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  • : Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

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29 octobre 2013 2 29 /10 /octobre /2013 00:01

 

Walter M. Miller Jr., Un cantique pour Leibowitz

Walter M. Miller Jr., Un cantique pour Leibowitz, 1960 – Éditions Denoël, coll. Présence du futur, 1961, Éditions Gallimard, coll. Folio SF, traduction révisée par Thomas Day, 2001

 

Walter Michael Miller, Jr.

Walter Michael Miller, Jr. – Portrait en frontispice du recueil The Science Fiction Stories of Walter M. Miller, Jr., Gregg Press Edition, 1978

 

Walter Michael Miller, Jr. est né le 23 janvier 1923 à New Smyrna Beach, en Floride, aux États-Unis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a participé, comme ingénieur radio et mitrailleur, à cinquante-trois bombardements en Italie, et en particulier, en 1943, à la destruction de l'abbaye bénédictine de Monte Cassino, le plus ancien monastère de l'Occident. Cet événement a peut-être inspiré sa conversion au catholicisme en 1947 et l'écriture de son roman. Toutefois, sa pratique demeura distante, et sa foi, fragile.

 

« I have speculated that by writing Leibowitz, I inevitably maneuvered my head back into the Church […]. It was an on-again, off-again thing. Finally, I suppose, I tried to define myself in that area by writing Leibowitz. So then I went back to the Church for awhile, but it never really took, I guess. »

David Cowart, Thomas L. Wymer, Walter Miller Jr., Dictionary of Literary Biography : Twentieth-century American science-fiction writers, Gale Research, 1981

 

Vivant à la fin de sa vie en reclus, à l'écart du monde et même de sa famille, hanté par l'angoisse de la page blanche, depuis la publication de son Cantique, rongé par la dépression, après la mort de sa femme, il s'est suicidé d'un coup de fusil le 9 janvier 1996, alors qu'il travaillait à L'Héritage de saint Leibowitz, repris par Terry Bisson.

 

Un cantique pour Leibowitz, son seul roman achevé, a reçu le Hugo Award (en hommage à Hugo Gernsback, fondateur du magazine de science-fiction Amazing Stories) en 1961.

Le roman est composé de trois nouvelles publiées entre 1952 et 1957 dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction. Walter M. Miller a également publié dans ce même magazine, à la même époque, une quarantaine de nouvelles, dont une partie a été éditée en France sous le titre Humanité provisoire.

 

Un cantique pour Leibowitz

 

Vers l'an 1960, une guerre nucléaire mondiale a transformé la terre en un désert émaillé de ruines antiques, parsemé de rares oasis et entrecoupé de bois dans les montagnes. Au temps de la Simplification, la foule des survivants s'est lancée à détruire tout ce qui rappelait l'ancienne civilisation : savants et livres. Isaac Edward Leibowitz semble avoir été un modeste ingénieur en électronique, mort en martyr lors de la Simplification. Après sa béatification, ses disciples ont formé une communauté monastique afin de recueillir et d'étudier avec dévotion, les traces du monde disparu, les Memorabilia. Un ordre monastique s’est alors créé au sein de la nouvelle Église catholique, l'Ordre Albertien de Leibowitz (o.a.l.). Les membres de l'ordre étaient des « contrebandiers en livres » ou des « mémorisateurs », selon la tâche qu'on leur assignait. Les contrebandiers passaient en fraude des livres jusqu'au désert du sud-est. Là ils les enterraient dans des petits tonneaux. Les mémorisateurs, eux, apprenaient par cœur des volumes entiers d'histoire, d'écrits sacrés, de littérature et de sciences.

 

Le récit se déroule en trois temps : la première partie, Fiat homo, se situe au XXVIe siècle, la seconde, Fiat lux, au XXXIIe siècle, la troisième, Fiat voluntas tua, au XXXVIIIe siècle.

 

Fiat homo rapporte l'histoire de frère Francis Gérard de l’Utah (o.a.l.) amené par un pèlerin, un Juif errant, Leibowitz lui-même, peut-être, à découvrir un trésor enfoui des temps anciens, favorisant ainsi la sanctification du bienheureux et le renforcement du prestige de l’ordre au sein de l’Église.

 

Frère Francis Gérard de l'Utah, occupé à observer son jeûne de carême au beau milieu du désert, n'aurait sans doute jamais découvert les documents sacrés sans le pélern en guenilles qui apparut dans la brume de chaleur.

 

Le novice est craintif, il est aussi un peu naïf, un simple, un idiot – peut-être bien au sens premier en grec : unique.

 

La chose qui approchait évoquait les minuscules apparitions engendrées par les démons de la chaleur quand ceux-ci torturaient la terre en plein midi, heure à laquelle toutes les créatures du désert capables de se mouvoir (exception faite des busards et des ermites tel Francis) restaient immobiles dans leurs terriers ou cachées derrière un rocher pour se protéger de la férocité du soleil. Seule une chose monstrueuse, surnaturelle, ou un homme à l'esprit dérangé, pouvait marcher de son plein gré sur cette piste, à midi.

 

Depuis le Grand Déluge de Flammes, il y a des monstres, difformes, dénaturés, mais le pèlerin portant un bâton, un chapeau de paille, une barbe embroussaillée et une outre sur l'épaule, semble bien n'être qu'un vieil homme, vêtu d'un pagne en toile à sac, comme celui dont on encapuchonna le Bienheureux Leibowitz avant de le pendre. Et sa ceinture pourrait être une corde...

Francis se montre, le misérable entreprend la conversation – le novice a fait vœu de silence pendant son carême. Pendant que le voyageur mange son pain et son fromage, Francis, astreint au jeûne, reprend ses travaux de maçonnerie : en prélevant des pierres dans les ruines, il se construit un refuge contre les loups du désert. Dans la partie haute de son muret, il reste un trou qui menace la solidité de l'ensemble : comment trouver la pierre en forme de sablier correspondant au fameux trou ? Le vieux lui vient en aide : il trouve la bonne pierre et la marque de deux signes pour que le jeune moine puisse la repérer, puis il reprend son chemin.

 

Francis cherche sa vocation dans le désert.

 

Le Petit Livre que le prieur Cheroqui lui avait laissé le dimanche précédent, servait de guide à ses méditations. Il datait de plusieurs siècles et on l'appelait le Libellus Leibowitz, bien que la tradition l'attribuant au Beatus lui-même fût incertaine.

 

Leibowitz, désert rouge

 

Leibowitz, désert, sadhe lamedh

Signes tracés par le pèlerin : לצ, sadhe lamedh – on lit, de droite à gauche « el tz », comme dans « Leibowitz »

 

En retirant la pierre marquée, Francis découvre une ouverture conduisant par un escalier à un espace souterrain. Dans l'escalier, un écriteau en anglais antédiluvien.

 

ABRI DE SUR

A -RETOMBéES

Nombre maximum d'occupants : 15

 

Les « Retombées » sont des monstres légendaires.

 

La tradition disait que le Beatus Leibowitz lui-même avait rencontré un « Retombée » et qu'il en avait été possédé de longs mois avant que l'exorcisme accompagnant son baptême n'eût chassé le démon.

[…]

La pièce dans laquelle il était descendu n'était évidemment qu'une antichambre.

[…]

Dans un coin plus sombre que les autres, un crâne grimaçait ; on voyait clairement sa dent en or, incisive sur laquelle dansaient les reflets du feu.

[…]

Dans le bureau se trouvait peut-être une découverte sans prix : des documents ou un petit livre ayant échappé aux terribles feux de joie de l'âge de la Simplification.

[…]

Frère Francis murmura une prière pour le trépassé. En soulevant très doucement le crâne pour le tourner de façon qu'il grimaçât face au mur, il remarqua alors la boîte rouillée.

 

Il rapporte la boîte près de son campement. Les busards sont toujours là. Une note est collée à l'intérieur du couvercle.

 

Leibowitz, Couvercle boîte

 

La boîte contient des outils, de petits objets...

 

Leibowitz, diodes TSF

 

des notes gribouillées à la main, deux grandes feuilles de papier pliées et un petit livre intitulé Memo.

Il examina d'abord les notes. Elles étaient griffonnées de la même main qui avait écrit sur le couvercle, et l'écriture se révéla tout aussi abominable.

 

Leibowitz, Pense-bête 1

 

Leibowitz, Pense-bête 2

 

Leibowitz, Pense-bête 3

 

Le Memo est décevant : une liste manuscrite de noms, d'endroits, de chiffres et de dates. Les dates allaient de la dernière partie de la cinquième décennie à la première partie de la sixième décennie du XXe siècle. C'était donc vrai ! Le contenu de l'abri datait de la période crépusculaire de l’Ère de l'Illumination.

 

Leibowitz, Document PMU

Le premier document est trop cassant.

 

Leibowitz, Plan de circuit dessiné par Leibowitz, I. E. 6

Le second document est un bleu original, il n'y en a encore aucun à l'abbaye !

 

Il avait découvert des reliques du saint.

 

Le père Cheroqui fait la tournée des ermitages de carême pour entendre les confessions. Celle de Francis est pénible et perturbée par le récit de sa découverte. Cheroqui le ramène à l'abbaye. Il faut éviter tout débordement de surnaturel, tout surplus de miracle qui serait nuisible à la procédure de canonisation en cours.

L'abbé Arkos interroge le novice. Seulement, malgré les coups d'une solide baguette de noyer, Francis ne parvient pas à dire clairement qu'il a imaginé la rencontre.

Pour sa punition, il ne pourra prononcer ses vœux cette année ni les années suivantes, du fait de son entêtement.

 

Frère Francis resta sept ans novice, passa sept carêmes dans le désert et devint excessivement habile à imiter le hurlement des loups.

 

Un jour, un messager de la Nouvelle Rome arrive sur son âne à l'abbaye. Il s'entretient avec Francis. Il semble bienveillant.

« Comment est-ce arrivé, comment avez-vous découvert l'endroit ? Il me faut toute l'histoire.

Eh bien, tout a commencé à cause des loups. »

 

Le désert est peuplé d'un riche bestiaire dont les espèces reviennent régulièrement dans le récit : les busards, les loups, le serpent et la colombe – animaux bibliques, le coyote, le lion, le couguar, le chat et le poisson-chat, la grenouille, le hibou qui ulule à midi dans la forêt – sinistre présage, mais n'anticipons pas.

 

Toute l'histoire commence avec les loups du désert.

 

Quelques jours après le départ du messager, l'abbé annonce au novice que le temps est venu pour lui de prononcer ses vœux solennels.

Frère Francis devient copiste. A ses moments libres, il est autorisé à reproduire, avec de belles enluminures, le bleu dessiné par Isaac Edward Leibowitz lui-même.

 

Leibowitz, Plan, enluminure

 

Le frère Fingo façonne patiemment une statue de Leibowitz. Il lui a donné un sourire étrangement familier et emprunt d'une légère ironie. Elle est déposée dans le bureau de l'abbé.

 

Saint Gilles, Beatus Leibowitz

 

Les années passent, le procès en canonisation du Beatus se poursuit. Monseigneur Malfreddo Aguerra, protonotaire apostolique, puis Monseigneur Flaught, Advocatus diaboli, viennent à l'abbaye mener leur enquête sur les miracles du Bienheureux.

Quelques années plus tard, le pape proclame la sainteté de Leibowitz.

Francis a été invité à la Nouvelle Rome. Il a emporté la relique et sa copie embellie, un travail de quinze années. En chemin, près de la Vallée des Difformes, les monstres génétiquement modifiés par les Retombées et rejetés comme des lépreux, il est attaqué par un voleur. Celui-ci prend l'âne et l'enluminure qu'il croit être l'original, et propose de l'échanger contre deux heklos d'or.

Au Vatican, Francis est reçu par le pape. Il lui raconte son voyage. Le Saint-Père lui offre deux heklos d'or. Le moine reprend le chemin de l'abbaye. Le sentier traverse une sombre forêt.

Un hibou ulula à midi, du fond de la relative obscurité, dans les profondeurs de quelque distant arroyo.

[…]

Le moine murmurait le troisième Ave du Quatrième Mystère Glorieux du rosaire quand il se retourna par hasard.

La flèche le frappa juste entre les deux yeux.

 

Au loin, un vieux vagabond s'est assis au bord de la piste.

Un instant après, il entra dans la forêt. Les busards s'activaient sur les restes d'un homme.

 

La découverte de Francis Gérard de l'Utah et la statue du saint continuent d'être vénérées dans les siècles.

 

Fiat lux montre l’abbaye à la source d’une possible Renaissance scientifique – un moine bricoleur a réinventé la dynamo et la lampe à arc, et du retour des conflits guerriers, du progrès technique, du renouveau politique.

 

Fiat voluntas tua présente une civilisation redevenue proche de celle du monde antique, et retombant dans les vieilles ornières qui mènent à l'anéantissement.

 

Ils chantaient en faisant monter les enfants dans le vaisseau. Ils chantaient de vieux refrains de l'espace, aidaient les enfants à grimper à l'échelle l'un après l'autre, et les remettaient entre les mains des sœurs. Ils chantaient de tout leur cœur pour dissiper la peur des plus jeunes. Quand l'horizon entra en éruption, les chants s'arrêtèrent. Ils embarquèrent le dernier enfant.

L'horizon s'illumina d'éclairs tandis que les moines gravissaient l'échelle. L'horizon devint une grande lueur rouge. Un lointain tore de nuages naquit là où il n'y avait pas eu de nuages. Les moines sur l'échelle détournèrent leurs regards des éclairs. Quand les éclairs s'éteignirent, ils regardèrent en arrière.

Le visage de Lucifer s'épandit au-dessus du banc de nuages en un immense et hideux champignon, et s'éleva lentement comme un titan qui se serait redressé après des siècles d'emprisonnement au sein de la terre.

 

>>> For the good of mankind – les îles Marshall

- - -

 

Trouver un sens magique, fabuleux, refoulé, à une chose banale est la vocation du simple, de l'ignorant, de l'arriviste. Le colonel Milan en est le modèle dans le film d'Yves Robert, Le Grand Blond avec une chaussure noire, 1972.

Le colonel Toulouse cherche à démasquer son intriguant adjoint du service de contre-espionnage en lui laissant croire qu'un super-agent est à ses trousses. Dès lors, tout signe devient preuve.

 

Yves Robert, Le grand blond, 1972-1

 

 

Yves Robert, Le grand blond avec une chaussure noire, int. à l'image : Bernard Blier, Mireille Darc, Robert Castel, 1972

 

Yves Robert, Le grand blond, 1972-2

 

* * *

 

Anticipation 2013, facebook, Julie 357

Cette chronique s'inscrit dans le challenge Anticipation proposé par Julie Désir.

 

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24 octobre 2013 4 24 /10 /octobre /2013 23:01

 

Friedrich Nietzsche, Compositions de jeunesse

Friedrich Nietzsche, Compositions de la maturité

Friedrich Nietzsche, Oeuvres pour piano seul

Friedrich Nietzsche, Compositions, trois volumes

 

Friedrich Nietzsche, 1872 357

Friedrich Nietzsche, 1872

 

La philosophie de Nietzsche, et sa vie avec, est inspirée par la musique.

 

Nietzsche est un musicien contrarié. Orphelin de son père à l'âge de cinq ans, il est élevé par des femmes (sa mère, sa grand-mère, sa sœur, ses tantes) en vue d'être pasteur (tradition de famille), et maintenu à distance de la musique – jusqu'à sa découverte de Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation.

 

Nietzsche cherche et trouve un père en Schopenhauer. Sa conception de la musique comme expression du vouloir, et même comme monde venant à l'existence sans le vouloir, vient de là.

