Lou

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  • : Un bloc-notes sur la toile. * Lou, fils naturel de Cléo, est né le 21 mai 2002 († 30 avril 2004).

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Uncontacted tribes

 

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22 septembre 2013 7 22 /09 /septembre /2013 23:01

 

Charles-Henri Bodin

 

Écoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix, et fausser les balances. Nous pourrons acheter le malheureux pour un peu d’argent, le pauvre pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! »

Le Seigneur le jure par la Fierté d’Israël : « Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits. »

Amos, 8, 4-7

 

Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé parce qu'il gaspillait ses biens. Il le convoqua et lui dit : 'Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.'

Le gérant pensa : 'Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Travailler la terre ? Je n'ai pas la force. Mendier ? J'aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu'une fois renvoyé de ma gérance, je trouve des gens pour m'accueillir.'

Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : 'Combien dois-tu à mon maître ? — Cent barils d'huile.' Le gérant lui dit : 'Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.'

Puis il demanda à un autre : 'Et toi, combien dois-tu ? — Cent sacs de blé.' Le gérant lui dit : 'Voici ton reçu, écris quatre-vingts.'

Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s'était montré habile, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l'Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.

Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est trompeur dans une petite affaire est trompeur aussi dans une grande. Si vous n'avez pas été dignes de confiance avec l'Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ? Et si vous n'avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, le vôtre, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien il s'attachera au premier, et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent. »

Lc 16, 1-13

 

Homélie

 

 

Charles-Henri Bodin, en l'église Saint-Antoine à Lyon, dimanche 22 septembre 2013

Références bibliques :

Am 8, 4-7 ; Ps 112 ; 1 Tm 2, 1-8 ; Lc 16, 1-13

 

L’habileté et la lumière

 

Frères et sœurs, en entendant cet évangile, nous sommes en droit de trouver que Jésus nous scandalise. « Comment ça ? Jésus fait l’éloge d’un homme malhonnête ? » Aujourd’hui encore, tant et tant d’affaires de finance ou autres escroqueries, se déroulent sous nos yeux et, si je suis l’évangile, je devrais, comme Jésus, faire l’éloge de ces escroqueries ?

Ce n’est pas de la malhonnêteté de cet homme que Jésus fait l’éloge, mais de son habileté : « Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s’était montré habile. » Jésus fait l’éloge de cet homme qui est sur le point de se faire licencier pour faute grave : il gaspillait les biens de son maître. Et cet homme, face à la crise qui lui arrive, s’arrête et prend le temps de réfléchir sur lui-même : « Que vais-je faire ? Ah ! Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois licencié je trouve des gens pour m’accueillir. »

Et voilà toute l’habileté de cet homme : il profite de son préavis de licenciement pour se servir encore une fois de son pouvoir de gérant. Il se fait des amis pour son intérêt personnel. Ce gérant trompeur prépare son avenir pour lui. Cet homme est très fort ! C’est pour cela que Jésus fait son éloge. Jésus fait l’éloge de cet homme qui prépare sa reconversion. Mais il prend cet exemple pour nous provoquer. Ils sont forts et habiles entre eux, les hommes de ce temps ! Et nous ?

Frères et sœurs, par cet évangile, Jésus nous invite à être encore plus habiles et plus forts que les hommes de ce temps. Mais il nous dit de passer du « côté obscur de la force » au « côté lumineux de la force. » Jésus nous invite à vivre avec habileté en Fils de lumière et à en profiter pour éclairer le monde. Et du coup, nous pressentons qu’être chrétiens, c’est être lumineux. Souvenez-vous qu’on nous a remis un cierge au jour de notre baptême, pour que nous soyons sans cesse témoins de la lumière du christ en nous. Alors, hormis son habileté, nous comprenons déjà qu’être témoin de cette lumière, c’est refuser d’être comme le gérant qui ne pense qu’à lui et qui pose des actes pour son propre intérêt. Et donc, tout en gardant notre habileté, être lumineux, c’est vivre avec les autres. Car à quoi sert-il d’être lumineux pour soi-même ? C’est pour les autres que je suis lumineux !

J’agis de façon lumineuse lorsque, dans les temps de crise, j’ai la capacité à prendre du recul pour me « reconvertir ». Me convertir à l’autre : le voir, à côté de moi. Et bien sûr me convertir à Dieu : reconnaître que je peux compter sur lui pour me faire vivre. En fait, nous devenons lumineux lorsque nous choisissons Dieu en servant l’autre. Il s’agit de choisir Dieu et de l’aimer en l’autre. Manifestons autour de nous que Dieu est vital pour nous ! Ne restons pas sans l’annoncer. C’est ce qu’a fait l’abbé Charles-Michel de Lépée, cher au cœur des sourds depuis 300 ans. Il avait choisi Dieu et il était vital pour lui de l’annoncer aux personnes sourdes. Il a donc été inventif, créatif : en mettant au point une nouvelle langue. Une langue faite de gestes et de signes. Ce fut un précurseur : voilà comment il fut habile devant l’urgence qu’il voyait. Et Jésus nous appelle à être d’une lumineuse habileté dans les circonstances difficiles de nos vies.

Frères et sœurs, ne soyons pas comme une « lampe cachée ». Soyons habiles pour rayonner auprès des autres que nous avons choisi Dieu, car il est source de la lumière. Amen.

 

* * *

 

Dimanche 22 septembre 2013

 

http://www.lejourduseigneur.com/Replay/Dimanche-dernier/Emission-integrale

 

http://www.lejourduseigneur.com/Replay/Dimanche-dernier/Homelie

 

http://www.lejourduseigneur.com/Replay/Dimanche-dernier/Texte-de-l-homelie

 

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18 septembre 2013 3 18 /09 /septembre /2013 23:01

 

Sembene Ousmane, le dernier de l'empire

Sembène Ousmane, le dernier de l'empire, L'Harmattan, 1981

 

Sembene Ousmane, San Francisco International Film Festival,

Sembène Ousmane, San Francisco International Film Festival, 1993

 

« Ce présent ouvrage ne veut être pris pour autre chose qu'un travail d'imagination. »

 

Vendredi 6 h 30

Le gendarme, l'arme à la hanche, le visage ferme, de la paume droite lui fit signe d'attendre, et s'éloigna sur ses jambes arquées dans le couloir silencieux à cette heure très matinale.

[…]

Mam Lat Soukabé, ministre d’État chargé des Finances et de l’Économie, empruntait une fois par semaine ce corridor, et cela depuis des années.

 

Léon Mignane, le Vénérable, le président de la République, a disparu dans la nuit.

