins 85. Le maître du train est le conseiller Kennel. Le révérend Dicksen tient ses ouailles et conspire contre le conseiller.

Nous allons donc tous prier maintenant... pour que jamais notre train n'entre en collision avec le Transperceneige – le premier train, qui, après le largage, a continué d'errer sur la même voie, sans plus personne pour le conduire. Des exercices de freinage permettent de réduire le risque.

Val, la fille de Kennel crée des voyages virtuels. On peut les gagner dans des jeux.

Puig Vallès, un arpenteur, a eu un problème de caméra au cours de sa dernière sortie pendant un exercice. Il est arrêté, pour être condamné, au moment où il vient de gagner un voyage.

L'arpenteur s'est évadé !!! Il est armé ! Il a tué deux gardes !!!

Puig est repris, il est enfermé dans un tiroir – une cellule. Val vient le voir.

 

Des terroristes préparent une bombe.

 

L'arpenteur est condamné à des travaux d'intérêt public  une mission suicide. Il est envoyé en éclaireur dans une navette aérienne pour observer la voie. Il repère un pont détruit (ainsi, le choc frontal entre les deux tronçons du premier train a eu lieu des années auparavant) et sauve le train.

Il devient citoyen d'honneur.

 

Tourne Transperceneige

Tourne sans t'arrêter

Tourne comme un manège

Sur notre Terre glacée.

 

* * *

 

Transperceneige, 3-La Traversée, cover

Legrand / Rochette, La Traversée, 2000

 

Transperceneige, 3-La Traversée, incipit

 

Une explosion (voir L'Arpenteur) ! Plusieurs wagons du milieu sont détruits.

On largue l'arrière du train pour éviter le déraillement.

 

Transperceneige, 3-La Traversée, Val

 

Les terroristes tentent d'assassiner Puig. Un moment, on le croit mort. On arrête les ordures et on les colle dans des tiroirs.

Il ne reste qu'un wagon agricole, avec seulement des produits de luxe, caviar et champagne.

On a capté une émission très faible, à peine audible, venant de l'autre côté de la mer. Il faut traverser la mer gelée pour rejoindre ceux qui émettent. La loco est équipée de chenilles amovibles – un secret jusque là – afin de pouvoir quitter les rails.

L'odyssée commence, par monts et par vaux – les vagues ont gelé. La loco n'y peut tenir. On coupe les derniers wagons du peu qu'il reste du convoi.

 

Transperceneige, 3-La Traversée, Kennel

Kennel est tué par les terroristes.

 

On retrouve Proloff (voir Le Transperceneige), isolé dans la cabine de la loco, un peu fou depuis la mort de sa femme.

 

Tu sais qu'on approche vraiment, Puig ? On commence à entendre beaucoup mieux le signal.

C'est le Requiem de Fauré, je crois.

 

 

Gabriel Fauré, Requiem, Pie Jesu, Michel Corboz & Berner Symphonieorchester, Maitrise St-Pierre Aux Liens de Bulle, Alain Clément, soprano, 1972

 

On atteignait l'autre bord du monde. On entendait bien la musique.

 

 

When the Saints Go Marching In, Mahalia Jackson, 1961

 

Puig s'avance vers la caverne d'où vient la musique. On entend Le Temps des cerises.

 

 

Jean-Baptiste Clément, Antoine Renard, Le Temps des cerises, 1868  int. : Marcel Mouloudji, 1958

 

On a fait tout ça pour rien. Il n'y a personne de vivant... C'est un système automatique...

Mais c'est trop horrible ! Qu'est-ce qu'on va dire aux gens, Puig ? Qu'est-ce qu'on peut leur dire ?

La vérité, Brady... La vérité... Dis-leur qu'on a fait tout ça pour une chansonnette.

 

Au dernier recensement, l'humanité comptait 754 hommes, 693 femmes et 23 enfants.

 

Val consulte le Yi King.

 

Transperceneige, 3-La Traversée, Yi King, La paix

 

Neuf à la troisième place signifie :

Pas de plaine qui ne soit suivie d'une côte,

pas d'aller qui ne soit suivi d'un retour.

Sans blâme est celui qui demeure constant dans le danger.

Ne te désole pas d'une telle vérité ;

jouis du bonheur que tu possèdes encore.

 

Ils sont partis dans mille et un wagons. L'arrière a été largué. Puis il y a eu l'explosion du milieu, la moitié du train a été détachée. Au cours de la traversée, comme la marche se ralentissait, d'autres wagons ont été abandonnés, et d'autres encore pour se débarrasser des terroristes, les rétrogrades. La machine avançant à vitesse réduite, il a fait de plus en plus froid.

Ils n'ont presque plus de vivres, plus de chauffage, Sainte Loco s'est arrêtée. Ils ne sont plus que quelques centaines à attendre la mort blanche, dans les bulles et en musique.

 

* * *

 

Le Transperceneige est une synecdoque du monde : huis clos, lutte des classes, religion, amour, musique.

 

Le premier volume (commencé par Alexis, le premier mort du train, et finalement dessiné par Jacques Lob – en 1990, peu avant sa mort, il avait dit qu'il ne voulait pas de suite) est le plus fort.

L'Arpenteur se traîne un peu. Le graphisme a changé (on aime, on n'aime pas), le scénario ralentit en même temps que la loco.

La Traversée entre dans une phase extrêmement active. Explosions, coups de théâtre, rebondissements. Et chute.

 

Quand le roman graphique (graphic novel, selon le terme de l'inventeur, Will Eisner) est d'une telle vérité, jouis du bonheur que tu possèdes encore.

 

Partager cet article

Repost0
25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 00:01

 

Bienvenue à nos lecteurs pour ce septième numéro d'Anacoluthes où nous recevons Idothée, la diva du divan.

 

 

 

 

Idothée vue par sa fille, 2010 357

Di Ze Chacalou, Idothée, Portrait à la cigarette

 

On ne présente plus Idothée, la diva du divan.

 

« Bonjour, Idothée, ça plane pour vous ?