Schopenhauer affirme la vie contre le désespoir, contre le tragique balancement du réel entre souffrance et ennui, par une morale de la compassion universelle, du minéral au végétal, à l'animal (sa lutte contre la vivisection, la vénération de ses caniches) et, d'autre part, sa pensée de l'art comme salut existentiel à notre portée.

Schopenhauer est mort.

 

« Quand on n'a pas un bon père, s'en faire un. »

Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, VII, § 381, 1878

 

Nietzsche entre en passion, fils aimant et souffrant de Wagner. Il devient son bien-aimé thuriféraire, mais, quand il lui présente ses compositions, le maître l'invite à oublier la musique.

 

D'autres déceptions.

 

En 1872, Nietzsche envoie son récent Manfred-Meditation à Hans von Bülow, créateur des œuvres de Wagner, marié à la fille de Liszt (dont Friedrich est secrètement amoureux) – maîtresse et bientôt femme de Wagner !

Nietzsche joint une lettre où il fait compliment au chef d'orchestre de son art. Avec un sourire de feinte humilité, comme un clin d’œil complice, il donne à sa propre musique le titre d'horrible (entsetzlich).

Von Bülow lui répond d'un courrier sévère. Il a trouvé l'extrême de l'extravagance (das Extremste von phantastischer Extravaganz), le superlatif de l'antimusical (Unerquicklichste und Antimusikalischste). Il prétend s'être interrogé : tout cela était-il une plaisanterie ? Une parodie de la musique du futur ? Ou bien Nietzsche voulait-il railler ouvertement les règles de l'harmonie tonale, de la syntaxe, de l'orthographe ? Sa fièvre musicale était ce qu'on appelle un crime en morale, un viol de la chère Euterpe. Dans le cas où son goût de l'aberration (Abberation ins Componiergebiet) serait vraiment grave, il ferait mieux de s'en tenir aux œuvres lyriques : au moins, les mots porteraient le déchaînement sauvage de la mélodie (auf dem wilden Tonmeere).

Le malheureux Hans se sentait même coupable d'avoir précipité un esprit aussi brillant dans ces déplorables crampes de clavier (einen so hohen und erleuchteten Geist wie den Ihrigen, verehrter Herr Professor, in so bedauerliche Klavierkrämpfe gestürzt zu haben).

 

Nietzsche se tourne alors vers Brahms dont il admire le Chant de triomphe (Triumphlied), il lui soumet son Hymne à la vie (Hymnus an das Leben) pour chœur et orchestre, sur un poème de Lou Andreas-Salomé (encore un amour perdu, par la jalousie de la sœur de Friedrich). Brahms le remercie, commente l’œuvre de Lou, et ne parle pas de la musique.

 

« Sans musique la vie serait une erreur. »

Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles, Maximes et pointes, § 33, 1888

 

Friedrich Nietzsche, Piano Music, John Bell Young, Constanc

 

 

Friedrich Nietzsche, Manfred-Meditation, 1872, int. John Bell Young, Constance Keene, 1992

 

- - -

 

Lou Salomé 357

 

Lou Andreas-Salomé

 

Lebensgebet (1882)

 

Gewiß, so liebt ein Freund den Freund,

Wie ich dich liebe, Rätselleben -

Ob ich in dir gejauchzt, geweint,

Ob du mir Glück, ob Schmerz gegeben.

 

Ich liebe dich samt deinem Harme ;

Und wenn du mich vernichten mußt,

Entreiße ich mich deinem Arme

Wie Freund sich reißt von Freundesbrust.

 

Mit ganzer Kraft umfaß ich dich !

Laß deine Flammen mich entzünden,

Laß noch in Glut des Kampfes mich

Dein Rätsel tiefer nur ergründen.

 

Jahrtausende zu sein! zu denken !

Schließ mich in beide Arme ein :

Hast du kein Glück mehr mir zu schenken

Wohlan - noch hast du deine Pein.

 

* * *

 

Certes, comme on aime un ami

Je t’aime, vie énigmatique –

Que tu m’aies fait exulter ou pleurer,

Que tu m’aies apporté bonheur ou souffrance.

 

Je t’aime avec toute ta cruauté,

Et si tu dois m’anéantir,

Je m’arracherai de tes bras

Comme on s’arrache au sein d’un ami.

 

De toutes mes forces je t’étreins !

Que tes flammes me dévorent,

Dans le feu du combat permets-moi

De sonder plus loin ton mystère.

 

Être, penser durant des millénaires !

Enserre-moi dans tes deux bras :

Si tu n’as plus de bonheur à m’offrir –

Eh bien – il te reste tes tourments.

 

- - -

 

>>> Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – un « grand opéra wagnérien sans musique »

 

 

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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 23:01

 

_ salut, les p'tits godets, salut Mimile ! toujou dans l'mille ?

_ salut Popol ! un blanc-cass' ?

_ avec eul'z'olives, on change pas.

_ t'as vu l'nouvelle ?

_ j'y r'gard' point trop de c't'heure.

_ paraît qu'dieu est mort...?

_ tout d'site, ça meurt beaucoup. *

_ ho ! dieu, t'as vu !?

_ de d'qué qu'il est mort ?

_ paraît qu'il 'tait vieux.

_ depuis l'temps, j'te crois.

_ j'vas t'dire eun chose, moi, j'y croais pas, son paradis, un nuage avec eul'z'archanges et séraphins, toujou la même musique, et, j'vas t'dire eun chose, y z-ont-y l'blanc-cass' ? alors, j'vas t'dire eun chose, eul paradis sans l'blanc-cass', c'est point l'paradis, que j'dis.

_ c'est l'fils qui va r'prend' la boutique ?

_ dame ! c'est eul' légitime... note, s'il a fait eun testament... pasqu'il aimait ben Concepción, t'sais, no dit même qu'elle 'tait sa mère...

_ ?

_ pis y a Magdalena, qu'elle est toujou à laver les pieds au jeune.

_ ho ! Il est pas qu'avec des mecs ?

_ autant d'meufs euque d'mecs, même qu'y a des môm' avec.

_ dis-donc ! quand y campent, eul'soir, ça doit êt' tout méli mélo...

_ non, meussieu, j'te f'rai dire, comme y dit : pas d'ça lisette, pas d'bougui ouogui avant la prière du soir, après, comme y z'ont marché tout' la journée, y pioncent direct.

_ y s'arrêt' jamais pour eul' blanc-cass' ?

_ des tours, y vont à la pêche, pendant qu'y cause aux foules, y caus' beaucoup aux foules.

_ comme à Vodstoque ?

_ …

_ paraît même qu'y fait marcher les culs-de-jatte, mais y dit qu'y faut pas l'dire, après ça fait d'z'histoires.

_ qu'iens, mets donc l'poste.

__ … nal de midi, présenté par Jérémy Dugland.

___ D'après une dépêche de l'Agence France Libellus, l'annonce de la mort de dieu n'était qu'un macabre canular. Nous sommes en liaison... Lou, vous me recevez ?

___ … Je vous écoute.

___ Lou, comment avez-vous appris...

___ … Je ne peux pas révéler mes sources.

___ Vous l'avez vu ? Vous lui avez parlé ?

___ … Je l'ai eu au téléphone. Il a eu comme un étourdissement au réveil. Il est à la clinique du Pain-Béni, il se repose. Le coup aurait été monté par un certain Zara... ou Tzara, un ancien poète oublié, un fada ou fadada. Un de ses fidèles, Hugo Trodlaball, le célèbre comme un gourou : Dada Tzara, Dada Huelsenbeck, Dada m'Dada, Dada m'Dada, Dada mhm, Dada dera Dada, Dada Hue, Dada Tza.

___ Merci, Lou ! Et maintenant, votre feuilleton du lundi, Le fruit défendu, vous est offert par Le Serpent Siffleur...

_ no d'vrait pas rire avec ça, la mort, c'est grave, qu'iens, tu nous en r'fais un p'tit !?

 

- - -

 

*Édité par les Amis de Valognes, « le numéro 23 de Val'Auna, revue historique sur Valognes et les alentours, propose une promenade et deux découvertes » explique Michel Muller, président de l'association et directeur de la publication.

[...]

Enfin la revue rappelle la carrière de Jean Pillet qui est décédé en décembre 2013.

 

* * *

 

Chez Mimile - les routes ne sont plus sûres

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile-les-routes-ne-sont-plus-sures-76113033.html

Chez Mimile_02 – Oursel et Avarie

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_02-oursel-et-avarie-77106636.html

Chez mimile_03 – dans le commerce, rien ne va plus

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_03-dans-le-commerce-rien-ne-va-plus-103922190.html

Chez Mimile_04 – la Poste-Par-Tom

http://www.libellus-libellus.fr/article-chez-mimile_04-la-poste-par-tom-112341909.html

 

Retrouvez la bande à Mimile chez les dames du Thérondelle.

 

Le thérondelle_17 – chez Mimile

http://www.libellus-libellus.fr/article-le-therondelle_17-chez-mimile-113481887.html

 

Le thérondelle_21 – Saint Kitts and Nevis, home, sweet confectionery

http://www.libellus-libellus.fr/article-le-therondelle_21-saint-kitts-and-nevis-home-sweet-confectionery-119313078.html

 

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 23:01
Richard Strauss, Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), op. 30, 1896, Wiener Philharmoniker, dir. Herbert von Karajan, 1959

 

Ce poème symphonique est utilisé en ouverture du film de Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke, 2001 : l'odyssée de l'espace (2001 : a space odyssey), 1968 – l'alignement entre la Lune, la Terre et le Soleil, ainsi que dans L'aube de l'humanité et dans la dernière séquence.

 

Stanley Kubrick, Arthur C. Clarke, 2001 : l'odyssée de l'espace (2001 : a space odyssey), 1968, fin

 

Le roman d'Arthur C. Clarke, écrit avec quelques variantes en même temps que le scénario, est paru la même année.

 

Un scénario nietzschéen

C'est l'histoire de l'accomplissement de l'homme, de sa métamorphose en surhomme, de son éveil à sa vocation première : vouloir devenir ce qu'il est.

Devenir, c'est accomplir la Loi ou les Prophètes, se reconnaître le Fils de l'homme – le fœtus cosmique naissant à la conscience de l'Unique.

 

Félix Vallotton, Max Stirner, La revue blanche, Tome XXI,

Félix Valloton, Max Stirner (L'Unique et sa propriété, 1844), La revue blanche, Tome XXI, Janvier, Fèvrier, Mars, Avril 1900

 

Richard Strauss lui-même disait à propos de cette musique et de son lien avec l’œuvre de Nietzsche : « J'avais l'intention de suggérer, par l'intermédiaire de la musique, l'idée du développement de la race humaine à partir de son origine et à travers les diverses phases de son développement, religieux et scientifique. »

[William Whittington, Sound Design & Science Fiction, University of Texas Press, 2007]

 

Selon Didier de Cottignies *, après avoir d'abord choisi la Symphonie n° 3 en ré mineur de Gustav Mahler, Stanley Kubrick eut connaissance de l’œuvre de Richard Strauss enregistrée par le Berliner Philharmoniker (moins harmonieux que le Wiener), sous la direction de Herbert von Karajan, et pensa que cela convenait mieux à son projet.

Les droits d'enregistrement de Herbert von Karajan n'étant pas disponibles, la version de Karl Böhm, avec le Wiener Philharmoniker fut créditée au générique. La version de Herbert von Karajan fut glissée au cours de la postproduction.

* Stanley Kubrick, l'odyssée des sons (rencontre avec Didier de Cottignies, conseiller musical et ami personnel de Stanley Kubrick), in Classica n° 132, mai 2011.

 

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Un livre pour tous et pour personne

 

Les trois premières parties de Ainsi parlait Zarathoustra ont été publiées en 1883 et 1884 chez E. Schmeitzner, à Chemnitz. La quatrième partie fut imprimée en quarante exemplaires, à compte d'auteur, chez C.-G. Naumann, à Leipzig, en 1885.

 

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 10-18

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), trad. Marthe Robert, Le Club Français du Livre, 1958, UGE, 10/18, 1971

 

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, CFL

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), trad. Marthe Robert, Le club français du livre, 1958, coll. PRIVILEGE, 1967

 

Friedrich Nietzsche, Ainsi parla Zarathoustra, Rivages

Friedrich Nietzsche, Ainsi parla Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), trad. Maël Renouard, Rivages, 2002

Also sprach Zarathustra peut être traduit par Ainsi parla Zarathoustra. Chaque discours, ou presque, se termine par cette formule. En français, l'imparfait indique une répétition, or on observe une progression de discours en discours, chacun représentant une étape sur le chemin vers le surhomme, ce que marque la traduction par le passé simple, Ainsi parla Zarathoustra.

 

Friedrich Nietzsche, Gustav Schultze, Naumburg, 1882 357

Friedrich Nietzsche / Gustav Schultze, Naumburg, 1882

 

Nietzsche évoque un prophète iranien du VIIe siècle, Zoroastre, inventeur d'un dualisme théologique et cosmologique inspiré de l'expérience morale humaine du bien et du mal : un Dieu Bien et un principe Bien en conflit avec un Dieu Mal et un principe Mal (Zend-Avesta).

Il oppose au personnage historique son Zarathoustra pour lui faire dire le contraire. Toutefois, Zoroastre est lucide et sincère, il reconnaît la généalogie morale de sa conception du monde, ce qui le conduirait logiquement à devenir le Zarathoustra de Nietzsche : « Zarathoustra est plus sincère qu’aucun autre penseur. Sa doctrine, et – c’est la seule –, a pour vertu suprême la sincérité – c’est-à-dire le contraire de la lâcheté de "l’idéaliste" qui prend la fuite devant la réalité. Zarathoustra a plus de courage inné que tous les penseurs pris ensemble. Dire la vérité et bien décocher ses flèches, telle est la vertu perse. » (Friedrich Nietzsche, Ecce Homo).

« On ne m'a pas demandé – mais on aurait dû me demander –, ce que signifie dans ma bouche, dans la bouche du premier immoraliste, le nom de Zarathoustra, car c'est juste le contraire qui fait le caractère énormément unique de ce Perse dans l'histoire. Zarathoustra, le premier, a vu dans la lutte du bien et du mal la vraie roue motrice du cours des choses. La transposition en métaphysique de la morale conçue comme force, cause, fin en soi, telle est son œuvre. Mais cette question pourrait au fond être considérée déjà comme une réponse. Zarathoustra créa cette fatale erreur qu'est la morale ; par conséquent il doit aussi être le premier à reconnaître son erreur. » (Ecce Homo)

 

Une écriture inspirée

 

« Tout cela se passe involontairement, comme dans une tempête de liberté, d'absolu, de force, de divinité... C'est dans le cas de l'image, de la métaphore, que ce caractère involontaire de l'inspiration est le plus curieux : on ne sait plus du tout ce qui est symbole, parallèle ou comparaison : l'image se présente à vous comme l'expression la plus juste, la plus simple, la plus directe. Il semble vraiment, pour rappeler un mot de Zarathoustra, que les choses mêmes viennent s'offrir à vous comme termes de comparaison. » (Ecce Homo)

 

LE PROLOGUE DE ZARATHOUSTRA

1

Lorsque Zarathoustra eut atteint l'âge de trente ans, il quitta son pays natal et le lac de son pays natal et s’en alla dans la montagne. Là il jouit de son esprit et de sa solitude et durant dix ans ne s’en lassa pas. Mais enfin son cœur se transforma, – et un matin il se leva avant l’aube, se plaça devant le soleil et lui parla ainsi :

« O grand astre ! Que serait ton bonheur, si tu n’avais pas ceux que tu éclaires !

«  Pendant dix années, tu vins dans ma caverne : sans moi, mon aigle et mon serpent, tu serais dégoûté et de ta lumière et de ce chemin. »

* L'aigle représente la métaphysique classique et sa référence au ciel, le serpent, l'empirisme, le « sens de la terre ». Zarathoustra refuse leur antagonisme et cherche à les réconcilier dans le retour éternel.

