Pierre Assouline, Sigmaringen, Gallimard, 2014
Sigmaringen, ca 1900
Marlene Dietrich, Lili Marlene
C'est un moment de l'histoire de France qu'on veuille ou non... Ça a existé. Et un jour on en parlera dans les écoles.
Louis-Ferdinand Céline
Quand la vérité dépasse cinq lignes, c'est du roman.
Jules Renard
Immendigen est la première étape d'un périple qui doit me mener de l'autre côté de la frontière, jusqu'à un village alsacien dont j'ignore tout, à l'exception de l'identité de celle que je vais y retrouver, la femme à qui je dois d'avoir perturbé le confort de mes évidences. Une Française, Jeanne Wolfermann.
Que nous est-il arrivé ?
« […] Un télégramme.
[…]
C'est Ribbentrop. Le château est réquisitionné. »
Le prince de Hohenzollern ne se cachait pas de considérer les nazis comme des aventuriers incultes et athées.
La famille Hohenzollern, treize personnes, est forcée d'abandonner une maison qui était la sienne depuis quatre siècles.
En septembre 1944, les Français de Vichy viennent habiter le château. Julius, le majordome (le narrateur), peut rester à son poste, ainsi que tout le personnel.
La sécurité est assurée par le major Boemelburg et le SS-Obersturmfürher Detering, des hommes de Himmler, deux caricatures de la terreur ordinaire.
Le maréchal Pétain, le premier arrivé, accompagné de sa suite, le 8 septembre, est logé au septième étage, dit l'Olympe.
Le président Laval arrive quelques jours après, avec sa suite. Il est placé au sixième étage. « M. Laval a l'habitude : à Vichy, déjà, il était juste en dessous. »
« Combien de pièces au juste, dans ce château ?
– Trois cent quatre-vingt-trois.
La visite de la salle Saint-Hubert aux murs ornés de massacres produisait son effet. Quelques petits cris d'effroi ne purent être réprimés à la vue des têtes de cerfs empaillés, des animaux que seule la haute noblesse avait le droit de chasser ; elles témoignaient également de la richesse de cette famille, qui possède des réserves dans la région aussi bien qu'à l'étranger. Les bêtes paraissaient si vivantes dans leur mort.
La princesse Marguerite de Hohenzollern s'exprimait dans un excellent français mâtiné de quelques formules soigneusement argotiques à la limité de la grossièreté, comme seuls les aristocrates peuvent se l'autoriser.
Lou de Libellus, n'est-ce pas ?
Le reste du gouvernement français arriva les jours suivants.
Mlle Wolfermann, l'intendante du maréchal, est une femme à l'allure décidée, la taille bien prise et proportionnée, un visage fin aux traits réguliers.
Le majordome, en compagnie de Mlle Wolfermann, vient briefer ses troupes – un rappel aux principes : tenir, se tenir, maintenir.
Il y avait les ministres actifs, ceux qui y croyaient encore, et les passifs, ceux qui n'y croyaient plus.
Abel Bonnard, lui au moins sera ravi d'appartenir au clan des ministres passifs. Entre eux, ils l'appellent tous Gestapette.
Dans une sordide lutte de pouvoir et d'influence, une guerre civile entre partisans d'un même monde […], les différents microcosmes de Sigmaringen s'ignoraient comme autant de clans qui ne frayaient pas.
Le décor d'une sinistre comédie était planté.
Personnages.
Le président Laval, et le nouveau président, celui de la Commission gouvernementale, M. de Brinon, que Pétain déteste – autant qu'il méprise Laval. Déat, Bichelonne, Marion, Darnand... une galerie de portraits.
L'affaire de l'ascenseur.
Seul le maréchal y avait droit. Un jour, le maréchal s'est retrouvé coincé dans l'ascenseur.
Octobre s'achevait. […] la campagne prenait ses plus belles couleurs.
En ville, on connaissait le Café Schön, interdit aux Allemands, réservé aux Français... Bruyant et enfumé, il était désormais comme occupé.
On y voyait Lucien Rebatet, Les décombres, toute la bande de Je suis partout, Louis-Ferdinand Céline et son chat. Et son art de faire scandale en crachant dans la soupe.
Mlle Wolfermann esquisse quelques notes des Gymnopédies.
Erik Satie, Gymnopédies, I, piano : Daniel Varsano, 1980
Tout cela finit mal.
Pour Julius, tout est en ordre, comme avant.
Tout a une fin.
Philippe Pétain a purgé sa peine et sa vie à l'île d'Yeu, en Vendée, jusqu'en 1951.
Pierre Laval a été exécuté le 15 octobre 1945.
Fernand de Brinon, le 15 avril 1947, au fort de Montrouge.
Joseph Darnand, fusillé au fort de Châtillon.
Bernard Ménétrel, le médecin personnel du maréchal, un accident de voiture, en 1947.
Abel Bonnard, † à Madrid en 1968.
Marcel Déat, de mort naturelle en 1955, sous l'égide des sœurs de la Providence.
Eugène Bridoux, mort en exil, auprès du général Franco, en 1955.
Jean Luchaire, exécuté en 1946.
Louis-Ferdinand Céline mourut chez lui en 1961.
Lucien Rebatet, chez lui, à Moras(Maurras?)-en-Valloire, en 1972.
Otto Abetz, 1958, un accident de voiture – il y avait beaucoup d'accidents à l'époque.
Major Karl Boemelburg, évaporé.
Le roman est suivi d'une Reconnaissance de dettes, une bibliographie, six pages.
Écrit d'un style alerte et, nonobstant, académique, tendance Goncourt, ce roman d'intrigue(s) nous plonge dans un passé... peut-être dans un antérieur futur...
Sigmaringen, de nos jours