 

Idothée, deltaplane

 

_ J'aime bien m'envoyer en l'air avec un beau pilote.

_ Vous avez une autre activité, vous écrivez ?

_ Pour mon guru et ses Scribulations.

_ Jimidi est grand, Lou est son prophète.

_ Et puis dans les ratures. Et toi, tu lis tes ratures ?

_ Nous vous lisons.

 

Un homme bleu du désert, un Targui (des Touareg)

 

Je te sais

Homme bleu

Comme on sait

Dans son sang

L'alliance inscrite

Je suis la gardienne de ta maison

La dague à ta ceinture

L'eau à ta bouche

Tu te tiens sur la dune

Veilleur silencieux

Tu cherches

C'est moi qui te trouve

 

Leire-Irarragorri--Tontorra--Le-sommet---2013_h700.jpg

Leire Irarragorri, Tontorra (Le sommet), 2013, © Leire Irarragorri

 

Si j'étais à l'envers

Derrière la façade tranquille

Les fenêtres sages

Dans le printemps de la ville à peine éveillée

Soulevé le rideau

 

On entendrait, on verrait

Le privé, le vrai, ce que je me dis

Mes conversations intérieures

Mon bruit

La danse et le sauvage

Le doux, le tendre et le cri

Le sang battant dans le tissu des veines

Et la peau rouge

L'indienne

 

Mon envie de viande, à pleines dents

Accroupie près d'un feu

 

Tout ne se dit pas

Ce que je ne sais même pas

A peine pressenti si souvent

 

Comment ma lenteur dérive d'un acharné travail

D'une course intérieure

Comment, parfois, je lève la digue et je laisse

Courir les chevaux, forcenés d'un galop de vagues à l'assaut du barrage

Je sais bien.

Et oui je sais

Mais pas tout

Et des fois, de moi-même j'ai peur

Ou de vous

 

* * *

 

La rue est la même

En bas l’immeuble immobile

Rien de neuf

L’ancien m’enserre

Et je m’émiette

Je jette des mots contre la vitre

La pluie me revient en écho

J’ai perdu les virgules

Le rond des phrases

Je n’ai que l’arrête nue

La pointe acérée du verbe

Les heures me filent entre les doigts

Je répète les choses que je disais hier

Pour habiller aujourd’hui

Quand j’étais légère

Mais tout vient quand on se tait

Alors on connaît le visage blanc de l’aube

Je me défais de moi

Demain tu ne trouveras rien

J’ai posé mon chapeau

Dans l’entrée

Dans l’odeur chaude de la maison

Même seule je t’entends

Je suis aux quatre coins du vent

Campagne d’un été sous les roues du vélo

 

Un été en plein hiver

 

* * *

 

longue nuit d'hiver, longue nuit d'hiver

nuit d'hiver interminable, quand fera-t-il jour ?

la lampe sans flamme, le poêle sans charbon

la nuit sur l'oreiller j'entends seulement le son de la pluie

Ryokan, le moine fou est de retour, poèmes traduits de l'original par Cheng Wing fun & Hervé Collet, calligraphie de Cheng Wing fun, Moundarren, 1988

 

_ Jules Supervielle...

_ Je l'aime !

_ Pierre Jean Jouve, Pierre Emmanuel...

_ Tu n'aimes pas Yves Bonnefoy ?

_ Peut-on ne pas aimer Yves Bonnefoy ?

 

Les planches de l'avant de la barque, courbées

Pour donner forme à l'esprit sous le poids

De l'inconnu, de l'impensable, se desserrent.

Que me disent ces craquements, qui désagrègent

Les pensées ajointées par l'espérance ?

Mais le sommeil se fait indifférence.

Ses lumières, ses ombres : plus rien qu'une

Vague qui se rabat sur le désir.

Yves Bonnefoy, Les planches courbes, 2001 – la barque au bac en 2003 !

 

_ ...

 

 

La région Poitou-Charentes bénéficie

d’un climat de type

océanique doux.

Les hivers sont tempérés et pluvieux, le vent

peut souffler fort sur le littoral et

les îles ; au cours de l’été, souvent sec et assez chaud, les orages sont

relativement fréquents.

Météo France, 2014

 

_ Rappelons qu'une anthologie de vos œuvres vient de paraître aux Éditions Libellus.

_ Et puis je connais personnellement le mmm

_ Et puis il y a les loisirs, yachting à Bangkok...

 

Idothée, Bangkok

Idothée, Bangkok, 2014

 

_ Une petite croisière, en hiver...

 

Malcolm Arnold, Le pont de la rivière Kwaï, David Lean, Hello le soleil brille, 1957

 

Idothée, Sur le pont de la rivière Kwaï la nuit

Idothée, Sur le pont de la rivière Kwaï la nuit, 2014

 

_ T'as un joli dos, tu sais, on y reviendra.

_ Mes loisirs c'est des verres et des restos avec les copains :) – aller écouter de la musique... les soirées théâtre match d'impro à l'improloco, catch d'impro à la bassecour, c'est .

_ L'apéro, je vois, l'impro ?

_ Le théâtre d'improvisation est né au Québec – pour redonner le goût du théâtre aux gens, à la fin des match de hockey, un match d'impro était donné. Le match d'impro a ses règles, c'est difficile et très drôle aussi.

_ Vous avez des attaches en Poitou ?

 

Idothée, Un jardin dans le Poitou

Idothée, Un jardin dans le Poitou

 

_ J'y ai passé certaines des plus belles vacances de ma vie depuis mes 10 ans. J'aime bien ma coquille.

_ Notre coquille chérie, Escargolio.

 

Escargolio peintre

L'artiste devant sa toile, 2009

 

Escargogh

Autoportrait, 2014

 

Divan, Freud

 

_ Et votre divan ?

_ Tu viens me rejoindre, mon Lou ?

_ ?

_ Oui, tu es mon grand Lou superbe et généreux !

_ Idothée ! Nous sommes en direct.

_ Oups !

_ Et puis, nous sommes le 25 février, oui, mais pas en 1830. Les temps ont changé.

_ Et puis, je ne tiens pas le divan divin du devin révérend Sigmund, je suis psychologue clinicienne.