[…]

« Je voudrais donner et distribuer jusqu'à ce que les sages parmi les hommes soient redevenus joyeux de leur folie, et les pauvres, contents de leur richesse.

[…]

« Vois ! Cette coupe veut se vider encore, et Zarathoustra veut redevenir homme. »

 

Zarathoustra annonce un retournement complet de la civilisation en un monde radicalement nouveau.

 

Et aussitôt, remontant de l'eau, il vit les cieux se déchirer et l'Esprit comme une colombe descendre vers lui, et une voix vint des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur. » Et aussitôt, l'Esprit le pousse au désert. Et il était dans le désert durant 40 jours, tenté par Satan. Et il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

Mc, 1, 10-13 (trad. Bible de Jérusalem)

 

Zarathoustra dit : je suis l'annonciateur de la foudre.

En se retirant dans la montagne, il rappelle le séjour du Christ au désert. Certains passages du quatrième livre rappellent la cène. Zarathoustra est également une figure de François d'Assise, le saint qui aimait les animaux .

 

2

Zarathoustra descendit seul des montagnes, et personne ne croisa son chemin. Mais une fois entré dans les bois, soudain il vit devant lui un vieillard qui avait quitté sa sainte chaumière pour chercher des racines dans le bois. Et le vieillard dit à Zarathoustra :

[...]

« Zarathoustra s’est transformé, Zarathoustra s’est fait enfant, Zarathoustra s’est éveillé : que vas-tu chercher auprès de ceux qui dorment ?

« Tu vivais dans la solitude comme dans une mer et la mer te portait. Malheur à toi, veux-tu descendre à terre ? Malheur à toi, veux-tu de nouveau traîner toi-même ton corps ? »

Zarathoustra répondit : « J’aime les hommes. »

« Pourquoi donc, dit le saint, suis-je allé dans les bois et dans la solitude ? N’était-ce pas parce que j’aimais trop les hommes ?

« Maintenant j’aime Dieu : je n’aime pas les hommes. L’homme est pour moi une chose trop imparfaite pour moi. L’amour de l’homme me tuerait. »

[...]

Mais quand Zarathoustra fut seul, il parla ainsi à son cœur : « Serait-ce donc possible ! Ce vieux saint dans sa forêt n’as pas encore entendu dire que Dieu est mort ! »

 

Zarathoustra prend conscience d'un nouvel état de fait : la mort de Dieu. Sa disparition est un fait dans nos sociétés modernes. Le dernier homme s'en réjouit : la parole du Seigneur était trop exigeante. L'homme supérieur fait comme si de rien n'était, il remplace simplement la Loi par un code de valeurs humaines identiques. Pour le créateur, en devenir vers le surhomme, il s'agit d'une étape : une phase de destruction en vue de la construction.

Ce dieu de carnaval romain se meurt sur les étals des marchands. L'ermite fuit l'amour des hommes – un commandement semblable à celui qui appelle à l'amour de Dieu.

 

Apprenant qu'il avait fermé la bouche aux Sadducéens, les Pharisiens se réunirent en groupe, et l'un d'eux lui demanda pour l'embarrasser : « Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi ? » Jésus lui dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit : voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Mt, 22, 34-40 (trad. Bible de Jérusalem)

 

Il importe que le mot amour

Soit rempli de mystère et non de tabou,

De péché, de vertu, de carnaval romain

(Léo Ferré, Le Chien, 1970)

 

3

Lorsque Zarathoustra arriva dans la ville voisine, à la lisière du bois, il trouva une grande foule rassemblée sur la place : car un danseur de corde avait été annoncé. Et Zarathoustra parla ainsi au peuple et lui dit :

« Je vous enseigne le Surhomme. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter ?

[…]

« Qu’est le singe pour l’homme ? Un objet de risée ou une honte douloureuse. C’est cela que doit être l’homme pour le Surhomme : un objet de risée ou une honte douloureuse.

[…]

« Voici, je vous enseigne le Surhomme : il est cette mer où peut sombrer votre grand mépris.

Quel est le plus sublime moment que vous puissiez vivre ? C’est l’heure du grand mépris. L’heure où votre bonheur même se change en dégoût, comme votre raison et votre vertu. »

 

La lucidité conduit Zarathoustra à détruire toutes les illusions rémanentes de l'ancienne culture (la culture occidentale) et à renverser les anciennes valeurs.

Nietzsche détruit pour construire dans le même temps.

Sa nouvelle morale, l'immoralisme qu'il appelle, loin des facilités de l'immoralité prisée par l'homme, est en quelque sorte surhumaine : c'est d'elle que peut naître le surhomme.

 

Le funambule est le premier compagnon de Zarathoustra, une figure de l'homme supérieur avant le créateur et le surhomme.

 

4

« L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, – une corde sur l’abîme.

« Il est dangereux de passer de l’autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière, dangereux de frissonner et de s'arrêter.

[…]

« J’aime ceux qui ne savent pas vivre à moins de se perdre, car ce sont ceux qui passent sur l'autre rive.

[…]

« J’aime tous ceux qui sont comme de lourdes gouttes tombant une à une du nuage sombre suspendu au-dessus de l'homme : ils annoncent l’éclair qui vient, et périssent en annonciateurs.

« Voici : je suis l'annonciateur de la foudre, une goutte lourde tombant du nuage : mais cette foudre s’appelle Surhomme. »

 

Mû par la nouvelle vertu d'une nouvelle morale, la volonté de puissance *, le surhomme passe à la seconde étape de la transmutation ** des valeurs : la création de nouvelles valeurs.

* La volonté de puissance selon Zarathoustra est le dépassement de soi-même, la volonté, venue des forces inhérentes à tout être vivant, à toute chose, d'accéder à la souveraineté.

** Transmutation : changement de nature inspiré de l'alchimie et par lequel le « oui » prend la place du « non ».

 

5

« Malheur ! Le temps viendra du plus méprisable des hommes, de l'homme qui ne peut plus lui-même se mépriser.

« Voici ! Je vous montre le dernier homme.

[…]

« Nous avons inventé le bonheur », disent les derniers hommes en clignant les yeux.

[…]

« Un peu de poison de temps en temps : cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poisons pour finir, cela donne une mort agréable.

[...]

« Point de pasteur et un seul troupeau ! Tous veulent la même chose. Tous sont égaux : qui pense autrement va de son plein gré à l'asile de fous.

[…]

Et ici s'achève le premier discours de Zarathoustra, celui qu'on appelle « Prologue » : car en cet endroit il fut interrompu par les cris et les transports de joie de la foule. « Donne-nous ce dernier homme, ô Zarathoustra, criaient-ils, rends-nous semblables à ces derniers hommes ! Nous te ferons cadeau du Surhomme ! » Et tout le peuple jubilait et claquait de la langue. Zarathoustra fut attristé et il dit à son cœur : 

« Ils ne me comprennent pas : je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles. »

 

Plus bas que l'homme, le dernier homme : il ne comprend pas que « tout est permis » veut dire « tout est possible », il croit que cela lui donne tous les droits. Pour lui, si Dieu est mort, il n'y a plus ni devoir, ni loi, ni morale. Il confond l'immoralisme avec son désir d'immoralité.

Ainsi la mort de Dieu qui devrait amener une nouvelle morale, une nouvelle culture fondée sur une nouvelle exigence, peut conduire à la déchéance ultime, au nihilisme (au sens de dévalorisation du monde au nom d'un au-delà, dépréciation de cet au-delà, contrairement au nihilisme nietzschéen qui permet d'agir sans justification transcendante, et par la volonté de déclin, de révolte, de destruction des anciennes valeurs, inhérente à la volonté de construire de nouvelles valeurs).

Tous veulent la même chose : le désir mimétique produit le conflit.

Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots.

Genèse, XI, 1-9 – Babel (trad. Bible de Jérusalem)

 

6

Mais alors il advint quelque chose qui ferma toutes les bouches et rendit tous les yeux hagards. Car entre-temps le danseur de corde s’était mis à l’ouvrage : il était sorti par une petite porte et marchait sur la corde tendue entre les deux tours, au-dessus de la place et de la foule. Comme il avait fait la moitié du chemin, la petite porte se rouvrit et livra passage et un compère au costume bariolé, tel un bouffon, qui bondit et suivit à grands pas le premier.

[…]

quand il ne fut plus qu’à un pas, il advint cette chose terrible qui ferma toutes les bouches et rendit tous les yeux hagards – il poussa un cri de démon et sauta par-dessus celui qui lui barrait le passage. Mais en voyant la victoire de son rival, le danseur perdit la tête et lâcha la corde...

[…]

[Il s'écrase aux pieds de Zarathoustra]

« Si tu dis la vérité, dit-il ensuite, je ne perdrai rien à perdre la vie. Je ne suis pas beaucoup plus qu’un animal à qui on a appris à danser en lui donnant des coups et de maigres bouchées. »

« Non pas, dit Zarathoustra, tu as fait du danger ton métier, il n’y a là rien de méprisable. Voici maintenant que ton métier te tue : pour cela, je t’enterrerai de mes propres mains. »

 

Sur la corde, il est impossible de s'arrêter, impossible de revenir en arrière, impossible de s'échapper. L'homme supérieur, dont le funambule est une figure, a bien compris le dépérissement des anciennes valeurs, mais il s'arrête en chemin, il reprend l'ancienne Loi en l'humanisant.

 

7

Alors Zarathoustra a fait aujourd’hui une belle pêche ! Ce n'est pas un homme qu'il a pris, mais un cadavre !

« Inquiétante est l'existence humaine, et toujours aussi dénuée de sens : un bouffon peut sceller son destin.

« Je veux enseigner aux hommes le sens de leur existence : qui est le Surhomme, l’éclair jailli du sombre nuage qu'est l'homme.

« Mais je suis encore loin d’eux et mon esprit ne parle pas à leurs sens. Pour eux, je tiens encore le milieu entre un fou et un cadavre. »

 

Qui pense autrement va de son plein gré à l'asile de fous. (Prologue, 5)

 

La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien

qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène

et qu'ensuite on n'entend plus ; c'est une histoire

dite par un idiot, pleine de fracas et de furie,

et qui ne signifie rien…

William Shakespeare, Macbeth, V, 5 (trad. François-Victor Hugo)

 

La foule ne veut pas entendre le discours de Zarathoustra : l'action et le danger lié à l'action.

 

8

Le bouffon et les fossoyeurs chassent Zarathoustra.

Les valeurs traditionnelles sont tombées si bas qu'il n'y a rien à regretter à leur mort, malgré le risque d'une déchéance encore plus profonde.

 

Au milieu des bois, pris par la faim, il s'arrête à une maison isolée.

 

Zarathoustra frappa à la porte de la maison. Un vieillard apparut ; il portait la lumière et demanda : « Qui vient vers moi et mon mauvais sommeil ? »

« Un vivant et un mort, dit Zarathoustra. Donnez-moi à boire et à manger. J’ai oublié de le faire pendant le jour. Celui qui nourrit l'affamé réconforte sa propre âme : ainsi parle la sagesse. »

Le vieux partit, mais revint aussitôt, et offrit à Zarathoustra du pain et du vin.

 

9

Zarathoustra dormit longtemps et non seulement l'aube mais le matin passa sur son visage. Enfin il ouvrit les yeux : étonné, Zarathoustra regarda la forêt et le silence, étonné il regarda en lui-même.

[...]

Mes yeux se sont ouverts : j’ai besoin de compagnons, de compagnons vivants, et non de morts et de cadavres que je porte avec moi où je veux.

[...]

Mes yeux se sont ouverts : ce n’est pas à la foule que parlera Zarathoustra, mais à des compagnons ! Zarathoustra ne sera pas le berger et le chien d’un troupeau !

[...]

Le peuple et le troupeau se fâcheront contre moi : les bergers traiteront Zarathoustra de brigand .

Je dis bergers, mais ils se nomment les bons et les justes. Je dis bergers, mais ils se nomment les croyants de la vraie foi.

Voyez les bons et les justes ! Qui haïssent-ils le plus ? Celui qui brise leurs tables de valeurs, le destructeur, le criminel – mais c’est celui-là qui crée.

[...]

Je ne serai pas berger, ni fossoyeur. Je ne veux même pas parler à la foule : pour la dernière fois j’ai parlé à un mort.

Je veux me joindre à ceux qui créent, récoltent et célèbrent leur fête : je leur montrerai l’arc-en-ciel et tous les escaliers qui montent vers le Surhomme.

 

10

Zarathoustra avait dit cela à son cœur quand le soleil était encore au zénith son midi : alors il leva les yeux et interrogea le ciel, car il avait entendu le cri perçant d’un oiseau. Et voici ! Un aigle décrivait dans les airs de larges cercles et un serpent était attaché à lui, non comme une proie, mais comme un ami : car il s'enroulait autour de son cou.

« Ce sont mes animaux ! dit Zarathoustra, et il se réjouit de tout son cœur.

[...]

« Que mes animaux me conduisent ! »

Quand Zarathoustra eut dit cela, il se souvint des paroles du saint dans la forêt, il soupira et parla à son cœur :

« Je souhaiterais être plus rusé ! Je souhaiterais être foncièrement rusé, comme mon serpent !

Mais je demande l’impossible : je prie donc ma fierté d'aller toujours de pair avec ma sagesse.

Et si ma sagesse m’abandonne un jour – hélas ! elle aime s’envoler ! – que ma fierté vole encore avec ma folie ! »

Ainsi commença le déclin de Zarathoustra.

 

Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; montrez-vous donc prudents comme les serpents et candides comme les colombes.

Mt, 10, 16 (trad. Bible de Jérusalem)

 

Le fond et la forme

 

L'ancienne culture – la culture occidentale – est fondamentalement rationaliste, jusque dans son écriture bien ordonnée. Nietzsche fondant une culture nouvelle et inventive l'annonce dans un style prophétique et poétique, riche de proverbes, d'aphorismes, d'allégories, de chants, de métaphores, de maximes, de parodies.

Au demeurant, le lyrisme ne néglige pas la rigueur.

« J'y [dans le texte de Nietzsche] remarquais je ne sais quelle intime alliance du lyrique et de l'analytique que nul encore n'avait aussi délibérément accomplie. [...] Dans le jeu de cette idéologie nourrie de musique, j'appréciais fort le mélange et l'usage très heureux de notions et de données d'origine savante. »

Quatre lettres de Paul Valéry [à Henri Albert] au sujet de Nietzsche, 1927

 

Dans Ecce Homo, Nietzsche se souvient de la spontanéité de l'inspiration : « On entend, on ne cherche pas. […] Une pensée vous illumine comme un éclair. »

 

Gaston Bachelard parle de l'écriture de Nietzsche dans L'air et les songes, Nietzsche et le psychisme ascensionnel, Librairie José Corti, 1943.

 

L'éternel retour

 

Le concept apparaît chez Héraclite (VIe siècle av. J.-C.) qui proclame le feu comme le principe même du monde.

« Ce monde a toujours été et il est et il sera un feu toujours vivant, s'alimentant avec mesure et s'éteignant avec mesure. »

Le feu connaît des fluctuations périodiques dues la Moïra, tantôt plus rare, tantôt plus dense, créant et détruisant le monde selon un retour éternel.

 

Dans le Prologue, 10, un aigle décrit de larges cercles : une figure de l'éternel retour – le mouvement circulaire de toute chose dans le temps circulaire, rejoignant la mystique du cercle et la notion d'impermanence de la sagesse bouddhiste.

En somme, nous possédons déjà la vie pleine et entière, éternelle, dans ce monde où nous agissons – comme on l'entend dans la Parole de l’Évangile...

