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  • : Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

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Signes des temps et dialogue interreligieux

Gregory Baum

 

Grégory Baum est professeur émérite au Département des Études religieuses à l’ Université McGill.

 

Cela me fait grand plaisir d’être invité à vous parler, sur des questions qui concernent le domaine de l’interreligieux. J’ai préparé un texte, mais après la présentation admirable de Madame Helfer, je me suis dit que je devrais, moi aussi, parler un peu de mon expérience personnelle.

Je vais donc vous parler de mon expérience au Concile Vatican II, où l’enseignement officiel de l’Église catholique sur les juifs, les musulmans et les autres religions du monde a changé.

 

Le choc de l’Holocauste

L’Holocauste a été un choc extraordinaire pour l’Église et pour les chrétiens. Durant la guerre, une minorité de chrétiens a été sensible à ce grand drame. Mais peu après, en 1947, un groupe de catholiques et de protestants et quelques juifs se sont rencontrés à Seelisberg, une petite ville en Suisse, pour réfléchir sur l’origine de la haine des juifs : était-elle liée à la religion? Y avait-il dans la tradition chrétienne un discours anti-juif ? Ils ont alors établi une liste de dix points sur lesquels, selon leur analyse, la prédication chrétienne  devrait changer pour éviter qu’elle n’engendre du mépris à l’égard du peuple juif.

Un mouvement réformiste a donc commencé tout de suite après la guerre. Il a donné lieu à des études, des rencontres et des publications. Parmi les militants, il y avait des religieux et des religieuses, en particulier les Sœurs de Notre-Dame de Sion. L’histoire de ce mouvement n’a pas encore été écrite, ce qui est dommage. Peut-être aurais-je dû le faire! Des juifs en ont fait partie, par exemple Jules Isaac, historien français très connu, dont la femme et la fille (je crois) ont été arrêtées et envoyées à Auschwitz. Lui, absent, s’est caché dans de petits hôtels en France; il avait avec lui le Nouveau Testament en grec, et il l’a lu, en se demandant quels sont les versets qui ont produit le mépris pour les juifs? Par la suite il a publié le livre, Jésus et Israël, qui résume ses recherches. Bouleversé par ce livre, j’ai écrit un petit livre en 1958, The Jews and the Gospel, où je réponds à Jules Isaac et propose une autre interprétation de ces textes, une interprétation qui n’implique pas du mépris pour les juifs. Le livre de Jules Isaac a provoqué toute une littérature dans l’Église, suscitant des idées importantes qui, plus tard, ont influencé l’enseignement du Concile Vatican II. Quand Jules Isaac fut reçu par Jean XXIII en 1960, le Pape lui a promis que le Concile allait promulguer un texte exprimant le respect de l’Église pour les juifs et leur religion.

Bien avant ces années, pendant que je faisais mes études à l’Université de Fribourg en Suisse, je me suis intéressé surtout à l’œcuménisme, c’est-à-dire aux relations entre catholiques et protestants. J’ai écrit une thèse sur ce sujet qui a été publié plus tard comme livre - un mauvais livre, parce que, à ce moment-là, j’ai tout simplement présenté l’enseignement officiel de l’Église, sans aucune sensibilité à ce qui allait se développer quelques années plus tard. Il n’y avait aucun imaginaire œcuménique dans mon livre. Aujourd’hui je suis quelque peu gêné de cette publication. 

 

Vatican II et les religions non chrétiennes

Quand même, ce livre m’a valu une nomination. Lorsqu’il a convoqué le Concile Vatican II, Jean XXIII a créé des commissions pour le préparer. Il a créé aussi le secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens, présidé par le cardinal Bea. Le Pape m’a nommé peritus, c’est-à-dire expert théologien, et j’ai donc participé à ce secrétariat avant et pendant le Concile. La tâche du secrétariat était la production de trois textes importants qui, après de longs débats au Concile et maintes modifications, ont été approuvés par les évêques et promulgués par le Concile: un texte sur l’œcuménisme, un autre sur la liberté religieuse et le troisième sur l’attitude de l’Église envers les grandes religions.

