Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).
La Déclaration conciliaire Nostra Aetate : le 40 ème anniversaire (le 28 oct.2005)
Aspects théologiques et pastoraux
par le Père Jean DUJARDIN
1) Bref Rappel Historique :
Le 28 octobre 1965 les Pères du Concile Vatican II adoptaient la « Déclaration sur les relations de l'Eglise avec les religions non chrétiennes » dont le dernier paragraphe le n° 4 est consacré aux relations avec le peuple Juif. La quasi unanimité du vote des membres de l'Assemblée en faveur de ce texte (2221 placet, 88 non placet) pourrait donner à penser aujourd'hui qu'un telle déclaration allait de soi. Cet exceptionnel résultat ne fut pourtant acquis qu'au prix de très difficiles discussions au sein des instances préparatoires et de débats délicats dans les Assemblées elles mêmes. On en a recensé plus de sept versions et bien que le premier texte fut préparé avant l'ouverture du concile, le document ne fut définitivement acquis qu'à la dernière session.
A l'origine il faut le rappeler, la décision de mettre en chantier cette réflexion provient de l'initiative personnelle du Pape Jean XXIII et il n'était envisagé au départ qu'un document concernant les relations de l'Eglise avec le peuple Juif. Aucune instance épiscopale n'en avait fait la demande auprès de la commission préparatoire du concile, même si certains évêques ou experts pensaient qu'après la guerre et ce qu'on n'appelait pas encore la Shoah il était inconcevable de ne rien dire de l'antisémitisme, et qu'il fallait s'interroger de ce fait sur l'influence de la longue histoire de l'antijudaïsme sur les consciences chrétiennes pendant le conflit.
Aussi le projet de Jean XXIII, élaboré sous la responsabilité du Cardinal Bea, rencontra-t-il d'emblée une très vive opposition et à un très haut niveau des instances ecclésiales. Oppositions de nature diverses : de la part des églises chrétiennes minoritaires d'Orient qui en craignaient les retombées politiques dans le contexte précaire où elles vivaient, opposition attisée jusqu'à la fin par les états Arabes eux-mêmes. Opposition plus surprenante mais révélatrice du poids de l'histoire de formes variés d'antijudaïsme chrétien allant jusqu'à rejoindre les craintes d'une emprise judéo-maçonnique hostile à l'Eglise et enfin ce qui était plus difficile, une question dramatique : comment surmonter la lecture de nombreux passages du Nouveau Testament marqués par l'interprétation antijuive qu'en avaient fait les Pères de l'Eglise.
C'est pourquoi il apparut à de nombreux Pères qu'il était nécessaire d'élargir le projet à une déclaration sur les religions non chrétiennes tout en demeurant très réservés quant à sa dimension et à la place où il fallait la situer. Dans la constitution sur l'Eglise, dans le décret sur l'œcuménisme…? On mesure dans ces hésitations la difficulté théologique.
2) La portée théologique de cette déclaration :
Quand on regarde le résultat aujourd'hui, la première phrase surtout du n°4, on mesure son importance théologique. On ne peut pas la lire dans toute sa profondeur si l'on oublie le renouveau ecclésiologique marqué dès le 1er chapitre de Lumen Gentium : « le Mystère de l'Eglise ». On ne peut pas comprendre l'absence dans les notes de toute référence aux Pères de l'Eglise si on oublie les précisions exceptionnelles apportées par la Constitution Dei Verbum sur les rapports entre Ecriture et Tradition.
Aussi, bien que ce ne soit qu'une déclaration, et non pas une constitution, ni un décret, il devrait être évident qu'il s'agit bien d'un renouvellement du regard théologique commun de l'Eglise sur le peuple Juif dont la portée est certes pastorale, mais dont le fondement est théologique.
C'est pourquoi Jean-Paul II dira le 15 février 1985 aux représentants de l'American Jewish Committee « Je souhaite confirmer avec la plus extrême conviction que l'enseignement de l'Eglise proclamé durant le concile Vatican II par la déclaration Nostra Aetate […] demeure toujours pour nous, pour l'Eglise catholique, pour l'épiscopat et pour le pape, un enseignement qui doit être suivi, un enseignement qu'il est nécessaire d'accepter, non seulement comme une chose convenable mais beaucoup plus comme une expression de la foi, comme une inspiration de l'Esprit Saint, comme une parole de la sagesse divine » (Documentation Catholique N° 1893, 1985). C'est aussi pourquoi lors de sa visite inoubliable à la synagogue de Rome en 1986 il osera dire « La religion juive ne nous est pas « extrinsèque », elle est « intrinsèque » à notre religion. Nous avons donc à son égard des rapports que nous n'avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et dans un certain sens on pourrait dire nos frères aînés » (Synagogue de Rome 13 avril 1986).
3) Comment faire vivre ce document dans nos communautés chrétiennes ?
Dans la vie quotidienne de nos communautés, surtout s'il n'y a pas de communautés juives à proximité, il est compréhensible que le dialogue avec le peuple Juif demeure concrètement une préoccupation marginale. Même lorsqu'il y en a une, il est rare qu'il y ait, comme avec d'autres confessions religieuses, des exigences de convivialité ou de cohabitation . Bien plus la persistance du douloureux et tragique conflit Israélo-Palestinien met souvent bien des chrétiens mal à l'aise dans leurs rapports avec leurs frères juifs même s'il s'efforcent de ne pas retomber dans les vieux schémas antijuifs. Alors que faire ? On ne peut progresser qu'en prenant conscience que le dialogue avec le peuple Juif ne revêt toute sa portée qu'en le situant dans l'histoire du salut de l'humanité. Ce ne sont pas seulement nos racines qui sont juives, mais la permanence de l'Election et de l'Alliance nous oblige à un autre regard sur nos Ecritures, notre liturgie, notre catéchèse. Cette confrontation peut être une source de richesse et de renouvellement. Dans un document de 1985 la commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme déclarait « Les juifs et le judaïsme ne devraient pas occuper une place occasionnelle et marginale dans la catéchèse et la prédication, mais leur présence indispensable doit y être intégrée de façon organique » (Notes pour une correcte présentation des Juifs et du Judaïsme dans la catéchèse et la prédication de l'Eglise catholiques » (Documentation catholique 1985).