Le vieux Siin, son chauffeur, a été retrouvé mort – assassiné ?

 

Et si on rétablissait nos relations diplomatiques avec Israël ? Avait lâché Léon, peu auparavant. Un sujet qui fâche.

 

Mapathé, ministre d’État chargé de l'Information et des relations avec les Assemblées, disait :

Nous ne nous portons pas plus mal avec ce semblant de démocratie.

 

David Daouda, Premier ministre. Il lui revient, selon la constitution, de prendre la place du président en cas de vacance. C'est compliqué.

 

« L'homme politique doit se garder de dire toute, toute la vérité. »

 

Le colonialisme – économique et culturel, le formatage des esprits, est actuel.

 

Léon Mignane, président de la République, est introuvable.


Lamine Konte, La Kora du Sénégal

 

 

Lamine Konte, à la kora, Aimé Césaire, Négritude, Arion, ca 1975

Les indications musicales sont données dans le roman.

 

Samedi

L'abondante rosée de la nuit vécue avait rincé les feuillages en fixant la poussière au sol. Des nuages lourds, traînant, venus de l'ouest maritime, aveuglaient le soleil encore pubère.

 

La parole est aussi meurtrière qu'une arme à feu.

[Des armes et des mots c´est pareil, ça tue pareil – Léo Ferré]

 

On ment à la presse, à la radio, à la télévision, le président souffrirait d'une indisposition passagère.

 

Tu penses que le Vénérable a fui ?

 

Oui, l’État est en banqueroute. L'indépendance est différée. En attendant que le peuple contrôle l'économie.

Les jeunes partent pour manifester, dans le bruit et la fureur.

Les militaires prennent le pouvoir.

 

Qui a fomenté ce coup d’État ?

 

Léon Mignane avait joué double jeu.

 

Le doyen Cheikh Tidiane confia après un temps de silence :

J'ai trouvé le titre de mes mémoires...

Attentifs, ils le dévisagèrent.

Le Dernier de l'Empire.

 

Samba Aliou Guisse

 

 

Samba Aliou Guissé, au xalam, Dakar, Sénégal

 

Sembène a toujours milité pour une indépendance réelle contre cette dépendance masquée qu'on entend dans les discours de Dakar, celui de notre précédent président, celui de notre président actuel.

L’Afrique n'a besoin de personne, en Harley-Davidson, si on veut bien la laisser vivre.

 

Le récit est lent, l'art des griots. On pourrait l'écrire en trois lignes. On perdrait la substantifique moelle.

 

Sembène – Ousmane est son prénom – est un grand écrivain et un immense cinéaste.

Regardez ! Le génie, avec des bouts de ficelle, Godard à Dakar.

 

 

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16 septembre 2013 1 16 /09 /septembre /2013 23:01

 

Yves Combeau

 

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l'écouter.

Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »

Alors Jésus leur dit cette parabole :

« Si l'un de vous a cent brebis et en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la retrouve ?

Quand il l'a retrouvée, tout joyeux, il la prend sur ses épaules,

et, de retour chez lui, il réunit ses amis et ses voisins ; il leur dit : 'Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !'

Je vous le dis : C'est ainsi qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion.

Ou encore, si une femme a dix pièces d'argent et en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu'à ce qu'elle la retrouve ?

Quand elle l'a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines et leur dit : 'Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé la pièce d'argent que j'avais perdue !'

De même, je vous le dis : Il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »

Lc 15, 1-10

 

 

C’est une histoire vraie. Un garçon de mes connaissances, un de mes scouts, en fait, traînait la nuit avec une bande de gamins de la Porte de Montreuil à Paris, pas dangereux, mais certainement délinquants. Naturellement, ses parents n’en savaient rien.

Une nuit, au métro Télégraphe, il se fait attraper par la Police et emmener au poste. A quelques semaines près, il est encore mineur. On appelle ses parents, qui habitent à l’autre bout de la ville. A trois heures du matin, son père doit quitter l’appartement familial et traverser Paris désert pour chercher son fils au commissariat de Ménilmontant. Quand j’ai appris l’histoire, j’ai dit au père : « Vous deviez être furieux ! À trois heures du matin ! » Eh bien ! Il m’a répondu : « Pas du tout… En fait, j’étais très heureux dans ma voiture. J’allais chercher mon fils qui s’était mis en danger et je me sentais père, parce que les pères sont faits pour ça. »

Mon histoire vraie, c’est l’histoire de l’Évangile d’aujourd’hui. Quelles que soient les paraboles qu’emploie Jésus, et il y en a d’autres que les deux que nous venons d’entendre, elles signifient que le Père, parce qu’il est père, ne cesse pas de nous chercher, nous ses enfants, et qu’il trouve sa joie dans cette quête.

Je sais bien que nous nous inquiétons souvent de ne pas trouver Dieu ; nous disons : « Je suis en recherche », mais en réalité, c’est le contraire : c’est Dieu qui est « en recherche ». De nous. Dieu nous cherche, comme il le fait depuis le début, depuis qu’il appelait Adam dans le jardin. Et non seulement Dieu nous cherche, mais il nous cherche par amour, et c’est sa joie que de traverser la nuit, la nuit de la ville, la nuit de notre paresse ou de notre faiblesse, ou de notre aveuglement, pour venir nous prendre dans ses bras. C’est ce qu’a compris saint François de Sales, puisque nous sommes aujourd’hui dans l’église de son baptême et de son enfance, lorsqu’adolescent, il a découvert que la seule volonté de Dieu était une volonté d’amour. Que Dieu, qu’il craignait comme le garçon dont je parlais craignait son propre père, ne voulait que son bonheur. Que tout ce qu’il avait à faire, lui, François de Sales, était de faire confiance, parce que jamais, en aucun cas, le Père ne l’abandonnerait.

La voiture roule dans la nuit de Paris. Rue du Quatre Septembre, place de la République, rue de Belleville. Le père de mon histoire n’est jamais venu dans ces quartiers. Mais il est heureux. Il est heureux parce qu’il va chercher son fils. Chez lui, sa femme et ses deux autres fils dorment. Mais lui roule dans la nuit et approche d’un commissariat. Il a eu peur, il se demande ce qui se passe, quelle bêtise a fait son grand garçon, qu’il sait têtu et rebelle, mais dans cette inquiétude, il se sent père. Il n’a pas de colère. Il n’a que de l’amour à donner.