L’origine de ce dernier texte est particulièrement intéressante. Jean XXIII a demandé au secrétariat de préparer une déclaration sur les relations entre juifs et chrétiens qui purifierait la prédication chrétienne des accents anti-juifs et refléterait plus clairement  l’esprit de Jésus. Le secrétariat a donc produit un beau texte, mais sa réception de la part des évêques fut très variée. Certains trouvaient que notre texte disait le contraire de ce que croyait le peuple chrétien et de ce que l’Église a toujours enseigné. Par contre, les évêques sensibles à l’Holocauste et conscients du discours anti-juif de la prédication chrétienne ont fortement appuyé notre texte. Parmi eux étaient les évêques canadiens. Les évêques qui venaient de pays d’Asie et d’Afrique nous ont dit : « Votre texte sur les juifs est très beau, mais dans les pays où nous vivons il n’y a presque pas de juifs, mais nous y sommes entourés par d’autres religions. Si l’Église se prononce sur le judaïsme, il faudrait qu’elle exprime aussi son respect pour les autres religions. » Le Concile a donc décidé que le secrétariat produirait un texte élargi qui articulerait l’attitude de l’Église envers l’islam et les autres religions. Le Cardinal Bea était ainsi obligé de nommer des spécialistes qui connaissaient bien ces religions. Avec leur aide, le secrétariat a préparé un nouveau texte, appelé Nostra aetate, où la déclaration sur les juifs est devenu le chapitre 4. Ce texte a été accepté et promulgué par le Concile.   

Nostra aetate souligne que les grandes religions, malgré les différences de doctrine et de rites, sont porteuses de beaucoup de valeurs communes. Pour promouvoir la paix dans le monde, les religions devraient mettre l’accent sur les valeurs qu’elles partagent au lieu de se disputer sur ce qui les sépare. Nostra aetate promeut donc le dialogue interreligieux et la coopération entre les religions.

En même temps le Concile enseigne la doctrine chrétienne que le Christ est rédempteur du monde, le seul médiateur entre Dieu et les humains, l’Alpha et l’Oméga de l’univers. Le Concile souligne le message du 4e évangile que la Parole divine, incarnée en Jésus, « éclaire tout être humain qui vient dans le monde » (Jean 1:9), un message élaboré plus tard par des Pères de l’Église, préconisant que la Parole divine agit à travers toute l’histoire et s’adresse à tous les êtres humains. Nous lisons dans le document conciliaire Gaudium et spes (22) : « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. » La grâce de Dieu agit dans toutes les cultures et dans toutes les religions.  

 

Les paragraphes de Nostra aetate sur les juifs et sur les musulmans    

« L’Église a toujours devant les yeux les paroles de l’apôtre Paul sur ceux de sa race, “à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches, et de qui est né, selon la chair, le Christ” (Romains, 9, 4-5), le fils de la Vierge Marie. Elle rappelle aussi que les apôtres, fondements et colonnes de l’Église, sont nés du peuple juif, ainsi qu’un grand nombre de premiers disciples qui annoncèrent au monde l’Évangile du Christ. […] Les juifs, en grande partie, n’acceptèrent pas l’Évangile […]. Néanmoins, selon l’Apôtre, les juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance » (Nostra aetate , 4). Ce texte affirme que l’alliance que Dieu a faite par Moïse avec le peuple juif reste valable : l’Église en reconnaît la validité. Il  n’y a donc plus de justification théologique pour chercher à convertir les juifs au christianisme.

Et voici le texte sur les musulmans : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu Un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète; ils honorent sa mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne. Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté » (ibid., 3).

Les textes du Concile Vatican II appuient l’espérance si bien exprimée par Madame Helfer qu’à l’intérieur de chaque religion il y a des valeurs fondamentales qui appuient le vivre ensemble de la famille humaine dans la liberté, la paix, la justice et le respect mutuel.

 

Signes des temps et relecture des textes sacrés

Permettez-moi de faire une petite réflexion théologique. Il faut se demander comment l’Église, fidèle à la vérité évangélique, peut modifier son enseignement officiel? Selon les théologiens le développement doctrinal est le fruit de la relecture de l’Écriture et de la Tradition dans un nouveau contexte historique. Selon Jean XXIII la fidélité à la révélation divine doit être sensible aux « signes des temps ». Certaines expériences historiques, croyait-il,  sont tellement importantes qu’on ne peut pas interpréter l’Évangile comme si elles n’avaient pas eu lieu. On ne peut plus prêcher l’Évangile sans se référer à ces événements. La sensibilité aux signes des temps exige donc une nouvelle lecture de l’Écriture.

