Antoine Blondin, Monsieur Jadis ou l'école du soir, La Table Ronde, 1970
Antoine Blondin, 1979
Dans un fier sursaut de jeunesse, un quinquagénaire se laisse prendre dans une rafle de routine, sous le climat contemporain de Saint-Germain-des-Prés. Conduit dans l'un des rares postes de police qu'il ne connaisse pas encore, on l'y retient pour une vérification d'identité.
À la lumière de cette opération à double sens, qu'il mène pour son propre compte sur le plan de la mémoire, il voit surgir, sous le nom de Monsieur Jadis, le jeune homme qu'il a été, dans d'autres nuits, en d'autres temps, dans d'autres commissariats de police.
« Ma vie est un roman », entend-on dire couramment. Le narrateur prend cette assertion au pied de la lettre. L'image d'une silhouette légère sur la crête des rencontres, des amitiés, des amours, pourra-t-elle satisfaire le farouche jeune homme dont il s'est fait une joie de partager un instant la cellule, ou bien devra-t-il constater qu'il a voulu se mêler à qui ne le regardait pas ?
4e de couverture
En dédicace.
A l'abbé Pistre, la part de confession qui lui revient de droit.
A Yvan Audouard, les mensonges, en hommage au maître de la « vérité du dimanche ».
En exergue.
« Ma vie est un roman. »
(Tout-Un-Chacun)
Longtemps j'ai cru que je m'appelais Blondin, mon nom véritable est Jadis. C'est celui que je viens de donner au brigadier penché sur la main-courante de ce commissariat dont je ne soupçonnais pas l'existence.
Il pouvait être six heures du soir au carrefour de Buci. […] Assis par petits paquets sur le bord du trottoir, des adolescents, égarés dans quelle dimension, offraient la gravité lointaine d'un casse-croûte de cantonniers au revers d'un talus. […] Ainsi du geste absorbé des fumeurs : ils font chanvre à part jusqu'à ce qu'une guitare les accorde. Déjà le printemps agitait sur le quartier l'imminence bigarrée d'un crépuscule hippy.
Souvent, je me surprends dans une glace ; ce que j'y vois m'intrigue. […] Ces cheveux clairsemés, cette bouche démeublée, ces yeux qui peinent à accommoder sont un déguisement. L'être qu'il cache n'est autre que le jeune homme que j'étais, que je demeure. Entendons-nous : pas question de devenir un de ces vieux messieurs qui ont gardé le cœur jeune, je suis ce jeune homme dont l'enveloppe s'est usée.
I
Monsieur Jadis était encore à l'âge où l'on croit que l'espérance est belle sous les pas d'un promeneur, à minuit.
[…]
Le whisky aidant, on pouvait attribuer sa maigreur au raffinement, son dénuement à la désinvolture, son indécision à l'embarras d'un esprit trop sollicité.
II
Monsieur Jadis, comme Cadet Rousselle, avait trois maisons : l'une où ses enfants dormaient avec leur mère ; une autre où sa compagne dormait avec son mari ; la troisième où sa mère dormait avec son accordéon. Mais il en habitait, le plus souvent, une quatrième où tout le monde dormait avec tout le monde, car celle-ci, la seule où il disposât d'une clef, généralement pendue au tableau, était un hôtel sur le quai Voltaire, où il lui arrivait de s'enfermer à double tour pour mieux poser sur les paysages de son enfance le regard d'un homme libre.
Antoine Blondin se souvient de sa jeunesse à Saint-Germain-des-Prés dans les années '50, au temps où l'on voyageait avec Roger Nimier, Paul Morand, Albert Vidalie, Marcel Aymé, Juliette Gréco, Boris Vian, Jean Dauger... d'un comptoir à l'autre. Une vie de noctambule retrouvée par le hasard d'un brigadier autorisant le dédoublement de la personnalité. C'était un soir de Noël.
Écoutez-le.
Antoine Blondin, INA, 1979
Écoutez Boris Vian et ses frères.
Boris Vian à Saint-Germain-des-Prés, Le Tabou, Sheikh of Araby, 1958 – Alain à la batterie et Lélio à la guitare
Sur la route, vous verrez le Yang-Tsé-Kiang ou l'Espagne de Manolete, à moins que vous ne vous contentiez de La Bourboule...
Henri Verneuil, Un singe en hiver, 1962 – le Yang-Tsé-Kiang...