Comtesse de Ségur, Les Malheurs de Sophie, 1858 – Hachette, 1994 ; édition limitée à 4000 exemplaires numérotés ; illustrations de Maria Helena Vieira da Silva
Árpád Szenes et Maria Helena Vieira da Silva
Vers 1930 est apparu dans notre maison de Boulogne un couple extraordinaire : Maria Helena était portuguaise, avec de longs cheveux noirs, un nez d'aigle et un accent chantant. Elle avait vingt-deux ans mais m'apparaissait comme une dame. Árpád, son mari, était hongrois, il avait des cheveux « carotte » et plaisantait sans arrêt.
Violante do Canto se souvient. Pour le Noël de 1931 – elle avait alors huit ans –, Maria Helena lui a offert Les Malheurs de Sophie, un livre illustré par elle de petites gouaches collées par-dessus les images imprimées d'André Pécoud. Soixante-trois ans plus tard, elle les donne en édition.
I
La poupée de cire
Sophie reçoit en cadeau une magnifique poupée.
La poupée vécut très longtemps, bien soignée, bien aimée ; mais petit à petit elle perdit ses charmes, voici comment.
Un jour Sophie pensa qu'il était bon de laver les poupées, puisqu'on lavait les enfants ; elle prit de l'eau, une éponge, du savon, et se mit à débarbouiller sa poupée ; elle la débarbouilla si bien qu'elle lui enleva toutes ses couleurs : les joues et les lèvres devinrent pâles comme si elle était malade, et restèrent toujours sans couleur. Sophie pleura, mais la poupée resta pâle.
Un autre jour, Sophie entreprend de friser les cheveux de sa poupée avec un fer chaud : la poupée en reste chauve.
Un autre jour encore, Sophie apprend des tours de force à sa poupée : un bras cassé.
Une autre fois, elle lui donne un bain de pieds bouillant : la poupée perd ses jambes.
Enfin, un dernier jour, la poupée tombe d'un arbre et se brise en cent morceaux. Sophie et ses amis l'enterrent en grande pompe.
Livre rare, à rechercher pour parer sa bibliothèque.
Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitae pour un tombeau, l’Éditeur, 2011
Pierre Lamalattie, 1 – Pierre, après SOIR 3 il s'est endormi durant l'émission intitulée : "les secrets du plaisir féminin"
Pierre Lamalattie est né à Paris en 1956. Il apprend très tôt les bases de la peinture à l’huile grâce aux conseils et à l’expérience de l’artiste Léo Lotz. Au cours de ses études à l’Agro de Paris, nombre de voyages et de rencontres contribuent à entretenir son goût pour l’art pictural. Après avoir travaillé comme médiateur social et enseigné quelques années la gestion des ressources humaines, il décide en 1995 de se consacrer uniquement à la peinture. Son travail, résolument figuratif et férocement ironique, propose notamment une réflexion sur la vie contemporaine au travail. Seul ou avec d’autres artistes, il expose régulièrement ses œuvres en France.
Depuis quelque temps, je me suis mis à peindre des curriculum vitae. Quoi de mieux, en effet, pour parler de la vie des hommes et des femmes d'aujourd'hui, que des curriculum vitae ? En tout cas, à notre époque, c’est un genre qui a beaucoup de pratiquants. Un CV, c’est moins long qu’un roman, et souvent plus vrai... plus tragiquement vrai.
Les cabinets de recrutements sont formels : un bon curriculum vitae, ça doit se lire d’un seul coup d’œil. C’est quelques mots-clés et un bon visuel. Pas besoin de se cacher derrière les détails. Il faut résumer une vie à l'essentiel. D’ailleurs, avec un peu d’entraînement, l’existence se résume très facilement.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai commencé cette série de CV. Il s’agit de témoigner du genre d'hommes et de femmes que j'ai pu rencontrer dans ma petite vie. Il ne s'agit pas, bien sûr, de personnes réelles, mais de caractères, de personnages inspirés de mon expérience comme pourraient l'être des personnages de romans. Certains CV peuvent faire sourire, voire rire, mais le fond de ma démarche n'est pas de faire de l'humour, ni de dénigrer ces semblables auxquels je ressemble tant. C'est plus grave : j'ai envie de faire sentir en quoi consistent réellement des vies tout entières.
Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin, V. Menuet, Jean-Philippe Collard, piano, – in Ravel, Complete works for solo piano, Warner / Parlophone France / Wea France, 2004
Dans la musique occidentale, un « tombeau » est un genre musical, surtout en usage dans la période baroque mais aussi au XXe siècle. Il y a eu par exemple le Tombeau de M. se Sainte-Colombe, par Marin marais, ou le Tombeau de Couperin, par Ravel. Le tombeau était composé, précise à juste titre Wikipédia, « en hommage à un grand personnage ou à un musicien, maître ou ami, aussi bien de son vivant qu’après sa mort, contrairement à ce que le nom de ce genre musical pourrait laisser penser. Il s’agit généralement d’une pièce monumentale, de rythme lent et de caractère méditatif non dénué parfois de fantaisie et d’audace harmonique ou rythmique ». Voilà exactement ce que je voulais faire en peinture : un tombeau des hommes et des femmes de notre temps.
I
Mon médecin référent était le docteur Konstantinopoulos.
[…]
Depuis quelque temps je me sentais patraque.
[…]
– Eh bien ! Autrefois, quand j'entrais en relation avec une femme, il y avait deux phases successives. Retenez bien « successives », c'est le mot important. Phase A : le plaisir. Phase B : les emmerdes.
[…]
– Eh bien ! Maintenant, je pense qu'il s'est constitué une sorte d'autoroute neuronale entre ces deux centres. Aussitôt l'idée du passage à l'acte émerge-t-elle, aussitôt le centre d'évaluation des emmerdes se met-il en état d'alerte maximale. Les deux phases se produisent simultanément. Ça gâche tout. Bref, je me sens raplapla, docteur, je suis tout mou. Je ne suis plus aussi réactif qu'autrefois, voilà le problème...
De la truculence dans l'élégance.
De l'amour, de l'empathie, pour les autres.
Des citations musicales ou picturales à chaque page.
Pierre Lamalattie, 7 – Claire, elle a compris que son mec ne comprendrait jamais rien à la musique de chambre
Pierre Lamalattie, 121 – Pierre, il lui reste ce plaisir de rouler sur l'autoroute avec la musique d'Alfred Schnittke
Alfred Schnittke, Polyphonischer Tango, 1979 – NDR Radio-Philarmonie, Hannover, dir. Eiji Oue
(on entendra peut-être un air de la 40e de Mozart, revue par Kurt Weill – deux maîtres pour Alfred Schnittke)
Merci, Des Pas Perdus, de nous avoir offert ce beau livre, avec Paris et Le Chat Noir en boules à neige.
Ornette Coleman, Free Jazz, A Collective Improvisation By The Ornette Coleman Double Quartet, 1960 – Atlantic, 1990
Ornette Coleman – Saxophone alto
Don Cherry – Trompette de poche
Scott LaFaro – Contrebasse
Billy Higgins – Batterie
Éric Dolphy – Clarinette basse
Freddie Hubbard – Trompette
Charlie Haden – Contrebasse
Ed Blackwell – Batterie
Tom Dowd, ingénieur du son
Nesuhi Ertegün, producteur
Ornette Coleman sur scène, Nice Jazz Festival, juillet 2010
Le jazz est en deuil. Ornette Coleman, saxophoniste et compositeur, est mort le jeudi 11 juin 2015, à l'âge de 85 ans, à New York.
En 1960, l’album Free Jazz, A Collective Improvisation, proclamait le jazz libre, dans la création immédiate d’un double quartet. On connaissait Parker, Gillespie et Monk. L’invention d’Ornette Coleman consistait à bousculer l’improvisation, sans grille préalable, en allant vers l'atonalité, en supprimant le piano dont les accords tempérés étaient contraignants.
Ornette Coleman, Albert Ayler, John Coltrane dans ses dernières œuvres sont des aventuriers, allumant le feu.
La pochette originale utilise un détail du tableau de Jackson Pollock, White Light.
Jackson Pollock, White Light, huile, laque et peinture aluminium sur toile, 1954 – MoMa
Karlheinz Stockhausen, Klavierstück, I à V, VII à IX
Karol Beffa, Suite pour piano ou clavecin, La volubile, La ténébreuse, La déjantée
Igor Stravinsky, Trois mouvements de Petrouchka, Danse russe, Chez Petrouchka, La Semaine Grasse
Elle décoiffe.