_ Et Casa ?

_ J'y suis née.

 

Arthur Dooley Wilson, As time goes by, Sam in Casablanca, 1942

 

_ C'est malin, maintenant j'ai envie d'un kiss...

 

Casablanca, Avenue du général d'Amade

 

_ Les autobus n'étaient pas modernes...

_ …

 

Casablanca, Embarquement

 

_ Déjà le yachting...

_ …

 

Casablanca, La Pergola du Stade Lyautey

 

_ Un très joli dos...

_ Non, moi, je suis dans le landau.

_ Et t'as d'beaux yeux, tu sais.

_ Lou ! Nous sommes en direct.

_ Oups !

 

Casablanca, Le Kiosque de la Musique

 

_ Oui, de la musique avant toute chose.

 

Casablanca, Rue de l'Horloge

 

_ Vos premiers pas en shopping.

_ : - )

_ Que d'émotions ! Merci, Idothée.

_ Bises !

_ Whaouuuh ! »

 

 

 

Fidèlement vôtre, à 4 h 35, Anacoluthes vous convie à la rencontre de notre prochain invité, Xaxav Dadar Cocoz toujours tu m'intéresses – dit Le Nul (sous réserve).

 

* * *

 

Anacoluthes

http://www.libellus-libellus.fr/article-anacoluthes-erwin-screwdriver-lawrence-116074505.html

 

Anacoluthes_02

http://www.libellus-libellus.fr/article-anacoluthes_02-despasperdus-le-flingueur-de-la-butte-116073756.html

 

Anacoluthes_03

http://www.libellus-libellus.fr/article-anacoluthes_03-escargolio-the-50ft-snail-116449095.html

 

Anacoluthes_04

http://www.libellus-libellus.fr/article-anacoluthes_04-yueyin-la-gaufre-ou-la-quiche-116509736.html

 

Anacoluthes_05

http://www.libellus-libellus.fr/article-anacoluthes_05-codex-urbanus-le-noctambule-117304477.html

 

Anacoluthes_06

http://www.libellus-libellus.fr/article-anacoluthes_06-karine-la-collectionneuse-118971938.html

 

Partager cet article

Repost0
19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 00:01

 

Donna Tartt, Le chardonneret 357

Donna Tartt, Le chardonneret (The Goldfinch), traduit de l'anglais (États-Unis) par Édith Soonckindt, 795 pages, Plon, 2014

 

Donna Tartt, 2014 357

Donna Tartt, 2014

Donna Tartt est romancière, essayiste et critique. En 1993, elle a publié son premier roman, Le Maître des illusions, devenu un classique de la littérature américaine. Dix ans plus tard, elle a donné Le Petit copain. Le Chardonneret, paru en 2014, est son troisième roman.

 

 

Joan Baez, Donna Donna, 1989 – une chanson écrite en yiddish par l'écrivain Aaron Zeitlin sur une musique de Sholom Secunda

 

L'absurde ne délivre pas, il lie.

Albert Camus

 

Premières lignes.

 

J’étais encore à Amsterdam lorsque j’ai rêvé de ma mère pour la première fois depuis des années. J’étais enfermé dans ma chambre d’hôtel depuis plus d’une semaine, craignant de téléphoner à quiconque ou même de sortir ; mon cœur s’emballait et s’agitait aux bruits les plus innocents : la sonnette de l’ascenseur, le cliquetis du chariot de minibar, jusqu’aux cloches des églises, la Westertoren, le Krijtberg, sonnant les heures, le liséré sombre de leurs résonances métalliques, incrusté d’une sinistre prophétie digne d’un conte de fées. Pendant la journée je restais assis au pied du lit et me forçais à décrypter les informations en néerlandais à la télévision (effort voué à l’échec puisque je ne connaissais pas un traître mot de cette langue), et, quand j’abandonnais, je m’asseyais près de la fenêtre et fixais le canal, mon pardessus en poil de chameau jeté sur les épaules – j’avais quitté New York à la hâte et les vêtements que j’avais emportés n’étaient pas assez chauds, même à l’intérieur.

 

[lire les premières pages]

 

Amsterdam, Westertoren

Westertoren, Amsterdam

 

Amsterdam. Theo, Theodore Decker, vingt-sept ans, se souvient. Quatorze ans auparavant, à New York, Theo et sa mère, en route vers le collège – Theo craint d'être renvoyé après quelques bêtises –, sont pris sous une violente averse.

[…] elle était belle. […] elle était moitié irlandaise, moitié cherokee. […] Elle est morte par ma faute.

[…] elle était toujours perchée au bord de sa chaise, tel un oiseau des marécages long et élégant sur le point de s'envoler au moindre tressaillement.

Ce jour-là, le 10 avril, […] l'imperméable blanc, qui voletait sous l'effet du vent, ajoutait encore à son allure d'ibis aux longues jambes, comme si elle était sur le point de déployer ses ailes et de s'envoler au-dessus du parc.

Ils se réfugient au musée où se tient alors une exposition « Art du portrait et nature morte : Chefs-d’œuvre nordiques de l'âge d'or ». Des « natures mortes » (en français dans le texte) : la mort au cœur de la vie.

 

Rembrandt Harmenszoon van Rijn, De anatomische les van Dr N

Rembrandt Harmenszoon van Rijn, De anatomische les van Dr Nicolaes Tulp (La Leçon d'anatomie du Dr Nicolaes Tulp), 1632

 

J'avais vu la fille. Elle m'avait vu aussi. […] Elle était accompagné d'un curieux bonhomme âgé aux cheveux blancs […], son grand-père peut-être. Elle avait l'air un peu étrange.

 

La mère de Theo a étudié l'histoire de l'art à la New York University.

 

Carel Fabritius, Le Chardonneret h701

Carel Fabritius, Le Chardonneret, 1654, panneau, 33,5 x 22,8, Mauritshuis, La Haye

 

Le tableau. Il était petit, c'était le plus petit de l'exposition, et le plus simple : un oiseau jaune sur un fond simple et pâle, enchaîné à un perchoir par sa cheville fine comme une brindille.