Dieu, notre Père, est comme ce père. Il cherche la brebis dans le désert, la pièce de monnaie dans les lattes du plancher, son fils dans la nuit ; il cherche chacun d’entre nous là où nous sommes, quoi que nous ayons fait, si loin de lui que nous nous sentions. Jamais il ne pourra nous abandonner. Tout à l’heure, nous dirons ensemble le « Notre Père ». Je voudrais que ces deux mots, quand nous les prononcerons, vous rappellent le père qui roule dans la nuit et qui sourit à son volant.

 

Frère Yves Combeau, o.p., en l'église Saint-Maurice & Saint-François-de-Sales, Thorens-Glières, le 15 septembre 2013

 

Références bibliques :

Ex 32, 7-11.13-14 ; Ps 50 ; 1 Tm 1, 12-17 ; Lc 15, 1-32

 

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14 septembre 2013 6 14 /09 /septembre /2013 23:01

 

Tito Topin, Des rats et des hommes

Tito Topin, Des rats et des hommes, Éditions Payot & Rivages, 2011

Le titre s'inspire du roman de John Steinbeck, Of Mice and Men, Des souris et des hommes, dont nous parlerons prochainement.

 

« Dieu est le silence de l'univers, et l'homme le cri qui donne sens à ce silence. »

José Saramago

 

En tête du cortège, ils évoluent en sarouel vert retenu à la taille par un cordon torsadé de la même couleur, le torse nu, les épaules ondulantes, la tête recouverte d'une cagoule noire zébrée de rouge avec deux fentes en amande pour les yeux et ils se flagellent le dos sur un rythme d'une lenteur tragique.

[…]

Derrière eux, coule et roule une houle de lourds crucifix de métal plantés sur des palanches en bois de chêne, chacune d'elles épaulée par douze gaillards vêtus de rouge et de blanc.

[…]

Vient ensuite le flot de drapeaux rouges.

[…]

Suivent des cris des imprécations des galopades pour chasser du cortège une putain égarée […]. L'incident terminé, les portraits géants du fondateur de la scientologie sont hissés haut par des fanatiques […]. Lui succèdent les drapeaux noirs de l'anarchie et le martèlement à pleins gosiers des ni Dieu ni maître où il est asséné qu'il n'est ni grand ni petit mais qu'il n'est pas et qu'il n'a jamais été et qu'il ne sera jamais, bientôt recouvert par les mugissements et les cris dénués de raison d'une secte inconnue brandissant des croix orthodoxes en vulgaire contreplaqué avec un christ femelle punaisé tête en bas […] et puis voilà qu'avancent en rangs serrés les Guerriers de la Pauvreté […]. Ce sont ensuite les déhanchés de la Guilde des Pygolâtres […]. Les androphobes ne portent pas de tenue particulière, elles ont refusé celle que proposait la direction mondiale des gays, elles chantent, elles postillonnent, elles dansent et s'embrassent sur les airs de Dalida que diffusent d'immenses haut-parleurs juchés sur un char en forme de godemiché […]. La voix de la diva du disco se mêle aux psalmodies ânonnées par de pâles barbus coiffés d'épais bonnets d'astrakan d'où pendouillent deux tortillons noirs de chaque côté du visage.

[…]

Leurs lamentations sont couvertes à présent par les pétarades des Road Saints, casqués, corsetés, bottés sur leur machine de chrome d'où jaillissent des fanions noirs figurant la face d'un christ auréolée de Co2. Et d'autres chants brouillons s'élèvent et se chevauchent en queue de cortège, ceux des derviches tourneurs aux longs bonnets rouges et ceux des confréries chrétiennes aux limites de l'extase et aussi les braillements des mormons gris et les pleurs des adventistes du septième jour et les cris farouches des sunnites accompagnés à la darbouka et ceux des pentecôtistes et ceux des bonzes safranés et des shamanistes à clochettes affichant l'effigie dodue du Dalaï-Lama et ceux des bouddhistes anémiés et ceux des animistes boudinés brandissant des totems polychromes et ceux des gnaouas bondissant au rythme des crotales de fer et tous réclament le retour du Seigneur pour mettre fin à leur douleur.

 

Dans un décor apocalyptique et pourtant réaliste, on manifeste, Kubitschek regarde depuis sa fenêtre.

On ne ramasse plus les ordures, Paris est paralysé, les immondices s'entassent jusqu'au premier étage des maisons, on creuse des tunnels pour rentrer chez soi, certains mettent le feu aux poubelles, un feu qui gagne les constructions, les rats prolifèrent.

Des rats, et des hommes qui sont encore plus nuisibles que les rats.

 

Kubitschek est à l'aise, côté finances, il fréquente encore les cercles de jeu, il gagne, jusqu'à ce qu'il soit pris dans un braquage, des braqueurs masqués, mais il a reconnu une voix, un nuisible de longue date. Il faut dératiser.

 

Kubitschek fait le ménage, les nuisibles, ses deux enfants, les méchants en général. Il a peut-être un cancer, plus rien à perdre, et quand Kubitschek fâché... lui toujours faire ainsi.

 

Rentré chez lui, Kubitschek envoie Farida, la fidèle servante, et Olga, la prostituée recueillie, en promenade, il allume une bougie, ouvre le gaz et quitte la maison, son fils et sa fille endormis dans leur couche incestueuse. Tout saute !

 

Kubitschek est maintenant au salon de coiffure où il a ses habitudes.

 

Ce roman est un drame musical, on y entend... écoutez !

 

 

Django Reinhardt & Stéphane Grappelli, Minor swing, 1937

 

 

Artie Shaw, Sometimes I feel like a motherless child, ca 1940

 

 

Arthur Dooley Wilson, As time goes by, Sam in Casablanca, 1942

 

 

Ben Sidran, Language of the blues, 2005


 

Et il n'y aura aucun survivant, ni dans le camp des perdants, ni dans le camp des gagnants.

 

 

Noir Désir, Gagnants-Perdants, 2008

 

Tu voulais savoir ce que je fais ? Tu me demandes tous les jours à quoi je sers, quel sens je donne à ma vie ? Je viens de te l'expliquer, j'ai envie de secouer cette putain de société avant qu'elle envoie des millions de gens à la casse.

Cette société fabrique des jeunes crétins à la pelle et les jeunes crétins font de bons martyrs mais ne me raconte pas de belles histoires pour endormir les connards, tu as toujours été un pervers.

 

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10 septembre 2013 2 10 /09 /septembre /2013 23:05

 

Jean-Marc La Frenière, Un feu me hante

Jean-Marc La Frenière, Un feu me hante, Éditions d'art Le Sabord, 2009

illustrations, Lino

 

Jean-Marc La Frenière

Jean-Marc La Frenière est né au Québec dans la Vallée du Richelieu, à Belœil, il vit à Saint-Ferdinand.