Par l'éternel retour, le devenir est – puisqu'il est éternel. Moralement, je suis responsable de l'éternité dès que je suis responsable d'un instant. L'éternité signifie la fin du ressentiment.

 

Les discours de Zarathoustra

 

Autour d'un thème central, le surhomme (Prologue, 3), apparaissent les concepts fondamentaux de la pensée de Nietzsche :

– la transmutation du nihilisme comme dévalorisation du monde au nom d'un au-delà en nihilisme comme volonté de déclin, de révolte, de destruction de l'ancienne Loi, inhérente à la volonté de construction d'une nouvelle Loi (Prologue, 1, 2, 3, 4, 8, 9) ;

– la volonté de puissance (Prologue, 4, et Deuxième partie) : dans un premier sens, tendance profonde d'un être vivant ou d'une chose (un fait historique, …) à exister selon les forces qui l'animent ; pour Zarathoustra, dépassement de soi-même, volonté de transcender la puissance en plus de puissance, en pouvoir, en souveraineté ;

– l'éternel retour (Prologue, 10, et Troisième partie)

– le nihilisme comme dépréciation de ce monde et de l'au-delà, et comme tentative (tentation) de maintenir les valeurs traditionnelles en les fondant sur l'humain et non plus le divin (Prologue, 5, 6, et Quatrième partie).

 

QUATRIEME PARTIE

LE SIGNE

Mais le matin qui suivit cette nuit, Zarathoustra sauta de sa couche, se ceignit les reins et sortit de sa caverne, ardent et fort comme le soleil du matin au sortir de sombres montagnes.

Grand astre, dit-il, comme il avait parlé jadis, œil de bonheur profond, que serait tout ton bonheur, si tu n’avais pas ceux que tu éclaires !

[…]

Ainsi parla Zarathoustra ; mais alors il arriva qu’il se sentit soudain entouré comme si d'innombrables oiseaux voltigeaient autour de lui – cependant le bruissement de tant d’ailes et la foule autour de sa tête étaient si grands qu’il ferma les yeux. Et, en vérité, c'était comme un nuage qui tombait sur lui, comme une nuée de flèches se répandant sur un nouvel ennemi. Mais voici, ici c’était un nuage d’amour qui tombait sur un nouvel ami.

[…]

« Le signe vient », dit Zarathoustra et son cœur se transforma. Et en vérité, lorsqu’il fit clair devant lui, il vit à ses pieds une énorme bête jaune qui appuyait la tête contre ses genoux et ne voulait pas le quitter, tant elle l'aimait, et faisait comme un chien qui retrouve son vieux maître. Les colombes cependant n’étaient pas moins empressées que le lion dans leur amour et chaque fois qu’une colombe frôlait de ses ailes le nez du lion, le lion secouait la tête, s'étonnait, et riait.

[…]

Allons ! Le lion est venu, mes enfants sont proches, Zarathoustra a mûri, mon heure est venue : –

Voici monmatin, ma journée commence : lève-toi maintenant, lève-toi, grand midi ! – Ainsi parla Zarathoustra et il quitta sa caverne ardent et fort comme un soleil du matin au sortir de sombres montagnes.

 

* * *

 

Les extraits de Ainsi parlait Zarathoustra sont donnés dans la traduction de Marthe Robert, CFL, 1958

 

Michel Onfray, Friedrich Nietzsche

Michel Onfray, 2012 – Friedrich Nietzsche, studio Gebrüder Siebe, Leipzig, 1869

 

Ainsi parlait Zarathoustra est, Nietzsche l'a suffisamment dit, "un livre pour tous et pour personne". Longtemps, il est resté un livre pour personne - ou si peu de lecteurs.

[…]

Ce livre dont Nietzsche affirmait qu'il était "le vestibule de (s)a philosophie" est un temple païen crypté et quiconque ne dispose pas des codes se perd dans ce labyrinthe. Il faut le méditer longuement, "ruminer", pour le dire avec un mot du philosophe lui-même, s'en imprégner, vivre avec au long cours et, un jour, parce qu'on l'aura mérité, avec force patience intellectuelle, on découvre le fil d'Ariane.

[…]

Pendant la Seconde Guerre mondiale, des Français patriotards font du surhomme un surboche... Quelques commentateurs estampillés par l'institution philosophante contribuent à propager encore aujourd'hui ce genre de boniments. Jamais malentendu ne fut plus grand à propos d'un livre de philosophie.

[…]

N'entrons pas dans le détail polémique, mais la haine qu'avait Nietzsche de l'État, son mépris des médiocres qui font carrière dans la politique, sa détestation des antisémites doublée d'un éloge du génie juif, sa lutte perpétuelle contre le ressentiment qui est le moteur du national-socialisme, son combat contre l'idéal ascétique paulinien consubstantiel à tout fascisme témoignent contre un usage de Nietzsche à des fins de justification du régime hitlérien.

[…]

La responsabilité du mésusage de Nietzsche en revient d'abord à Elisabeth Förster-Nietzsche, sa soeur. [...] On doit à cette vipère la constitution d'un faux livre, La volonté de puissance, un collage de textes qu'elle récrivit dans le but militant de montrer que son frère philosophe aurait soutenu les aventures fascistes...

[…]

Qui est Zarathoustra ? Le prophète du surhomme. Quel est son message ? Il annonce la mort de Dieu, le ciel vide de toute idole, la terre devenue le seul espace pour une vie surhumaine ; il enseigne les pleins pouvoirs du vouloir vers la puissance, autrement dit de la force qui, dans la vie, veut la vie ; conséquemment, il affirme l'inexistence du libre arbitre ; il professe l'éternel retour de ce qui est, et cela, à l'identique : nous vivons ce que nous avons déjà vécu et nous le vivrons éternellement dans les mêmes formes ; il invite à savoir ces vérités et à les aimer, amor fati, autrement dit : aime ton destin.

 

Michel Onfray, Faire la révolution avec Nietzsche

 

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Hans Hildenbrand, Editions Kimé, 2012

Pierre Héber-Suffrin, Lecture d'Ainsi parlait Zarathoustra, quatre tomes, Editions Kimé, 2012 –

De la vertu sommeil à la vertu éveil ; A la recherche d'un sauveteur ;Penser, vouloir et dire l'éternel retour ; Au secours des hommes supérieurs

Pierre Héber-Suffrin, Le Zarathoustra de Nietzsche, PUF, 1988

 

pochette couverture 255

- cliquer sur l'image pour écouter des morceaux choisis (Bibliothèque > Philosophie > Nietzsche)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, lecture : Olivier Gaiffe – trad. Henri Albert, 1898

 

Nietzsche a été évoqué ici, à propos de la musique selon Michel Onfray :

Michel Onfray avec Jean-Yves Clément, La raison des sortilèges – Entretiens sur la musique

 

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10 octobre 2013 4 10 /10 /octobre /2013 23:01

 

Life's but a walking shadow, a poor player

That struts and frets his hour upon the stage

And then is heard no more : it is a tale

Told by an idiot, full of sound and fury,

Signifying nothing.

William Shakespeare, Macbeth, V, 5

 

La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien

qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène

et qu'ensuite on n'entend plus ; c'est une histoire

dite par un idiot, pleine de fracas et de furie,

et qui ne signifie rien…

trad. François-Victor Hugo

 

John Steinbeck, Of Mice and Men

John Steinbeck, Of Mice and Men, 1937, Pearson/Longman, 2000

 

John Steinbeck, Des souris et des hommes   John Steinbeck, Des souris et des hommes cover

John Steinbeck, Des souris et des hommes, trad. Maurice-Edgar Coindreau, 1955, Gallimard, Folio, 2011 – édition à tirage limité, volume sous coffret avec marque-page magnétique

 

John Steinbeck, 1929

John Steinbeck, Salinas Masonic Temple Archives, ca 1929 *

 

Le titre du roman rappelle un poème, de Robert Burns, écrit en Scots leid, To a Mouse, on Turning Her Up in Her Nest with the Plough, 1785 ** – selon la légende, Robert Burns aurait trouvé un nid de souris en plein hiver.

 

The best-laid schemes o' mice an' men

Gang aft agley

 

Transcription en anglais classique :

The best laid schemes of mice and men

Go often awry

 

Les meilleurs projets des souris et des hommes tournent souvent mal

 

L'histoire évoque celle de Moosbrugger, le tueur d'une prostituée : on ne sait s'il est fou ou si c'est le monde qui est perverti.

 

C'était nettement de la folie, et tout aussi nettement pourtant une simple déformation des rapports qui unissent les éléments de notre propre nature. C'était démantelé, enténébré : Ulrich pensa néanmoins, Dieu sait comment, que l'humanité, si elle pouvait avoir des rêves collectifs, rêverait Moosbrugger.

Robert Musil, L'Homme sans qualités, 1930

 

 

Gary Sinise, Mark Isham, Des souris et des hommes, Weed, 1992

 

One

 

A few miles south of Soledad, the Salinas River drops in close to the hillside

bank and runs deep and green.

 

Manuel Valencia (USA, 1856-1935), Salinas Valley, huile sur

Manuel Valencia (USA, 1856-1935), Salinas Valley, huile sur toile

 

Salinas Valley - 1

 

Salinas Valley - 2

 

Salinas Valley - 3

Salinas Valley

 

California, Salinas, Weed

Californie – carte situant Weed, au nord, et Salinas Valley, au centre

 

George Milton, un petit homme aux yeux noirs qui ne se repose jamais, et Lennie Small, un géant aux yeux clairs, un simple d'esprit, font la route ensemble, de ranch en ranch. Ils espèrent se faire un petit pécule pour acheter une ferme, où Lennie pourra élever des lapins, mais dans la vallée de la Salinas, leurs rêves, comme les projets des souris et des hommes, tournent mal.

 

Jeudi, sous le soleil. George et Lennie font halte près de la Salinas, à quelques miles au sud de Soledad, avant de rejoindre, le lendemain, le ranch où ils ont trouvé un nouvel emploi.

 

'Lennie!' he said sharply. 'Lennie, for God' sakes don't drink so much.' Lennie continued to snort into the pool. The small man leaned over and shook him by the shoulder. 'Lennie. You gonna be sick like you was last night.'

Lennie dipped his whole head under, hat and all, and then he sat up on the bank and his hat dripped down on his blue coat and ran down his back. 'That's good,' he said. 'You drink some, George. You take a good big drink.' He smiled happily.

[…]

George?

Yeah, what ya want ?

Where we goin', George ?

So you forgot that awready, did you ?'

'I remember about the rabbits, George.

The hell with the rabbits. That's all you ever can remember is them rabbits.

[…]

George looked sharply at him. 'What'd you take outa that pocket ?'

'Ain't a thing in my pocket,' Lennie said cleverly.

'I know there ain't. You got it in your hand. What you got in your hand – hidin' it ?'

'I ain't got nothin', George. Honest.'

'Come on, give it here.'

Lennie held his closed hand away from George's direction. 'It's on'y a mouse, George.'

'A mouse ? A live mouse ?'

'Uh-uh. Jus' a dead mouse, George. I didn't kill it. Honest! I found it. I found it dead.'

'Give it here!' said George.

'Aw, leave me have it, George.'

'Give it here !'

[…]

'I could pet it with my thumb while we walked along, said Lennie.

'Well, you ain't petting no mice while you walk with me. You remember where we're goin' now ?

Lennie looked startled and then in embarrassment hid his face against his knees. 'I forgot again.

'Jesus Christ, George said resignedly. 'Well – look, we're gonna work on a ranch like the one we come from up north.

'Up north ?

'In Weed.'

'Now when we go in to see the boss, what you gonna do ?'

'I... I...' Lennie thought. His face grew tight with thought. 'I... ain't gonna say nothin'. Jus' gonna stan' there.'

'Good boy. That's swell. You say that over two, three times so you sure won't forget it.'

[…]

'You go get wood. An' don't you fool around.'

It'll be dark before long.'

...

In a moment Lennie came crashing back through the brush. He carried one small willow stick in his hand. George sat up. 'Awright,' he said brusquely.

'Gi'me that mouse!'

...

'I don't know why I can't keep it. It ain't nobody's mouse. I didn't steal it. I found it lyin' right beside the road.'

...

'I wasn't doin' nothing bad with it, George. Jus' strokin' it.'

[...]

'God a'mighty, if I was alone I could live so easy. ... An' whatta I got,' George went on furiously. 'I got you ! ... You do bad things and I got to get you out.' ... 'Jus' wanted to feel that girl's dress – jus' wanted to pet it like it was a mouse.'

[…]

'If you don' want me I can go off in the hills an' find a cave. I can go away any time.'

[…]

Lennie spoke craftily, 'Tell me – like you done before.'

'Tell you what?'

'About the rabbits.'

...

'Well,' said George, 'we'll have a big vegetable patch and a rabbit hutch

and chickens.'

'When we get the coupla acres I can let you tend the rabbits all right.'

[…]

The sycamore leaves whispered in a little night breeze.

 

* * *

 

Two

 

The bunk house was a long, rectangular building. Inside, the walls were whitewashed and the floor unpainted. In three walls there were small, square windows, and in the fourth, a solid door with a wooden latch. Against the walls were eight bunks, five of them made up with blankets and the other three showing their burlap ticking. Over each bunk there was nailed an apple box with the opening forward so that it made two shelves for the personal belongings of the occupant of the bunk. And these shelves were loaded with little articles, soap and talcum powder, razors and those Western magazines ranch men love to read and scoff at and secretly believe.

 

Après cette description anatomique, se présentent de nouveaux personnages :

Candy, un vieil homme à tout faire, Whitey, le précédent occupant d'une paillasse, un homme très propre, le Boss, le propriétaire du ranch, Crooks, un palefrenier noir un peu cassé, Smitty, un roulier, Curley, le fils du Boss, un méchant, Slim, un conducteur de mules, Carlson, un ouvrier agricole, et la femme de Curley, une pute.

 

Vendredi matin, au baraquement. George et Lennie sont engagés pour engranger l'orge. Curley cherche à provoquer Lennie. Candy apprend à George que la femme de Curley est une pute. Ils font la connaissance de Slim et de Carlson. Lennie veut un des chiots de Lulu, la chienne de Slim.

 

George ... looked into the box shelf and then picked a small yellow can from it. 'Say. What the hell's this ?'

'I don't know,' said the old man.

'Says "positively kills lice, roaches and other scourges." What the hell kind of bed you giving us, anyways. We don't want no pants rabbits.'

[Nous n'avons pas envie d'attraper des morpions.]

The old swamper shifted his broom and held it between his elbow and his side while he held out his hand for the can. He studied the label carefully. 'Tell you what – ' he said finally, 'last guy that had this bed was a blacksmith – hell of a nice fella and as clean a guy as you want to meet.'

'That's the kinda guy he was – clean.'

[…]

The boss said suddenly, 'Listen, Small !' Lennie raised his head. 'What can you do ?'

In a panic, Lennie looked at George for help. 'He can do anything you tell him,' said George. 'He's a good skinner. He can rassel grain bags, drive a cultivator. He can do anything. Just give him a try.'

The boss turned on George. 'Then why don't you let him answer ?'

George said, 'He's my . . . . cousin. I told his old lady I'd take care of him. He got kicked in the head by a horse when he was a kid. He's awright. Just ain't bright. But he can do anything you tell him.'

[…]

[George, parlant de Curley] 'What's he got against Lennie ?'

The swamper considered... 'Well... tell you what. Curley's like a lot of little guys. He hates big guys.

[…]

George cut the cards and began turning them over, looking at each one and throwing it down on a pile. He said, 'This guy Curley sounds like a son-of-a-bitch to me. I don't like mean little guys.'