« C'était l'élève de Rembrandt, le maître de Vermeer, continuait ma mère. Et ce petit tableau est bel et bien le chaînon manquant entre les deux – cette lumière du jour claire et pure, on comprend ici d'où Vermeer tient la qualité de la sienne. »

Fabritius est mort dans le désastre de Delft.

 

Egbert van der Poel, Delftse donderslag (L'Explosion de la

Egbert van der Poel, Delftse donderslag (L'Explosion de la poudrière de Delft), ca 1654

 

J'étais au milieu de la salle quand il se passa quelque chose d'étrange.

[…] L'instant d'après une énorme explosion assourdissante secouait la salle.

[…] Presque exactement au même moment, il y eut un éclair noir et des débris furent balayés vers moi puis tournoyèrent, après quoi le grondement d'un vent chaud me heurta de plein fouet et me projeta de l'autre côté de la salle. Pendant quelque temps, je ne sus rien de plus.

[…] J'étais dans une grotte blanche déchiquetée.

 

Le grand-père – est-il le grand-père de la fille ? – est grièvement blessé. Il demande à Theo de sauver le tableau, un minuscule oiseau jaune, pâle sous un voile de poussière blanche : « Prends-le avec toi ! » Il lui donne sa bague, une lourde bague en or ornée d'une pierre sculptée, portant une curieuse intaille et une inscription.

 

Frans Hals, Banquet des officiers du corps des archers de S

Frans Hals, Banquet des officiers du corps des archers de Saint-Adrien, 1627

 

Dans la panique et les hurlements, Theo rampe vers une sortie. Il croise un groupe de gardes de Frans Hals : de grands et rudes gaillards rougeauds, larmoyants à force d'avoir bu trop de bière. Il pense à Pippa, la petite rouquine espiègle qui accompagnait son grand-père. Il garde précieusement le tableau et la bague du vieil homme.Theo est orphelin, son père ayant déserté quelque temps auparavant sans laisser de trace – pour le moment.

 

 

Bob Dylan, It's All Over Now, Baby Blue, Melbourne, 20 avril 1966

 

Tout était perdu, j'avais disparu de la surface de la Terre.

 

Il est placé, provisoirement, dans la famille d'un camarade de collège. Dans le désespoir des premiers jours, il entend It's All Over Now, Baby Blue. La chanson rejoint l'histoire.

 

L'essentiel est posé : le tableau, la bague, Pippa  la fille.

A partir de là commence la cavale de Theo. Las Vegas... Son père... Une rencontre, un ami, et un peu plus, avec l'alcool et les drogues – seul héritage du père. La solitude, l'amour, l'absence, les drogues, le désir, l'amitié, le deuil. Le vrai, le faux.

Un roman d'apprentissage.

 

Une écriture multiple, mouvante, étonnante. De nombreux personnages, clairement définis. Une histoire foisonnante.

 

Dernières lignes.

 

Et tout comme la musique est l'espace entre les notes, tout comme les étoiles resplendissent à cause du noir qui les sépare, tout comme le soleil frappe les gouttes d'eau à un certain angle et envoie un prisme coloré traverser le ciel, l'espace où j'existe – et où je veux continuer d'exister : pour être très honnête c'est aussi là que j'espère mourir – est exactement cette distance intermédiaire : là où le désespoir a heurté la pure altérité et créé quelque chose de sublime.

C'est pourquoi j'ai choisi d'écrire ces pages comme je les ai écrites. Parce qu'il n'y a qu'en s'avançant dans la zone intermédiaire, le liseré polychrome entre vérité et non-vérité, qu'il est tolérable d'être ici et d'écrire cela, tout simplement.

Tout ce qui peut nous apprendre à nous parler à nous-mêmes est important : tout ce qui peut nous apprendre à sortir du désespoir en chantant. Mais le tableau m'a aussi appris que le dialogue se poursuit par-delà le temps. Et je sens que j'ai quelque chose de très sérieux et d'urgent à te dire, toi mon lecteur inexistant, et je sens que je devrais le dire avec autant d'intensité que si j'étais dans la même pièce que toi. La vie – peu importe ce qu'elle est d'autre – est brève. La destinée est cruelle, mais peut-être pas laissée au hasard. La Nature (c'est-à-dire la Mort) gagne toujours, mais cela ne signifie pas que nous devions courber la tête et ramper devant elle. Peut-être même que si nous ne sommes pas toujours ravis d'être ici, il est pourtant de notre devoir de nous immerger : de passer à gué jusqu'à l'autre côté, de traverser le cloaque tout en gardant nos yeux et nos cœurs ouverts. Et tandis que nous mourons, que nous émergeons de l'organique et replongeons de manière ignominieuse dans l'organique, c'est une gloire et un privilège d'aimer ce que la Mort n'atteint pas. Parce que si le désastre et l'oubli ont suivi ce tableau au fil du temps, l'amour l'a suivi aussi. Dans la mesure où il est immortel (il l'est), et où j'ai un petit rôle, lumineux et immuable, à jouer dans cette immortalité. Il existe et continue d'exister. Et j'ajoute mon propre amour à l'histoire des amoureux des belles choses, eux qui les ont cherchées, les ont arrachées au feu, les ont pistées lorsqu'elles étaient perdues, ont œuvré pour les préserver et les sauvegarder tout en les faisant passer de main en main, littéralement, leurs chants éclatants s'élevant du naufrage du temps vers la prochaine génération d'amoureux, et la prochaine encore.

 

Une histoire où tant d'histoires s'entrelacent – on ne saurait dévoiler l'intrigue sans gâter le plaisir de la lecture.

 

Une œuvre immense. On pense – pour l'immensité et non pas la proximité immédiate – à Belle du Seigneur d'Albert Cohen, à Jacques le fataliste de Denis Diderot, à l'Odyssée – Homère, James Joyce. Plus récemment : Gaétan Soucy, Catherine Leroux, et, bien entendu, Gérard Morel.