 

Un feu me hante

 

Si je n'ai plus de bouche, je parlerai quand même, avec mes pieds, avec mes yeux, avec mes poings, avec mes ongles sur les murs, avec mes doigts aveugles dans le braille des jours. Si les bêtes me dévorent, je parlerai par elles. Je serai l'os sonore dans la gueule du silence. Un feu me brûle et me hante. On ne peut pas tenir en laisse un cœur qui prend feu. Si je perds mes mots, je parlerai quand même dans une langue inconnue. J'ai perdu la raison entre l'écorce et l'arbre. Le soleil fait briller les coquillages de mes doigts. Je griffe l'ombre à la lumière de mes ongles. Quand l'étoffe des métaphores est cousue de fil blanc, je tire sur le fil. Chaque parcelle de profit cache une arme. Plus on achète, plus on vend ; plus d'enfants meurent sous les bombardements, plus le cœur en arrache, plus la matière écrase la porcelaine de l'âme. J'écris d'où les bombes surgissent, d'où les enfants ont faim, d'où les hommes trébuchent sur leurs propres lacets. Je lègue mon stylo aux pages qu'on rature. Il est blessé de mots et d'images un peu folles. Son encre sèche mal comme une femme battue, une fleur qu'on piétine, un tapis de prière chargé de dynamite. Je nourris la terre. Je nourris la graine. Je nourris l'oiseau. Je nourris le ciel d'une purée de mots.

 

Ainsi a parlé Jean-Marc La Frenière, dans une longue incantation, dans une langue inconnue, un chant de révolte.

 

Chaque vague enseigne la mer.

 

J'apprends aux pierres le mot aimer.

 

Qu'importe qu'on me prenne pour un fou, un déjanté de la tête aux rouages enrayés, j'attends la mer sur le bout d'une phrase, un train long comme le Transsibérien, un bateau en bouteille qui aurait démâté. Flâneur sans solde, voyageur sans bagage, étranger sans pays, j'écoute les oiseaux pépier dans les coquilles de l'encre, une tortue marine fait son nid sur la page.

 

L'histoire vraie du monde commence par le rêve.

 

 

Léo Ferré, Le chien, musique : Da Victoria, Théâtre des Champs-Élysées, 1984

 

Écoutez Jean-Marc La Frenière.

 

Jean-Marc La Frenière, lecture de trois poèmes à Nice, librairie Brouillon de Culture, 23 octobre 2010

 

On peut trouver ses ouvrages, ceux non disponibles en France, à la Librairie du Québec. On peut aussi lui écrire, le lien est tout en haut. Enfin, d'autres de ses textes seront publiés, comme les années précédentes, dans Scribulations 2013, à demander à l'éditeur, et écrivain, Jean-Marie Dutey, auquel Jean-Marc rend un hommage bien mérité.

 

*

 

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Jean-Marc La Frenière, La langue est mon pays

Jean-Marc La Frenière, J'écris avec la terre

 

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10 septembre 2013 2 10 /09 /septembre /2013 23:03

 

Jean-Marc La Frenière, La langue est mon pays

Jean-Marc La Frenière, La langue est mon pays, Éditions Trois Pistoles, 2010

 

A défaut d'un pays

il nous reste la langue

 

La langue est mon pays. Je meurs et je revis à chaque bout de phrase. Du bois mort dans l'âtre fait revivre la flamme. Il suffit d'un seul mot pour ouvrir une porte. Il suffit d'un poème pour redonner courage. Il suffit d'un motif dans les limailles de l'aimant et les cristaux de neige pour retrouver sa route. Il suffit d'un baiser pour effacer la haine. Il suffit d'un insecte au milieu du désert pour trouver l'oasis. Il suffit d'un regard au milieu de la nuit pour trouver la lumière. Le ciel se dessine sur une plume d'oiseau, l'océan sur une vague. Il suffit d'un galet de la grosseur d'un ongle pour porter la rivière.

 

Plume 357

 

Pour certains, la vie n'est qu'une collection de robes et de ronds de jambe, d'habits et d'abitudes. Il faudrait en faire une collation d'amour, faire son miel du moindre battement d'aile, faire lever le pain dans le ventre des affamés. Je sème dans les banques des armuriers qui font faillite, des imbéciles heureux dans les tours à finance, des caresses de braise dans le mouvement du froid, des fleurs à la peau neuve à l'affût de la pluie, une pomme dans chaque main, du rêve dans la prose, des éclats de mer sous la peau des yeux, des éclats de rire dans les larmes, de la chaleur humaine au comptoir des mots. Entre chaque virgule, je transporte un coin de table pour accueillir les fous, les désespérés, les âmes qui se cherchent. Il faut voir plus loin que l'horizon des villes. A défaut d'autre chose, je refais le soleil avec des bouts de chandelle, la ligne d'horizon avec un bout de ficelle.

 

La vie marche avec nous même quand nous rêvons.

 

Mes mots sont de vieux souliers déformés par la marche. On y voit des cals sur l'orteil d'une phrase, des ecchymoses sur la peau du silence. Je cherche un alphabet vivant, un lexique de chair, une grammaire affamée.

 

Entre terre et ciel, brumes et nuages.

 

Entre la brume du lac et les nuages roses, le soleil sort de son hamac.

 

Le pèlerin en révolte dans Un feu me hante reprend son bâton sur le chemin de l'amour, des cailloux de nostalgie. Un chant d'amour.

 

Le soleil sort de son hamac, Éveillez-vous !

 

*

 

En partenariat avec LIRESOUSLEMAGNOLIA

 

LIRESOUSLEMAGNOLIA

 

*

 

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Jean-Marc La Frenière, Un feu me hante

Jean-Marc La Frenière, J'écris avec la terre

 

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10 septembre 2013 2 10 /09 /septembre /2013 23:01

 

Jean-Marc La Frenière, J'écris avec la terre

Jean-Marc La Frenière, J'écris avec la terre, Éditions Chemins de Plume, 2012

photo : Ile Eniger

 

« Aimer est un très grand pays

mais comment l'habiter ? »

Gilbert Langevin

 

Certains oiseaux volent à l'envers en traversant la ville. Ils préfèrent le ciel au smog des usines. Quand le cidre chimique dénature les vergers, quand la peau des écrans prend le pas sur la chair, quand on oublie de vivre pour payer l'enterrement, quand les champs de maïs affament les plus pauvres pour nourrir les avions, quand les enfants des hommes servent de chair à canon et le sexe des femmes n'est qu'une fente à monnaie, je ne pardonne pas aux prêtres, aux banquiers, aux guerriers qui savent ce qu'ils font.