Igor Stravinsky, Petrouchka, Danse russe, piano : Vanessa Benelli Mosell, in album [R]evolution, Decca, 2015
Yuja Wang est également charmante.
Igor Stravinsky, Petruschka, piano : Yuja Wang, Verbier Festival, 2009
Vanessa Benelli Mosell a travaillé auprès de Karlheinz Stockhausen dans les derniers mois de la vie du musicien, entre 2006 et 2007. Elle en a retenu son allégresse, son impertinence, sa turbulence. Elle s'est souvenue d'un précepte du maître : « Avec les petites choses je suis petit, mais avec les grandes, je suis très généreux. »
Haydn 2032, n° 2, Il filosofo, Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini, α, 2015
Franz Joseph Haydn, Symphonie n° 46, Symphonie n° 22, Wilhelm Friedemann Bach, Symphonie en fa majeur pour cordes et basse continue, Franz Joseph Haydn, Symphonie n° 47.
Deux originaux.
Pour le fils aîné de Johann Sebastian Bach, afin de s'affranchir de l'ombre du père.
Pour Haydn, vers une liberté créatrice sans contraintes imposées par un commanditaire.
Haydn 2032, n° 2, Il filosofo, Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini
Béatrice Duport, Jours meilleurs, Chapelle Notre-Dame des Fleurs, Moric, Moustoir-Remungol
Des portes, un labyrinthe jusqu'à la porte étroite.
* * *
Ces chapelles sont fermées en temps ordinaire. On ne peut voir leurs beautés cachées qu'en été – elles sont un havre de fraîcheur. Tout près, on trouve souvent une fontaine miraculeuse où coule une source pure et rafraîchissante.
Chapelle de la Trinité, Cléguérec, et sa fontaine miraculeuse
A l'entrée d'une chapelle, un bon génie vous accueille.
Chapelle de l’ermitage de Saint Gildas au bord du Blavet / Jean-Paul Lefebvre, 2014
Typex, Rembrandt – traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Casterman, 2015
Typex (Raymond Koot)
Rembrandt van Rijn, Zelfportret, 1659, National Gallery of Art, Washington, D.C.
Rembrandt Harmenszoon van Rijn est né le 15 juillet 1606, rue Weddesteeg, à Leyde, dans les Provinces-Unies. Son père est meunier, sa mère est fille de boulanger – une bourgeoisie aisée. Il suit l'école latine, institution calviniste donnant un enseignement religieux approfondi, où il prend ses premiers cours de dessin ; après un séjour en philosophie et en dilettante à l'Université de Leyde, il se met à la peinture.
Rembrandt van Rijn, De Nachtwacht, 1642, Rijksmuseum, Amsterdam
Rembrandt van Rijn, De Staalmeesters, 1662, Rijksmuseum, Amsterdam
Typex (Raymond Koot) s’intéresse au personnage Rembrandt plutôt qu’à son œuvre : fantasque, capricieux, vaniteux, arrogant et animé d'empathie pour les autres. Il en fait ainsi le portrait d'un homme, avec ses joies et ses déceptions, avec ses femmes, Saskia, Geertje, Hendrickje, épouses, mères, modèles, concubines.
Typex, Rembrandt, page 16
L'Atelier, au fil des ans.
Typex, Rembrandt, page 101
Typex, Rembrandt, page 232
Typex, Rembrandt, page 238
L'objet est curieux. Comme relié à l'ancienne, avec nerfs au dos et incrustations d'or, tranches dorées. Des marques d'usure tracées sur la couverture.
On trinque, on festoie, on courtise.
L'ouvrage se termine par un carton à dessins contenant les brouillons de l'œuvre.
Jouissif, émouvant, en grâce.
Francesca Caccini, Io Mi Distruggo, et Ardo, in Il Primo Libro delle Musiche, Firenze, 1618 – Henriette Feith, soprano ; Jasper Schweppe, baritone ; David van Ooijen, theorbo
Haydn Paris symphonies (Six Symphonies parisiennes, n° 82-87, 1785-1786), Zurich Chamber Orchestra, dir. Sir Roger Norrington, Sony Classical, 2015 – enr. 2013
Sir Roger Norrington, photo : Manfred Esser
Roger Norrington s'attache particulièrement à l'étude historique des pièces qu'il dirige.