 

Edith Soonckindt 357

Edith Soonckindt a traduit le roman, les très longues phrases de Donna Tartt qu'elle restitue dans une langue déliée, les scènes d'action plus heurtées qui sont dans leur violence, l'histoire des amoureux.

 

Donna Tartt parle de l'enchevêtrement du bien et du mal, de la frontière entre culpabilité et responsabilité, du labyrinthe de la mémoire et des ravages du secret, de ce point magique, dit-elle, où « chaque idée et son contraire sont tout aussi vrais », où « une plaisanterie devient sérieuse et où n'importe quoi de sérieux devient une plaisanterie ».

« On n'arrête pas de me poser la question : "Pourquoi n'écrivez-vous pas plus vite ?" J'ai essayé. Juste pour voir si j'en étais capable. Mais travailler vite ne m'est pas naturel. Je détesterais sortir un livre ni fait ni à faire tous les trois quatre ans, parce que si je ne prends pas de plaisir à le confectionner, il y a peu de chance que les lecteurs en prennent à me lire. »

« Laisser passer dix ans entre chaque livre, c'est comme revêtir un scaphandre ou une combinaison de cosmonaute et s'embarquer pour un long voyage dans l'espace. Quand je pars, je suis vraiment partie pour un très long moment. »

 

Donna Tartt est une passionnée de Peter Pan : de là vient sa jeunesse.

 

Elle a écrit Le Chardonneret selon sa méthode : « à la main, avec différentes couleurs d'encre et de papiers pour m'y retrouver sur plusieurs années. »

 

* * *

 

« Ma première rencontre avec le tableau a pris la forme d'une copie du XIXe siècle, lors d'une exposition-vente chez Christie's, à Amsterdam, en 2003. J'ai fait une offre par mandat, mais sans remporter l'enchère. Après quoi, je me suis fait un devoir d'aller voir l'original au Mauritshuis, à La Haye. »

« J'ai ressenti une telle connexion émotive avec lui que j'ai compris que Le Chardonneret était le tableau de mon histoire dès que je l'ai vu. »

Aucune cage ne semble retenir l'oiseau. Ni Theo. Chacun vit néanmoins enchaîné: sous le pinceau du peintre, le premier est retenu à son perchoir par une fine chaîne; sous la plume de l'écrivaine, le second est entravé par son sens du devoir et de la loyauté (entre autres envers la famille Barbour, qui l'hébergera quelque temps après la mort de sa mère), par les drogues et l'alcool dont il (ab)use. Son passé pèse lourd sur son présent et son avenir.

« En effet, ce sont là autant de chaînes qui retiennent Theo, et particulièrement celle qui le lie à son passé. Cela dit, l'une des chaînes les plus lourdes à porter pour l'esprit est celle du monde matériel. L'oiseau est une créature ailée, mais il est maintenu prisonnier. Pour moi, c'est là une métaphore de l'âme humaine, et pas seulement celle de Theo. »

Propos rapportés par Valérie Lessard, Le Droit, Canada, 2014

 

Carduelis tristis 357

Carduelis tristis

 

Bob Dylan, It's All Over Now, Baby Blue

 

You must leave now, take what you need, you think will last

But whatever you wish to keep, you better grab it fast

Yonder stands your orphan with his gun

Crying like a fire in the sun

Look out the saints are comin’ through

And it’s all over now, Baby Blue

 

The highway is for gamblers, better use your sense

Take what you have gathered from coincidence

The empty-handed painter from your streets

Is drawing crazy patterns on your sheets

This sky, too, is folding under you

And it’s all over now, Baby Blue

 

All your seasick sailors, they are rowing home

All your reindeer armies, are all going home

The lover who just walked out your door

Has taken all his blankets from the floor

The carpet, too, is moving under you

And it’s all over now, Baby Blue

 

Leave your stepping stones behind, something calls for you

Forget the dead you’ve left, they will not follow you

The vagabond who’s rapping at your door

Is standing in the clothes that you once wore

Strike another match, go start anew

 

And it’s all over now, Baby Blue

 

Partager cet article

Repost0
15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 00:01

 

Banane pelée

 

 

Jay Alanski, Jacques Duvall, Lio, Banana Split, 1980

 

Lio, Banana split 1   Lio, Banana split 2

 

_ salut, les p'tits godets, salut Mimile ! toujou dans l'mille ?

_ …

_ où qu't'es-t-y, Mimile ? t'as pus la lumière !

_ salut Popol ! c'est vendredi, de c't'heure, j'peux pus allumer.

_ et qui qu'ça fait ? eul' blanc-cass, c'est tous les jours !

_ pus maint'nant, j'suis passé du côté du manche, je m'le suis même fait raboter, pour faire bref.

_ ouh là là !

_ y m'ont anesterhazyé.

_ ben, mon gars, te v'là ben diminué.

_ ho ! qui qu'tu crois ? quand j'allais chez l'curé, t'sais, pour eul' zobsecs, qu'iens, Nono, là, il a pas t'nu après son troisième quintuple potage...

_ j'l'a tojou dit, avec eul' bouillon on est dans l'bouillon, c'est comme Bébert, y l'ont dit les six roses du blanc-cass, déjà, j'te f'rai dire, Bébert y l'aimait pas l'épine, et y mettait tojou eun olive dans son blanc, pas pus d'la dozaine, qu'y disait.

_ t'as vu ? eul'postères, la bois ta musique, j'léteins pas, j'ai pas à la r'mette.

_ tu peux quand même nous en mett' un p'tit, a'c eul z'olives.

_ y a pus d'z'olives, que du casher, qu'iens goûte voir ma rondelle, fumée au bois d'hêtre, nature, sans colorant, sans addictif, t'en veux une tranchouille, ma couille ?

_ ah, c'est goûtu, tudju !

 

Jean-François Copé, 25 janvier 2014

25 janvier 2014, le doigt qui regimbe

 

_ t'as vu l'jornal ? tous à loilcopé.

_ où qu'tas vu ça ?

_ qu'iens, un aut'.

