Idothée, Anthologie, 2014
Je suis l’envers du décor, l’ourlet de la jupe, le mot enfui qui insiste pourtant.
L’instant d’avant.
A l’abri du voile, le sourire secret, l’attente discrète.
J’écris à l’ombre de souvenirs, de l’autre côté du temps, à rebours des jours qui passent.
La page est un pré sec et jaune d’étés lointains où la tige du blé mûr trace des lignes brunes.
Je laisse les sillons creuser sur ma peau des nostalgies fécondes et des attentes de pluies.
Sous l’écorce de l’arbre la sève endormie attend l’heure des éclosions.
Elle murmure des chants oubliés.
Mélopée de ruisseaux jaillis de l’herbe neuve du printemps dernier.
Elle dit : reviens.
_ _ _
Il frissonne et sa pluie tombe sur mes épaules
Il sait qu’il existe des derniers automnes
Que toutes les traversées n’ouvrent pas sur de nouveaux soleils
Je ne sais pas comment faire
Et il n’y a rien à lui dire
Il raconte le début
Sa jeunesse d’arbre d’avant la ville
Avant le béton à ses pieds et l’âcre brouillard de la route
Alors je rêve de campagne, d’herbe dans les champs et de moissons abondantes
_ _ _
La rue est la même
En bas l’immeuble immobile
Rien de neuf
L’ancien m’enserre
Et je m’émiette
Je jette des mots contre la vitre
La pluie me revient en écho
J’ai perdu les virgules
Le rond des phrases
Je n’ai que l’arrête nue
La pointe acérée du verbe
Les heures me filent entre les doigts
Je répète les choses que je disais hier
Pour habiller aujourd’hui
Quand j’étais légère
Mais tout vient quand on se tait
Alors on connaît le visage blanc de l’aube
Je me défais de moi
Demain tu ne trouveras rien
J’ai posé mon chapeau
Dans l’entrée
Dans l’odeur chaude de la maison
Même seule je t’entends
Je suis aux quatre coins du vent
Campagne d’un été sous les roues du vélo
Un été en plein hiver
_ _ _
J’arrive
Encore une fois
Puisqu’il faut
Entrer dans l’hiver
Y creuser malgré tout
Au piolet
A la hache
A la colère
Un chemin
Inscrire sur le blanc de sa neige
Mon désir
Rouge
J’arrive
Les yeux blanchis
La peau sèche
Dévorée de soleil
Bourdonnante d’abeilles
Froissée d’herbes craquantes
Prisonnière
D’un rêve de métal
J'attends
Un déchirement du ciel
Retrouver la longueur des jours
Alanguir mon pas
Au pas des anciens étés
La main dans tes silences
Naître à nouveau de la pierre et du sable
_ _ _
Dans un autre temps
J’ai été pierre, immobile sous le soleil
J’ai été libellule, garçon puis fille
Frémissement
A peine
Simple tristesse sur la joue du ciel
Grain de sel sur les cils du vent
Une ombre comme un soir
Je soulève parfois
Le voile du jour
Pour entendre les récits d’avant l’hiver
Les contes de toutes les saisons
C’est un frisson qui court
Un inquiet souvenir
Puis l’ombre se ferme
Sur le premier souffle
Je perds dans l’instant le mirage entrevu
Je suis pierre, libellule, pierre encore
Fille
_ _ _
Je suis dans l'été
J'écris debout
Les yeux fermés
Peut-être je suis ce qui n'attend pas
Minérale
Pierre immobile
brûlée de soleil
Rocher solide
Que la chaleur enveloppe
D’une aura d’air en mouvement
_ _ _
Ma pierre de lune
Trouée de vent
Le silence et les dunes
Dans le désert blanc
La danse claire des champs de blé
La langueur des journées d’été
Et l’impudeur de certaines nuits
Quand par hasard je rêve de lui
Je ne sais dire que ça
Ma plage noire
Aux anémones
La ville blanche
De cinéma
Un troubadour qui chantait
Dans un soir lointain de juillet
Et l’éclair métallique de sa voix
Dans ma mémoire comme un éclat
Je ne sais dire que ça