Certes beaucoup pourront hésiter encore sur le comment faire, mais les pierres d'attente sont là. Ce n'est pas un hasard si la réforme liturgique a réintroduit une lecture chaque dimanche ou presque de l'Ancien Testament. Par ailleurs il demeure des passages difficiles à commenter dans les textes du Nouveau. Aussi le quarantième anniversaire de Nostra Aetate pourrait être l'occasion d'un examen de conscience et d'une interrogation sur les moyens que nous nous donnons pour progresser dans le sens voulu par le Concile. C'est entre autres raisons le sens profond de ce dimanche d'éveil.
Les instruments pour ce faire ne manquent pas Il est bon de les rappeler en concluant cette note.
Outre le texte de Nostra Aetate que l'on trouve dans tous les recueils des textes conciliaires (reproduit ci-dessous), il y a dans l'ordre chronologique
- L'attitude des chrétiens à l'égard des juifs : ( orientations pastorales du comité épiscopale français publié par la Conférence épiscopale française le 13 avril 1973 que l'on trouve dans la Revue Documents Episcopat et divers ouvrages) : un petit document de quatre pages tout à fait d'actualité.
- Les Orientations et suggestions pour l'application de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate n° 4 de la commission du Saint-Siège 1er décembre 1974 :un document de 6 pages qui comporte des indications précieuses pour la liturgie, l'enseignement et l'éducation. (Documentation catholique 19 janvier 1975)
- Les Notes pour une correcte présentation des Juifs et du Judaïsme dans la catéchèse et la prédication de l'Eglise catholique : document de la commission du Saint Siège ( de nombreuses suggestions très importantes et notamment pour les commentaires difficiles du Nouveau Testament) Documentation catholique 1985
- Lire l'Ancien Testament : contribution à une lecture catholique de l'Ancien Testament pour permettre le dialogue entre juifs et chrétiens : texte du comité épiscopal français ; édition Centurion/Le Cerf 1997.
- Le peuple Juif et ses Saintes Ecritures dans la Bible chrétienne : document de la Commission Biblique Pontifical : Le Cerf 2001. Ce Texte est plus long que les précédents mais la troisième partie est particulièrement précieuse car elle donne des indications concrètes sur tous les passages difficiles du Nouveau Testament à commenter dans les lectures dominicales ou de semaine.
Avec un tel ensemble qui ne cite que les documents officiels, la catéchèse, la prédication, la liturgie devraient pouvoir enrichir la vie de foi du peuple chrétien, et lui permettre de progresser dans la connaissance du peuple juif. C'était bien le vœu de Jean XXIII.
Jean DUJARDIN
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Déclaration sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes "Nostra Aetate" N°4:
La religion juive
Scrutant le mystère de l'Église, le Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du N.T. avec la lignée d'Abraham. L'Église du Christ, en effet, reconnaît que les prémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dans les patriarches, Moïse et les prophètes. Elle confesse que tous les fidèles du Christ, fils d'Abraham selon la foi(6), sont inclus dans la vocation de ce patriarche et que le salut de l'Église est mystérieusement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre de servitude. C'est pourquoi l'Église ne peut oublier qu'elle a reçu la révélation de l'Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l'antique Alliance, et qu'elle se nourrit de la racine de l'olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l'olivier sauvage que sont les gentils (7). L'Église croit, en effet, que le Christ, notre paix, a réconcilié les Juifs et les Gentils par sa croix et en lui-même, des deux, a fait un seul (8).
L'Église a toujours devant les yeux les paroles de l'apôtre Paul sur ceux de sa race "à qui appartiennent l'adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches , et de qui est né, selon la chair, le Christ" Rm 9,4-5 , le Fils de la Vierge Marie. Elle rappelle aussi que les apôtres, fondements et colonnes de l'Église, sont nés du peuple juif, ainsi qu'un grand nombre des premiers disciples qui annoncèrent au monde l'Évangile du Christ.
Au témoignage de l'Écriture Sainte, Jérusalem n'a pas reconnu le temps où elle fut visitée (9) ; les Juifs, en grande partie, n'acceptèrent pas l'Évangile, et même nombreux furent ceux qui s'opposèrent à sa diffusion (10). Néanmoins, selon l'Apôtre (11), l'Église attend le jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d'une seule voix et "le serviront sous un même joug" So 3,9 .(12). Du fait d'un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux Juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l'estime mutuelles, qui naîtront surtout d'études bibliques et théologiques, ainsi que d'un dialogue fraternel.
Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ (13), ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S'il est vrai que l'Église est le nouveau peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n'enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l'Évangile et à l'esprit du Christ.
En outre, l'Église, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu'ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu'elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l'Évangile, déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestations d'antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs. D'ailleurs, comme l'Église l'a toujours tenu et comme elle le tient, le Christ, en vertu de son immense amour, s'est soumis volontairement à la Passion et à la mort à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut. Le devoir de l'Église, dans sa prédication, est donc d'annoncer la croix du Christ comme signe de l'amour universel de Dieu et comme source de toute grâce.