_ sur la télé, y l'ont mis l'as, t'sais, le film d'un Suif, qu'en 40 il a pas r'connu sa fille, Dani Thompson, pasqua l'époque, Suif, c'était mauvais, et y voulait mieux qu'sa fille, même Danièle, elle aille pas à la fossolions.

_ c'tait pas putôt en 42 ?

_ pareil, en 42, c'tait le p'tit tapissier juif de la rue Pelleport, on l'a pus r'vu, faisait pas bon d'êt' juif de c'theure, sinon Rotschill, c'est lui qu'a payé l'Allemagne nase qu'avait pus un rond pou' qu'è s'recharge chez un cousin trafiquant d'arm' eud'l'ESPECE, tu m'crois pas ? ben, tu cherches, 'coute voir :

 

« Jo : La montagne magique de Thomas Mann, c’est combien ?

_ Un Allemand : Verboten, interdit en Allemagne.

_ Jo : Et Zola ? Il est verboten aussi ?

_ Un Allemand : Ja, Zola aussi verboten.

_ Jo : Brecht ?

_ Un Allemand : Verboten !

_ Jo : Hemingway ?

_ Un Allemand : Verboten !

_ Jo : Freud ?

_ Un Allemand : Verboten ?

_ Jo : Hitler ?

_ Un Allemand : Verboten ! … Nein ! Das ist Mein Kampf !

_ Un Allemand : Juif, vous êtes ? Juif, vous avez l’air !

_ Jo : Faut mettre l’adjectif à la fin, pas au début.

_ Un Allemand : Was ?

_ Jo : On dit pas "Juif, vous avez l’air", mais "Vous avez l’air Juif". Si j’vous dis "Con vous avez l’air", c’est pas français. C’est juste, mais c’est pas français. »

 

_ et y veut pas s'met' à loilcopé ?

_ y fait un conpless', t'sais, les hommes, y sont tojou dans l'menstru... l'mesurations.

_ ho ! tu connais la grosse Lulu, celle qui fait l'cochon, comme è dit : vaut mieux un p'tit qui fait d'l'ouvrage qu'un gros feignant.

_ ben lui, y veut pas s'mett' en zizi, pour c'qui y en reste, tu m'diras – oh, j'voulais pas l'dire, Mimile...

_ y a pas d'mal...

_ t'sais qu'l'ESPECE...

_ pour qui qu'tu dis tojou l'ESPECE ?

_ c'est EUX qui disent l'ESPECE, y disent en l'espèce quand y t'font un faux, ça veut ben dire qu'y a nous et l'ESPECE, après tu payes le faux en espèces, tu sais qu'y font l'faux et l'abus d'faux depuis l'moyenâge...

_ ça r'monte à 14 !

_ l'moyenâge, soye à c'qu'on t'dit, c'est vieux...

_ si tu l'dis...

_ c'est pas moi, c'est çui que l'gars d'à côté y connaît, l'mait' d'école, eh ben, t'sais, en 80, tu vois, y avait l'ziraniens et l'zirakiens qui s'tapaient su' la gueule a'c eul'zarmadassault...

_ à dachau ?

_ soye à c'qu'on t'dit ! qu'iens, tu me l'remets ?

_ moi, j'suis au Vichy, j'ai pus l'droit, mais les copains, même les pas copinacopés, on les sèche pas ! ho ! la patronne ! tu nous fais monter eun caiss' de roteuses ! faut tout y dire.

_ les femmes...

_ de c't'heure, tous les matins, j'fais ma prière, merci, יהוה, de pas m' avoir créé femme.

_ יהוה ?

_ ben oui, l'ESPECE a pas d'voyell', c'est même à ça qu'tu la r'connais, quand tu fais eun mauvaise rencont' au coin d'un bois, y t'disent pas « poète, vos papiers ! », y t'disent « p_t v_ p-p », y mett' des machins atonn' ent' les lett', enfin, c'est l'gars qui m'a dit, après y font un faux a'c eul'voyell'...

_ ben, l'gars d'à côté qui connaît l'mait' d'école, eh ben, t'sais, en 80, ou l'cirqu' comme y dit, tous les mait'd'école ont r'çu eun lett' d'monsieur Nathan, qui v'nait d'rach'ter les Roberts...

_ y l'avait pas assez a'c ceux d'sa femme ?

_ les dic-tion-nai-res, écoute ! y disent, les gars du mrap...

_ section dassault ?

_ mrap, avec l'm ! y disent « Un Robert retiré de la vente | Un dictionnaire, le Robert des synonymes, pourtant couronné par l'Académie française selon l'Humanité, a été retiré de la vente le 10 novembre etc. », qu'iens, t'as tout l'papier, à la page 11, y l'ont fait l'autodafé...

_ y f'saient d'l'autocafé ?

_ l'autodafé en 80 ou par là...

_ et pour de d'qué ?

_ pasqu'y avait marqué juif et c'est injurieux pour les qu'on traite eud'juifs, d'un sens...

_ cornedju !

_ et Cocop, qu'a raccourci son nom...

_ son nom aussi ?

_ Copelovici, écoute : « Ce jeudi 10 octobre [2013], Jean-François Copé est l’invité de l’émission de David Pujadas [qu'iens don' !] "Des paroles et des actes". Il s'était déclaré "juif non pratiquant", à la Tribune juive, de France [tu rigol' maint'nant !], le 15 février 2002 [tu vois qu'c'est pas eun affaire eud'religion, c'est l'ESPECE].

De 1989 à 1991, il a été administrateur civil à la Caisse des dépôts et consignations [qu'iens don' !] »

_ not', les femmes à poil, dans les classes...

 

Claire Franek, Marc Daniau, Tous à poil, ROUERGUE, 2011

 

Tous à poil, double page

 

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Le Bain turc, 1862

Jean-Auguste-Dominique Ingres, 'Le Bain turc', 1862

Ah, casher-moi ces seins, hou ! des femmes !

 

_ tout juste, auguste, en classe, y a pus que l'devoir qui compte, eul'devoir d'mémoire !

_ y l'ont r'mis la récitation ?

_ couillon ! eud'mémoire !

_ moi, t'sais, la classe...