'Seems to me like he's worse lately,' said the swamper. 'He got married a couple of weeks ago. Wife lives over in the boss's house. Seems like Curley is cockier'n ever since he got married.'

[…]

George … 'But what ?'

'Well – she got the eye.'

[Ben... elle a pas froid aux yeux.]

'Yeah ? Married two weeks and got the eye ? Maybe that's why Curley's pants is full of ants.'

'I seen her give Slim the eye.'

...

The swamper stood up from his box. 'Know what I think ?' George did not answer. 'Well, I think Curley's married... a tart.'

[…]

[George] 'She's a rattrap.'

[…]

Slim looked through George and beyond him. 'Ain't many guys travel around together,' he mused. 'I don't know why. Maybe ever'body in the whole damn world is scared of each other.' ***

 

 

Three

 

Entrent en scène :

Whit, un jeune ouvrier agricole, Bill Tenner, qui auparavant cultivait des pois au ranch, Susy, une maquerelle généreuse, Clara, une tenancière qui craint.

 

Vendredi soir. Georges confie à Slim la raison pour laquelle Lennie et lui ont dû fuir Weed.

 

'What'd he do in Weed ?' Slim asked calmly.

'Well, he seen this girl in a red dress. Dumb bastard like he is, he wants to touch ever'thing he likes. Just wants to feel it. So he reaches out to feel this red dress an' the girl lets out a squawk …

'Well, that girl rabbits in an' tells the law she been raped. The guys in Weed start a party out to lynch Lennie.

 

Lennie obtient son chiot. Carlson tue le vieux chien moribond de Candy avec son Luger. Dans la grange, Slim soigne un cheval. On cherche Curley, Curley cherche sa femme. Candy apporte ses 350 dollars au rêve de George et Lennie. Curley arrive et s'en prend à Lennie, il le frappe jusqu'à ce que George lui dise de se battre : Lennie écrase la main de Curley. Slim ordonne à Curley de dire qu'il s'est fait prendre dans une machine, pour éviter le ridicule de sa défaite.

 

'George, how long's it gonna be till we get that little place an' live on the fatta the lan' – an' rabbits ?'

'I don't know', said George.

Lennie said, 'Tell about that place, George.'

'I jus' tol' you, jus' las' night.'

'Go on—tell again, George.'

'Well, it's ten acres,' said George. 'Got a little win'mill. Got a little shack on it, an' a chicken run. Got a kitchen, orchard, cherries, apples, peaches, ‘cots, nuts, got a few berries. They's a place for alfalfa and plenty water to flood it.

They's a pig pen –'

'An' rabbits, George.'

 

Curley whirled on Carlson. 'You keep outa this les' you wanta step outside.'

Carlson laughed. 'You God damn punk,' he said. 'You tried to throw a scare into Slim, an' you couldn't make it stick. Slim throwed a scare into you. You're yella as a frog belly. I don't care if you're the best welter in the country. You come for me, an' I'll kick your God damn head off.'

Lennie was still smiling with delight at the memory of the ranch.

Curley stepped over to Lennie like a terrier. 'What the hell you laughin' at ?'

Lennie looked blankly at him. 'Huh ?'

Then Curley's rage exploded. 'Come on, ya big bastard. Get up on your feet.

No big son-of-a-bitch is gonna laugh at me. I'll show ya who's yella.'

George was on his feet yelling, 'Get him, Lennie. Don't let him do it.'

George yelled again, 'I said get him.'

Curley's fist was swinging when Lennie reached for it. The next minute Curley was flopping like a fish on a line, and his closed fist was lost in Lennie's big hand.

Curley sat down on the floor, looking in wonder at his crushed hand.

George said, 'Slim, will we get canned now ? We need the stake. Will Curley's old man can us now ?'

Slim smiled wryly. He knelt down beside Curley. 'You got your senses in hand enough to listen ?' he asked. Curley nodded. 'Well, then listen,' Slim went on. 'I think you got your han' caught in a machine.'

[…]

'George ?'

'What you want ?'

'I can still tend the rabbits, George ?'

'Sure. You ain’t done nothing wrong.'

'I di’n’t mean no harm, George.'

 

 

Four

 

Samedi soir, chez Crooks. Candy rejoint Crooks et Lennie, il parle de leurs rêves. La femme de Curley survient, avec sa haine et son fiel. Elle sait que Lennie est la machine qui a broyé la main de Curley. Elle menace Crooks. George revient de la ville.

 

'All the boys gone into town, huh ?'

'All but old Candy. He just sets in the bunk house sharpening his pencil and sharpening and figuring.'

Crooks adjusted his glasses. 'Figuring? What’s Candy figuring about ?'

Lennie almost shouted, '’Bout the rabbits.'

'You’re nuts,' said Crooks. 'You’re crazy as a wedge. What rabbits you talkin’ about ?'

'The rabbits we’re gonna get, and I get to tend ‘em, cut grass an’ give ‘em water, an’ like that.'

'You’re nuts.'

[…]

'Any you boys seen Curley ?'

They swung their heads toward the door. Looking in was Curley’s wife.

Crooks stood up from his bunk and faced her. 'I had enough,' he said coldly.

'You got no rights comin' in a colored man's room.'

She turned on him in scorn. 'Listen, Nigger,' she said. 'You know what I can do to you if you open your trap ?'

'Yes, ma’am.'

'Well, you keep your place then, Nigger. I could get you strung upon a tree so easy it ain’t even funny.'

Candy said, 'That bitch didn’t ought to of said that to you.'

 

Five

 

Dimanche après-midi. Dehors, on joue au fer à cheval. Dans la grange, Lennie caresse son chiot jusqu'à la mort. La femme de Curley le surprend. Lennie lui dit son goût des choses douces et elle l'invite à sentir ses cheveux sous sa main... Lennie s'empare du Luger de Carlson et s'enfuit. Whit part chercher Al Wilt, le sheriff. La battue s'organise.

 

Only Lennie was in the barn.

Curley's wife came around the end of the last stall.

Lennie said, 'Well, I ain't supposed to talk to you or nothing.'

Curley's wife moved away from him a little. 'I think you're nuts,' she said.

'No I ain't,' Lennie explained earnestly. 'George says I ain't. I like to pet nice things with my fingers, sof' things.'

She took Lennie's hand and put it on her head. 'Feel right aroun' there an' see how soft it is.'

 

Six

 

Lennie se réfugie dans le bois près de la rivière, il entend la voix de sa tante aujourd'hui morte. George le retrouve avant les autres. Il ne les laissera pas lui faire du mal.

 

John Steinbeck, Gary Sinise, Des souris et des hommes

Gary Sinise, Des souris et des hommes, 1992

 

Gary Sinise, Des souris et des hommes, George et Lennie-1

 

Gary Sinise, Des souris et des hommes, George et Lennie-2

Gary Sinise, Des souris et des hommes, George et Lennie (Gary Sinise, John Malkovich)

 

 

Gary Sinise, Mark Isham, Des souris et des hommes, George et Lennie, 1992

 

Slim twitched George's elbow. 'Come on, George. Me an' you'll go in an' get a drink.'

 

Le titre donne le ton du livre : un bestiaire où la femme est une souris (mouse), où elle est associée aux lapins (rabbits), bien connus pour leur ardeur amoureuse et leur malice à se glisser dans les caleçons (pants rabbits = morpions, également connus sous le sobriquet de graybacks), à la chienne (bitch = putain), à l'oiselle (Lennie en fuite, section Six : When a little bird skittered over the dry leaves behind him, his head jerked up).

George invente une histoire : Lennie aurait reçu un coup de pied d'un cheval ('He got kicked in the head by a horse when he was a kid.') a kick, in slang, is a strong feeling of excitement, pleasure etc. : He gets some kind of a kick out of making her suffer (= une sensation de plaisir : Il prend son pied en la faisant souffrir).

Curley a des fourmis dans le calcif ('Curley's pants is full of ants.').

Il y a même une grenouille couarde : 'You’re yella as a frog belly'.

La femme est un piège à rat ('she's a rattrap'), L'Ecclésiaste l'a dit :

Et je trouve plus amère que la mort, la femme, car elle est un piège, son cœur un filet, et ses bras des chaînes.

Ec, 7, 26

 

Pauvre chiot (puppy) ! La femme de Curley (le seul personnage qui n'ait pas de nom) le dit : 'He was jus' a mutt.' un bâtard, comme Lennie.

 

- - -

 

DOCUMENTS

 

Steinbeck's Master Mason certificate

* John Steinbeck's Master Mason certificate, Salinas Masonic Temple Archives

 

* * *

 

** Robert Burns, To a Mouse, on Turning Her Up in Her Nest with the Plough

 

Burns original

Standard English translation

Wee, sleekit, cow'rin, tim'rous beastie,

O, what a panic's in thy breastie!

Thou need na start awa sae hasty

Wi bickering brattle!

I wad be laith to rin an' chase thee,

Wi' murdering pattle.

 

I'm truly sorry man's dominion

Has broken Nature's social union,

An' justifies that ill opinion

Which makes thee startle

At me, thy poor, earth born companion

An' fellow mortal!

 

I doubt na, whyles, but thou may thieve;

What then? poor beastie, thou maun live!

A daimen icker in a thrave

'S a sma' request;

I'll get a blessin wi' the lave,

An' never miss't.

 

Thy wee-bit housie, too, in ruin!

It's silly wa's the win's are strewin!

An' naething, now, to big a new ane,

O' foggage green!

An' bleak December's win's ensuin,

Baith snell an' keen!

 

Thou saw the fields laid bare an' waste,

An' weary winter comin fast,

An' cozie here, beneath the blast,

Thou thought to dwell,

Till crash! the cruel coulter past

Out thro' thy cell.

 

That wee bit heap o' leaves an' stibble,

Has cost thee monie a weary nibble!

Now thou's turned out, for a' thy trouble,

But house or hald,

To thole the winter's sleety dribble,

An' cranreuch cauld.

 

But Mousie, thou art no thy lane,

In proving foresight may be vain:

The best-laid schemes o' mice an' men

Gang aft agley,

An' lea'e us nought but grief an' pain,

For promis'd joy!

 

Still thou are blest, compared wi' me!

The present only toucheth thee:

But och! I backward cast my e'e,

On prospects drear!

An' forward, tho' I canna see,

I guess an' fear!

Small, crafty, cowering, timorous little beast,

O, what a panic is in your little breast!

You need not start away so hasty

With argumentative chatter!

I would be loath to run and chase you,

With murdering plough-staff.

 

I'm truly sorry man's dominion

Has broken Nature's social union,

And justifies that ill opinion

Which makes you startle

At me, your poor, earth born companion

And fellow mortal!

 

I doubt not, sometimes, but you may steal;

What then? Poor little beast, you must live!

An odd ear in twenty-four sheaves

Is a small request;

I will get a blessing with what is left,

And never miss it.

 

Your small house, too, in ruin!

Its feeble walls the winds are scattering!

And nothing now, to build a new one,

Of coarse grass green!

And bleak December's winds coming,

Both bitter and keen!

 

You saw the fields laid bare and wasted,

And weary winter coming fast,

And cozy here, beneath the blast,

You thought to dwell,

Till crash! the cruel plough passed

Out through your cell.

 

That small bit heap of leaves and stubble,

Has cost you many a weary nibble!

Now you are turned out, for all your trouble,

Without house or holding,

To endure the winter's sleety dribble,

And hoar-frost cold.

 

But little Mouse, you are not alone,

In proving foresight may be vain:

The best laid schemes of mice and men

Go often awry,

And leave us nothing but grief and pain,

For promised joy!

 

Still you are blessed, compared with me!

The present only touches you:

But oh! I backward cast my eye,

On prospects dreary!

And forward, though I cannot see,

I guess and fear!

 

* * *

 

Les gens épouvantés

Fuient le mal qui est en eux

Quand vous en croisez un dans le désert

Il trouve encore moyen de détourner les yeux

Car son frère lui fait peur

Il a honte de son frère

Alors il se précipite en pleurant

Dans les bras du premier Colonel Papa venu

Qui lui jure la guerre

Qui lui promet torture et prison

Pour celui qui a fait à son rejeton

L'affront d'un regard

L'affront d'un regard d'amour

 

Alertez les bébés !

Alertez les bébés !

 

*** Jacques Higelin, Alertez les bébés !, 1976

 

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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 23:01

 

Scribulations, la revue qui a tout d'un grand livre, est parue dans sa version 2013 !

 

23e Salon de la Revue

Venez la découvrir au 23e Salon de la Revue.

 

Scribulations

Textes d'atelier

Date de création : 2008

Editeur : En.Ligne.Editions

Adresse : 291, rue Montesquieu F-69400 Villefranche-sur-Saône

Courriel : jean-marie-dutey[at]hotmail.fr

Site internet : http://scribulations.over-blog.com

Portail : http://scribulations.fr

ISSN papier : 1967-7669

Thème : Création littéraire

 

Scribulations est une revue littéraire au format livre. Elle crée une nouvelle passerelle entre les auteurs et le public en proposant justement de publier les meilleurs textes issus d'Ateliers d'écritures divers et variés.

Fiche Salon de la Revue

 

Scribulations 1-13, p. 149

On y voit la patte de Lou.

 

 

 

Vous y verrez également les ours, les otaries, les acrobates, et madame Cat, la boule de cristal, le tarot, le marc de café !

 

Salon-de-la-revue-2012---Laure-et-Cat

Scribulations au Salon de la revue 2012 à Paris, Laure et Cat

Madame Cat avait prédit le naufrage de La Méduse et la mort du président Félix Faure !

 

Et encore, les antipodistes, les singes et les poissons volants !

 

Salon-de-la-revue-2012---Laure--Cat-et-MiKla

Laure, Cat et MiKla

 

Les Iroquois, les bisons, le Vaisseau fantôme, la Flûte enchantée,

 

Salon-de-la-revue-2012---Jimidi--Aymeric--Marie-L

Jimidi, Aymeric, Marie-L.

 

et le petit Sam Collins, le propre fils de Buffalo Bill !

 

Salon-de-la-revue-2012---Jimidi

Jean-Marie Dutey

 

Il reste encore quelques exemplaires de cette précieuse pierre de mots, à commander chez l'éditeur (voir ci-dessus et fiche Salon de la Revue), pour 10 euros, frais de port offerts, marque-page offert, dédicace offerte !

 

– [Jimidi] Tu mens comme moi !

– [Lou] Oui, mais moi, on me croit !

 

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4 octobre 2013 5 04 /10 /octobre /2013 23:01

 

A Yiddishe Mamme, air traditionnel juif arrangé et orchestré par Dov Seltzer, Orchestre philharmonique d'Israël, Itzhak Perlman, violon, dir. Dov Seltzer, 1990

 

Will Eisner, Le Complot

Will Eisner, Le Complot, l'histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion, Introduction de Umberto Eco, Grasset, 2005

 

Will Eisner

William Erwin Eisner est né à Brooklyn le 6 mars 1917, dans une famille d'immigrants juifs. Son père avait été étudiant en beaux-arts à Vienne dans les années 1900, sa mère était d'origine roumaine. L'un des premiers de la bande dessinée américaine, il est notamment le créateur du Spirit et l'inventeur du roman graphique (graphic novel, selon le terme donné par Eisner).

 

Définitions

 

Complot. n. m. (XIIe, « rassemblement de personnes » ; o. i. - origine incertaine). Projet concerté secrètement contre la vie, la sûreté de qqn, contre une institution.

 

Vrai, vraie. adj. Qui présente un caractère de vérité.

 

Faux, fausse. adj. Qui n'est pas vrai, qui est contraire à la vérité (pensable, constatable).

 

Vrai-faux. adj. Se dit de documents établis par une autorité administrative compétente mais portant une fausse identité.

fam. Se dit de quelque chose qui n'est pas ce qu'il paraît être.