La juste mise en place de l'orchestre : le premier et le second violon sont assis l'un en face de l'autre ; les vents et les cuivres sont disposés en demi-cercle derrière les cordes, ce qui donne le sentiment d'un grand orchestre de chambre (trente instrumentistes), tel qu'en 1785.
Le juste suivi des tempi.
La juste longueur des notes, requérant une lecture attentive de la notation de l'époque.
Écoutez.
Symphony N° 83 in G minor, The Hen (La Poule), I, Allegro spiritoso
C'est frais, inventif et plein d'esprit. Une musique qui invite à chanter, à danser, à rire !
Robert Schumann, Concerto pour violon, Trio avec piano n° 3, Isabelle Faust, violon, Freiburger Barockorchester, dir. Pablo Heras-Casado, Harmonia Mundi, 2015 – 1 CD + 1 DVD
Isabelle Faust est née en 1972 à Stuttgart. A l’âge de 11 ans, elle fonde un quatuor à cordes ; quatre ans plus tard, elle obtient un prix au concours Leopold Mozart ; en 1993, elle remporte le concours Paganini à Gênes.
Elle interprète Fauré, Debussy, Janacek, Bartok, Szymanowski, et Dvorak, Beethoven, Olivier Messiaen, Jörg Widmann, Gyorgy Ligeti, André Jolivet, Thomas Larcher, Michel Jarrell, et Johann Sebastian Bach – Sonates et Partitas pour violon seul.
Elle est cousue de prix. Elle joue un Stradivarius de 1704, La Belle au Bois Dormant.
Robert Schumann, Concerto pour violon, Isabelle Faust, violon, Freiburger Barockorchester, dir. Pablo Heras-Casado, 2015
Le Concerto pour violon de Schumann revient de loin. Mis sous séquestre pendant cent ans, il reparaît en 1937, l'année où le Concerto pour violon de Mendelssohn est interdit par les nazis en raison des origines juives de son auteur.
Une partition sulfureuse, semée d'embûches.
Yehudi Menuhin, Gidon Kremer, Nikolaus Harnoncourt n'ont pas craint de s'y brûler.
L'incandescente Isabelle Faust allume le feu.
Le Freiburger Barockorchester est clair, délié et coloré dans sa lecture d'une écriture prophétique.
Robert Schumann, Concerto pour violon,Yehudi Menuhin, violon, New York philharmonic orchestra, dir. Sir John Barbirolli, 1938 – le son Menuhin.
* * *
Pour les djeunes instruits en musique et en art gothique.
Isa, c'est pas une frimante, è joue pas hyperclitoridien, j'la kiffe dans les julots en laminoir. Nan, è joue pas d'la machine à coudre, Isa, c'est un plumier, soye à c'qu'on t'dit, et è joue méchant, faut voir comme è fait la pompe et l'rail en compagnie et comme elle envoye la purée dans la danska. Et pis è crache pas sur le sauciflard.
9 Variations on 'Lison dormait' in C Major, K. 264 (1778)
Sonata in A Major, K. 310 (1778)
6 Variations on 'Mio caro Adone' in G Major, K. 180 (1773)
Sonata in D Major, K. 284 (1774)
9 Variations on 'Lison dormait' in C Major, K. 264 (1778) – premières variations
Lison dormait dans un bocage
Un bras par ci, un bras par là.
Son lit était un vert feuillage,
Ah que l'on dort bien comme cela.
Son amant est là qui la guette.
Voyons, dit-il, réveillons-la.
Il lui tira sa collerette
Réveillons-la, réveillons-la.
La belle toujours sommeilla.
A l'automne 1778, Mozart compose Neuf Variations sur "Lison dormait", K. 264. Le thème est extrait de l'opéra-comique Julie, de Nicolas Dezède, représenté à Paris cette année-là. L'œuvre de Mozart montre une grande maîtrise du pianoforte de Stein, d'invention récente : l'espacement des voix et le registre des longues successions de retards dans la main gauche (variation 1) ; le dialogue de registres aigus contrastés (variation 3) ; de longs trilles (variation 4)...
(d'après le livret de l'album)
Endiablé, enjoué, en romance, Kristian Bezuidenhout est un magicien.