 

La Genèse, saint Paul et les droits humains

Jean XXIII était profondément impressionné par la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par les Nations Unies en 1948. C’était pour lui un signe des temps. On se souvient qu’au 19e siècle l’Église catholique avait condamné les droits humains, la séparation entre l’État et l’Église et la liberté religieuse.  En ce temps-là, l’Église était encore liée à la société féodale et rejetait la démocratie et le pluralisme. Parce que Jean XXIII regardait la Déclaration universelle des droits humains comme un signe des temps, il était près à une relecture de l’Écriture. Il l’a fait dans son encyclique Pacem in Terris. Une relecture du récit biblique de la création de l’homme et de la femme l’a convaincu que chaque être humain, créé à l’image de Dieu, a une grande dignité qui doit être respectée par toutes les institutions. Une relecture des lettres de St. Paul a convaincu le Pape que, par son œuvre rédemptrice, Jésus a embrassé l’humanité tout entière. Il a donc conclu que les doctrines de la création et de la rédemption révèlent que chaque être humain a une dignité qui dépasse le monde, une dignité fondée en Dieu, qui est le fondement des droits humains et de la liberté religieuse. Une relecture de la Bible dans une nouvelle situation historique a permis à l’Église de changer son enseignement officiel. 

L’événement de l’Holocauste a aussi obligé l’Église à faire une relecture de la Bible. Dans Nostra aetate le Concile se souvient que, dans l’Épître aux Romains, l’Apôtre Paul nous dit clairement que les juifs, malgré leur refus de reconnaître Jésus comme messie, n’ont pas été rejetés de Dieu. « Ils sont, selon leur élection, chéris a cause de leurs pères, car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance.» (11:28)  Dans le passé nous avions négligé ce texte. La relecture de la Bible nous a fait découvrir que le peuple juif reste aimé de Dieu et que l’ancienne alliance faite par Moïse garde sa validité.

 

Égalité entre homme et femme

Dans Pacem in terris Jean XXIII mentionne que l’émancipation de la femme dans la société moderne est un signe des temps qui oblige l’Église à relire sa tradition. Depuis lors, plusieurs documents ecclésiastiques soulignent des textes bibliques annonçant que, dans le Christ, tous les murs qui séparent les êtres humains sont dépassés, y compris la relation hiérarchique entre homme et femme. Mais malgré ces belles déclarations, les femmes restent des membres de seconde classe dans l’Église catholique : elles sont exclues de tous les niveaux de la hiérarchie. 

 

Dépasser les textes durs

Le dialogue interreligieux exige que nous fassions face aux « textes durs» de notre tradition religieuse. Dans chaque religion il y a des textes durs, c’est-à-dire des textes qui ont été utilisés pour légitimer le mépris et l’exclusion de ceux et celles qui se trouvent dehors. Il y a des textes durs dans la Bible qui condamnent à l’enfer tous ceux et celles qui ne sont pas membres de la communauté élue. Il y a des textes durs à l’égard des juifs, des hérétiques et des païens. Certains textes bibliques sont très violents : ils nous font peur. Même le récit qui raconte le mystère de Pâque nous met mal à l’aise. Puisque Pharaon refuse de libérer le peuple d’Israël, on nous dit que Dieu a puni de façon brutale tout le peuple égyptien. Mais ce pauvre peuple était innocent. Il n’avait pas choisi son roi, l’Égypte n’étant pas une démocratie. La dernière plaie était le meurtre de tous les premiers-nés des Égyptiens par l’Ange de la mort. Pour sauver les premiers-nés du peuple d’Israël, les familles devaient immoler un agneau et marquer avec son sang la porte de leur maison pour que l’Ange de la mort passe outre. C’était la Pâque. En anglais c’est encore plus claire: on célèbre ‘the Passover’ car l Ange de la mort ‘passed over’ les maisons des Israélites.

Il ne faut pas cacher ces textes durs. Il faut montrer plutôt que ces textes ont été dépassés par un enseignement plus éclairé. Mme Helfer nous a dit que dans la tradition juive les prophètes et plus tard des rabbins ont corrigé l’idée que Dieu est un guerrier divin; ils ont montré au contraire que Dieu se soucie de chaque être humain créé par lui. Un effort pareil  a été fait dans la tradition chrétienne : l’amour de Dieu est universel. Mais puisque les textes durs demeurent dans la Bible, ils peuvent être utilisés pour légitimer des croisades, des actes violents et de la haine pour ceux et celles qui sont dehors.