 

Sergei-Nilous--Le-Grand-dans-le-Petit_357.jpg

Première édition des Protocoles des Sages de Sion, parue dans l'ouvrage Le Grand dans le Petit, l'Antéchrist est une possibilité politique imminente, de Sergei Nilous, 1905

 

Maurice Joly

Maurice Joly, né à Lons-le-Saunier le 22 septembre 1829 et mort à Paris le 14 juillet 1878, est un avocat du barreau de Paris, journaliste et écrivain pamphlétaire.

En 1864, après la publication du Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, il est condamné à deux ans de prison à Sainte-Pélagie, pour « excitation à la haine et au mépris du gouvernement ». Rejeté ensuite par les républicains comme par les bonapartistes, il ne pourra plus obtenir un poste de responsabilité. Il se suicide le 14 juillet 1878.

 

En 1974, il fit paraître un livre "Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu"... Il entendait comparer Napoléon III à Machiavel, l'infâme auteur du "Prince", traité sur l'acquisition du pouvoir.

Will Eisner, Le Complot

 

On notera l'erreur de date...

 

Will Eisner n'a pas lu Machiavel, ou bien il n'a pas compris.

Quelques mots seulement, puisque l’œuvre du Florentin n'est pas notre sujet premier.

A propos de Machiavel, Jean-Jacques Rousseau écrit : « En feignant de donner des leçons aux rois, il en a donné de grandes aux peuples. Le Prince est le livre des républicains. »

Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, III, 6, note

Will Eisner n'a pas compris non plus Maurice Joly, ce qui paraît naturel.

Maurice Joly écrit un pamphlet contre Napoléon III, et plus généralement contre les tyrans, et pour appeler à la République. A cette fin, il reprend le propos de Machiavel, invitant, dans Le Prince, à œuvrer pour la République, contre le Prince dévoyé qui n'a plus que le souci de lui-même et non celui du peuple.

 

Le Complot retrace l'histoire d’un document fabriqué sur commande, en 1898, par un faussaire russe, Mathieu Golovinski, et présenté sous le titre Protocoles des Sages de Sion. Le projet était de mettre à la charge des Juifs les troubles sociaux conduisant à la révolution. Il s'agissait de détacher le tsar de ses conseillers libéraux en lui montrant où menait le libéralisme, issu d'un complot juif.

Le pamphlet de Maurice Joly fut ainsi repris, avec de très légères variantes, par le faussaire.

L'escroquerie fut dénoncée dès 1921. L’ouvrage a pourtant continué à être imprimé. Henry Ford l'a fait paraître en feuilleton dans son journal, le Dearborn Independent.

Dans Mein Kampf, Hitler en dit ceci : Les « Protocoles des sages de Sion », que les Juifs renient officiellemernt avec une telle violence, ont montré d'une façon incomparable combien toute l'existence de ce peuple repôse sur un mensonge permanent. « Ce sont des faux », répète en gémissant la Gazette de Franckfort et elle cherche à en persuader l'univers ; c'est là la meilleure preuve qu'ils sont authentiques.

On appréciera l'argument.

On trouve cette note de Joseph Goebbels dans ses carnets, volume 13 : « ...en les lisant aujourd’hui, j’estime que nous pouvons très bien les utiliser. Les Protocoles sont aussi modernes aujourd’hui qu’ils l’étaient quand ils ont été publiés la première fois ! J’en ai parlé à midi au Fürher. Il les croit absolument authentiques. »

 

Le livre est encore réimprimé dans les pays arabes et en Amérique Latine.

 

Dans son introduction, Umberto Eco aborde essentiellement l'aspect littéraire de la question. Il rappelle que le « plan juif » de conquête du monde suit le plan jésuitique dévoilé par Eugène Sue dans Le Juif errant, puis dans Les Mystères du peuple.

Il renvoie également à Hermann Gödsche, Biarritz, qu'il évoque dans Le Cimetière de Prague.

 

Passons sur la méconnaissance de Will Eisner à propos de Machiavel et de Maurice Joly, et voyons les arcanes du complot.

 

Les Juifs seraient à l'origine du libéralisme mondial, ils détiendraient les clefs de la finance et de la banque.

 

Les Juifs constituent aussi une puissance économique internationale. Dispersés un peu partout, unis à leurs congénères par les liens de leur religion, qui leur vaut humiliations et persécutions, ils se trouvent placés dans des conditions particulièrement favorables pour se livrer à d’importants échanges commerciaux et financiers. C’est à tort qu’on les a crus longtemps voués uniquement aux transactions financières ; jusqu’au XIIIe siècle surtout, ils font encore plus le commerce des marchandises que le commerce de l’argent, comme le démontre très fortement MM. Moses, Hofmann et Kulischer.

Henri Sée, Les Origines du capitalisme moderne, Armand Colin, 1926

 

Werner Sombart, Le Capitalisme moderne, 1928, décrit le même ordre du monde, développé par les Lombards et les Juifs, non soumis aux contraintes religieuses du catholicisme.

 

Qu'en est-il ?

 

Regardons les quatre-vingts premiers du classement Forbes, The world's billionaires.

 

Carlos Slim Helu & family, $73 B ; Bill Gates, $67 B ; Amancio Ortega, $57 B ; Warren Buffett, $53.5 B ; Larry Ellison, $43 B ; Charles Koch, $34 B ; David Koch, $34 B ; Li Ka-shing, $31 B ; Liliane Bettencourt & family, $30 B ; Bernard Arnault & family, $29 B ; Christy Walton & family, $28.2 B ; Stefan Persson, $28 B ; Michael Bloomberg, $27 B ; Jim Walton, $26.7 B ; Sheldon Adelson, $26.5 B ; Alice Walton, $26.3 B ; S. Robson Walton, $26.1 B ; Karl Albrecht, $26 B ; Jeff Bezos, $25.2 B ; Larry Page, $23 B, Google ; Sergey Brin, $22.8 B, Google ; Mukesh Ambani, $21.5 B ; Michele Ferrero & family, $20.4 B  ; Lee Shau Kee, $20.3 B ; David Thomson & family, $20.3 B  ; Prince Alwaleed Bin Talal Alsaud, $20 B ; Carl Icahn, $20 B ; Thomas & Raymond Kwok & family, $20 B ; Dieter Schwarz, $19.5 B ; George Soros, $19.2 B ; Theo Albrecht, Jr. & family, $18.9 B ; Alberto Bailleres Gonzalez & family, $18.2 B ; Jorge Paulo Lemann, $17.8 B ; Alisher Usmanov, $17.6 B ; Iris Fontbona & family, $17.4 B ; Forrest Mars, Jr., $17 B ; Jacqueline Mars, $17 B ; John Mars, $17 B ; Georgina Rinehart, $17 B ; German Larrea Mota Velasco & family, $16.7 B ; Mikhail Fridman, $16.5 B ; Lakshmi Mittal, $16.5 B ; Aliko Dangote, $16.1 B ; Len Blavatnik, $16 B ; Cheng Yu-tung, $16 B ; Joseph Safra, $15.9 B ; Rinat Akhmetov, $15.4 B ; Leonid Mikhelson, $15.4 B ; Leonardo Del Vecchio, $15.3 B ; Michael Dell, $15.3 B ; Steve Ballmer, $15.2 B ; Viktor Vekselberg, $15.1 B ; Paul Allen, $15 B ; Francois Pinault & family, $15 B ; Vagit Alekperov, $14.8 B ; Phil Knight, $14.4 B ; Andrey Melnichenko, $14.4 B ; Dhanin Chearavanont & family, $14.3 B ; Susanne Klatten, $14.3 B ; Vladimir Potanin, $14.3 B ; Michael Otto & family, $14.2 B ; Vladimir Lisin, $14.1 B ; Gennady Timchenko, $14.1 B ; Luis Carlos Sarmiento, $13.9 B ; Mohammed Al Amoudi, $13.5 B ; Tadashi Yanai & family, $13.3 B ; Mark Zuckerberg, $13.3 B, Facebook ; Henry Sy & family, $13.2 B ; Donald Bren, $13 B ; Serge Dassault & family, $13 B ; Lee Kun-Hee, $13 B ; Mikhail Prokhorov, $13 B ; Alexey Mordashov, $12.8 B ; Antonio Ermirio de Moraes & family, $12.7 B ; Abigail Johnson, $12.7 B ; Ray Dalio, $12.5 B ; Robert Kuok, $12.5 B ; Miuccia Prada, $12.4 B ; Ronald Perelman, $12.2 B ; Anne Cox Chambers, $12 B

 

Arrêtons-nous à 12 milliards de dollars, avec Anne Cox Chambers, que l'on ne confondra pas avec Courtney Cox (Monica Geller in Friends), ashkénaze, également, et charmante.

 

Courtney Cox

 

Faisons le point.

 

Selon une étude réalisée par le professeur Sergio DellaPergola de l’Université hébraïque de Jérusalem, bien que la population mondiale a augmenté de 1,26 pour cent et a franchi le cap des sept milliards, le taux de croissance du peuple juif était significativement plus faible à 0,65 %. Au total, une personne sur 514 dans le monde est juif – moins de 0,2 % de l’humanité, selon des extraits de l’étude publiée dans Maariv dimanche.

JSSNews

 

JSSNews.com est un webzine d’opinion israélien. Il a été fondé par Jonathan-Simon Sellem en 2008 dans le but d’apporter « une information israélienne en français pour les francophones du monde entier – à la différence de la plupart des médias qui traitent du Proche-Orient avec des journalistes qui ne connaissent ni la région, ni ses réalités, ni ses problématiques. »

JSSNews est le premier média israélien francophone en termes d’audience depuis février 2011.

Notre devise est « libre de penser autrement », elle a été adoptée en raison de notre attachement aux valeurs du sionisme.

 

Nous ne vous ferons pas l'injure d'un cours d'onomastique ni d'un calcul statistique extrêmement simple. Selon JSSNews, la source la plus fiable, les Juifs représentent 0,2 % de l'humanité. En quelle proportion figurent-ils parmi les quatre-vingts premiers milliardaires du monde ?

 

Violences, ruses, guerres, révolutions.

 

Avertissement [Wikisource]: Les Protocoles des Sages de Sion est un document écrit à la fin du XIXe siècle à Paris par un faussaire antisémite russe, Mathieu Golovinski. L’auteur a voulu faire croire qu’il s’agissait d’un programme mis au point par un conseil de sages juifs voulant anéantir la chrétienté et dominer le monde. Le livre simule des comptes rendus d’une vingtaine de réunions secrètes exposant un plan secret de domination du monde. Ce plan imaginaire utiliserait violences, ruses, guerres, révolutions et s’appuierait sur la modernisation industrielle et le capitalisme pour installer un pouvoir juif. La publication à grande échelle de ce texte prétendait dévoiler ce complot.

 

Septième protocole

 

Nous devons être à même de répondre à toute opposition par une déclaration de guerre du pays voisin de l’État qui ose se mettre en travers de notre route ; mais si ces voisins, à leur tour, devaient se décider à s’unir contre nous, il faudrait leur répondre en déchaînant une guerre mondiale.

 

Qu'en est-il ?

 

Groupe Dassault Holding 700

 

Groupe Dassault : Nos valeurs.

 

Valeur essentielle du Groupe Dassault, la Passion, sans laquelle rien de grand ne peut se faire, est avant tout la capacité de repousser sans cesse les limites, de remettre en cause les certitudes… c’est la volonté de concevoir des solutions inédites et de déployer de l’enthousiasme pour les réaliser.

L’innovation naît de la rencontre entre la passion et l’audace.

Dans tous les métiers du Groupe, l’Excellence est un critère indéfectible de son savoir-faire et de son professionnalisme.

L’Engagement est une valeur fondatrice et pérenne du Groupe Dassault. Il se situe au cœur de l’entreprise depuis ses origines et s’exprime de multiples façons, notamment dans la compréhension des besoins et des attentes de ses clients.

 

A400M

 

L’A400M Atlas, enfin !

AéroBuzz, 30 septembre 2013

Airbus Military a officiellement livré à la France, le premier A400M des 174 qu’il a en commande.

C’est un aboutissement d’importance majeure : l’armée de l’Air française dispose depuis le début de la semaine du premier de ses 50 A400M, limité à un statut opérationnel initial, prélude à une entrée en service lente et progressive. D’ici à 2019, c’est-à-dire au terme de la période couverte par la prochaine loi de programmation militaire, 15 exemplaires seulement lui seront livrés, comme s’il s’agissait d’apprendre la patience aux militaires.

 

Des guerres programmées jusqu'au-delà de 2019.

 

La Direction générale de l'armement investit chaque année 16 milliards d'euros dans des matériels militaires.

 

LPM 2014-2019

 

Projet de loi relatif à la programmation militaire (LPM) pour les années 2014-2019.

Il est prévu une sanctuarisation du budget de la Défense : le président de la République a décidé de le maintenir à son niveau actuel durant trois ans, soit 31,4 Md€, avant qu’il n’augmente légèrement en deuxième période.

 

Le Monde, 10 septembre 2013

Le budget national diminuant, le gouvernement exhorte les entreprises du secteur à exporter massivement : "Nous n'avons pas le choix, il faut vendre à l'étranger", explique-t-on à la Direction générale de l'armement, qui investit chaque année 16 milliards d'euros dans des matériels militaires.

 

Spéculation.

 

Sixième protocole

 

Il faut qu’en même temps nous protégions le plus possible le commerce et l’industrie, et tout particulièrement la spéculation, dont le principal rôle est de servir de contrepoids à l’industrie.

Sans la spéculation, l’industrie accroîtrait les capitaux privés et tendrait à relever l’agriculture en affranchissant la terre de dettes et d’hypothèques avancées par les banques agricoles. Il est essentiel que l’industrie draine toutes les richesses de la terre et que la spéculation verse entre nos mains ces mêmes richesses ainsi captées. Par ce moyen, tous les Gentils seront jetés dans les rangs du prolétariat. Alors, les Gentils se courberont devant nous pour obtenir le droit d’exister.

 

Qu'en est-il ?

 

Le cartel de la réserve fédérale : les huit familles

Le HuffingtonPost, 07 juin 2011

 

McCalister, un membre éminent de l’industrie du pétrole avec des entrées dans la maison des Saouds, écrivit dans le Grim Reaper, qu’il a obtenu des informations de banquiers saoudiens, qui citaient le fait que 80% de la banque fédérale de New York, de loin la plus puissante branche de la réserve fédérale, étaient détenus par seulement huit familles, dont quatre résidant aux Etats-Unis. Ce sont les familles Goldman Sachs, Rockefeller, Lehman et Kuhn Loeb de New York, les Rothschild de Paris et de Londres, les Warburg de Hambourg, les Lazard de Paris et les Israël Moses Seif de Rome.

 

Droits du peuple, droits républicains.

 

Maurice Joly, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, 1864

 

Quatrième dialogue

 

MACHIAVEL.

Attendez : Dans vos calculs, vous n'avez compté qu'avec des minorités sociales. Il y a des populations gigantesques rivées au travail par la pauvreté, comme elles l'étaient autrefois par l'esclavage. Qu'importent, je vous le demande, à leur bonheur toutes vos fictions parlementaires ? Votre grand mouvement politique n'a abouti, en définitive, qu'au triomphe d'une minorité privilégiée par le hasard comme l'ancienne noblesse l'était par la naissance. Qu'importe au prolétaire courbé sur son labeur, accablé sous le poids de sa destinée, que

quelques orateurs aient le droit de parler, que quelques journalistes aient le droit d'écrire ? Vous avez créé des droits qui resteront éternellement pour la masse du peuple à l'état de pure faculté, puisqu'il ne saurait s'en servir. Ces droits, dont la loi lui reconnaît la jouissance idéale et dont la nécessité lui refuse l'exercice réel, ne sont pour lui qu'une ironie amère de sa destinée.