_ eh ben, comme dit Cocop, robocop, sarkocopss...

_ hein ?

_ c'est du français, d'l'amerloque, du français de c't'heure, quoi ! comme y dit, Cocop, alors, pour Cocop, « Tous à Poil ! » défend « la lutte des classes ».

_ la lutt' eud'classes, c'est pas joli, surtout à l'école.

_ tapatouvu ! de c't'heure, les affaires continuent.

 

Catherine Ashton, 2012

Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne

Ah, casher-moi ce...

 

_ tu vas pas croire qu'les treillisés, y partent avec la fleur sans l'fusil dassault, tu vois, mon p'tit Mimile, tu permets que j't'appelle « mon p'tit Mimile » ?

_ j'permets pas, j'préconise.

_ eh ben, mon p'tit Mimile, c'est EUX qui ont fait six millions de morts suifs, un million de tsiganes, des homosessuels, des communisses, en tout huit à dix millions : le monstre est ben là, un ou deux millions d'plus ou d'moins... ILS ont financé, ded'puis les hauts lieux d'la finance, planqués outre-Manche, outre-Atlantique, le Reich millénaire nazi [socialiste et patriote, en all'mand, qu'iens don' !]. Et pis j'vais t'dir' eun chose...

_ tu coz' comme EUX !

_ t'as vu « mon camp », soye à c'qu'on t'dit, le gars qu'le gars d'à côté y connaît, l'mait' d'école, y l'avait fait l'artic' pou l'camp, pou dir' « le meurtre », et y l'avait mis l'image du liv', a'c eul nom, eh ben, y avait pus rin, y s'dit qu'c'est eun bugue, y r'met l'image, a'c son nom, et pareil, tout livide, blanc l'image, y r'commence, y s'a p't'êt' gouré, pareil, alors, y donne un aut' nom à l'image, y l'appell' « troudussion », et ça marche.

_ merdrededju !

_ elle est pas finite, pasqua, y repèrent rin que l'z'images, pas que l'nom, y vont l'gazer par l'image, ILS veul' même pus comprend' que l’œuv' de « meurtre programmé », comme y dit, doit êt' lue, pour comprend' que ceux d'après les Vosges savaient ! la tradal est des années '30, les Français savaient ! y l'ont oublié, eh ben, c'est ça, l'devoir de mémoire, nos occupants de c't'heure, c'étaient les meurtriers d'avant. Même FAMILLE, si tu veux, pas même clan, dans la FAMILLE, y a des brebis sages, comme le p'tit tapissier juif de la rue Pelleport en 1942, et des galeux, avec leurs collabos - en occupation, y a tojou des collabos, là, j'te f'rai dire, ILS vont trop loin, ILS sont aussi raccourcis du bulbe, on LES support' pus, faut faire eun « manif pour nous », en L'ESPECE, c'est EUX qui parlent comme ça, il faut sauver le p'tit tapissier juif de la rue Pelleport.

_ ben, mon fion !

_ elle est fameuse, ta rondelle, t'en fais monter d'aut' tranchouilles ?

_ j'en avais qu'une, de rondelle.

_ ça r'pousse ?

 

 

Damien Saez, Fils de France, « amnésie suicidaire », « à l'heure de la résistance »

 

* * *

 

Chez Mimile - les routes ne sont plus sûres

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile-les-routes-ne-sont-plus-sures-76113033.html

Chez Mimile_02 – Oursel et Avarie

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_02-oursel-et-avarie-77106636.html

Chez Mimile_03 – dans le commerce, rien ne va plus

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_03-dans-le-commerce-rien-ne-va-plus-103922190.html

Chez Mimile_04 – la Poste-Par-Tom

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_04-la-poste-par-tom-112341909.html

Chez Mimile_05 – dieu est mort

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_05-dieu-est-mort-120699744.html

Chez Mimile_06 – Meurtre à la batte

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_06-meurtre-a-la-batte-thouars-deux-sevres-121863739.html

 

Retrouvez la bande à Mimile chez les dames du Thérondelle.

 

Le thérondelle_17 – chez Mimile

http://www.libellus-libellus.fr/article-le-therondelle_17-chez-mimile-113481887.html

Le thérondelle_21 – Saint Kitts and Nevis, home, sweet confectionery

http://www.libellus-libellus.fr/article-le-therondelle_21-saint-kitts-and-nevis-home-sweet-confectionery-119313078.html

Partager cet article

Repost0
9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 00:01

 

Michel-Guerin_357.jpg

Michel Guérin, 2013

 

Keith Jarret, The Köln Concert, 1975

 

Aujourd'hui remontons en amont de l’œuvre d'art au moment où un geste inouï va se saisir de la matière, notes, mots, corps, couleurs, pour tout simplement créer, et c'est en compagnie du philosophe Michel Guérin...

 

Henri Matisse, La danse, 1909 - Musée de l'Ermitage

Henri Matisse, La danse, 1909 – Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg

 

Michel Guérin, quel est ce geste créateur que vous comparez à une danse et qui se situerait à l'origine de tout processus de création...

Dans tout art, il y a un geste de danser, pas seulement dans la danse, dans la chorégraphie, pas seulement dans la musique, éventuellement la mélodie ou la musique qui fait danser, mais je pense que dans les arts visuels mêmes – et pas seulement dans la sculpture, dans le drapé, dans des figures qui pourraient directement évoquer, de manière figurative, en quelque sorte, la danse –, je pense qu'il y a plus radicalement encore un danser de tout art, et ce danser de tout art, c'est tout simplement le commencement, c'est le geste lui-même, mais je dirais que le geste de l'art, ce n'est pas le geste technique habituel. Alors, évidemment, n'allons pas trop loin dans le paradoxe, il n'y a pas d'art sans technè, sans technique, sans ars, au sens latin du terme. L'art est une transformation, pas seulement une transformation d'objets, une transformation de choses en objets, il ne consiste pas simplement à construire des artefacts, il peut y avoir une construction, une transformation, mentale ou symbolique, mais quoi qu'il en soit, l'art, en effet, suppose une technique, et cependant, il rompt, à un moment donné, avec la logique habituelle de la technique, c'est-à-dire que l'art est un faire libre, c'est-à-dire un faire qui a envie d'explorer son propre commencement, qui n'est plus assujetti à un but. Lorsqu'on construit un objet, un outil, c'est pour s'en servir. L'art, comme la philosophie peut-être, ne sert à rien, c'est-à-dire qu'il explore quelque chose à partir de la conscience profonde de cette liberté. Comment se manifeste-t-elle ? Je dirais : comme mouvement, comme mouvement du corps – et le mouvement du corps le plus libre, le plus spontané, le plus gratuit, le plus gracieux, ça s'appelle encore la danse.