Ma pierre de lune
Trouée de vent
Le silence et les dunes
Dans le désert blanc
Tu vois, je récite la comptine
Qui m’enracine aux premiers temps
Pour me défaire de ton mirage
Je suis la pierre et la lune
Je suis la dune et le vent
Le sable qui m’a vue naître
Le silence où se noue mon désir
Et ce touareg qui m’attend
Quand je ferme les yeux
_ _ _
J’oublie de tous
L’intime et le secret
La nuit et l’aube
Le souffle et les mots
J’oublie mon nom dans leur bouche
Ils sont les passeurs
Sur les rives
Rameur des barques fragiles
Des traversées de temps
Prends
La douceur vibrante
Le cri silencieux
La pierre et le sable
_ _ _
Tout a commencé là
Peut-être
Dans l’enchâssement de la pierre
Dans le sable et le vent
Et peut-être pas
Dans le murmure alors
Murmure inconnu, chatoiement coloré
Première indiscernable phrase
La pulsation d’un monde étroit d’eau sourde
Tout autour la jungle pressentie
Des percées de cris
Des froissements de feuilles
De tôles
Crissements du sable et tintements d’assiettes
Le silence après, longtemps
Tout a commencé là dans ce berceau de chaos
Et le premier regard a voulu lire une promesse du monde
Une offrande d’horizon, ouverture de ciel
Plaie vive où la plume trouve l'encre d'un trajet
_ _ _
Je suis un secret
Ma bouche s’est fermée sur un souvenir d’été
Dans les bras d’un soleil chaud
Je ne sais plus les noms des chemins que l’on prend
Verts et silencieux
Je ne sais plus où vivent les petits torrents brefs
Les échappées d’eau aux insolents jaillissements dans les creux des forêts bruissantes
Les pierres m’ont échappé des mains
Les herbes même se taisent
Et sur ma joue, les caresses des arbres sont un oubli de plus
Une trahison du temps
_ _ _
Regarde
Dehors la nuit s'est déchirée
Elle a des yeux de chat qui ronronne
Il fait doux en février
Quand tu m'écris
Je me tiens dans le silence
Le silence d'avant ta voix
J'attends d'en retrouver l'arrête crissante de métal
Est-ce que tu sais
Toi qui me demandes de la chaleur
le soleil que tu tiens dans tes mains ?
La tendresse marche sur les saisons
Elle demeure sans rien savoir du temps qui passe
Et se fait pierre dans l'absence
_ _ _
J’ai entendu qu’un printemps viendrait.
Aussi bruissant et décidé qu’une myriade d’insectes dans un rayon de soleil.
Aussi frais et limpide que l’eau de la cascade dans la vasque de pierre polie par sa chute.
Pour laver le ciel, chauffer le bitume glacé et faire fondre le givre qui enserre les cœurs.
Le mien s’acharne à battre dans sa cage d’intempéries douloureuses.
Toutes les peines n’arrivent pas avec le froid, mais elles se marient si bien avec lui.
Elles nouent avec la nuit des pactes silencieux et éteignent les lumières des fêtes.
Mais j’ai entendu qu’un printemps viendra.
_ _ _
Si j'étais à l'envers
Derrière la façade tranquille
Les fenêtres sages
Dans le printemps de la ville à peine éveillée
Soulevé le rideau
On entendrait, on verrait
Le privé, le vrai, ce que je me dis
Mes conversations intérieures
Mon bruit
La danse et le sauvage
Le doux, le tendre et le cri
Le sang battant dans le tissu des veines
Et la peau rouge
L'indienne
Mon envie de viande, à pleines dents
Accroupie près d'un feu
Tout ne se dit pas
Ce que je ne sais même pas
A peine pressenti si souvent
Comment ma lenteur dérive d'un acharné travail
D'une course intérieure
Comment, parfois, je lève la digue et je laisse
Courir les chevaux, forcenés d'un galop de vagues à l'assaut du barrage
Je sais bien.