 

Le moindre caillou témoigne d'une étoile.

 

Je n'aime pas l'autoroute. J'ai pris un chemin solitaire, un sentier plein d'épines. Je longe les ruisseaux. Une ancienne forêt murmure dans mes mots. Un mouton bêle sous mon chandail de laine. Mes souliers en peau de vache ruminent ce qu'ils peuvent. Mes yeux de mer à boire suivent une étoile filante. La mort aux yeux de craie ajoute à mon ardoise. L'air se coupe sur le fil des mots. Ne cherchez pas chez l'homme ce que savent les arbres. Ne cherchez pas ailleurs ce que la vie nous prend. Ne cherchez pas l'enfance dans les salles de cours. Lorsque les mots ne servent plus qu'à dire "j'ai faim, j'ai soif", à quoi sert un poète ?

 

J'écris avec la terre. Je pose des cailloux un à un. Je fais des petits sauts sur la marelle du sens. J'abats les T en croix pour en faire des bûches. Je fais rouler des billes de la rondeur des O.

 

Une prose poétique, souvent en alexandrins à l'oreille, le jeu des assonances, et toujours le feu, le fleuve, le rêve.

 

Le rêve est bien enraciné dans la vie, le rêveur éveillé en révolte, l'amour.

 

A quoi sert un poète ? Apprenez en lisant !

 

*

 

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Jean-Marc La Frenière, Un feu me hante

Jean-Marc La Frenière, La langue est mon pays

 

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4 septembre 2013 3 04 /09 /septembre /2013 23:01

 

Gaétan Soucy, La petite fille qui aimait trop les allumett

Gaétan Soucy, La petite fille qui aimait trop les allumettes, Éditions du Boréal, 1999

ill. Couverture : Catherine Farish, Sans titre, 1996

L'édition de poche, 2000, comporte une belle présentation de Pierre Lepape, dont nous avons la transcription grâce à Lystig, que nous remercions ici. Mieux vaut lire la présentation après le roman, Pierre Lepape dévoile le mystère.

 

Gaétan Soucy, près 357

Gaétan Soucy, écrivain, professeur de philosophie, un Québécois. Il est mort chez lui, à Montréal, d'une crise cardiaque, le mardi 9 juillet 2013. Il avait cinquante quatre ans. Amoureux du Japon, et comme il le dit, son écriture, ou plutôt celle du secrétarien qui fait le récit, tient du japonisme.

« Si je n'écrivais pas, ce serait beau que je meure d'un seul coup. »

 

« L'expérience du sentiment de douleur n'est pas l'expérience qu'une personne (par exemple « JE ») possèdequelque chose. Dans les douleurs, je distingue une intensité, un lieu, etc., mais non un propriétaire. Comment seraient donc des douleurs que "n'a" personne ? Des douleurs qui n'appartiennent vraiment à personne ?

Tout le problème vient de ce que les douleurs sont toujours représentées comme quelque chose que l'on peut percevoir, au sens où on perçoit une boîte d'allumettes. »

LUDWIG WITTGENSTEIN

 

Incipit

 

Nous avons dû prendre l’univers en main mon frère et moi car un matin un peu avant l’aube papa rendit l’âme sans crier gare. Sa dépouille crispée dans une douleur dont il ne restait plus que l’écorce, ses décrets si subitement tombés en poussière, tout ça gisait dans la chambre de l’étage où papa nous commandait tout, la veille encore. Il nous fallait des ordres pour ne pas nous affaisser en morceaux, mon frère et moi, c’était notre mortier. Sans papa nous ne savions rien faire. A peine pouvions-nous par nous-mêmes hésiter, exister, avoir peur, souffrir.

 

Les deux frères ont seize ? dix-sept ans ?

 

Le père est dans une figette, c'est une visite au paradis [...] il ne bougeait pas plus qu’une patère...le pater... la petite mort ?

 

Page 18

 

le secrétarien c'était toi aujourd'hui !

les mots ne me viendraient pas.

les mots, les mots ! Quels mots ?...

 

Page 21

 

Cette histoire a bien dû se dérouler dans la vraie vie à un moment donné quelque part, allons donc. Il y avait dedans une princesse à l'intérieur d'une tour, prisonnière de ce que l'on appelle un moine fou, et il y avait le beau chevalier qui venait la sauver et l'emportait sur son cheval aux ailes de braise, si j'ai bien compris. Je la lisais sans me lasser, cette histoire, et même souvent me la repassais dans le chapeau, si ému que je ne savais plus trop si j'étais moi-même le chevalier, ou la princesse, ou l'ombre de la tour, ou simplement quelque chose qui participait au décor de leur amour, comme la pelouse au pied du donjon, ou l'odeur des églantines, ou la couverture constellée de rosée dans laquelle le chevalier enveloppait le corps transi de sa bien-aimée, c'est ainsi que ça se nomme. Il arrivait même que, en lisant d'autres dictionnaires pour ma culture, je me rendisse compte qu'en réalité au lieu de lire l'éthique de spinoza que j'avais sous les yeux, par exemple, je relisais dans le dictionnaire de ma tête cette histoire de princesse sauvée par son chevalier qui est ma favorite. J'avais été même jusqu'à tenter de la lire à mon frère le soir avant que nous nous endormissions, mais lui, pensez-vous, de ronfler bientôt comme un cochon. Tout déçoit chez mon frère tout le temps, on ne peut pas rêver avec lui.

 

Dictionnaire : ouvrage de référence qui répertorie des mots dans un ordre convenu, recueil de pensées d’un auteur, ensemble des mots dont se sert un écrivain.

 

Tous les livres sont donc dans le dictionnaire.

Tous les mots de l’Éthique de Spinoza sont dans un dictionnaire.

Tous les livres sont composés de mots prêts à l'emploi, en un certain ordre assemblés.

 

Comme les tubes de peintures utilisés par l'artiste sont des produits manufacturés et tout faits, nous devons conclure que toutes les toiles du monde sont des ready-mades aidés et des travaux d'assemblage.(Marcel Duchamp, in Duchamp du signe, p. 191)

 

Maurice Denis, Taches de soleil sur la terrasse 357

Maurice Denis, Taches de soleil sur la terrasse, 1890

 

Se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.(Maurice Denis, Revue Art et Critique, 30 août 1890)

 

Paul Sérusier, Le Talisman, l'Aven au Bois d'Amour 357

Paul Sérusier, Le Talisman, l'Aven au Bois d'Amour, 1888

 

Tous ? Non.