Lorsque je parle du geste, il faut entendre « les gestes », mais je pense qu'ils ont un air de famille entre eux, et cet air de famille, je vais essayer de l'expliquer comme peut-être je ne l'ai pas fait encore, et c'est le très beau morceau de piano -

Keith Jarrett, The Köln Concert -

que vous avez fait entendre, qui me le suggère peut-être avec une vigueur particulière. C'est que, dans ce danser, il y a ce paradoxe, à savoir que l'intention ne se sait pas encore.

Je rappelle que le morceau qu'on a entendu est une improvisation.

Voilà ! C'est bien parce que je savais que c'est une improvisation que, en plus, j'insiste sur ce point, c'est-à-dire qu'on a affaire à une intention qui n'est pas sûre d'elle-même, qui ne se précède pas. D'habitude, l'idée qu'on a de l'intention créatrice, ou de l'intention tout court, c'est qu'elle est dans la conscience avant la réalisation. Or, on a affaire ici, au contraire, à une forme qui se cherche elle-même dans la matière. Autrement dit, qu'est-ce que l'improvisation ? C'est la précellence de la matière sur la forme.

 

 

Michel Guérin, Adèle Van Reeth, ré. : Olivier Guérin, lectures : Marianne Denicourt, 2013

 

Pech Merle, main en négatif

Pech Merle, il y a 25.000 ans

 

Francis Bacon, Lying Figure in a Mirror, 1971

Francis Bacon, Lying Figure in a Mirror, 1971

« C'est alors que surgit quelque chose qu'on n'attendait pas et qui arrive inopinément […]. Le plus étonnant, c'est ce quelque chose qui est apparu comme malgré soi […]. Lorsque je commence une nouvelle toile, j'ai une certaine idée de ce que je veux faire, mais pendant que je peins, tout d'un coup, en provenance, en quelque sorte, de la matière picturale elle-même, surgissent des formes et des directions que je ne prévoyais pas. C'est cela que j'appelle des accidents. »

Francis Bacon, Entretiens avec Michel Archambaud, Lattès, 1992

 

Paul Cézanne, La baie de L'Estaque, 1886

Paul Cézanne, La baie de L'Estaque, 1886

 

Antoni Tàpies, Le chapeau renversé, 1967

Antoni Tàpies, Le chapeau renversé, 1967

 

Pablo-Picasso, Homme assis à la canne, 1971

Pablo Picasso, Homme assis à la canne, 1971

 

Honoré de Balzac, La Belle noiseuse

Honoré de Balzac, Le chef-d’œuvre inconnu, 1831-1837

 

Joyce Pensato, Maxi Mickey

Joyce Pensato, Maxi Mickey, 1993

 

Relisons-nous, relisons Lou.

« Dans cette peinture en acte, l’artiste s’investit en se représentant, la représentation n’étant que l’empreinte d’un déplacement.

[...]

Joyce Pensato est une femme de taille moyenne.

Le cercle du ventre de Mickey est tracé d’un seul geste, c’est l’empreinte corporelle de l’artiste. Prenez les mesures du tableau, mettez-vous à l’aune de Joyce et tracez un cercle, d’un unique trait de pinceau, selon Shitao.

Le Mickey est une empreinte, une représentation, un déplacement. »

 

Wolfgang Amadeus Mozart, Exsultate Jubilate, Cecilia Bartoli, dir. Riccardo Muti, 2006

Le corps, l'intention, le corps. Le chant vient des entrailles. Il faut que ça vibre en bas (regardez les plis de la robe) pour que ça chante en haut.

A la fin, elle est vraiment heureuse, elle l'a fait ! La note très haute. Oui, ce sont de grands professionnels, mais non. C'est de l'art et ce n'est jamais gagné d'avance.

 

 

Boby Lapointe, La peinture à l'huile, 1969

 

_ _ _

 

Plus loin.

 

Comment le philosophe éprouve-t-il la situation qui lui est faite aujourd’hui ? Cette question, trop générale, enveloppe une multitude d’interrogations. Les unes touchent le regard que les autres, les non-philosophes, c’est-à-dire la société, portent sur celui dont la profession ou la vocation est de philosopher; les autres, intérieures à cette pratique même, concernent les inflexions, plus ou moins irrépressibles, que connaissent nos philosophèmes dès lors qu’on considère, comme c’est mon cas, qu’il n’existe pas dephilosophia perennis, mais une histoire de la philosophie solidaire de l’histoire tout court ; en d’autres termes, le philosophe contemporain réinvestit moinsles problèmesde la philosophie (sous-entendu : éternels) qu’il ne s’efforce d’élever àla dignité philosophiquedes questions qui germent dans le terreau de l’époque. Maiscomment les formuler, ces questions ? Par quel effort de langage les rendre pertinentes ? Si la voie directe s’avère impraticable, celle de l’analogie – de la métaphore – est-elle en mesure de prendre le relais ? Ou faut-il aller encoreau-delà, au risque, en perdant totalement de vue toute référence objectivable, de prêter le flanc au reproche de faire passer pour philosophie une sorte de « littérature » aussi vague qu’indigeste ?

 

Michel Guérin, De la philosophie comme figurologie, in Analogia e Mediaçao : Transversalidade na Investigaçäo em Arte, filosophfia, et Ciência, dir. José Quaresma, CIEBA-FBAUL / CFUL, 2012

 

Partager cet article

Repost0

 


 
Handicap International

un clic sur les images