Participant au dialogue interreligieux à Toronto j’ai remarqué que les chrétiens parlaient facilement des textes durs de leur Écriture et du côté sinistre de leur tradition tandis que les représentants des religions minoritaires ne parlaient que des grands idéaux véhiculés par leur tradition. Insultés par les préjugés de la culture dominante, ces participants utilisaient le dialogue interreligieux pour défendre leur religion. Cette expérience m’a enseigné que, pour avoir un dialogue interreligieux fructueux, il faut l’égalité entre les partenaires, ce qui n’est pas facile à réaliser dans la société occidentale.   

 

La tension entre mission et dialogue

Un problème théologique qui n’est pas encore résolu dans l’Église catholique est la tension entre dialogue et proclamation. Selon le Nouveau Testament l’Église est envoyée dans le monde pour proclamer l’Évangile afin que l’humanité se convertisse au Christ. Mais parce que, aujourd’hui, les conflits, les hostilités et les guerres déchirent la famille humaine et puisque ces conflits sont souvent légitimés par un discours religieux, beaucoup de chrétiens pensent que, dans une telle situation historique, la tâche principale de l’Église est de promouvoir le dialogue, la coopération et la paix dans le monde. Ces chrétiens font une relecture du Nouveau Testament à la lumière de ce signe des temps, mettant l’accent sur les versets bibliques qui annoncent Jésus comme Prince de la paix et Réconciliateur divin détruisant les murs érigés par le péché qui produisent inégalité et hostilité entrer les humains. Jean Paul II a adopté cette théologie dans plusieurs de ces écrits. Selon lui, L’Église, au service de la paix dans le monde, doit s’engager dans le dialogue interculturel et interreligieux. Répondant « au choc des civilisations » prédit par M. Huntington, le Pape a préconisé le dialogue des civilisations.

Mais la tension entre proclamation et dialogue n’est pas résolue. Le Cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI, n’était pas d’accord avec Jean Paul II. Il a critiqué l’événement d’Assise pour lequel Jean Paul II avait invité des représentants de toutes les religions en vue d’une prière en commun pour la paix. Le Cardinal avait peur qu’un tel événement puisse encourager le relativisme dans la communauté catholique. Dans le document Dominus Jesus, publié en 2000, le Cardinal a critiqué « l’idéologie du dialogue », souligné que l’Église catholique seule est porteuse de la vérité, et suggéré que le but du dialogue doit être la conversion de l’autre à la vérité catholique. Ce texte n’a pas été bien reçu dans l’Église. On sait aussi que le Cardinal n’était pas d’accord avec la déclaration de Jean Paul II que les chrétiens et les musulmans adorent le même Dieu. 

Il ne faut pas s’étonner de ce débat dans l’Église. Dans chaque tradition religieuse, il existe  un certain pluralisme interne : il y a toujours un débat entre croyants sur l’interprétation des textes sacrés. Ce débat intérieur est une source de créativité qui rend la religion capable de réagir de façon innovatrice aux défis apportés par des événements historiques. Mais ce débat peut aussi s’avérer un obstacle. Le pluralisme interne de toute tradition nous empêche de faire de grandes généralisations à l’égard des religions.

Quand le Cardinal Ratzinger, devenu Benoît XVI, a visité l’Allemagne,  il a appuyé le dialogue interreligieux. Mais dans une conférence donnée à l’université de Regensburg il a déclaré que les musulmans et les catholiques n’adorent pas le même Dieu. Cette déclaration a été fortement critiquée. Des théologiens chrétiens et musulmans ont reproché au Pape sa connaissance insuffisante de la tradition musulmane. Deux mois plus tard, pendant sa visite en Turquie Benoît XVI a exprimé son respect pour l’islam, cité des textes pertinents de Jean Paul II et reconnu que le christianisme et l’islam rendent témoignage au même Dieu. Mais le débat continue dans l’Église.

 