 

François Rabelais crée des mots qui n'existent pas. Dans son Quart Livre, au chapitre XV, on peut lire :

La nouvelle mariée pleurante rioyt, riante pleuroyt, de ce que Chiquanous ne s'estoit contenté la daubbant sans choys ne election des membres: mais l'avoir lourdement deschevelée d'abondant luy avoit trepignemanpenillorifrizonoufressuré les parties honteuses en trahison.

(une histoire de gosses)

 

Au chapitre LVI, qu'on pourra lire infra, il est question de parolles gelées, qu'il convient de dégeler pour les entendre.

(des paroles insensées)

 

Le secrétarien de Gaétan Soucy parle :

le vendredi où Jésus est mort tombe toujours à l'époque où l'étang a commencé à dégeler.

 

James Joyce, dans son Finnegans wake, emprunte à des dizaines de langues des mots qu'il forge en de nouveaux mots.

(des mots forgés)

 

Gaétan Soucy invente une fabrique de mots qui n'existent que dans le dictionnaire de son secrétarien, sous son chapeau. Le secrétarien, la figette, les emmarmelades... Et non pas seulement des mots mais des images inouïes, des constructions syntaxiques défiant l'abyme – et l'abîme terrible de pascal, que père contemple comme un vertigineux qui se cramponne à l’herbe en regardant le ciel parce qu’il a peur de tomber par en haut jusqu’au fond des étoiles inerrantes.

 

Les mots de Rabelais et de Joyce ne se rencontrent pas dans la vraie vie. Le récit du secrétarien se situe dans la vraie vie à un moment donné quelque part. Le dictionnaire de Gaétan Soucy ne contient pas de définitions mais ses créatures verbales ne troublent pas la vue du lecteur, leur origine est transparente : le secrétarien détient un secret, soit, arien peut-être, serait-il un hérétique ? Ou un agrarien ? Ou un ovarien ? La figette, c'est quand on se fige, un malaise ou une stratégie pour éviter les questions des semblables... Les emmarmelades, ce sont des emmerd... comme peuvent en connaître des marmots qui mélangent tout en une marmelade...

Le lexique complet serait long !

 

Page 23

 

J'ouvris l'armoire et vérifiai le contenu de la bourse que je renversai sur la table. Une dizaine de pièces identiques, d'un métal terne, roulèrent de-ci-de-là, j'en aplatissai une avec ma paume. Roulèrent n'est pas accordé convenablement, si ça se trouve, c'est la dizaine qui roula comme un seul homme, mais tant pis, j'ai fait ma syntaxe chez le duc de saint-simon, sans compter mon père. Il m'en est resté quelque chose qui cloche. Je mêle aussi tous les temps de verbes, un vrai macaroni. Un chat n'y retrouverait pas sa queue.

 

Le père était prêtre, quand il était beau gosse.

 

Il faut bien enterrer le père. Le porter. Au risque de...

 

Page 31

 

Dans sa chute le suaire s'était entrouvert et comme père était en costume d'eve c'était comme si nous étions à tu et à toi avec ses couilles. Elles étaient toutes molles et joufflues, beaucoup plus grosses que celles de mon frère ou que les miennes à l'époque où j'en avais encore.

 

 

C'est ainsi que ça se nomme.

 

Une des nombreuses formules répétées avec quelque variante, comme un leitmotiv.

Quelque chose de l'écriture de Samuel Beckett.

 

On ne trouve pas la boîte à mort au magasin général, chez les semblables. Et puis il y a déjà un enterrement, long comme un reptile et très lent, ce qui n'est pas conforme à la raison et à l'éthique de spinoza.

 

Page 63

 

Toujours est-il qu'un moment vint où ils sont tous ressortis de l'église en suivant le cercueil, c'est à se demander s'ils n'allaient pas le suivre jusque dans la tombe, et tous s'enterrer avec, par une fascination abrutie, comme notre ancien chien qui ne me lâchait pas les semelles les fois où je dégouttais de sang. C'est même pour ça que père a fini par mettre de la boule à mites dans sa pitance. Je m'expliquerai plus tard sur toutes ses affaires de sang qui doivent paraître étranges, et qui le sont effectivement.

 

Page 70

 

Papa a deux fils, dis-je. Moi et mon frère.

[…]

Et ta maman ? Est-ce qu'il n'y a pas ta mère qui vit avec toi ?

Il n'y a jamais eu de putes à la maison, dis-je.

[…]

Toutes les mères sont des putes mais on peut aussi dire saintes vierges si ça nous chante, la nuance est infime.

 

Le propos est dérangeant, n'est-ce pas celui du petit Marcel ?

 

Page 78

 

Pourquoi parles-tu toujours de toi comme si tu étais un garçon ?

[…]

Tu ne sais donc pas que tu es une jeune fille ?

[…]

Est-ce que monsieur le prêtre qui m'a frappé a aussi des enflures en-dessous de sa robe ? Il y a eu une fois, il m'est arrivé une vraie calamité, je crois que j'ai perdu mes couilles. Durant des jours ça s'est mis à saigner, et puis ça cicatrise, et puis ça repart encore, ça dépend de la lune, ah la la, tout ça à cause de la lune, et j'ai commencé à avoir mes enflures sur le torse aussi.

 

Ensuite il y a des choses étranges, des cauchemars peut-être, c'est ainsi que ça se nomme, on ne peut rien en dire, le secret du secrétarien est terrifiant, il est dangereux de jouer avec des allumettes.

 

Page 117

 

Et c'est là que me revenaient à l'esprit toutes sortes de questions que je me posais avant de lire l'incompréhensiblissime éthique de spinoza, où j'appris entre autres, pas plus tard que l'an dernier, que la vraie religion doit être non pas une méditation de la mort, mais une méditation de la vie, pourriture ! fais ton office.

 

Oui, à la fin, il y a encore de l'espoir.

 

On l'aura compris, sans doute, Gaétan Soucy est un écrivain majeur de notre temps, il y en a peu.

Il y a bien une histoire, encore qu'on ne sache pas si c'est de l'histoire ou un conte de fée, et de sorcière, il y a d'abord à lire une écriture, dans l'Olympe de l'écriture.

 

Un homme d'une humilité, sans chichis, extraordinaire. Écoutez-le, des yeux, on vous dira.