 

TROISIÈME PROTOCOLE

 

Les gens sont asservis, à la sueur de leur front, dans la pauvreté, d’une manière plus formidable qu’au temps des lois du servage. De celui-ci, ils pouvaient se libérer d’une manière ou de l’autre, tandis que rien ne les affranchira de la tyrannie du besoin absolu. Nous avons eu soin d’insérer, dans les Constitutions, des droits qui sont pour la masse purement fictifs. Tous les soi-disant « droits du peuple » ne peuvent exister que sous forme d’idées inapplicables en pratique.

Qu’importe à un ouvrier prolétaire, courbé en deux par un dur labeur et opprimé par son sort, qu’un bavard obtienne le droit de parler, ou un journaliste celui de publier une sottise quelconque ? A quoi sert une Constitution au prolétariat s’il n’en retire d’autre avantage que les miettes que nous lui jetons de notre table, en échange de ses votes pour l’élection de nos agents ? Les droits républicains sont une ironie pour le pauvre, car la nécessité du travail quotidien l’empêche d’en retirer aucun avantage, et ils ne font que lui enlever la garantie de salaire fixe et assuré, le rendant dépendant des grèves des patrons et des camarades.

 

Que dire ?

 

Hypothèses.

 

1. Les Protocoles sont un faux, en vue de discréditer les Juifs auprès du tsar en montrant l'aboutissement programmé de leurs idées libérales (en économie) et républicaines (en politique). Ils seraient l’œuvre de conservateurs traditionalistes, opposés à la modernité.

 

1.1. Si les Protocoles sont un faux, les Juifs n'ont pas de visées libérales en économie et en politique.

1.2. Si les Juifs ont un projet économique et politique conforme à celui qui est présenté dans les Protocoles, ceux-ci ne sont pas un faux – quel qu'en soit l'auteur.

 

Il résulte de cet examen que si l'on condamne les Juifs pour leurs idées libérales et républicaines, on soutient implicitement la politique du Prince. Ou bien si, comme Will Eisner, on considère que les Protocoles sont une œuvre de diffamation, on soutient que les Juifs conduisent la politique du Prince, contre la modernité et la République.

 

2. Les Protocoles sont un faux, mais sa diffusion ne profite pas à ceux qui condamnent les Juifs.

Notre époque est libérale et républicaine, certains peuples sont en guerre pour en obtenir la reconnaissance, la volonté de discréditer les Sages de Sion se retourne contre leurs ennemis.

Cela était déjà vrai au temps de Nicolas II où la Russie était un pays moderne bien loin de son Moyen-Age.

Il est curieux qu'un groupe de mercenaires politiques ait eu le projet de rédiger un faux pour abattre le cours de la modernité et du libéralisme à l’œuvre : leur projet était anachronique.

 

cf. Georges Solovieff, Souo̓uk-Sou : une saga russe, 1865-1935, L'Harmattan, 2001 :

 

Son règne et celui de son père correspondent à l'époque du plus grand essor dans l'histoire de la Russie des points de vue économique, social, politique et culturel. Les serfs sont libérés pendant le règne de son grand-père Alexandre II et les impôts sont allégés. Piotr Stolypine réussit à développer une classe de paysans riches, les koulaks. La population triple et la Russie, avec 175 millions d'habitants, devient la troisième ou quatrième puissance économique mondiale et possède le premier réseau ferroviaire après les États-Unis. Le rouble devient une monnaie convertible et outre un nombre important de marchands et d'industriels, l'Empire possède désormais ses propres financiers. Ils sont souvent des mécènes. La Russie prend, du temps de Nicolas II, la deuxième place dans le domaine de l'édition de livres. De nouvelles universités, des écrivains, sculpteurs, peintres, danseurs... sont à l'époque connus dans le monde entier.

 

« Nul doute qu'au train où croissait l'équipement industriel pendant les années du règne de Nicolas II, sans le régime communiste, la Russie eût déjà dépassé les États-Unis . »

Alexander Gerschenkron, cité par Marc Ferro, Nicolas II, Le grand livre du mois / Payot, 1990.

 

3. Les Protocoles profitent à ceux qui ont entrepris le développement moderne et libéral du monde et qui poursuivent leur œuvre.

On peut critiquer des idées, en particulier quand elles sont mises en action. Si des idées sont nuisibles au peuple, à la paix, à la planète, on sera en droit de condamner ceux à qui elles profitent.

 

Libellus propose le débat, sans réprouver ni encourager les valeurs du libéralisme.

 

Chacun verra, en fonction de ses valeurs personnelles et de ses choix politiques, ce qu'il lui revient de faire pour défendre ou condamner ceux qui sont à l'origine du libéralisme au Moyen-Age et en conduisent l'expansion à notre époque.

 

Les Protocoles ont déjà été évoqués sur Libellus à propos d'Umberto Eco, Le Cimetière de Prague.

 

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28 septembre 2013 6 28 /09 /septembre /2013 23:03

 

Michel Tremblay, Bonjour, là, bonjour

Michel Tremblay, Bonjour, là, bonjour, Leméac, première édition, 1974

 

Michel Tremblay, Lois Siegel, ca 1980

Michel Tremblay, ca 1980

 

N°1 TRIO

ARMAND – Pis, toujours, comment c'était, l'Europe ?

GILBERTE – Ma tante, à l'arait ben aimé ça, faire des voyages.

CHARLOTTE – Le rêve de ma tante, c'tait de faire le tour du monde.

ARMAND – C'est-tu aussi beau qu'y le disent ?

GILBERTE et CHARLOTTE – Mais ma tante, à l'a pas eu c'te chance-là.

ARMAND – T'sais que t'es chanceux, toé, hein ? T'es le premier de la famille à traverser l'Atlantique !

GILBERTE – Non...

ARMAND – Ah, y'a ben ton oncle Farnand, pendant la guerre, mais quand y'est arrivé là, tout était fini, pis y l'ont rechipé icitte aussitôt.

CHARLOTTE – Non, à l'a pas eu c'te chance-là, ma tante.

 

Le père, Armand, et les deux tantes, ses sœurs, accueillent Serge, le plus jeune des enfants (il a vingt-cinq ans), à son retour d'Europe où il vient de passer trois mois, pour se cultiver, peut-être, et pour prendre un autre point de vue sur sa situation familiale et amoureuse.

Gilberte et Charlotte disent ma tante : pour parler d'elles-mêmes ? ou se parler l'une à l'autre ? ou bien elles ne se parlent pas ?

Serge a quatre sœurs.

Lucienne, l'aînée, quarante-cinq ans, est mariée à un riche médecin, un Anglais successful, et elle a un amant, un ami de Serge, un grand noir, un p'tit jeune.

Denise est une boulimique décomplexée qui veut vivre plus pour s'empiffrer plus.

Monique est dépressive, elle se maintient grâce aux pelules, dont elle est gourmande.

Nicole, trente ans, vit avec son frère, Serge.

 

SERGE [à Lucienne] – T'es mariée avec un Bob, t'as un fils qui s'appelle Bobby, pis y fallait que tu tombes sur un chum qui s'appelle Robert !

 

Une cantatrice s'y arracherait les cheveux...

 

Les aînées sont amoureuses de Serge, elles se donnent comme une seconde moman, en rappelant les jeux d'enfants et les bains où elles le collaient avec sa sœur Nicole : ils étaient cute.

 

N°2 DUO

SERGE, trop fort, articulant trop pour se faire comprendre de son père – Ah, oui, c'est ben beau, Paris ! C'est une ville... extraordinaire ! C'est grand ! Euh... Partout ousque tu vas, c'est beau. Y'a pas de places laides. En tout cas, j'en ai pas vu. (Plus fort.) J'dis que j'ai pas vu de places laides ! Non, non, c'est pas ben large, la Seine... (Essayant de rire.) Ça a plutôt l'air d'une mare à canards que d'une rivière...

[…]

GILBERTE – J'pense qu'y t'entend pas, Serge. Son appareil est cassé, pis y est trop orgueilleux, pour te le dire.

 

Pourtant le père aime la musique ! autant que 'taverne...

 

N°3 OCTUOR

NICOLE, très lentement – Vas-tu r'venir rester avec moé ?

Serge se jette dans les bras de Nicole. Ils s'étreignent très longtemps.

SERGE – Oui... oui... oui !

NICOLE – J'me suis tellement ennuyée.

SERGE – Moé-si...

 

N°13 QUINTET

LUCIENNE – Tu dis rien. Tu pensais pas que ta sœur la plus vieille pouvait toute voir ça, hein ? Tu nous as toujours tellement pris pour des épais, dans 'famille !

SERGE – Chus t'en amour avec Nicole. Pis Nicole est en amour avec moé. C'est toute.

 

N°27 SOLO

NICOLE – Va falloir qu'on fasse quequ'chose pour popa. Serge, ça a pas de bon sens. Y peut pas rester tu-seul avec eux autres plus longtemps, là, c'est pus possible, y vont le rendre complètement fou !

N°29 OCTUOR

NICOLE – Ça fait que j'ai pensé... En se mettant tout le monde ensemble... on pourrait peut-être le placer...

SERGE – Jamais ! Ça, jamais !

N°30 OCTUOR

SERGE, criant presque – Nicole pis moé on veut que tu viennes rester avec nous autres.

 

N°31 DUO FINAL

ARMAND – Ça fait tellement longtemps que j'attends qu'un de mes enfants...

SERGE – Comme ça, c'est oui ?

ARMAND – J'vas y penser... sérieusement.

SERGE – Popa... y'a une chose grave... ben grave qu'y faut...

ARMAND – Laisse faire, mon garçon... laisse faire le reste. J'le sais, le reste.

 

Comme on le voit dans l'aperçu qui précède, les répliques ne semblent pas toujours se répondre, de manière linéaire. L'action se déroule en plusieurs lieux, Serge rend visite à chacun là où il vit, et pourtant, ils sont tous sur scène. De plus le temps du théâtre est fractionné et non pas suivi comme le temps de l'action.

Il s'agit d'une écriture polyphonique où les répliques sont liées comme les voix dans un canon.

 

Regardez, écoutez, comme l'idée d'une mise en œuvre du texte sur une scène.

 

Utopia Triumphans, Huelgas Ensemble, Paul Van Nevel 357

 

 

Johannes Ockeghem, Deo Gratias, canon à trente-six voix, XVe siècle, Huelgas Ensemble, Paul Van Nevel, 1995

 

On pourrait penser que le titre évoque la lassitude d'un monde désincarné où l'on ne se salue plus que par convention en liquidant prestement une corvée sociale.

En fait, il s'agit des deux dernières répliques de la pièce.

 

SERGE – Bonjour, là !

ARMAND – Bonjour.

 

C'est la première fois que Serge et son père se disent bonjour, la première fois peut-être qu'on se dit bonjour dans la famille.

 

> Lire la chronique de Karine.

 

> Remerciements à Yueyin qui nous a offert cette belle œuvre.

 

* * *

 

DOCUMENTS

 

Une autre histoire de famille.

 

Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve, 1950

Scène 1 (extrait)

 

M. SMITH, toujours dans son journal – Tiens, c’est écrit que Bobby Watson est mort.

Mme SMITH. – Mon Dieu, le pauvre, quand est-ce qu’il est mort ?

M. SMITH. – Pourquoi prends-tu cet air étonné ? Tu le savais bien. Il est mort il y a deux ans. Tu te rappelles, on a été à son enterrement, il y a un an et demi.

Mme SMITH. – Bien sûr que je me rappelle. Je me suis rappelé tout de suite, mais je ne comprends pas pourquoi toi-même tu as été si étonné de voir ça sur le journal.

M. SMITH. – Ça n’y était pas sur le journal. Il y a déjà trois ans qu’on a parlé de son décès. Je m’en suis souvenu par associations d’idées !

Mme SMITH. – Dommage ! Il était si bien conservé.

M. SMITH. – C’était le plus joli cadavre de Grande-Bretagne ! Il ne paraissait pas son âge. Pauvre Bobby, il y avait quatre ans qu’il était mort et il était encore chaud. Un véritable cadavre vivant. Et comme il était gai !

Mme SMITH. – La pauvre Bobby.

M. SMITH. – Tu veux dire « le » pauvre Bobby.

Mme SMITH. – Non, c’est à sa femme que je pense. Elle s’appelait comme lui, Bobby, Bobby Watson. Comme ils avaient le même nom, on ne pouvait pas les distinguer l’un de l’autre quand on les voyait ensemble. Ce n’est qu’après sa mort à lui, qu’on a pu vraiment savoir qui était l’un et qui était l’autre. Pourtant, aujourd’hui encore, il y a des gens qui la confondent avec le mort et lui présentent des condoléances. Tu la connais ?

M. SMITH. – Je ne l’ai vue qu’une fois, par hasard, à l’enterrement de Bobby.

Mme SMITH. – Je ne l’ai jamais vue. Est-ce qu’elle est belle ?

M. SMITH. – Elle a des traits réguliers et pourtant on ne peut pas dire qu’elle est belle. Elle est trop grande et trop forte. Ses traits ne sont pas réguliers et pourtant on peut dire qu’elle est très belle. Elle est un peu trop petite et trop maigre. Elle est professeur de chant.

 

La pendule sonne cinq fois. Un long temps.

 

Mme SMITH. – Et quand pensent-ils se marier, tous les deux ?

M. SMITH. – Le printemps prochain, au plus tard.

Mme SMITH. – Il faudra sans doute aller à leur mariage.

M. SMITH. – Il faudra leur faire un cadeau de noces. Je me demande lequel ?

Mme SMITH. – Pourquoi ne leur offririons-nous pas un des sept plateaux d’argent dont on nous a fait don à notre mariage à nous et qui ne nous ont jamais servi à rien ?

 

Court silence. La pendule sonne deux fois.

 

Mme SMITH. – C’est triste pour elle d’être demeurée veuve si jeune.

M. SMITH. – Heureusement qu’ils n’ont pas eu d’enfants.

Mme SMITH. – Il ne leur manquait plus que cela ! Des enfants ! Pauvre femme, qu’est-ce qu’elle en aurait fait !

M. SMITH. – Elle est encore jeune. Elle peut très bien se remarier. Le deuil lui va si bien.

Mme SMITH. – Mais qui prendra soin des enfants ? Tu sais bien qu’ils ont un garçon et une fille. Comment s’appellent-ils ?

M. SMITH. – Bobby et Bobby comme leurs parents. L’oncle de Bobby Watson, le vieux Bobby Watson est riche et il aime le garçon. Il pourrait très bien se charger de l’éducation de Bobby.

Mme SMITH. – Ce serait naturel. Et la tante de Bobby Watson, la vieille Bobby Watson pourrait très bien, à son tour, se charger de l’éducation de Bobby Watson, la fille de Bobby Watson. Comme ça, la maman de Bobby Watson, Bobby, pourrait se remarier. Elle a quelqu’un en vue ?

M. SMITH. – Oui, un cousin de Bobby Watson.

Mme SMITH. – Qui ? Bobby Watson ?

M. SMITH. – De quel Bobby Watson parles-tu ?

Mme SMITH. – De Bobby Watson, le fils du vieux Bobby Watson l’autre oncle de Bobby Watson, le mort.

M. SMITH. – Non, ce n’est pas celui-là, c’est un autre. C’est Bobby Watson, le fils de la vieille Bobby Watson la tante de Bobby Watson, le mort.

Mme SMITH. – Tu veux parler de Bobby Watson, le commis-voyageur ?

M. SMITH. – Tous les Bobby Watson sont commis-voyageurs.

Mme SMITH. – Quel dur métier ! Pourtant, on y fait de bonnes affaires.