Chercher des symboles qui envoient un message d’ouverture

Pour des raisons œcuméniques, je suis mal à l’aise avec le congrès eucharistique qui aura lieu à Québec l’an prochain. L’Eucharistie est le don de Jésus à sa communauté : elle est célébrée dans toutes les Églises chrétiennes. Mais elle est aussi un rite qui nous divise. Même si tous les chrétiens partagent la foi en Jésus Christ et vivent dans le même Esprit, ils n’ont pas le droit de partager la Communion. C’est un fait de grande tristesse. Il est vrai aussi que le rite catholique de l’Eucharistie avec l’exposition du Saint Sacrement choque la conscience religieuse des protestants. Alors quel est le message de ce congrès eucharistique? Je regrette que la hiérarchie catholique n’ait pas trouvé des symboles bibliques qui unissent les chrétiens et qui annoncent leur amitié pour tous les humains.  Dans le quatrième évangile, l’évangile de Jean, l’institution de l’Eucharistie n’est pas racontée; elle est remplacée par un autre rite, le lavement des pieds, qui célèbre la présence divine dans le service que nous nous rendons les un aux autres. Pourquoi pas tenir à Québec un congrès sur le lavement des pieds! Cela aurait convaincu tous les Québécois et les Québécoises que le message de l Évangile est la solidarité de Dieu avec tous les êtres  humains. Mais le but de la hiérarchie actuelle est autre : elle veut renforcer l’identité catholique parmi les fidèles.  

 

Identité et accueil de l’autre

Voici quelques réflexions théologiques sur l’identité. Le sujet est important dans le contexte religieux et séculier. La société québécoise est un petit peuple, minoritaire sur le continent américain, qui est obligé de défendre son identité. Nous voyons aujourd’hui que l’arrivée des immigrants et des immigrantes qui manifestent leur foi religieuse en public produit une certaine crise identitaire qui s’exprime dans des gestes d’intolérance. Il est donc important de réfléchir théologiquement sur l’identité – l’identité catholique et l’identité nationale.

Il est clair que chaque groupe a le droit de définir et de protéger son identité collective. Selon des alliances signées par les Nations Unies pendant les années soixante, chaque peuple a le droit de l’autodétermination culturelle. En même temps il faut reconnaître que l’affirmation de l’identité collective génère un discours qui distingue entre nous et les autres, un discours qui se détériore facilement jusqu’à parler de nous supérieurs et des autres inférieurs, créant ainsi des structures d’exclusion. Les chrétiens se demandent alors s’il est possible de défendre vigoureusement son identité collective religieuse et nationale sans produire en même temps un discours qui regarde les autres comme inférieurs et génère des structures d’exclusion.

Cette question a été traitée admirablement dans le livre Exclusion and Embrace de Miroslav Volf, un théologien protestant d’origine croate qui enseigne au États-Unis. Rentrant en Croatie après son indépendance, Volf a pu célébrer son identité croate. Mais il a découvert très vite qu’il n’était pas vu comme suffisamment croate : il avait gardé tous ces amis serbes. Volf s’est alors demandé comment on peut affirmer l’identité collective et en même temps rester solidaire des autres, des « outsiders », des étrangers. Dans son livre il présente trois principes qui devraient guider la défense de l’identité.

Premièrement, l’identité doit être reconnue comme une réalité dynamique. Elle n’est pas statique, elle n’est pas définie une fois pour toutes, on ne la défend pas par la répétition.  L’identité a une capacité de réagir de façon créatrice à des événements nouveaux.  Deuxièmement, l’identité devrait avoir des parois poreuses qui permettent l’entrée de l’autre. On le laisse entrer, on réagit à sa présence, on développe une relation à lui, et bientôt on ne peut plus définir son identité sans lui. Troisièmement la défense de l’identité devrait éviter l’orgueil et reconnaître ouvertement le côté sombre de son histoire.

Je suis convaincu que, au Concile Vatican II, l’Église catholique a affirmé l’identité catholique suivant ces trois critères. Elle a répondu de façon créatrice aux défis de la situation historique actuelle, elle a manifesté son ouverture à tous les chrétiens et à toutes les religions, et elle a regretté publiquement l’hostilité qu’elle avait entretenue envers les groupes qui ne partageaient pas son credo. Je dirais aussi que certaines déclarations du gouvernement du Québec ont affirmé l’identité québécoise suivant ces trois critères. Ces déclarations ont défini cette identité comme une réalité dynamique, prête à dépasser le monopole ethnique et à s’ouvrir à l’interculturel; elles ont souligné qu’il y a plusieurs façons d’être québécois et encouragé l’intégration des nouveaux arrivés et la convergence entre de la culture d’accueil et les communautés culturelles. Qu’est-ce qu’il y a de plus québécois que la pizza et le couscous! Symbolique de l’identité québécoise contemporaine est la fondation de Québec Solidaire par deux personnes douées,  une femme de souche québécoise et un immigrant d’origine iranienne.

Je suis reconnaissant à l’Église postconciliaire parce qu’elle nous appelle à la justice sociale et à la solidarité universelle et reconnaît dans chaque culture une créativité toute particulière.

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