 

« Ce dont je peux parler le mieux c’est de la façon dont ça s’est écrit. [...] Dans le cas de La Petite fille qui aimait trop les allumettes, c’est un livre qui a été écrit, je dirais sous la dictée, bon. Je me méfie de toute forme de romantisme, de l’inspiration [...] mais je dois admettre que l’expérience de La petite fille a été une expérience d’écoute directe avec une voix que j’entendais, et comme je craignais de perdre cette voix que j’entendais […] j’ai écrit ce livre-là très très rapidement, et en moins d’un mois, en fait [NdL : du 27 janvier au 24 février 1998], et ça a été une expérience donc physiquement aussi extrêmement difficile, et sans être directement de l’écriture automatique, c’était en tout cas une écriture qui ouvrait complètement toutes les valves possibles, et j’essayais de n’avoir aucun réflexe d’inhibition, et ce qui fait que c'est une histoire que j'ai comprise, que j'ai apprise en quelque sorte en même temps que le lecteur. […] L'écriture, même si c'est une écriture fictionnelle, contribue certainement à structurer mon expérience, et à me structurer sur le plan personnalitaire, je n'écris pas que pour cela, mais c'est certain que ça joue un rôle à ce niveau-là, oui.

_ Vous n'écrivez pas pour cela, mais moi je lis pour cela, je vous lis pour cela, je lis pour savoir quelle est mon expérience, je lis pour savoir quels sont les mots... pour l'expérience que j'ai eue...

_ Oui, c'est la quête du lecteur. »

 

Que ce soit votre quête !

 

Gaétan Soucy parle de son écriture, La Librairie des Halles, Niort, octobre 2009

 

Mieux vaut ne pas écouter le film avant d'avoir lu le roman, c'est pourquoi nous vous avons donné quelques extraits qui ne gâcheront pas la découverte.

 

Non, on ne donnera pas le secret de l'histoire, le secret du secrétarien, maintenant... comprenne qui voudra...

 

Le Juste Châtiment... Combien y a-t-il d'enfants dans l'histoire ? Y a-t-il une histoire ? Doit-on croire le secrétarien ?

 

Melocoton, où elle est maman ?

 

Melocoton et Boule d'Or

Deux gosses dans un jardin

 

 

Colette Magny, Melocoton, 1964

 

Ma p'tite Boule d'Or, j'en sais rien !

 

Un hymne à la vie.

 

- - -

 

DOCUMENTS

 

François Rabelais, Quart Livre, chapitre LVI, 1552

 

Comment entre les parolles gelées Pantagruel trouva des motz de gueule

 

Le pilot feist responce: Seigneur, de rien ne vous effrayez. Icy est le confin de la mer glaciale, sus laquelle feut au commencement de l'hyver dernier passé grosse & felonne bataille, entre les Arismapiens, & le Nephelibates. Lors gelèrent en l'air les parolles & crys des homes & femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, les hannissements des chevaulx, & tout effroy de combat. A ceste heure la rigueur de l'hyver passée, advenente la serenité & temperie du bon temps, elles fondent & sont ouyes. Mais en pourrions nous voir quelqu'une. Me soubvient avoir leu que l'orée de la montaigne en laquelle Moses receut la loy des Iuifz le peuple voyoit les voix sensiblement.

Tenez tenez (dist Pantagruel) voyez en cy qui encores ne sont degelées.

Lors nous iecta sus le tillac plènes mains de parolles gelées, & sembloient dragée perlée de diverses couleurs. Nous y veismes des motz de gueule, des motz de sinople, des motz de azur, des motz de sable, des motz dorez. Les quelz estre quelque peu eschauffez entre nos mains fondoient, comme neiges, & les oyons realement. Mais ne les entendions. Car c'estoit languaige Barbare. Exceptez un assez grosset, lequel ayant frère Ian eschauffé entre ses mains feist un son tel que font les chastaignes iectées en la braze sans estre entonmées lors que s'esclatent, & nous feist tous de paour tressaillir.

C'estoit (dist frère Ian) un coup de faulcon en son temps.

Panurge requist Pantagruel luy en donner encores. Pantagruel luy respondit que donner parolles estoit acte des amoureux.

Vendez m'en doncques, disoit Panurge.

C'est acte des advocatz, respondit Pantagruel, vendre parolles. Ie vous vendroys plutost silence & plus chèrement, ainsi que quelque foys la vendit Demosthenes moyennant son argentangine.

Ce nonobstant il en iecta sus le tillac troys ou quatre poignées. Et y veids des parolles bien picquantes, des parolles sanglantes, lesquelles li pilot nous disoit quelques foys retourner on lieu duquel estoient proferées, mais c'estoit la guorge couppée, des parolles horrificques, & aultres assez mal plaisantes à veoir. Les quelles ensemblement fondues ouysmes, hin, hin, hin, hin, his, ticque torche, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr, frrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr, On, on, on, on ououououon: goth, mathagoth, & ne sçay quels aultres motz barbares, & disoyt que c'estoient vocables du hourt & hannissement des chevaulx à l'heure qu'on chocque, puys en ouysmez d'aultres grosses & rendoient son en degelent, les unes comme de tabours, & fifres, les aultres comme de clerons & trompettes. Croyez que nous y eusmez du passetemps beaucoup. Ie vouloys quelques motz de gueule mettre en reserve dedans de l'huille comme l'on guarde la neige & la glace, & entre du feurre bien nect. Mais Pantagruel ne le voulut: disant estre follie faire reserve de ce dont iamais l'on n'a faulte, & que tousiours on en a main, comme sont motz de gueule entre tous bons & ioyeulx Pantagruelistes. Là Panurge fascha quelque peu frère Ian, & le feist entrer en resverie, car il le vous print au mot, sus l'instant qu'il ne s'en doubtoit mie, & frère Ian menassa de l'en faire repentir en pareille mode que se repentit G. Iousseaulme vendent à son mot le drap au noble Patelin, & advenent qu'il feust marié le prendre aux cornes, comme un veau: puys qu'il l'avoit prins au mot come un hile. Panurge luy feist la babou en signe de derision. Puys s'escria disant. Pleust à Dieu que icy, sans plus avant proceder, i'eusse le mot de la dive Bouteille.

 

*

 

Colette Magny, Melocoton, 1964

 

Melocoton et Boule d'Or

Deux gosses dans un jardin

 

Melocoton, où elle est maman ?

- J'en sais rien !

Viens, donne-moi la main

- Pour aller où ?

- J'en sais rien !

Viens !

- Papa il a une grosse voix

Tu crois qu'on saura parler comme ça ?