M. SMITH. – Oui, quand il n’y a pas de concurrence.

Mme SMITH. – Et quand n’y-a-t-il pas de concurrence ?

M. SMITH. – Le mardi, le jeudi et le mardi.

Mme SMITH. – Ah ! trois jours par semaine ? Et que fait Bobby Watson pendant ce temps-là ?

M. SMITH. – Il se repose, il dort.

Mme SMITH. – Mais pourquoi ne travaille-t-il pas pendant ces trois jours s’il n’y a pas de concurrence ?

M. SMITH. – Je ne peux pas tout savoir. Je ne peux pas répondre à toutes tes questions idiotes !

Mme SMITH, offensée – Tu dis ça pour m’humilier ?

M. SMITH, tout souriant – Tu sais bien que non.

 

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28 septembre 2013 6 28 /09 /septembre /2013 23:01

 

Michel Tremblay, Au hasard la chance

Michel Tremblay, Au hasard la chance, Leméac/Actes Sud, 2012

 

Michel Tremblay

Michel Tremblay

 

Promesses jamais faites,

promesses jamais trahies.

Dicton japonais

 

Nous ne pouvons arracher une seule page de notre vie,

mais nous pouvons jeter le livre au feu.

George Sand

 

Ottawa, 1925

Ti-Lou prend sa retraite

 

A la mort du docteur McKenny, Ti-Lou a connu un moment de panique. Qui allait s'occuper d'elle dorénavant, s'inquiéter de l'état de son diabète, la chicaner quand elle avouerait s'être encore empiffrée de Cherry Delights fournis avec un sadisme conscient ou non par ses clients qui connaissaient sa faiblesse et qui voulaient lui faire plaisir ?

[...]

Vous m'enfirouapez depuis vingt-cinq ans, madame Ti-Lou, vous me faites rire, vous détournez la conversation quand j'essaie d'être un tant soit peu sérieux, vous entrez ici en virevoltant comme un papillon soul et vous sortez en esquissant des pas de danse, mais pendant ce temps-là, votre santé se détériore et vous ne faites rien. Si vous n'avez pas peur, moi oui.

 

Ti-Lou est une fière guidoune, une demi-mondaine, une charrue de haut vol.

Après une belle et lucrative carrière au Château Laurier, dans la suite royale où elle a reçu les grands de ce monde, Louise Wilson, la Louve d’Ottawa, rentre à Montréal pour y prendre sa retraite. Elle n'emporte que deux bagages contenant sa fortune en billets, elle s'enfuit.

 

A Montréal, elle s'en remettrait alors au hasard […], lire des romans de gare ou Tolstoï, ou bien se consacrer à l'écoute des disques de Beniamino Gigli […] dans les sanglots de Paillasse ou les adieux de Turiddu à sa mère.

 

 

Ruggero Leoncavallo, Pagliacci, 1892, int. Beniamino Gigli, chœur et orchestre de La Scala, Milan, dir. Franco Ghione, 1934

 

 

Pietro Mascagni, Cavalleria Rusticana, Mamma, Beniamino Gigli, orchestre et chœur de La Scala, Milan, dir. Pietro Mascagni, 1940

 

Premier hasard

Hôtel Windsor

 

Elle rencontre un jeune porteur de la gare Windsor qui veut bien porter ses deux valises jusqu'à l'hôtel Windsor, à côté. Elle loue la Suite Royale pour la nuit. Elle rit devant la prétention des lieux, le mauvais goût, les dorures partout.

Pour une putain royale, peut-être, pense-t-elle, pas pour un roi.

Ti-Lou veut prendre l'air. Le square Dominion est devant l'hôtel.

Le lendemain, tous les journaux de Montréal portent la même nouvelle en première page : LE MANIAQUE AU RASOIR FRAPPE ENCORE !

 

Second hasard

Paradise

 

Retour vers le passé. Ti-Lou veut prendre l'air. Le groom lui indique le chemin vers Dorchester et Saint-Laurent. Elle prend un taxi jusqu'au Paradise, un cabaret franchement décrépi où travaille sa cousine Maria. Elle y retrouve, par hasard, un vieil ami, le sénateur Pierre-Gilles Morin. Le lendemain, elle quitte l'hôtel pour se rendre à son appartement, déserté depuis longtemps, boulevard Saint-Joseph.

Le sénateur vient la voir avec une brassée de fleurs. Il doit repartir... sa femme... malade.

Ti-Lou est seule, vieillie, fanée, déjà morte.

 

Troisième hasard

Un partenaire inattendu

 

En sortant de l'ascenseur, au rez-de-chaussée, elle se jette sur le premier groom qu'elle croise.

C'est toujours la même séquence, et ce n'est pas la même histoire.

Des personnages se croisent dans les couloirs d'un palace, ils croient parfois se reconnaître, se connaissent-ils ?

Un récit à la manière de celui de L’Année dernière à Marienbad. On dirait un roman, un roman cinématographique.

Reprenons.

« Excusez-moi, mais le bar est où ? »

Elle ne peut être admise seule au bar, elle se sent vivre à l'époque victorienne !

Elle rencontre alors un homme, de son âge, qui l'invite.

Elle commande un Between The Sheets,

Between The Sheets

et lui, un double Martini.

Double Martini 

 

Albert est... un gigolo... pour les hommes.

« Me feriez-vous l'honneur, madame Ti-Lou, de manger avec moi ? Leur chateaubriand bouquetière est célèbre dans tout Montréal. »

La salle à manger est détestable, clinquante, chic. La nourriture y est excellente.

Albert lui propose une association, pour le fun et la recette. Elle n'est pas intéressée, et pourtant... si, pour une fois, elle avait trouvé un ami ?

 

Quatrième hasard

Une virago d'Ottawa

 

En sortant de l'ascenseur, au rez-de-chaussée, elle se jette sur le premier groom qu'elle croise.

« Excusez-moi, la salle à manger, c'est où ? »

[...]

Elle commande un verre de vin blanc et une douzaine d'huîtres.

Une femme d'un autre âge, ridicule de son maquillage et de sa vulgarité, vient s'asseoir en face d'elle. Juanita St-Clair, l'épouse d'un de ses plus fidèles clients, un sénateur. La bourgeoise grotesque et pitoyable recrache tout le fiel qu'elle a secrété pendant vingt-cinq ans d'infidélité de son mari.

Tranquillement, Ti-Lou déguste ses huîtres, elles sont parfaites.

Les deux femmes se séparent.

La Louve veut prendre l'air au parc. Le portier la met en garde : depuis quelque temps sévit le maniaque au rasoir.

Un homme promène son chien...

Le lendemain, on peut lire dans tous les journaux de Montréal : LE MANIAQUE AU RASOIR FRAPPE ENCORE ! La victime est la femme d'un sénateur d'Ottawa, madame Juanita St-Clair, dans le square Dominion, devant le Lion de Belfort […]. Ti-Lou... ne l'a jamais su.

 

Cinquième hasard

Un policier accomodant

 

Ti-Lou est arrivée à la gare de Montréal. Elle prend un taxi pour rejoindre son appartement, inoccupé depuis longtemps. Elle a oublié les clefs à Ottawa.

Un policier obligeant lui porte assistance, il prend soin de ses bagages tandis qu'elle appelle le propriétaire pour la dépanner.

Maurice, Maurice Trottier, c'est son nom, le policier, l'invite à dîner.

Il y eut un dîner, il y eut un petit-déjeuner, ils virent que cela était bon.

Un an plus tard, Maurice a entièrement rénové l'appartement. Pour la première fois de sa vie, Louise est avec un homme qui l'aime et qui ne paie pas pour cela.

Sa cousine Maria lui apprend qu'on vient de pogner le maniaque au rasoir, c'était un homme qui promenait son chien.

 

La fin est très belle. Mais ce n'est peut-être encore qu'une hypothèse.

 

Ti-Lou n'est pas le jouet du hasard, chaque hypothèse vient d'un choix qu'elle fait librement : passer une première nuit à l'hôtel, aller au bar, ou au cabaret, ou au restaurant, ou immédiatement chez elle, prendre un taxi ou se promener à pied. Le tout est de saisir sa chance.

 

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24 septembre 2013 2 24 /09 /septembre /2013 23:01

 

Richard Ste-Marie, L'Inaveu

Richard Ste-Marie, L'Inaveu, Alire, 2012

Illustration de couverture : Bernard Duchesne

 

Richard Ste-Marie

 

Ce n’est pas le mal, mais le bien,

qui engendre la culpabilité.

Jacques Lacan

 

Les bons romans portent

sur le combat entre le bien et le mal,

et la traversée des apparences vers la réalité.

Iris Murdoch

 

Il avait déjà parlé à la fillette. Quatre ou cinq fois. Ils habitaient la même rue. À trois heures de l’après-midi, il la croisa en voiture alors qu’elle marchait sur le trottoir, avenue Laval, en direction de l’avenue du Mont-Royal. Il reconnut la veste K-Way bleu pâle avec le numéro 8 maladroitement brodé sur le bras gauche. Juste comme il arrivait à sa hauteur, la petite entreprit de traverser la rue. Sans regarder. Il klaxonna et freina à bloc. Elle eut à peine le temps de remonter sur le trottoir. Il s’arrêta net et se précipita hors de la voiture pour la retrouver parce qu’elle s’était recroquevillée. Il craignait de l’avoir touchée.

Elle pleurait.

 

Il emmène la fillette au K-Way bleu pâle marqué du chiffre 8. Sa voiture est une Chevrolet Bel Air 1973 bleu pâle ou grise. Comme celle de Georges Duchesne.

 

Francis Pagliaro regardait les voitures circuler au ralenti dans l’incandescence de l’avenue Papineau à l’approche du pont Jacques-Cartier, sept étages plus bas.

[…]

Il aimait assez ces heures de la journée, surtout en hiver, quand la pièce était plongée dans l’obscurité, à peine éclairée en jaune par la lampe banquier de son bureau.

 

C’est une sorte de lampe de sanctuaire…

Enfin, j’ai souvent pensé qu’il s’agissait plutôt de la lampe allumée du confessionnal…

 

Régis Duchesne a trouvé, en rassemblant les effets personnels de son père, mort du cancer il y a quelque temps, un album de photos dans lequel sont rassemblées des coupures de journaux qui témoignent, sur plusieurs décennies, de crimes ayant eu lieu à Montréal. Accompagnant l’album, un étrange carnet noir, rempli de montants d’argent qui s’échelonnent sur la même période, et la mention d’un seul intermédiaire : CS.

Obnubilé par sa découverte, Régis Duchesne confie son inquiétude au sergent-détective Francis Pagliaro, de la Sûreté du Québec : son père ayant été toute sa vie un comptable peu loquace, Régis craint qu’il ait été mêlé à des histoires louches. Mais comment ouvrir une enquête avec si peu d’indices ? rétorque le policier.

Un élément nouveau, qui met en relation directe le cas Duchesne et celui de « La petite disparue du Vendredi saint », une tragédie qui avait horrifié toute la population de Montréal en 1973, amène Pagliaro à réviser sa position. Se pourrait-il que la solution de cette affaire, vieille de trente-cinq ans, se trouve encryptée au cœur des documents découverts par Régis Duchesne ? Et qui donc se cache derrière cet énigmatique « CS » ?

4e de couverture

 

Francis Pagliaro vient de commencer des études de philosophie à l'Université de Montréal.

Il travaille actuellement sur le dossier d'un réseau de prostitution juvénile.

 

Il se sentait comme ce pauvre Sisyphe du mythe, brigand et assassin condamné à rouler sa pierre jusqu’en haut de la montagne pour la voir débouler avant même d’avoir atteint son but, et obligé de tout recommencer, éternellement.

« Sisyphe », dit-il simplement tout haut, dans la solitude de son bureau. « Sergent-détective Sisyphe, Sûreté du Québec », répéta-t-il. Mais Sisyphe quand même…

 

Hésitant avant de prendre place à sa table de travail, il choisit d'abord dans sa discothèque le trio pour piano n° 2 de Schubert, qu'il installa dans le lecteur de CD. Il n'écoutait que du Schubert depuis des mois, sa préférence allant aux pièces pour piano seul. Aujourd'hui, cependant, il osait ce trio en mi bémol pour piano, violon et violoncelle. Le caractère mortuaire et obsessif du deuxième mouvement lui semblait particulièrement propice au travail intellectuel qu'il s'apprêtait à attaquer.

Dans le cadre de ses études de philosophie, il devait rédiger, pour la fin du trimestre d'été, un court écrit comparant les conceptions du bien et du mal dans l’œuvre de quelques philosophes.

 

Franz Schubert, Trio n°2, op. 100, pour piano, violon et violoncelle, Andante con moto, Jean-Claude Pennetier, Régis Pasquier, Roland Pidoux

 

« Travaillais-tu en haut ? demanda Lisa [sa femme], après qu'ils furent installés à table . As-tu commencé à lire tes trucs ?

Pas vraiment, je pense même que je vais attendre encore quelques jours.

Bonne idée, comme ça tu pourras m'aider à repeindre la clôture du jardin.

Alors, je vais commencer à lire tout de suite après le dîner ! »

 

Voyez comme elles sont rusées !

 

Régis Duchesne occupait une splendide maison de quatorze pièces sur deux étages, chemin Moncrieff, à Ville Mont-Royal.

Georges Duchesne, le père, était collectionneur. Entomologiste. Et il avait un immense tableau, résumant, de manière cryptée, les affaires qui avaient bouleversé la ville.

CS est venu le voir. Sa voiture est une Dodge Charger couleur or. Un soir, il vient le chercher pour le conduire dans une grande maison située à l'écart. Il y a d'entrée une pièce immense avec des lits, des hommes, des filles très jeunes. Georges Duchesne est pétrifié.

 

Une enquête sans espoir.

Une atmosphère glauque.

 

La traversée des apparences.

 

Jean Cocteau, Orphée, 1950

 

Le bien... le mal...

 

Charles Laughton, La Nuit Du Chasseur, 1955

 

De Richard Ste-Marie, on pourra lire : Un ménage rouge, Alire, 2013

Ce roman est paru en 2008 chez Stanké, l'édition de 2013, qui propose une intrigue et un découpage profondément remaniés, en constitue la version définitive.

 

Richard Ste-Marie est également artiste plasticien et musicien.

 

Richard Ste-Marie, La dame blanche, 1999

Richard Ste-Marie, La dame blanche, 1999

 

Écoutez-le.

 

Richard Ste-Marie, Archipels, émission du 14 février 2012, animateur : Matthieu Dugal

 

Bernard Herrmann, Citizen Kane Suite, 1941

 

Un aveu ? Sans aveu...

 

Eh bien, Monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l'on n'a jamais fait à son mari, mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la cour, et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge. Je n'ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d'en laisser paraître, si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j'avais encore madame de Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d'être à vous. Je vous demande mille pardons, si j'ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus d'estime pour un mari que l'on en a jamais eu ; conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez.

Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, Troisième partie, 1678

*

Remerciements à Richard Migneault qui nous a fait découvrir Richard Ste-Marie.

- - -

ANNEXE

 

Une lecture de La Princesse de Clèves.

Premièrement (Première partie), la rencontre de la princesse et du duc de Nemours au cours d'un bal. Nemours arrive en retard et, frappé à la vue de la belle, il enjambe les bancs qui le sépare de l'obscur objet du désir, ce qui, même en ces temps anciens, ne se fait pas, à moins de ne plus être maître de soi.
Plus tard (Quatrième partie), Nemours, dissimulé, observe Mme de Clèves, retirée en pleine forêt dans un pavillon : elle tresse des noeuds à une canne des Indes qu'il avait portée peu de temps auparavant.

 

 

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