Oui je sais
Mais pas tout
Et des fois, de moi-même j'ai peur
Ou de vous
_ _ _
La peau sèche de soleil
D’abeilles bourdonnantes et d’herbes craquantes
Prisonnière d’un rêve de métal brûlant
Dans l’attente, déjà, d’un déchirement du ciel, de la longueur des jours
De l’alanguissement de mon pas au pas des anciens étés
La main dans tes silences
Mais l’hiver
Et malgré tout, au piolet, à la hache, à la colère, trace sur le blanc de sa neige
Mon désir
Rouge
_ _ _
La grève des bords de mots est un sable rêche
Roulé de vagues de silence
Les marées de l’absence aiguisent les arrêtes pointues des cailloux salés
Sur le bord des lèvres, là où s’éteignent les appels qu’on ne crie pas
Par décence
Un vieux pêcheur muet lance une ligne
Dans un bruit mat qui se noie aussitôt
Le muet parle à des sourds
Ils avalent les phrases sans en recracher un morceau
Et ça fait un désert si blanc que le pêcheur baisse sa casquette
Protège ses yeux
Et ramène sa ligne
Ça ne mord pas aujourd’hui
_ _ _
Je rêve d’un été, lourd. D’or et de plomb. Les rivières cachées, loin sous la terre et l’herbe sèche, la terre assoiffée. Comme avant. Écrasant, impitoyable, abattant sa chaleur sur nos têtes d’enfants heureux.
Un rêve éveillé, immobile, de fleurs fanées de trop de soleil.
Debout dans cette brûlure.
Traversée par le ciel. Jusqu’à la transparence.
_ _ _
Je suis le pêcheur
Des vagues abyssales
Un explorateur
Émergé d’un dédale
J’ai dans mes filets
Des mots si ténus
Qu’il faut pour les serrer
Les tenir à mains nues
_ _ _
Tu veux savoir
Si j’entends encore le bruit du passé
Les criquets dans les champs de nos étés
Le cliquetis des voiliers dans les ports où je rêvais
Si je vois toujours les cigognes, place Djemaa El Fna et si la tête me tourne de la Koutoubia
Tu veux savoir si ma mémoire est dans la main de la tienne
Si je marche au diapason
A ton pas
L’air tu sais, aujourd’hui, a cette transparence de verre
Cette fragile vibration qui annonce déjà le lendemain
J’imagine ce qu’une griffure d’ongle viendrait y déchirer
Ouvrir de silence
J’ai oublié
_ _ _
Tu dis des routes sans épines
Des soirs qui s’étirent et la chaleur d’être deux
Ne m’attends pas
Partout où j’ai marché, j’ai trouvé mon silence
Les mots ont tracé des sillons sur ma peau
Plaies ouvertes par où le temps s’enfuit
Je ne sais pas de port
_ _ _
Peut-être tu es l’histoire entraperçue
A peine
Une constellation de possibles dans un ciel vide
La veille d’un matin qui ne viendra pas
Peut-être
Qu’il faut poursuivre avec ça
Cette fleur rouge à l’intérieur
Et sa soif sans eau
La lettre qui attend la dernière levée
Sans connaître l’adresse
Tu me laisses sans projet
Tu me prends le goût de chaque instant
L’amertume du café
La fenêtre ouverte sur un nouveau matin
Et la musique
Tu me prends les mots dans ma bouche
Ceux qu’on dit savoir
Par habitude de vivre
Le plus simple
Tu as pris le plus simple
Il me reste le compliqué
Le difficile
Comment on respire
Comment on dit bonjour
Et au revoir et merci
Comment on marche
Réfléchir le pas devant l’autre
Penser le moindre geste
Pour un à peine entraperçu
Même pas un début
Une constellation de possibles dans un ciel vide
_ _ _
Laisse, mon cœur
Laisse les emballements et les fureurs
Respire
Retrouve, le pas ample et posé
Le tracé juste
Le rythme enfin des grands arbres et des herbes
Le temps, au moins, de s'apaiser
Laisse courir, un peu
Laisse-moi
Déprise d'absolu
Me nicher dans les failles
Dormir dans les erreurs et les imperfections
Là où naissent les étranges nouveautés
Les créations incertaines et fugaces
Tout ne vient pas à l'heure de ce que tu veux
Rien n'est donné de ce que tu attends
Et dans la lente promenade des jours tu peux trouver un peu l'éclat, l'éblouissance que tu cherches
Parfois
_ _ _
Lovée encore dans la persistance d'un rêve d'acier
Du sable plein les yeux et du sel dans la bouche
Le soleil est à l'intérieur
Sa griffe mord comme un jeune chat le ventre de sa mère
Comment faire ?