- J'en sais rien !

Viens, donne-moi la main

- Melocoton, Mémé elle rit souvent

Tu crois qu'elle est toujours contente ?

- J'en sais rien !

Viens, donne-moi la main

- Perrine elle est grande presque comme maman

Pourquoi elle joue pas avec moi ?

- J'en sais rien !

Viens, donne-moi la main

- Christophe il est grand mais pas comme papa

Pourquoi...

- J'en sais rien !

Viens, donne-moi la main

- Dis Melocoton, tu crois qu'ils nous aiment ?

- Ma p'tite Boule d'Or, j'en sais rien !

Viens, donne-moi la main...

 

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31 août 2013 6 31 /08 /août /2013 23:01

 

Yves Velan, Je

Yves Velan, Je, Éditions du Seuil, 1959

 

Yves Velan, 1978

Yves Velan, 1978

Yves Velan est né le 29 août 1925 à Saint-Quentin, il est de Bassins, en Suisse. Enseignant, écrivain, il a publié :

Je, Seuil, Paris, 1959

La Statue de Condillac retouchée, Seuil, 1973

Onir, in Écriture 9, éditons Bertil Galland, Vevey, 1974

Soft Goulag, éditions Bertil Galland, Vevey, 1977

 

Nyon est la première ville qu'on rencontre entre Genève et Lausanne, en un point où la route longe le lac. Presque toute la bourgade est construite sur le plateau qui s'étend derrière, et du bas le voyageur n'en voit que la crête. Au sud, vers Genève, la pente s'infléchit, car un ruisseau borde la ville, ainsi la rue du Cordon, qui mène de la grand-route au centre, peut grimper tout droit au lieu de zigzaguer de flanc. Le trajet est d'ailleurs bref : cinq cents mètres à peine et l'on passe sous la poterne, où pend une lanterne d'un genre ancien. La maison à droite est la mienne, la cure, comme l'indiquent les volets à bandes vertes et blanches.

 

Un pasteur s'interroge. Un ami : Victor. Ou encore Jaunin, mourant mais encore vif dans la repartie.

 

Nous avons ardemment prié pour vous.

Qui ça, les pimbêches du Comité de Bienfaisance ?

 

C'est pas injuste que je doive mourir ?

[…]

Non, ce n'est pas injuste.

Ma voix n'a frémi que du triomphe de me sentir si calme.

Ce n'est pas injuste d'avoir été manœuvre toute sa vie, d'avoir vécu comme un chien, de mourir comme un chien ?

 

Il faut continuer. En ce moment il sait que rien n'arrive, mais au sommet de la roue il aura à nouveau l'illusion de pouvoir se changer. Il a appris qu'il est vivant, c'est bien quelque chose. Qu'en aura-t-il de plus si hors de cela il invente tout ? Allons toujours prendre une tasse de café. Il faut attendre avant de vouloir penser. Il pourrait quand même passer deux semaines dans le sud. D'abord rentrer dans sa paroisse, et souffrir. Morier. Avec un peu de chaleur humaine. Un peu de chaleur humaine.

 

Yves Velan met à la poubelle ses trois premiers romans, du faux Sartre, du faux Gide et du faux Flaubert, dit-il.

 

Ou bien du faux Nathalie Sarraute, un peu le Portrait d’un inconnu, ou un autre Italo Svevo, avec La Conscience de Zeno, La coscienza di Zeno ?

 

Un pasteur se cherche et Le cherche, Lui. Il souffre de se sentir coupable sans bien savoir de quoi il est coupable. Certes, il est lié au Parti du Travail, comme l'était Yves Velan, certes il a une certaine aisance financière, un héritage, qui lui permet de faire l’aumône, mais est-ce suffisant ? Au terme d'une quête, en forme de psycho-analyse, il entend qu'il est vivant, c'est déjà quelque chose, est-ce suffisant ?

 

Ecoutez Yves Velan, A témoin, le 22 février 1978, avec Eric Burnand.

 

 

 

Je est disponible aux Éditions L'Age d'Homme.

 

Remerciements à Denis Lecomte d'appeler à faire connaître la littérature francophone.

 

 

Sabine Paturel, Les Bêtises, 1986

 

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28 août 2013 3 28 /08 /août /2013 23:01

 

en hommage pré-posthume à François P.

 

Je salue chaleureusement et particulièrement François Patin pour sa connaissance très pointue du jazz.

Jacky Pillac

 

François P. ne connaît pas grand-chose au jazz, ce qui lui a valu de conduire un stage de l'Educ Nat sur le jazz et les beaux-arts, qu'il ne connaît pas du tout non plus, ce que méritait bien sa vocation du proviseur-adjoint de lycée professionnel qu'il est devenu, normal, il ne connaît rien à la ferronnerie, rien à la mécanique, rien à la menuiserie.

 

Le jazz et les beaux-arts, pour lui, c'était Sacha Chimkevitch, affichiste fort honorable comme on va le voir. Le couffin-patin, lui, exposait les œuvres de Sacha, à vendre, dans un stage de l'Educ Nat, naturellement.

 

Voyons un peu Sacha.

 

Sacha Chimkevitch, Lou

Sacha Chimkevitch, Lou

 

Sacha Chimkevitch, Saumur Jazz

Sacha Chimkevitch, Saumur Jazz

 

Sacha Chimkevitch, Quintet de Jazz

Sacha Chimkevitch, Quintet

 

Et Matisse !

 

Henri Matisse, Le lagon, in Jazz, ca 1943

Henri Matisse, Le lagon

 

Henri Matisse, l'écuyère, in Jazz, ca 1943

Henri Matisse, L'écuyère

 

Et Daniel Humair !

 

Daniel Humair, L'intrusion

Daniel Humair, L'intrusion

 

Et Daniel Humair !

 

Daniel Humair, sans titre

Daniel Humair, sans titre

 

Last but not least.

 

Jean-Michel Basquiat, Max Roach 700

Jean-Michel Basquiat, Max Roach

 

Écoutons un peu de jazz.

 

 

Michel Petrucciani, Round midnight, Stuttgarter Jazztage, 1993

Michel, tu nous manques, pourquoi être parti si tôt, pauvre con ! espèce de lâche !

 

Art Blakey, The freedom rider

 

 

Art Blakey & The Jazz Messengers, The Freedom Rider, 1961

Il est tout seul, et tout noir.

 

Rendons à Thelonius...

 

Thelonious Monk, Round About Midnight, ca 1940

L'inventeur. Oui, il joue faux, comme d'habitude, et alors ?

 

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