Cette impression de s'être trompé de jour
Cette quasi certitude de ne pas être d'ici
Ca risque
Ca risque de renverser une journée
La mettre sur le dos
Tortue désespérée affolée déjà de s'imaginer mourir
On veut manger du vent
Courir
Il va falloir
pourtant
En boitant
Crispé sur sa faim
Porter la charge jusqu'au soir
_ _ _
Des nuits chauve-souris où l’on erre sans trouver de portes, sans voix
Immobilisé dans un rêve de chaos où la fuite qui s’imposerait s’avère impossible, émergent parfois des journées claires
Brillantes comme la lame affûtée de la dague
Des journées de tous les courages
Celles de la parole tirée droite de l’arc vers sa cible
Pas un mot de plus
Et des silences comme les sillons des rides sur les visages qui ont vécu
_ _ _
J’ai joué
Tellement que j'ai cassé
Le mécanisme à tourner
Le bidule à rebondir
Tellement que j'ai usé
Les piles qui ne s'usent pas
Les semelles à mes souliers
Et mon cœur à ses pieds
J'ai joué
Un verre dans une main
Un jeton dans l'autre
Jusqu'à plus nuit
Et j'ai perdu
Des sous et des amours
Du temps
J'ai joué
Aux dés, aux cartes
Et peut-être
Dans un rêve noir
A la roulette russe
J’ai joué à m’approcher
Trop près
De tout ce qui brûle
De tout ce qui brille
Les éclairs fugaces
Les regards qu’on croise
Et que le matin éteint
J’ai compté les points
J’ai parié sur des boxeurs
Hué des Toreros
Abattu quelques chevaux
J’ai croisé des bookmakers
Quelques arbitres
Beaucoup de tricheurs
Et peu de héros
Tu relances
Je double la mise
_ _ _
Je ne sais plus rien dire
J’ai perdu la parole
A l’endroit même où je l’ai trouvée
J’y reviens souvent
C’est une gare
C’est une terre
Jaune
Presque déjà de sable
Et le désert plus loin
C’est un champ
A l’abandon
Echevelé et sauvage
Penser le soleil
Entendre le voyage sur les rails
Marcher sur les bords
Oser la traversée
Les chutes
Dans les spirales où mes mots tournent
Trouver ce qu’il faut d’envie pour ne pas tomber
Et parfois
Pousser une porte en terre étrangère
Dans la violence d’un autre monde
Les aspérités d’une rencontre
_ _ _
Je te sais
Homme bleu
Comme on sait
Dans son sang
L'alliance inscrite
Je suis la gardienne de ta maison
La dague à ta ceinture
L'eau à ta bouche
Tu te tiens sur la dune
Veilleur silencieux
Tu cherches
C'est moi qui te trouve